Modèles d`organisation alternatifs pour l`entreprise de services
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Modèles d`organisation alternatifs pour l`entreprise de services
Modèles d’organisation alternatifs pour l’entreprise de services Ward Roofthooft, Ph.d. Résumé : Quel est le modèle d’organisation qui convient aux entreprises de services? L’organisation conventionnelle comportant de longues voies d’autorité et de communication peut nuire à un rapport étroit avec les clients. On aborde quatre modèles alternatifs tirés de la documentation et de la pratique de gestion. Ils sont liés au modèle-cadre d’affaires axé sur quatre v aleurs. L’organisation virtuelle fonctionne à partir d’un petit noyau opérationnel et confie à la sous-traitance d’autres fonctions de l’entreprise. L’organisation sans limites remplace les divisions par des équipes de projet. L’organisation constituée selon le modèle de la fleur réunit les gestionnaires fonctionnels de la « direction générale » pour assurer la clarté des communications et obtenir un engagement maximal par rapport aux décisions. L’organisation en réseau met en commun l’expertise de l’ensemble des entreprises faisant partie d’un groupe. 1. INTRODUCTION « Les fonctions de base des organisations sont de fournir (1) une voie et un lieu pour la prise de décisions et la coordination et (2) un système de présentation de rapports et de communication. L’autorité et la communication sont typiquement représentées dans l’organigramme »1. « Un modèle d’affaires, selon notre point de vue, est formé de quatre éléments indissociables qui, pris ensemble, créent et assurent de la valeur. Le plus important à bien réussir est de loin le premier : la proposition de valeur pour le client »2. La « valeur » pour le client sera le sujet d’intérêt principal du présent article. La structure d’entreprise et les modèles d’organisation n’ont de signification que s’ils mènent à l’idée globale générale suivante : offrir de la valeur à la clientèle. 2. L’ORGANISATION CONVENTIONNELLE INSPIRÉE DE L’ORGANISATION MILITAIRE L’organigramme archétypique est celui que préconisent les forces militaires. Il décrit parfaitement les fonctions, les processus et les responsabilités décrits ci-dessus. Les forces militaires semblent être satisfaites de ce modèle puisque le même modèle est utilisé depuis l’époque romaine et restera probablement en vigueur des années à venir encore. Voici une comparaison entre les rangs au sein de l’armée romaine, les rangs dans les forces militaires d’aujourd’hui et les rangs hiérarchiques au sein d’une organisation d’affaires conventionnelle : – Légat / général / PDG – Tribun / colonel / directeur – Centurion / capitaine / cadre supérieur – Optio / lieutenant / gestionnaire ou chargé des opérations – Décan / sergent / superviseur – Légionnaire / soldat / travailleur, employé Il y a peu de doute au sujet des détenteurs d’autorité au sein du modèle d’organisation militaire. Du général quatre étoiles au soldat le plus simple, tout le monde semble savoir exactement ce qu’il a à faire, à quel moment il doit le faire, comment s’y prendre, à qui demander la permission de le faire et qui aviser lorsque la tâche a été accomplie ou non accomplie et pourquoi. En 2007, les forces militaires américaines utilisaient 542 manuels. Grâce à l’« Initiative de doctrine 2015 de l’Armée », ce nombre astronomique devrait maintenant passer à 50. (Global Security.org, sans date) Nul doute que ce nombre de manuels suffira toujours à indiquer à tous les membres des forces leur position dans la hiérarchie et ce © INSTITUT DE LA GESTION FINANCIÈRE DU CANADA 2015. TOUS DROITS RÉSERVÉS. qu’ils doivent faire et ne pas faire. Ces 50 manuels offriront-ils toujours la souplesse nécessaire pour favoriser l’initiative et la créativité, deux éléments qui se sont avérés de la plus haute importance dans le cadre de situations d’intervention militaire qui sont souvent inattendues? La communication ne devrait pas poser problème au sein de l’organisation militaire strictement axée sur les rapports hiérarchiques. Ou est-ce le cas? Le 7 décembre 1941, à Pearl Harbor, l’organigramme hiérarchique militaire ne semble pas avoir été aussi infaillible que la plupart des membres des forces l’avaient cru, surtout pour ce qui est de la communication3. . . Malgré cela, de nombreuses entreprises, surtout de grandes entreprises industrielles ont choisi d’appliquer ce modèle à leur organisation. Mais si les forces militaires semblent pouvoir s’accrocher à six échelons de fonctions, de responsabilités et de postes hiérarchiques, certaines entreprises ont cru bon se doter de 12 et même de 15 échelons hiérarchiques entre le superviseur de première ligne et le président de l’entreprise3. Même si l’on n’admet pas ce type d’aberration, on peut se demander si cette forme d’organisation remontant si loin dans le passé convient bien aux entreprises d’aujourd’hui. La clarté dans les rapports hiérarchiques est-elle l’avoir le plus précieux d’une entreprise qui est aux prises avec les défis de la mondialisation d’aujourd’hui et qui est confrontée à des révolutions technologiques à n’en plus finir? Est-ce que la multinationale la plus imposante est JUILLET 2015 IGF*FMI e-JOURNAL 1 MODÈLES D’ORGANISATION ALTERNATIFS POUR L’ENTREPRISE DE SERVICES une unité où toutes les idées proviennent des échelons supérieurs et où tout le travail doit se faire dans les échelons du bas? Ou peut-être l’organisation conventionnelle s’est-elle dégradée pour être davantage à l’image de ce qui suit : « le long de cet arbre, de la racine à la cime, les idées vont vers le haut et les vetos vers le bas » (citation attribuée à un « cadre supérieur de l’entreprise Unilever » par Drucker 19743)? Si l’on peut remettre en question le bien-fondé de la décision d’organiser une grande entreprise principalement industrielle de la même manière qu’une armée qui a eu des grandes réussites il y deux mille ans déjà, à quel point fautil encore davantage se méfier le moment venu d’organiser des entreprises de services d’aujourd’hui! Pour opposer le modèle organisationnel traditionnel décrit ci-dessus aux besoins organisationnels des entreprises de ser vices, il faut examiner les quatre diffé rences principales entre une entreprise de « produits » et une entreprise de « services », tel que les décrivent plusieurs auteurs1, 4–8. Contrairement aux produits, les services sont : – Des Biens Incorporels On ne peut pas voir ni entendre les services, y goûter ou les sentir, mais une entreprise de services ne peut attirer des clients qu’en offrant ses services « incorporels » dans des circonstances réelles alléchantes p. ex. l’intérieur chaleureux d’un restaurant ou des fauteuils confortables dans un avion. – Indissociables Le fournisseur et le bénéficiaire d’un service agissent simultanément d’habitude. Le service sera principalement rendu par une personne. Il est donc important de montrer le « meilleur côté » du fournis seur, p. ex. une personne sympathique qui a un beau sourire ou une preuve tangible des capacités professionnelles du fournisseur de services. – Variables Chaque service est unique. « KLM n’a qu’UN seul client, 20 millions de fois, mais chaque fois qu’UN seul client »8. Et puisque les humains sont une créature aux innombrables variations, le fournisseur du service et le consommateur du service seront différents d’une fois à l’autre, même si on offre le même service des centaines de fois. 2 IGF*FMI e-JOURNAL JUILLET 2015 – Périssables Un service qui n’a pas été rendu est un service perdu…pour de bon. Une pièce non occupée dans un hôtel ou un patient qui ne se présente pas à une intervention chirurgicale sont perdus à jamais comme occasion de générer des revenus. Ces différences importantes ont inspiré plusieurs auteurs à ajouter quatre autres « P » au modèle classique du prix, produit, promotion et place proposé par McCarthyKotler4 : – Personnes Les personnes sont bien entendu l’élément le plus important dans l’interface entre le fournisseur du service et le bénéficiaire du service. Cet élément a causé deux recentrages de la priorité dans le processus de marketing. D’abord, les entreprises ont compris l’importance critique du « marketing interne » c’est-à-dire le développement de la prise de conscience du client chez TOUS les employés. Pour ce faire, le recrutement, la formation, l’en cadrement, la gestion et le leadership ont tous augmenté en intensité au sein des entreprises de services. Deuxièmement, la « gestion de l’ex périence du client » (GEC) c’est-à-dire gérer l’expérience de chacun des clients de manière à ce qu’elle soit uniforme et précieuse au bénéficiaire du service. Les entreprises se servent de la GEC pour faire démarquer les services qu’elles offrent de ceux d’autres fournisseurs de services. – La Place (Le Milieu Physique) Il s’agit là d’une autre façon de souligner l’importance de se doter de bons éléments « corporels » à l’endroit et au moment où les services sont rendus. – Processus On pourrait faire valoir que le facteur « processus » dans les services équivaut au « produit » dans le modèle classique des « 4 P ». Mais il y a une véritable différence : par rapport aux services, ce n’est pas uniquement CE DONT le client reçoit, comme pour un produit, qui est important, mais également la FAÇON DONT il le reçoit, comme pour un service. Nul ne s’intéresse de savoir si la fille dans l’usine d’embouteillage de Coca-Cola souriait lorsqu’elle faisait fonctionner la machine, mais tous les clients souhaitent vivement qu’une autre fille qui sert la même bouteille de CocaCola dans un restaurant ait un beau sourire. – Productivité Cela implique une « gestion de la capacité ». Dans le secteur des services, une capacité non utilisée représente une perte pure. Planifier l’équilibre entre la demande et l’offre est donc bien plus important pour une entreprise de services que pour une entreprise dont les activités sont liées à des produits. Le caractère saisonnier prend toute l’importance. Les meilleurs exemples sont les compagnies aériennes et les hôtels. Ils doivent définir judicieusement leur portefeuille de services entre les activités fixes et prévisibles, les services à offrir pendant la saison forte et la saison creuse, les invités individuels et les groupes. Tous les efforts de marketing seront touchés par ces facteurs, mais le facteur dominant est le prix. C’est pourquoi on peut parfois prendre des vacances à Rio malgré un budget très limité, mais NON PAS pendant le Carnaval ni pendant la Coupe du monde de soccer. Comment peut-on envisager de composer avec succès avec les caractéristiques distinctes décrites ci-dessus en matière de services lorsqu’on doit tenir compte du processus de conception, de planification et d’exécution d’un service? Comment fait-on pour composer avec les questions connexes de l’acceptation de la responsabilité, de la demande et de l’attribution de permissions, de la déclaration des revenus et de l’assurance de la qualité d’un service? Comment tout faire cela sans quitter le long chemin tortueux truffé de blocs, de lignes (droites et pointillées) et marqué par les interférences verticales et horizontales propres à un organigramme traditionnel? La question la plus difficile est de savoir si la structure organisationnelle traditionnelle peut composer avec le caractère spécifique d’une « valeur » comme étant la pierre angulaire de la structure d’une entreprise de services. Dans la discussion sur les quatre modèles d’organisation alternatifs qui suit, vous verrez comment ces modèles offrent une meilleure chance de créer un « modèlecadre d’affaires axé sur quatre valeurs » fait d’une proposition de valeur, d’une architecture de valeur, d’un réseau de valeur et d’une finance de valeur9. On démontrera aussi comment, dans chacun des quatre modèles alternatifs, un des « 4 P » de l’outil d’affaires pour l’agencement du marketing joue un rôle catégorique dans chacune des quatre structures de valeur. © INSTITUT DE LA GESTION FINANCIÈRE DU CANADA 2015. TOUS DROITS RÉSERVÉS. MODÈLES D’ORGANISATION ALTERNATIFS POUR L’ENTREPRISE DE SERVICES 3. MODÈLES ORGANISATIONNELS ALTERNATIFS 3.1 L’organisation Virtuelle On définit une organisation virtuelle comme suit : « Une petite organisation centralisée qui confie à la sous-traitance les principales fonctions de l’entreprise ». (Robbins 2001). Une entreprise de services qui adopte ce principe d’organisation s’en tient aux fonctions qui sont absolument essentielles à la prestation du service. Une telle entreprise confie à l’externe les fonctions « génériques » communes à tous les types d’entreprises, telles que le jardinage, le nettoyage, la sécurité, le service de repas, etc. Mais elle peut également confier à l’externe de très importantes fonctions à condition que celles-ci ne soient pas absolument essentielles au contrôle complet de l’activité principale de l’entreprise c’est-à-dire la prestation du service. Par conséquent, l’entreprise peut confier à un « secrétariat social » l’administration du personnel ou à un consultant en formation la tâche du perfectionnement professionnel de son équipe de vente. Avant tout, l’entreprise veut éviter de construire un empire comptant des milliers d’employés, s’occupant de chacune des fonctions néces saires à l’entreprise, des plus essentielles aux plus génériques. Elle souhaite « s’en tenir à l’essentiel »10 c’est-à-dire le service qu’elle vend et qui est sa véritable raison d’être. Il est clair que dans les entreprises de services, la qualité du rapport individuel entre le fournisseur du service et le bénéficiaire du service revêt une très grande importance. Toute l’attention doit être portée à ce rapport. Cela n’est possible que si l’entreprise prévoit un maximum de souplesse dans toutes ses autres fonctions. La façon la plus rapide, la plus sûre et peut-être la moins coûteuse d’en arriver à ce résultat est de se fier à des compétences externes. Le recrutement, la sélection, l’embauche, la formation, le contrôle et l’administration de gens qui ne sont pas directement concernés par la prestation de services peut paraître comme un effort en vain, d’autant plus qu’on peut trouver dans le marché du travail des personnes déjà hautement qualifiées auxquelles on a recours que pour la période requise. Dans une organisation virtuelle, les paroles de Thomas Jefferson, « Ne jamais remettre à demain ce qu’on peut accomplir aujourd’hui » sont contredites selon le Pour illustrer l’organisation virtuelle, on pourrait faire valoir, à la rigolade, que le logo de KLM représente l’organigramme de l’entreprise. 1. La petite croix dans la partie supérieure n’est pas le président, ni une référence à l’intérêt royal porté envers l’entreprise. C’est le vrai patron de l’entreprise : le client. Vous remarquerez : LE client. N’oubliez pas que KLM n’a qu’UN seul client, plus de 20 millions de fois, mais chaque fois qu’UN seul! 2. Les quatre cercles représentent les « personnes au premier plan » : la dame au comptoir d’enregistrement, l’agent ou l’agente de bord. Ce sont vraiment Photo gracieuseté de KLM Royal Dutch Airlines (nieuws.klm.com/en/) les seules « personnes de service » de KLM. Ce sont elles qui font de KLM une entreprise de services. 3. Sous le personnel de service on retrouve la ligne de « gens assurant le soutien », c’est-à-dire toutes les personnes qui rendent directement possible la prestation du service : les pilotes, le personnel d’entretien technique... en théorie, leurs fonctions pourraient être confiées à l’externe, mais en pratique il serait difficile et probablement plus coûteux de recourir à des sous-traitants que d’utiliser le personnel de KLM. 4. « KLM » désigne toutes les personnes qui font de KLM une entreprise, qu’elle offre ou non des services. Si KLM était une organisation virtuelle, toutes ces fonctions pourraient être, en théorie, confiées à la sous-traitance, des personnes qui font le nettoyage au président. Aucun passager n’apercevrait la moindre différence dans la qualité du service si un préposé au nettoyage ou le président était remplacé par une autre personne. Mais pour les besoins de continuité, KLM retiendra bien sûr quelques fonctions principales comme celle du président. principe suivant : « Ne jamais remettre à demain ce qu’une autre personne peut mieux accomplir et accomplir à moindres coûts dès aujourd’hui ». L’organisation virtuelle compte des avantages moins évidents, mais aussi précieux pour une entreprise de services, où la « proposition de valeur » revêt en effet la plus haute importance. On peut affirmer que dans nul autre type d’entreprise, le « P » de produit (même s’il s’agit ici bien sûr d’un service!) est entièrement entre les mains de la personne ayant le rapport avec le client. Ne pas avoir à composer avec les complications liées à l’autorité et à la communication conventionnelles semble être une con dition absolument préalable pour que le fournisseur du service puisse offrir un niveau élevé de valeur, d’une fois à l’autre. 3.2 L’organisation Sans Limites Certaines entreprises souhaitent abandon ner complètement le modèle contraignant de l’organisation conventionnelle. Plutôt que de concevoir une organisation et d’attribuer les responsabilités, l’autorité et donc le pouvoir à un niveau hiérarchique © INSTITUT DE LA GESTION FINANCIÈRE DU CANADA 2015. TOUS DROITS RÉSERVÉS. très particulier, de telles entreprises cherchent à définir d’abord la tâche à réaliser, puis se soucie ensuite de la façon dont cette tâche sera accomplie. Il s’agit là d’une forme d’organisation qui vise à éliminer la chaîne de commandement, à avoir une maîtrise sans limites des moyens de contrôle et à remplacer les divisions par des équipes entièrement habilitées. L’organisation sans limites porte sur deux concepts : « l’effacement des limites organisationnelles » et les « ordinateurs en réseau ». « L’effacement des limites organisation nelles » permet de se départir de l’or ganigramme conventionnel. Lorsqu’une occasion se présente ou un problème se manifeste, l’entreprise crée une équipe qui est chargée d’intervenir. Cela se fait en permettant la formation d’alliances spontanées entre les intervenants à l’échelle de l’entreprise. Les « divisions » sont donc caduques. Plus d’entonnoirs où des groupes de personnes sont davantage préoccupés à protéger leurs bases de pouvoir ou de les élargir, au détriment d’autres divisions. Les personnes concernées de l’extérieur de l’entreprise peuvent également faire partie de l’alliance. Les organismes de JUILLET 2015 IGF*FMI e-JOURNAL 3 MODÈLES D’ORGANISATION ALTERNATIFS POUR L’ENTREPRISE DE SERVICES réglementation, les fournisseurs, les clients et les consultants sont invités à participer s’ils peuvent contribuer à la tâche à accomplir. Autrement dit, l’organisation sans limites peut mobiliser l’équipe la plus compétente en tirant parti des compétences à l’extérieur et à l’intérieur de l’entreprise. Les « ordinateurs en réseau » sont indispensables, car il faut pouvoir assurer une communication précise. Même selon cette toute nouvelle formule organisationnelle, un certain nombre de voies de communications traditionnelles seront toujours maintenues. De plus, de nombreuses voies nouvelles devront être appuyées par un réseau informatique bien rodé. De nouvelles lignes de communication seront établies entre les membres de l’équipe, entre les équipes et entre chacune des équipes et les pouvoirs supérieurs tels qu’ils sont maintenus. Enfin, la communication s’établira entre les équipes et tout soutien externe mobilisé dans le cadre du projet. Le principe d’une organisation sans limites peut être fort attirant pour de nombreuses entreprises de services en raison de la nature imprévisible des services qu’elles offrent. En effet, plutôt que de produire des milliers d’unités d’un produit donné de manière bien organisée, un service est à chaque fois une occurrence unique exigeant la mobilisation complète de tous les actifs de l’entreprise pour accomplir la tâche. Pour une entreprise de services, tout se passe dans le PRÉSENT et se passe pour la première et pour la dernière fois. Une entreprise qui doit supporter une lourde structure conventionnelle ne peut pas s’attendre à offrir son service dans un délai et avec la souplesse requis pour faire concurrence avec succès dans le secteur des services. L’ « architecture de valeur » est l’une des préoccupations d’une entreprise eu égard de la structure : comment faisonsnous pour nous assurer que notre offre de valeur se rend au client cible, rapidement, de manière utile et à un coût acceptable? Dans une entreprise industrielle, cette question touche avant tout la chaîne de valeur : détails logistiques en arrivée, opérations, détails logistiques sortants, marketing et ventes, service avant et après-vente. L’objectif consiste à offrir un design structurel global pour assurer un service de valeur au client. Le « P » de Place se retrouve ainsi à la toute fin de la chaîne. Pour une entreprise de services, le « P » de Place se retrouve à la fin ET au début du processus. La valeur de l’offre est déchargée non seulement 4 IGF*FMI e-JOURNAL JUILLET 2015 dans le PRÉSENT, mais également ICI. Cela impose une grande demande aux biens incorporels liés directement à la prestation du service. S’il y avait un peu de vérité dans l’expression suivante : « On n’a jamais une deuxième occasion de faire une bonne première impression », ce serait dans la prestation d’un service! Voici un exemple d’une organisation sans limites qui réussit bien : Cinq cadres du marketing avaient fait un si bon travail au cours de leur carrière qu’ils pouvaient prendre leur retraite bien avant l’âge officiel de la retraite. Ils étaient tous en début de cinquantaine et ont vite découvert que la vie était un peu monotone, car ils n’avaient rien de très excitant à faire. Ils se sont rencontrés par pur hasard dans un chalet de ski en Suisse. En prenant un verre pendant un « après-ski », ils ont découvert qu’ils avaient fait carrière dans différentes disciplines de marketing. Un avait fait carrière en recherche commerciale, un en stratégie de marketing, un était expert en publicité et en promotion, un était un directeur d’un groupe de produits et un avait été planificateur en marketing. Puisque leur vécu pro fessionnel était fort varié, ils ont décidé de former une équipe de consultants en marketing. Ils ont convenu que pour toute demande de service qui sortait de leurs champs de compétences respectifs, ils se consulteraient d’abord et se tourneraient ensuite au réseau de toute l’équipe. Ils ont constitué légalement l’équipe sous le nom « Les cinq as » (nom fictif bien entendu par souci de confidentialité). Ils ont décidé qu’ils ne prendraient jamais d’employés, sauf eux, et que toute tâche fonctionnelle habituelle d’une entreprise serait confiée à des sous-traitants. On ne peut être surpris que leurs efforts aient été couronnés du succès attendu. Après tout, ils étaient des sommités en marketing. Voilà donc une « entreprise » formée de cinq personnes. Ils n’ont pas pu égaliser les revenus des « Cinq grands » cabinets d’experts-conseil, mais ils ont largement dépassé ces cabinets en termes de profit par employé! Comme on le constate dans l’exemple ci-dessus, lorsqu’il est question de services exigeant une forte concentration d’interactions entre le fournisseur du service et son bénéficiaire, un autre élément doit être sacrifié. Il ne sera peut-être pas toujours possible d’aller aussi loin pour aplanir tous les obstacles, mais de nombreuses entreprises de services seraient plus souples et réussiraient mieux si elles éliminaient le plus possible les « divisions ». Ce projet était une structure « de finance de valeur » pure : grande qualité de service en raison de la compétence des fournisseurs, aucun coût général et des frais d’exploitation limités en fonction du principe « au besoin seulement ». Le « P » de Prix était ce qu’il se devait d’être : une harmonie parfaite entre le prix et la valeur. 3.3 L’organisation « De La Fleur » Dans son livre intitulé « Management », ouvrage pilier du milieu des affaires, Peter Drucker cite deux grands symptômes d’un mauvais fonctionnement d’une organisation. Le premier symptôme, et le plus grave, est la multiplication des niveaux de gestion. Le deuxième symptôme est celui des problèmes qui ne cessent de se répéter. « Dès qu’on semble avoir réglé un problème, il réapparaît sous une autre forme »11. Selon Drucker, il est possible d’orga niser avec succès une entreprise en créant un nombre minimal de niveaux de gestion. L’auteur cimente son point de vue en laissant tomber le monde des affaires. Il cite l’Église catholique, qui compte plus d’un milliard de membres et qui date de 2 000 ans, organisation qui ne compte que trois niveaux d’autorité : le pape, l’évêque et le curé de paroisse. Il a tout à fait raison. En ce qui concerne l’activité principale (je dis ceci avec respect) de l’Église : prêcher l’évangile et administrer les sacrements, ces fonctions sont tout compte fait les seules fonctions qui ont de l’importance. Tous les autres titres sont des titres honoraires, axés sur une tâche précise ou d’autres noms signifiant l’une des deux fonctions principales : prélat (titre honoraire); cardinal (procédural : choisir un pape); archevêque (coordonner les diocèses des évêques); canon (axé sur une tâche précise : aider l’évêque); abbé (en réalité un évêque). Certes, une organisation aussi volumineuse et ancienne et dont l’histoire a été des plus tumultueuses, pourrait faire l’objet d’un examen plus approfondi afin de découvrir ce que le monde des affaires pourrait en tirer en fait de leçons. © INSTITUT DE LA GESTION FINANCIÈRE DU CANADA 2015. TOUS DROITS RÉSERVÉS. MODÈLES D’ORGANISATION ALTERNATIFS POUR L’ENTREPRISE DE SERVICES Production Marketing TI Direction générale Finances Personnel Logistique Drucker a fait valoir de manière convaincante qu’une entreprise pouvait être exploitée avec un nombre minimal de niveaux d’autorité. Certains gestionnaires se sont inspirés de ce principe pour créer un modèle d’organisation pratique. Le modèle a été baptisé « modèle de la fleur »12. Selon ce modèle, l’autorité la plus élevée ne se situe pas au niveau de l’échelon supérieur de l’entreprise, mais bien au centre. Toutes les fonctions sont liées à ce centre comme les pétales d’une fleur. Le centre est appelé « équipe de la direction générale ». L’équipe est formée de tous les chefs fonctionnels et du gestionnaire ou directeur général qui est le coach de l’équipe et celui qui prend la décision finale en cas d’impasse. L’avantage le plus important de ce modèle est de loin l’ « engagement contrôlé ». L’ « engagement » provient des chefs des diverses fonctions qui prennent toutes les décisions qu’ils doivent également mettre en œuvre. On dit aussi que l’engagement est « contrôlé » parce que les décisions de l’équipe réduisent le risque d’une « escalade de l’engagement », état qui mène à une continuité obstinée de stratégies ratées, situation qui a été si brillamment décrite par Barbara W. Tuchman dans The March of Folly3. Une petite mise en garde : Le gestionnaire/ directeur général devrait être conscient du « piège de la démocratie » : en cas de désaccord, nous voterons et la majorité l’emportera. C’est faux! La majorité peut faire erreur. Il est important de prendre la bonne décision; celle-ci ne sera pas toujours la plus populaire. Au besoin, le gestionnaire/directeur général devra recourir à une stratégie à l’ancienne : « Je ne veux pas être entouré de béni-oui-oui. Quand je dis non, c’est non ». Une démonstration convaincante des avantages de l’organisation de la fleur a été le renouement avec les profits d’une entreprise de distribution de papier belge après avoir subi des pertes 12 années de suite. La formule a permis de mobiliser un agencement fructueux de gestionnaires avec un investissement à long terme dans l’entreprise et de nouveaux gestionnaires se joignant à l’entreprise issus de divers secteurs d’activité n’ayant aucune expérience de ce type d’organisation. On peut facilement imaginer que le modèle de la fleur se prêterait à merveille à une entreprise de services. Compte tenu de la nature collégiale du processus décisionnel et de la responsabilité directe par rapport à la mise en œuvre des décisions, le niveau de cohérence est élevé, ce qui devrait logiquement entraîner la prestation de services de la plus haute qualité. Nul doute que les clients d’une telle entreprise seraient conscients de cette cohérence et vivraient donc une expérience très satisfaisante par rapport aux services qu’ils recevraient. Des quatre modèles d’organisation alternatifs décrits dans le présent article, le modèle de la fleur se prête le mieux au type de structure « architecture de valeur ». En effet, ce modèle se démarque le plus radicalement du modèle de style militaire conventionnel avec ses longues lignes de communication et de commandement. Le « P » de Place décrit la voie entre le concept de produit (ou le service) et la valeur apportée au client. L’organisation fondée sur le modèle de la fleur assure la façon la plus courte et la plus fiable de faire en sorte que cette réalité se produise. 3.4 L’organisation Mondiale En Réseau Vendre des services à l’échelle mondiale est un exercice bien souvent plus simple que de vendre des produits. Dans la plupart des pays et pour la plupart des services, il est bien plus facile et bien moins compliqué d’obtenir la permission de lancer une entreprise de services que pour lancer une entreprise de vente de produits. Comparons le processus à suivre pour fonder un cabinet d’avocats (surtout lorsque les avocats sont des gens de l’endroit) au processus d’inscription d’une entreprise pharmaceutique. Le cabinet d’avocats peut entamer ses activités pratiquement sur-lechamp. L’entreprise pharmaceutique, une fois approuvée, pourrait devoir attendre des années avant que ses produits ne soient inscrits auprès des autorités de la santé. © INSTITUT DE LA GESTION FINANCIÈRE DU CANADA 2015. TOUS DROITS RÉSERVÉS. Autre avantage des services par rapport aux produits : aucun détail logistique pratiquement à organiser. Aucune expédition, pas de discussions sur les prix « franco à bord » (FOB) ou « coût, assurance et fret » (CIF), aucune bureaucratie liée aux douanes, aucune inquiétude au sujet de l’entreposage, de la gestion des stocks ou de la distribution physique, etc. Tous ces facteurs font du modèle de l’organisation mondiale en réseau13 une alternative très alléchante pour une entreprise de services. Mais ce n’est pas tout. Toute entreprise dont les activités sont d’envergure internationale devra répondre à la question inévitable suivante : dans quelle mesure cette entreprise sera-t-elle gérée en mode centralisé ou décentralisé? Une entreprise de services peut en fait ne pas avoir à régler ce dilemme parce qu’elle peut facilement fonctionner simultanément dans les deux modes. En effet, l’information, les directives et le savoir-faire peut passer du siège social aux unités périphériques et vice-versa. C’est la centralisation. Mais en appliquant le principe de la « subsidiarité », c’est-àdire enchâsser chacune des décisions dans le niveau de mise en œuvre du plus bas échelon possible, l’entreprise est également une organisation décentralisée. De plus, on peut inciter les unités en périphérie de communiquer et de fonctionner conjointement, sans l’intervention néces saire ou même l’autorisation du siège social. Cela laisse supposer au préalable un niveau élevé de compétences au sein des unités périphériques et un degré élevé de confiance de la part du siège social vis-àvis de la capacité des unités périphériques. L’entreprise peut-elle fonctionner sans dérailler lorsqu’il y a aussi peu de contrôle à partir d’un lieu central? Oui, c’est possible. Une entreprise peut donner énormément de lest à ses unités périphériques, mais elle devrait demeurer à tout prix maître de sa stratégie. Une des façons d’y arriver consiste à organiser des réunions stratégiques régulières, qu’on appelle bien souvent des « ateliers stratégiques »14. Un atelier est habituellement organisé par continent pour des raisons pratiques et linguistiques et en raison des similitudes stratégiques. Une stratégie formulée par le siège social en fonction des commentaires obtenus des unités périphériques est présentée et débattue pour la peaufiner. Dès que les participants se sont entendus, les tâches nécessaires à la mise en œuvre de la stratégie sont réparties parmi les JUILLET 2015 IGF*FMI e-JOURNAL 5 MODÈLES D’ORGANISATION ALTERNATIFS POUR L’ENTREPRISE DE SERVICES participants. Les membres ont le droit de faire valoir leur désaccord, mais la personne sera condamnée à la réussite si elle veut conserver son poste. L’avantage le plus important de la formule de l’atelier stratégique est le degré élevé d’engagement provenant du fait que la stratégie est fondée sur les commentaires de tous les membres. Cela est en soi une garantie de réussite. La formule de l’atelier assure aussi un niveau élevé d’étalonnage à l’interne. Une fois qu’on a convenu de la stratégie, les divers volets de la mise en œuvre peuvent être confiés aux entreprises les plus compétentes dans ce domaine-ci ou dans ce domaine-là. De cette façon, toutes les entreprises peuvent s’assurer de la meilleure mise en œuvre qui soit à un coût des plus faibles et, si elles sont le moindrement curieuses et disposées à apprendre, elles peuvent acquérir beaucoup de savoir-faire des entreprises plus compétentes. La formule de l’atelier constitue, pour bien des raisons, un bon exemple d’une structure « de réseau de valeur ». L’apport de chaque membre du réseau est pratiquement une garantie de qualité. Nul ne souhaite proposer, comme contribution personnelle à un atelier, une idée mal conçue et boiteuse. On devrait plutôt obtenir une stratégie bien conçue qui obtient l’engagement de tout le réseau puisque tout le monde y reconnaîtra sa contribution. Il est inévitable que chacun des membres qui ont contribué comparera sa proposition à celle des autres. Un bon étalonnage interne est donc un sousproduit précieux d’un atelier stratégique. C’est le volet qui assure le mieux le « P » de Promotion. La personne qui obtiendra la responsabilité de la promotion sera le membre ou les membres les plus compétents en matière de promotion. Cette stratégie permet de réduire les coûts et peut inspirer tous les membres du réseau à atteindre le niveau de compétences en matière de promotion de la personne ou des personnes chargées de cette tâche. 4. COMMENT CHOISIR UNE STRUCTURE D’ENTREPRISE ET UN MODÈLE ORGANISATIONNEL? Toutes les entreprises de services qui réussissent bien, même les multinationales 6 IGF*FMI e-JOURNAL JUILLET 2015 gigantesques, ont commencé comme une PME de faible taille. Comment sont-elles devenues des exemples de réussite? Et bien, elles ont abandonné leur ancien paradigme et en ont adopté de nouveaux. Assurément, elles y ont réussi en travaillant avec acharnement, mais avant tout elles ont réussi en travaillant plus intelligemment. Elles ont osé faire quelque chose de différent ou elles ont fait les choses différemment. Elles ont appliqué le bon vieux principe de créativité à leur modèle d’affaires. Dans le contexte du présent article, on peut penser que ces entreprises ont continuellement adapté leur structure et leur organisation aux nouvelles circonstances et à de nouvelles façons d’offrir de la valeur à leur clientèle. Et que dire des PME de petite taille? Les termes « petites » et « moyennes » ne sont acceptables que s’ils désignent le nombre d’employés. Ils ne devraient jamais signifier ce qui suit : petite ou moyenne en termes d’ambition, de qualité et de rendement. Aucune PME n’est trop petite pour être ambitieuse! « Subsilire in caelum ex angulo licet », avait dit Sénèque (4 av. J.-C. - 65 de notre ère). (« Il ne faut qu’un petit coin pour prendre d’assaut les Cieux ») Mais le changement doit être un processus planifié. Les gestionnaires s’empressent habituellement à faire dégeler et à déplacer. Ce qu’ils oublient, c’est de « congeler de nouveau », non seulement pour que les employés acceptent le changement, mais même qu’ils accueillent à bras ouvert la nouvelle situation. Choisir la bonne structure de valeur pour l’entreprise qui cadre bien avec le credo, la mission et la stratégie de l’entreprise sera la première étape. Une fois cela accompli, on peut mettre en place le modèle organisationnel qui convient le mieux. Il s’agira bien souvent d’un modèle alternatif tel que ceux qui sont décrits ci-dessus plutôt qu’un modèle de type militaire conventionnel hérité des légions romaines. Une entreprise qui a planifié son avenir de cette façon fera ce qu’il faut faire et fera les choses correctement. Références 1. M. R. Czinkota, I. A. Ronkainen et M. H. Moffett, « International Business », aux p. 513–536, 1999. 2. M. W. Johnson, C. M. Christensen et H. Kagermann, « Reinventing Your Business Model », Harvard Business Review, p. 60, 2008. 3. B. Tuchman, « The March of Folly », p. 218, 1984. 4. R. A. Kerin, S. W. Hartley et W. Rudelius, « Marketing », aux p. 296–318, 2011. 5. D. Jobber, « Principles and Practice of Marketing », aux p. 791–832, 2004. 6. P. Kotler et coll., Marketing Management. The Millennium Edition. Prentice-Hall Upper Saddle River, NJ, 2000. 7. C. Lamb, J. Hair et C. McDaniel, « MKTG2 », aux p. 160–173, 2008. 8. W. Roofthooft, « Customer equity: a creative tool for SMEs in the services industry », 2009. 9. M. M. Al-Debei et D. Avison, « Developing a unified framework of the business model concept », European Journal of Information Systems, vol. 19, no 3, aux p. 359–376, 2010. 10.T. Peter et R. Waterman « In Search of Excellence », aux p. 292–305, 1982. 11.P. Drucker, « Management: Tasks, Responsibilities, Practices », aux p. 546–547, 1974. 12.W. Roofthooft, « South-South Marketing », p. 225, 2007. 13.M. R. Czinkota, I. A. Ronkainen, M. H. Moffett, S. Marinova et M. Marinov, « International Business », aux p. 705–707, 1999. 14.W. Roofthooft, « South-South Marketing », aux p. 303–305, 2007. Au sujet de l’auteur Ward Roofthooft, Ph. D., a déjà été consultant en commercialisation internationale chez L’OREAL et Janssen Pharmaceutica. Depuis 1989, il est propriétaire de sa propre entreprise, ERI-X, qui fournit des services de consultation à plusieurs entreprises Fortune 500 et organismes des Nations Unies, tels que le CCI de l’OMC/CNUCED, l’OIT et le PNUD. De plus, il donne des conférences dans le cadre de programmes de MBA en Europe, dans les Amériques et en Asie, sans compter qu’il est auteur et coauteur de livres et articles sur ce sujet. Vous pouvez le joindre à l’adresse [email protected]. © INSTITUT DE LA GESTION FINANCIÈRE DU CANADA 2015. TOUS DROITS RÉSERVÉS.