la clause resolutoire - Faculté de droit de Sfax
Transcription
la clause resolutoire - Faculté de droit de Sfax
La clause résolutoire en droit français Christophe CARON Agrégé des Facultés de droit Professeur à la Faculté de Droit de Boulogne-sur-Mer (Université du Littoral – Côte d’Opale) « Chronique d’une mort annoncée du contrat ». Tel pourrait être le titre susceptible de résumer la signification de la clause résolutoire. En effet, cette clause prévoit la destruction, l’anéantissement, la mort du contrat. Qu’est-ce qu’une clause résolutoire ? Il « s’agit d’une clause par laquelle les parties décident à l’avance dans un contrat que celui-ci sera de plein droit résolu du seul fait de l’inexécution par l’une des parties de son obligation »1. Et surtout, le principal intérêt de cette clause est de permettre une résolution sans qu’il soit nécessaire de la demander au juge et sans que celui-ci, s’il est saisi, dispose en principe d’un pouvoir d’appréciation. Par conséquent, la clause résolutoire exprime la volonté des parties, une volonté de maîtriser pleinement le destin du contrat, sans qu’un tiers, le juge, puisse intervenir. Merlin de Douai la définissait, au début du XIXème siècle, comme étant l’ « action de résoudre, de rendre non avenu ce qui a précédemment existé »2. Il s’agit d’une définition conforme à l’étymologie du terme « résolution » qui, venant du latin resolutio, signifie « action de 1 Vocabulaire juridique, publié sous la direction de G. Cornu, PUF 1996, V° Résolutoire (clause), p. 723. Merlin de Douai, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, Paris 1809, tome 11, V° Résolution, p. 413. 2 68 dénouer » 3. Dès lors, la clause résolutoire permet aux parties de dénouer leurs liens contractuels. On pourrait donc légitimement s’attendre à ce que le Code civil s’intéresse à cette action de dénouer et autorise expressément les parties à prévoir l’anéantissement futur du contrat. Or, il n’en est rien. Bien au contraire, le Code civil de 1804, comme celui de l’an 2000, ignore la clause résolutoire dans le droit commun des contrats. Cela ne signifie pas qu’il se désintéresse de la résolution. En effet, le célèbre article 1184 décide que « la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisferait point à son engagement ». Mais il s’agit là d’une résolution tacite et, qui plus est, judiciaire et non automatique, puisque cette même disposition précise que « le contrat n’est point résolu de plein droit » et que sa « résolution doit être demandée en justice ». Il faut le constater : on est bien loin de la clause résolutoire voulue par des parties qui souhaitent éviter l’intrusion du juge dans la relation contractuelle. En définitive, pour trouver la trace d’un tel mécanisme dans le Code civil, il convient de s’intéresser au contrat spécial de vente d’immeuble. On découvre alors l’article 1656 qui permet de « stipuler lors de la vente d’immeuble, que faute de payement du prix dans le terme convenu, la vente sera résolue de plein droit ». Mais cette résolution n’est pas si automatique que cela car le même article, par pitié pour le débiteur, décide que « l’acquéreur peut néanmoins payer après l’expiration du délai, tant qu’il n’a pas été mis en demeure par une sommation ». En revanche, 3 O. Bloch et W. von Wartburg, Dictionnaire étymologique de la langue française, PUF 1932, V° Résolution, p. 550. 69 l’article 1657 est bien plus rigoureux puisque, pour la vente de « denrées et effets mobiliers », il est prévu une résolution de plein droit et sans sommation. Aussi intéressantes soientelles, ces dispositions ne sauraient régir le droit commun de la clause résolutoire. A défaut de la loi, il faut donc se tourner vers d’autres sources du droit. La jurisprudence, tout d’abord. En effet, le régime de la clause résolutoire est, pour une part non négligeable, le résultat d’une élaboration prétorienne. Cela est d’ailleurs quelque peu paradoxal puisque c’est le juge qui construit le régime d’une clause par laquelle les parties souhaitent l’exclure du contrat. De plus, l’étude de la clause résolutoire nous invite à appréhender la pratique et la technique contractuelle. Il s’agit, en effet, d’une élaboration spontanée des praticiens puisque nombreux sont les contrats qui l’utilisent. Pourquoi cet engouement ? Tout simplement parce que la clause résolutoire présente de nombreux avantages. Pour les parties à un contrat, cette clause leur permet de se projeter dans l’avenir. Avec la clause résolutoire, le contrat est vraiment cet acte de prévision qu’appréciait tant Hauriou 4. Mais surtout, elle est pratique, simple, rapide à mettre en œuvre. Elle évite l’aléa attaché à toute décision du juge. Acte de prévision, le contrat qui utilise la clause résolutoire est aussi le siège d’une véritable sécurité juridique. Et puis, l’insertion d’une clause résolutoire encourage le débiteur à s’exécuter. Il s’agit d’une sorte de garantie d’exécution. En outre, la clause résolutoire se révèle socialement utile car elle favorise l’exécution du contrat et élimine les contrats non exécutés. 4 M. Hauriou, Principes de droit public, 1éd., p. 206. 70 La clause résolutoire semble donc parée de toutes les vertus. Il faut pourtant se garder d’une vision idyllique de ce mécanisme. En effet, la clause résolutoire peut se révéler fort dangereuse. Elle risque, appliquée à la lettre, d’encourager la mauvaise foi si le créancier prend prétexte de la moindre inexécution pour la mettre en œuvre. Elle risque aussi d’être un instrument d’oppression de la partie faible dans les mains de la partie forte dans le contrat. Elle risque aussi de produire de terribles conséquences : il ne faut pas oublier que l’effet de la résolution est rétroactif. Le contrat résolu est censé n’avoir jamais existé et cela peut être sévère pour les tiers au contrat. Ainsi, comme l’exprime l’adage hérité de Bartole « resoluto jure dantis resolvitur jus accipientis » 5 - Résolu le droit du cédant, résolu le droit du cessionnaire –, si une vente est résolue et que l’acquéreur avait d’ores et déjà transféré la propriété, le sous-acquéreur peut être sacrifié puisque le cédant est censé n’avoir jamais été propriétaire et n’a donc pas pu lui transmettre quoi que ce soit… La clause résolutoire a donc un double visage : elle est à la fois ange et démon. C’est certainement ce qui explique son histoire mouvementée. Le Droit romain connaissait la terrible « lex commissoria » : la clause résolutoire était exécutée de façon très rigoureuse. Stipulée dans un contrat de vente, elle prévoyait que le défaut de paiement du prix dans un délai précis obligeait l’acquéreur à restituer automatiquement la chose. Cette rigueur s’est appliquée, dans l’ancien droit, dans les pays de droit écrit, alors que les pays de droit coutumier s’orientaient plutôt vers une clause résolutoire tacite appliquée avec souplesse. 5 Sur cet adage, H. Roland et L. Boyer, Adages du droit français, Litec, 4ème éd., 1999, n° 399. 71 Pourquoi cette clémence à l’égard du débiteur ? Il s’agit de l’influence du droit canonique, une influence que l’on retrouve chez Pothier et Domat. Tiraillés entre la rigueur du droit romain et la souplesse de Domat et de Pothier, les rédacteurs du Code civil ont opté pour la seconde conception en préférant ignorer les clauses résolutoires expresses et ne s’intéresser qu’à celles qui sont tacites. C’est pourquoi l’article 1184 ne concerne que les situations dans lesquelles aucune clause n’est stipulée. Ces paradoxes – clémence ou rigueur à l’égard du débiteur ; absence ou présence du juge – se retrouvent dans notre droit positif. Ils se retrouvent également en droit comparé. Ainsi, elles sont interdites en droit néerlandais, mais admises expressément en droit italien. Quant au droit allemand, il prévoit que le créancier peut, par sa seule volonté en mettant le débiteur en demeure d’exécuter dans un délai raisonnable, se créer un droit à la résolution. C’est ce qui explique que la Commission Lando qui a édicté les principes d’un droit européen des contrats ait beaucoup hésité avant de retenir le système suivant : les clauses résolutoires expresses sont ignorées. En revanche, le créancier a la possibilité de notifier au débiteur un délai supplémentaire pour s’exécuter, délai à l’issue duquel le contrat sera de plein droit résolu. Actuellement, le droit français hésite encore entre la souplesse et la rigueur et se demande s’il faut décider que la volonté des parties doit demeurer souveraine ou si, au contraire, elle doit être contrôlée et encadrée, tant par le législateur que par le juge. C’est pourquoi son étude permet d’aborder de nombreux thèmes contemporains du droit des 72 contrats : l’unilatéralisme, car c’est en vertu d’un acte unilatéral que le créancier met en œuvre la clause ; la bonne foi, car c’est elle qui va permettre au juge d’en tempérer la rigueur ; la force obligatoire du contrat, car c’est elle qui justifie le respect de la clause ; le pouvoir du juge, car c’est ce personnage que l’on va constamment tenter d’évincer tout en le sollicitant. Mais la clause résolutoire permet avant tout de s’intéresser à une approche subjective du contrat. En effet, elle n’existe que par la volonté des contractants. La clause résolutoire est une expression parfaite de la foi jurée. Cependant, cette volonté peut engendrer des effets pervers. Il va donc falloir l’encadrer et imprégner le contrat d’un certain objectivisme, éloigné de la volonté des parties. La clause résolutoire, c’est donc la volonté des parties confortée, ce que nous étudierons dans un premier temps. Mais la clause résolutoire, c’est aussi la volonté des parties contestée, ce qu’il conviendra d’aborder dans un second temps. A -LA VOLONTE DES PARTIES CONFORTEE La volonté des parties est confortée car non seulement le Droit admet la validité des clauses résolutoires, mais il permet que cette volonté puisse s’exprimer sous des formes multiples. Envisageons donc la validité des clauses résolutoires d’abord ; et la multiplicité des clauses résolutoires ensuite. 73 I - LA VALIDITE DES CLAUSES RESOLUTOIRES La validité des clauses résolutoires est admise depuis fort longtemps. La jurisprudence précise qu’il n’est pas défendu aux parties, par une convention expresse, d’attacher à l’inexécution du contrat les effets d’une condition résolutoire, précise, absolue et opérant de plein droit. En effet, une pareille convention n’a rien d’illicite et tient lieu de loi à ceux qui l’ont faite. La clause résolutoire est une manifestation de la liberté contractuelle des parties. Elle n’est pas « illicite », ce qui signifie que l’article 1184 du Code civil n’est pas d’ordre public. Certes, la résolution pour inexécution peut, comme le précise cette disposition, être prononcée par le juge. Mais cette règle ne s’impose pas aux parties qui peuvent, par leur volonté individuelle, y déroger. Par conséquent, l’insertion d’une clause résolutoire est conforme à la loi. Le contrat qui en contient une est donc « légalement formée». Or, selon l’article 1134 alinéa 1er du Code civil, « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». C’est pourquoi une telle clause tient lieu de loi entre les parties, notamment parce qu’elle est conforme à la loi du Code civil. Seulement, pour avoir une force obligatoire, il faut que la clause soit expresse 6, c’est-à-dire formellement exprimée et être issue d’un acte de volonté déclarée. Si la clause n’est pas expresse, c’est le système de l’article 1184 qui retrouve son empire. Ne peut-on pas relever ici une contradiction ? N’estil pas contradictoire d’affirmer que la clause résolutoire est issue de la liberté contractuelle tout en empêchant cette 6 V. par exemple, Cass., 1ère, civ. 25 novembre 1986, RTD civ. 1987, p. 313, obs. Mestre. 74 liberté contractuelle de s’exprimer tacitement ? La contradiction existe mais elle s’explique aisément. La clause résolutoire peut être dangereuse, pour le débiteur, pour les tiers et même pour le contrat si on le considère comme un « bien » susceptible d’être détaché de la personnalité des contractants. C’est pourquoi l’anéantissement du contrat ne saurait être subordonné à une manifestation tacite de volonté qu’il est toujours difficile d’interpréter. Au contraire, si l’on admet que les parties peuvent programmer la mort du contrat s’il n’est pas exécuté, c’est seulement si cette mort programmée a été voulue avec certitude et exprimée expressément. Par conséquent, la clause résolutoire est valable, à la condition d’être expresse. Peut-elle être, en revanche, utilisée indifféremment par le débiteur et le créancier, par celui qui souffre de l’inexécution, mais aussi par celui qui en est responsable ? Une telle solution entraînerait des résultats injustes. Imaginons un contrat inexécuté. Peut-on concevoir que le débiteur qui est à l’origine de l’inexécution a la possibilité d’anéantir ce contrat grâce à la clause résolutoire ? Il pourrait ainsi échapper à une exécution forcée et se délier de ses obligations à bon compte. Si le Droit admettait une telle solution, il encouragerait purement et simplement la mauvaise foi. Or, la clause résolutoire ne saurait être au service de la mauvaise foi contractuelle. C’est pourquoi la jurisprudence décide avec constance que seule le bon contractant, seul le créancier victime de l’inexécution, a la possibilité de mettre en œuvre la clause résolutoire, à l’exclusion du mauvais contractant qui ne peut en aucun cas s’en prévaloir 7. La clause résolutoire n’est donc pas absolue, mais relative. 7 V. l’arrêt de principe, Cass. civ., 8 juillet 1936, DH 1936.554. 75 Doit-on, pour autant, en déduire que, en présence d’une clause résolutoire, le créancier est obligé de l’utiliser et d’anéantir le contrat inexécuté ? La mort du contrat estelle inéluctable ? Une telle solution serait trop rigoureuse. Il est parfois indispensable de sauver le contrat. C’est pourquoi le créancier a le choix du remède à utiliser dans l’hypothèse d’une inexécution. Même en présence d’une clause résolutoire conventionnelle, on admet généralement que le créancier a la possibilité de recourir à la résolution judiciaire de l’article 1184 du Code civil. Ce choix peut avoir plusieurs avantages. Non seulement, en se fondant sur l’article 1184, le créancier peut obtenir des dommagesintérêts comme le précise l’alinéa 2 de cette disposition, mais aussi la résolution judiciaire est parfois plus simple à obtenir si la clause résolutoire conventionnelle est trop difficile à mettre en œuvre. Prenons un exemple issu d’une arrêt de la Cour de cassation du 7 mars 1984 8. En l’espèce, une clause résolutoire avait été insérée dans un contrat, mais ne pouvait entraîner la résolution que « moyennant un préavis de douze mois par lettre recommandée avec accusé de réception suivant décision de l’assemblée générale de la société adoptée à la majorité des 4/5 par vote à bulletins secrets ». Chacun comprendra que le créancier ait préféré les charmes de la résolution judiciaire de l’article 1184. Il peut aussi arriver que le créancier renonce à la clause expresse. Il peut également se produire qu’il ait envie de sauver le contrat et d’en obtenir l’exécution. Or, le choix de l’exécution forcée est admis, même en présence d’une clause résolutoire 9. 8 9 Cass. com., 7 mars 1984, JCP 1985, II, 20407, note Delebecque. Cass. com. 26 janvier 1953, Bull. civ. II, n° 38, p. 28. 76 Le créancier a donc le choix entre plusieurs remèdes. Avec l’étude de ces choix, nous sommes d’ores et déjà en train d’aborder la « multiplicité des clauses résolutoires », thème qu’il nous faut étudier maintenant. II - LA MULTIPLICITE DES CLAUSES RESOLUTOIRES La multiplicité des clauses résolutoires et son admission par la jurisprudence, attestent bien que, dans ce domaine, la volonté des parties est confortée, car cette volonté peut s’exprimer sous des formes multiples. Il est donc – et il faut le répéter – essentiel que les parties prennent bien soin de rédiger une clause résolutoire qui réponde à leurs attentes. Il est possible de distinguer plusieurs sortes de clauses qui répondent à des degrés de rigueur différents. La première clause pourrait être rédigée comme suit : « en cas d’inexécution de ses obligations par l’une des parties, le contrat sera résolu ». A priori, il n’est fait aucune référence à une résolution de plein droit. Certes, la clause résolutoire est expresse, mais elle ne semble pas opérer de plein droit si le créancier le décide. Les parties n’ont rien précisé. Il faut en déduire qu’elles n’ont pas voulu déroger au droit commun auquel la clause renvoie. Or, le droit commun, c’est celui de l’article 1184 du Code civil qui applique le principe de la résolution judiciaire. Les parties peuvent prévoir de recourir au droit commun. Cela peut paraître inutile car, parce que cette résolution judiciaire est tacite, le résultat aurait été le même si aucune clause n’avait été prévue. Parfois, l’insertion d’une telle clause peut se révéler fort utile. C’est le cas, par exemple, du contrat de 77 rente viagère. En effet, l’article 1978 du Code civil déroge à l’article 1184 du Code civil et n’autorise pas la résolution judiciaire tacite. Cette disposition n’étant pas d’ordre public, il peut être utile, par une clause expresse, de rappeler le principe de l’article 1184, comme l’a précisé un récent arrêt de la Cour de cassation du 24 février 1999 10. Quant à la deuxième clause résolutoire, elle pourrait être rédigée comme suit : « en cas d’inexécution de ses obligations par l’une des parties, le contrat sera résolu de plein droit ». A la différence de la clause précédente, les parties précisent que cette clause va opérer de plein droit, c’est-à-dire sans l’intervention du juge. Voilà une clause résolutoire expresse qui déroge à l’article 1184 du Code civil et qui revêt toute son utilité. Emanant de la volonté des parties, elle s’impose à eux par la force obligatoire qui lui est attachée. Une question se pose toutefois : le créancier peut-il la mettre en œuvre de plein droit sans mise en demeure préalable du débiteur ? Une réponse négative s’impose. En effet, la clause résolutoire ne prévoit rien en ce qui concerne la mise en demeure. Par conséquent, en l’absence de volonté exprimée par les parties sur cette question, il importe d’appliquer le droit commun. Or, selon les termes de l’article 1139 du Code civil, le débiteur est constitué en demeure, « soit par une sommation ou par un autre acte équivalent, soit par l’effet de la convention, lorsqu’elle porte que, sans qu’il soit besoin d’acte, et par la seule échéance du terme, le débiteur sera en demeure ». Dans l’hypothèse qui nous intéresse, la convention qui porte qu’à défaut d’exécution par l’une des parties, le contrat sera résolu de plein droit, ne porte pas que la partie sera 10 Cass., 3ème civ., 24 février 1999, Contrats, conc., consom. 1999, n° 85, obs. Leveneur. 78 constituée en demeure « sans qu’il soit besoin d’acte et par la seule échéance du terme ». Donc, la mise en demeure est nécessaire et, avant d’appliquer la clause résolutoire de plein droit, il est indispensable que le débiteur soit mis en demeure de s’exécuter par, comme le précise l’article 1139 du Code civil, une « sommation ou par un autre acte équivalent ». En effet, ce type de clause résolutoire déroge à l’article 1184 mais pas à l’article 1139. On en trouve d’ailleurs une consécration légale dans l’article 1656 du Code civil qui, à propos de la vente d’immeubles, prévoit une mise en demeure du débiteur. Il existe une troisième sorte de clause résolutoire, plus efficace que la seconde. Elle pourrait être rédigée ainsi : « en cas d’inexécution de ses obligations par l’une des parties, le contrat sera résolu de plein droit sans mise en demeure préalable ». Dans cette hypothèse, les parties manifestent leur volonté de déroger tant à l’article 1184 qu’à l’article 1139 du Code civil, ce qui est possible car le deuxième texte n’est, pas plus que le premier, d’ordre public. La clause est alors efficace et, si le créancier le décide, elle peut s’appliquer sans sommation préalable. Le débiteur sait que la seule inexécution peut entraîner la résolution, sans que l’on ait à le prévenir. Il accepte, en signant le contrat, cette dureté à son encontre. Mais l’automatisme de la clause n’est pas absolu puisque, comme nous l’avons envisagé, le créancier a toujours la possibilité de recourir à la résolution judiciaire ou à l’exécution forcée. Dès lors, peut-on prévoir une clause qui enlèverait au créancier ces facultés de choix ? Une telle clause serait rédigée ainsi : « en cas d’inexécution de ses obligations par l’une des parties, le contrat sera automatiquement et forcément résolu de plein droit sans mise en demeure 79 préalable ». Le contrat serait donc automatiquement résolu, même si le créancier souhaite obtenir l’exécution forcée. Il est possible de soutenir que c’est une manifestation supplémentaire de la liberté contractuelle que de permettre aux parties d’organiser, avec un automatisme rigoureux, la fin de leurs relations en cas d’inexécution. Certains auteurs estiment même que cette automaticité permettrait de caractériser le « pacte commissoire » qui se distinguerait ainsi de la clause résolutoire expresse qui, elle, laisse néanmoins plusieurs choix au créancier 11. Il convient donc d’insister sur l’importance essentielle de la rédaction de la clause en pratique afin de lui conférer ou non un certain automatisme. Il n’en demeure pas moins que la volonté des parties peut conduire à des résultats implacables. C’est pourquoi on considère qu’il est parfois nécessaire de protéger les parties contre de telles manifestations de volonté. Dans ce cas, la volonté n’est plus confortée : elle est, au contraire, contestée. C’est ce qu’il importe d’envisager maintenant. A - LA VOLONTE DES PARTIES CONTESTEE La volonté des parties est contestée, soit par le juge, soit par la loi. Il faut donc présenter successivement la contestation jurisprudentielle et la contestation légale. 1) la contestation jurisprudentielle La contestation jurisprudentielle de la volonté des parties étonne et surprend lorsqu’elle concerne des clauses résolutoires. En effet, toute la saveur de la clause résolutoire expresse de plein droit est justement d’empêcher l’intervention du juge. Par conséquent, on peut se demander 11 J.-M. Mousseron, Technique contractuelle, éd. Francis Lefebvre, 1988, n° 1289. 80 si elle conserve son sens, sa justification, si le juge intervient. Et pourtant, l’intervention du juge est bien souvent nécessaire. Elle est nécessaire parce que la clause résolutoire est un concept dangereux. D’ailleurs, elle est parfois assimilée à une peine privée. On lui attache un caractère pénal : elle « punirait », par sa rigueur, le débiteur récalcitrant 12. A cet égard, la clause résolutoire participerait de ce mouvement contemporain de notre droit des obligations qui tend à utiliser fréquemment la peine privée, notamment lorsqu’il s’agit de sanctionner, par des dommages-intérêts, une atteinte aux droits de la personnalité. Il n’est peut-être pas certain que la clause résolutoire ait pour mission première de « punir » la partie qui ne s’exécute pas. Elle a pour unique but de mettre fin au contrat, sans d’ailleurs permettre au créancier de percevoir des dommages et intérêts, contrairement à la résolution judiciaire. C’est pourquoi, plutôt que d’être une manifestation de la peine privée, la clause résolutoire apparaît davantage comme un mécanisme comminatoire, un mécanisme porteur d’une menace 13. Cette menace peut effrayer à juste titre, notamment dans les contrats d’adhésion et dans les situations contractuelles dominées par une partie forte. C’est ce qui explique l’intervention judiciaire qui peut prendre plusieurs formes à des fins de rétablissement du déséquilibre contractuel. Néanmoins, l’intervention du juge est parfois refusée de peur qu’elle n’engendre une insécurité 12 V. dans ce sens, Ch. Paulin, La clause résolutoire, LGDJ 1996, bibl. dr. privé tome 258, n° 111 et s. V. dans ce sens, A. Sériaux, Droit des obligations, PUF, 2ème éd., 1998, p. 196, note 180. 13 81 juridique trop forte en faisant voler en éclat la prévision des contractants. Ainsi, comme le précise un arrêt de la Cour de cassation du 25 novembre 1986, « les juges perdent leur pouvoir d’appréciation lorsque les parties ont inséré dans leur contrat une clause résolutoire »14. Par conséquent, le juge ne peut pas attaquer la clause résolutoire de front. Par exemple, il ne saurait exercer un pouvoir modérateur sur la clause comme il pourrait le faire, en vertu de l’article 1152 du Code civil, pour les clauses pénales. La Cour de cassation l’affirme : la clause résolutoire n’est pas une clause pénale 15. De même, le juge n’a pas à rechercher, lorsque le créancier met en œuvre la clause résolutoire, si « la sanction est proportionnée ou non à la gravité du manquement invoqué », comme le précise un arrêt de la Cour de cassation du 5 février 1992 16. Par conséquent, l’exercice de la clause résolutoire n’est pas soumis au test de proportionnalité, du moins pour l’instant. En effet, il pourrait y avoir une évolution sur ce point, tant le concept de proportionnalité imprègne de plus en plus le droit privé. Refusé sur le fondement de l’article 1152 du Code civil parce que la clause résolutoire n’est pas une clause pénale et sur le terrain de la proportionnalité, l’intervention du juge va prendre d’autres formes. Ainsi, le juge peut vérifier si l’utilisation de la clause résolutoire sanctionne bien une inexécution. Par exemple, si le débiteur exécute l’obligation précise envisagée spécifiquement par la clause, le créancier ne saurait utiliser la clause pour un autre manquement contractuel non prévu par la clause. Afin d’éviter un tel contrôle judiciaire a 14 Cass. 1ère, civ., 25 novembre 1986, Bull. civ. I, n° 279. Cass., 3ème, civ., 20 juillet 1989, Bull. civ. III, n° 172. 16 Cass., 3ème civ., 5 février 1992, RTD civ. 1992, p. 763, obs. Mestre. 15 82 posteriori, il importe de conseiller aux parties de rédiger des clauses résolutoires qui appréhendent toutes les obligations qui forment l’objet du contrat. Mais il est toujours possible que les parties choisissent – toujours la liberté contractuelle et la volonté – de cantonner la clause résolutoire a une obligation spécifique du contrat. Dans toutes les hypothèses, la clause devra être dénuée d’ambiguïté. En effet, si la clause est obscure ou équivoque, le juge va l’interpréter selon une méthode d’interprétation utilisée lorsqu’il s’agit de protéger la partie faible dans une relation contractuelle : l’interprétation stricte. En cas de doute sur la portée de la clause, le juge l’interprétera dans un sens qui restreint son utilisation et donc sa portée. On a cependant pu déceler récemment une tendance jurisprudentielle qui tend à tempérer ce principe d’interprétation stricte. Ainsi, un arrêt de la Cour de cassation du 17 mai 1993 reconnaît aux juges du fond un pouvoir souverain pour décider de l’existence et de la portée d’une clause résolutoire 17. Les juges du fond disposent ainsi, sauf contrôle de dénaturation, d’une réelle liberté d’interprétation. Cependant, l’intervention du juge ne se limite pas à ces quelques hypothèses. En effet, il arrive qu’il s’intéresse à une clause résolutoire claire et précise qui est appliquée afin de sanctionner une inexécution qu’elle envisage expressément. Dans cette hypothèse, le créancier décide d’appliquer la loi des parties et la lettre de la convention. Comment, dès lors, justifier une intervention judiciaire alors que la lettre du contrat a été respectée et que justement cette lettre a pour objet d’expulser le juge de l’univers contractuel ? 17 Cass., 1ère civ., 17 mai 1993, D. 1994, jurispr. p. 483, note Paulin. 83 Certes, le créancier respecte la lettre du contrat, mais pas forcément l’esprit. Peut-on considérer que le créancier a la possibilité d’appliquer la clause résolutoire en réponse à une inexécution minime de la part du débiteur ? La clause résolutoire doit-elle s’appliquer dans toute sa rigueur ? C’est oublier que le contrat est de plus en plus considéré comme un lieu d’altruisme forcé, mais d’altruisme cependant. Le créancier doit prendre en considération son débiteur en vertu d’une sorte d’affectio contractus, car la jurisprudence tend à sanctionner ceux qui ne considèrent l’univers contractuel que comme un lieu d’égoïsme. En d’autres termes, le juge veille à ce que la clause résolutoire ne soit pas le siège de l’égoïsme contractuel. Il va donc se référer à la vénérable théorie de l’abus de droit pour sanctionner le créancier qui utilise mal la clause résolutoire. Pour cela, il va surtout s’intéresser à sa bonne foi et à sa mauvaise foi, deux concepts qui ne sont d’ailleurs pas forcément le contraire l’un de l’autre, et qui entretiennent des liens privilégiés avec la théorie de l’abus de droit. En effet, en matière contractuelle, le cocontractant qui abuse de ses prérogatives est souvent de mauvaise foi. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris de 1990 résume bien l’état d’esprit qui anime le juge lorsqu’il passe la clause résolutoire au crible redoutable de la mauvaise foi du créancier : « dans cet acte de justice privé que constitue la mise en œuvre de la clause résolutoire, le créancier a le devoir de faciliter à son cocontractant l’exécution de ses engagements, faute de quoi il y aurait manquement au principe selon lequel les conventions s’exécutent de bonne foi »18. 84 Il est maintenant de jurisprudence constante que « la clause résolutoire n’est pas acquise si elle a été mise en œuvre de mauvaise foi par le créancier ». On peut relever quelques exemples, parmi bien d’autres, de cette influence de l’esprit du droit canonique sur la clause résolutoire qui est apparue dans les années cinquante 19 mais s’est intensifiée récemment. Ainsi, est de mauvaise foi le créancier qui attend un long délai avant d’utiliser la clause résolutoire. Dans un arrêt de 1987 20, la Cour de cassation a eu à connaître d’une espèce particulièrement caractéristique. Les faits étaient les suivants : une personne vend sa maison avec réserve d’usufruit pour sa femme et pour lui-même moyennant un prix comptant et une rente viagère. Pendant dix ans, la rente viagère n’est pas payée. Et puis elle meurt. A son décès, sa veuve réclame la résolution du contrat au motif que la rente viagère n’avait jamais été payée pendant cette longue durée. La Cour de cassation donne raison à la cour d’appel d’avoir paralysé le jeu de la clause résolutoire. Car, en s’abstenant de réclamer si longtemps la rente, le crédirentier avait accrédité l’idée qu’il ne la demanderait plus jamais et, surtout, ce brusque changement de comportement de la crédirentière était causé par des dissensions familiales imprévisibles. Conséquence : la clause résolutoire n’avait pas été invoquée de bonne foi. Un autre exemple de mauvaise foi apparaît lorsque le créancier demande la résolution alors qu’il sait pertinemment que le débiteur n’est pas en mesure de 18 CA Paris, 19 juin 1990, D. 1991, jurispr. p. 515, note Picod. Cass. civ., 14 mars 1956, D. 1956, jurispr. p. 449, note J.V. Cass., 3ème civ., 8 avril 1987, JCP 1988, II, 21037, note Picod ; RTD civ. 1988, p. 122, obs. Mestre et p. 146, obs. Rémy. 19 20 85 s’exécuter. Par exemple, c’est le cas lorsque le bailleur demande la résolution du contrat de bail pour défaut de paiement des loyers, alors que le locataire est parti en vacances d’été 21. Peut-on cependant paralyser la clause résolutoire lorsque le créancier l’utilise de bonne foi uniquement parce que le débiteur est, lui aussi, de bonne foi ? A priori, la réponse devrait être négative. Peu importe la bonne ou la mauvaise foi du débiteur, ce qui compte c’est uniquement la mauvaise foi du créancier. Pourtant, quelques décisions ont pu décider le contraire. Ainsi, un arrêt de la Cour de cassation de 1988 paralyse une clause résolutoire parce que le débiteur était de bonne foi 22. En effet, la clause résolutoire était invoquée par un bailleur contre un locataire parce qu’il n’avait pas envoyé l’attestation d’assurance de son logement. Or, en réalité, le locataire s’était assuré. Il était de bonne foi, mais négligent… Certes, on peut expliquer cette jurisprudence en estimant qu’est de mauvaise foi le créancier qui ne prend pas en considération la bonne foi de son débiteur. On constate que la règle morale de Ripert est omniprésente 23. Cependant, le risque est grand que, par le biais de la mauvaise foi et de l’altruisme contractuel, la résolution conventionnelle expresse soit, comme la résolution de l’article 1184 du Code civil, soumise à une appréciation judiciaire systématique. On sait que les virtualités de la bonne foi sont immenses. C’est elle qui, par exemple, introduit hypocritement la théorie de l’imprévision 21 Cass., 3ème civ., 16 octobre 1973, Bull. civ. III, n° 529. Cass., 3ème civ., 13 avril 1988, D. 1989, jurispr. p. 334, note Aubert. 23 V. le célèbre ouvrage de G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, LGDJ 1949. 22 86 dans notre droit des contrats 24, bannie avec force depuis l’affaire du Canal de Craponne de 1876 25. Il est évident que la clause résolutoire doit être soumise à la bonne foi. Mais il convient néanmoins que le juge manie ces concepts avec précaution, d’autant plus que la loi intervient également pour contester la volonté des parties. La contestation est alors d’origine légale. III - LA CONTESTATION LEGALE La contestation légale résulte de dispositions éparses. Toutes ces dispositions ont néanmoins un point commun : elles interdisent ou encadrent les clauses résolutoires, malgré la volonté exprimée par les parties, dans les contrats dont l’anéantissement engendrerait plus d’inconvénients moraux ou économiques que l’inexécution impunie ellemême. Ainsi, parce que l’on veut protéger le commerce et l’agriculture, les clauses résolutoires sont prohibées dans les baux à ferme 26 et encadrées dans les baux commerciaux puisque le juge peut accorder des délais de grâce malgré les stipulations contractuelles 27. De même, parce qu’il importe de tout mettre en œuvre pour sauver les entreprises en difficulté, aucune résolution du contrat ne peut résulter du seul fait de l’ouverture d’une 24 Cass. com., 3 novembre 1992, RTD civ. 1993, p. 124, obs. Mestre ; Cass. com. 22 décembre 1998, Defrénois 1999, p. 371, obs. Mazeaud et RTD civ. 1999, p. 98, obs. Mestre. 25 Cass. civ., 6 mars 1876, DP 1876, 1, 195, note Giboulot. 26 Art. L. 411-31 du Code rural. 27 Art. 25 du décret du 30 septembre 1953. 87 procédure de redressement judiciaire et ce, nonobstant toute clause contraire 28. De plus, parce qu’il faut protéger l’habitat et les logements des individus, les clauses résolutoires sont encadrées dans la loi de 1989 relative aux baux d’habitation 29 et ne produisent leurs effets qu’un mois après une mise en demeure restée sans effet dans les ventes d’immeubles à construire 30. Et enfin, parce que l’assuré est la partie faible dans le contrat qui le lie à son assureur, le Code des assurances, dans son article L. 113-3, protége les assurés contre les clauses de résolution de plein droit. On pourrait multiplier les exemples. Ce serait inutile car ces quelques illustrations prouvent que la loi peut intervenir lorsque la liberté contractuelle se nove en instrument d’oppression dans la relation contractuelle. Il arrive aussi que la loi autorise le juge à contrôler les clauses résolutoires. Ainsi, si ces clauses ne figurent pas dans la liste des clauses abusives, rien n’interdit au juge de les qualifier ainsi, s’il s’avère qu’elles sont imposées par un professionnel à un consommateur 31. Enfin, depuis une loi du 9 juillet 1991, les articles 1244-1 et 1244-2 du Code civil autorisent le juge à accorder des délais de grâce au débiteur. Peut-il le faire en présence 28 Art. 37, alinéa 5, de la loi du 25 janvier 1985. Art. 24, loi du 6 juillet 1989. 30 Art. L. 261-10, L. 261-11 et L. 261-12 du Code de la construction et de l’habitation. 29 31 V. Ch. Paulin, op. cit., n° 56. 88 d’une clause résolutoire ? La réponse à cette question n’est pas évidente. Si l’on en croit l’article 1244-3 du Code civil qui dispose que « toute stipulation contraire aux dispositions des articles 1244-1 et 1244-2 est réputée non écrite », on pourrait penser que la clause résolutoire ne saurait tenir en échec ces différentes dispositions 32. En revanche, si l’on considère que les articles 1244-1 et suivants ne concernent que l’exécution de l’obligation et pas la résolution qui n’en est que la conséquence, ils ne sauraient tenir en échec la mise en œuvre d’une telle clause 33. Il s’agit là manifestement d’une zone d’incertitude. Or, cela n’est rien à côté des immenses incertitudes qui planent de nos jours sur les clauses résolutoires : jusqu’où ira le pouvoir du juge ? Le législateur va-t-il petit à petit, contrat après contrat, enlever toute signification à cette expression dangereuse de la volonté contractuelle que sont les clauses résolutoires ? Le juriste n’est pas un devin. Mais on peut parier, sans grand risque de se tromper, que la clause résolutoire sera de moins en moins « la chronique d’une mort annoncée du contrat ». 32 V. dans ce sens, A. Bénabent, Les obligations, Montchrestien, 6ème éd., 1997, n° 292. 33 F. Terré, Y. Lequette et Ph. Simler, Droit des obligations, Dalloz, 7ème éd., 1999, n° 639. 89