Forward-innovation

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I DOSSIER DE COUVERTURE
La R&D
interne ne
L’open innovation ou comment
aller chercher l'inspiration à l'extérieur
Quand est venu le moment d’innover, comment ne pas
partir d’une feuille blanche ? Faire appel aux connaissances et à la créativité de ses collaborateurs ou se
retourner vers les résultats de son laboratoire en
recherche et développement ne suffit plus toujours. La tendance est à l’élaboration de stratégies pour également trouver l’innovation en
dehors de l’entreprise. Dans les pages qui suivent, Forward s’est penché sur cinq d’entre
elles : la collaboration avec des centres de
recherches, la consultance de spécialistes en
innovation, le clustering, la prise de contrôle
d'une start-up et l'actionnariat.
“L
es entreprises belges ne sont pas à la
traîne en matière d’innovation. Elles
éprouvent cependant des difficultés à mettre leurs nouveaux produits sur le marché, à
les commercialiser et à les exporter. Surtout
lorsqu’il s’agit de technologies de pointe.”
C’est une des conclusions de l’édition 2007
du tableau de bord européen de l’innovation
(TPEI), publiée en février dernier par la Commission européenne.
Mais d’où vient l’innovation ? Jusqu’il y a peu,
elle trouvait traditionnellement sa source
dans les laboratoires R&D de grandes entreprises industrielles. Depuis le milieu des années 90, une nouvelle tendance, complémentaire à la première, est apparue : l’open innovation. Pour innover leurs produits et processus, les entreprises se dirigent de plus en
plus vers des sources d’inspiration externes
telles que les
centres de recherche universitaires et sectoriels, les clusters industriels, les consultants en créativité, stratégie
et innovation, etc. Sans oublier
l’approche financière comme le
rachat (ou la prise de contrôle)
d'une start-up innovante ou l'entrée
dans le capital, par prise de participation minoritaire, d'une entreprise de
pointe.
Les 750 Chief Executive Officers interviewés par IBM pour son étude ‘The Global
CEO Study 2006’ ont confirmé la tendance.
76% d’entre eux placent la collaboration
avec leurs partenaires d’affaires et leurs
clients comme les sources principales de
nouvelles idées. Viennent
ensuite les collaborateurs internes
(40%). Les activités de R&D internes ne sont
quant à elles citées que par 17% des CEO.
Avec un peu plus de 20% chacun, le rôle des
Un réseau européen d'excellence, l’European Center for Open Innovation, verra le jour à l’été 2008. Il regroupera entreprises,
décideurs, sociétés de consultance et chercheurs spécialisés dans ce domaine. www.openinnovation.eu.
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suffit plus
Henry Chesbrough, est un des premiers à
avoir analysé et formalisé cette nouvelle tendance dans son ouvrage ‘Open Innovation :
The new imperative for creating and profiting
from technology’2. Selon lui, l’érosion du
modèle traditionnel d’innovation est notamment du à la forte croissance du
nombre d’ingénieurs et de scientifiques
disponibles et mobiles sur le marché, à
l’apparition du capital à risque, à la professionnalisation du marché des idées et
au fait que l’innovation soit de plus en
plus l’initiative d’autres entreprises dans la
chaîne de valeur. Dans le secteur des ‘Fast
Moving Consumer Goods’ par exemple, ce
sont surtout les sous-traitants du secteur de
l’emballage qui stimulent l’innovation et
non les grandes entreprises de l’alimentation. Un des défis pour les entreprises est
maintenant d’implémenter ce nouveau
paradigme dans leur modèle d'affaires.
consultants et des concurrents
n’est pas à négliger.
ACCÉLÉRER L'INNOVATION
INTERNE
Dans un article écrit conjointement, Henry
Chesbrough, professeur à l’Université de California Berkeley, Wim Vanhaverbeke, professeur à l’Université de Hasselt et à l’Université de Technologie d’Eindhoven, et Myriam
Cloodt, chercheuse à l’Université de Tech-
nologie d’Eindhoven, décrivent l’open
innovation comme "une tendance par laquelle les entreprises
utilisent toujours plus les technologies développées à l’extérieur pour accélérer leurs
processus internes d’innovation et par laquelle elles ‘vendent’ leur propre technologie à d’autres entreprises (ex. délivrance de
licences, formation d’alliances, création de
spin-offs).1" Cette nouvelle manière d’envisager l’innovation bouscule donc les schémas
traditionnels de collaboration entre les entreprises, le monde académique et les autorités
ainsi que les usages en matière de propriété
intellectuelle.
Toutes les entreprises n’utilisent cependant
pas de la même manière l’open innovation.
Selon une récente étude de KPMG sur les
sources d’innovation dans les PME européennes, ces dernières privilégient les activités
R&D maison (47%) et dans une moindre mesure les alliances R&D (36%) et l’achat de
solutions (31%). Les fusions et acquisitions
n’ont les faveurs que de 25% des sondés.
"Une distinction peut aussi être opérée entre
© Serguei
le secteur des services
etVlassov
l’industrie", souligne Wim Vanhaverbeke. "Dans les services,
la tendance est moins à l’open innovation et
à l'innovation technologique en tant que telle mais plutôt à la création et à l’implémentation de nouvelles manières de rencontrer les
demandes du marché, à l'imagination de business models plus ouverts. C'est le cas de
Ryan Air, du Cirque du soleil, de Dell, etc." Florence Delhove
1. H. Chesbrough, W. Vanhaverbeke, M. Cloodt,
Open Innovatie en de transformatie van het innovatie beleid, Essaywedstrijd Open Innovatie - Adviesraad voor het Wetenschaps- en Technologiebeleid in
Nederland (2005)
2. H. Chesbrough, Open Innovation: The New
Imperative for Creating and Profiting from
Technology, Harvard Business School Press (2003)
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Cinq stratégies
pour acquérir l'innovation
L'innovation est une notion extensive. Elle peut couvrir non seulement les nouveaux produits et services, mais aussi l'amélioration du processus de production et de l'environnement de travail, par exemple. Dans un contexte toujours davantage compétitif, il vaut mieux avoir plusieurs cordes à son arc et
ne pas hésiter à décloisonner les forces innovantes. Avis d’experts et témoignages d’entreprises.
COLLABORER AVEC LES CENTRES
DE RECHERCHES
E
ntreprises, organismes publics de soutien à l'innovation, monde académique
et centres de recherches sectoriels développent des partenariats de plus en plus forts. Il
en va du maintien de la position
concurrentielle de chacun.
Qu'ils soient publics ou privés,
les centres de recherche et organismes de soutien à l'innovation
fourmillent. Mais comme le souligne Michel Morant, directeur
de l'Interface EntreprisesUniversité de l'Université
de Liège, "les réseaux sont
nombreux. Cela facilite les
collaborations et stimule
l'innovation." Le président
du comité de direction de l'IWT, l'Instituut
voor de Aanmoediging van Innovatie door
Wetenschap en Technologie in Vlaanderen,
Paul Zeeuwts, se montre quant à lui un peu
plus circonspect. "J'entends encore parfois
dire que le moteur de l'innovation est la
compétition. Ce n'est pas faux mais il est
aussi indispensable de saisir toutes les
opportunités de collaboration. J'utilise le
mot 'coopétition', il faut trouver un équilibre entre compétition et coopération pour
être efficace."
L'IWT a d'ailleurs fait de la collaboration le
fil rouge de toutes ses actions de soutien à
l'innovation en Flandre. "Un peu plus d'un
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AUDIT GRATUIT
L'IWT reçoit chaque année quelque 500
demandes de subventions de la part des
entreprises, dont 80% sont soutenues. "Les
trois quarts viennent de PME. Nous faisons
donc des efforts particuliers pour elles et
limitons les financements que les plus grandes entreprises peuvent obtenir chez nous.
tiers de notre budget va au soutien direct
Les PME sont aussi souvent très intéressées
de projets d'entreprises. Le choix de nos
par les services qu'offre l'IWT, notamment
projets se fait toujours en fonction de leur
l'audit de leurs intentions d'innovation,
intérêt économique ou sociétal pour la
réalisé lors de l'évaluation d'une demande
région. Mais, les projets issus de
de subsides. Cet audit est gratuit et réalisé
collaborations entre entreprises,
en collaboration avec des experts internaavec des institutions de rechertionaux. Les plus grandes
entreprises
y voient, quant
Le défi sera de créer des
à elles, une sorte de benchspin-offs en collaborant avec
mark de leurs activités",
d'autres universités wallonnes précise Paul Zeeuwts. L'Inset flamandes” Michel Morant (ULg) titut mène régulièrement
des études afin de mesurer
che, des universités, etc.
la valeur ajoutée de son intervention sur la
sont considérés comme
manière dont les entreprises mènent leurs
prioritaires. Nous leur
projets d'innovation. Parmi les entreprises
offrons également 10%
qui ont reçu des subsides de l'IWT, 40% déde subventions supplémentaires à partir
clarent que leurs projets n'auraient pas eu
de cette année."
lieu sans cette intervention. Il ressort égale-
“
“LE TEXTILE DONNE AU BÉTON UNE FORME PLUS SOUPLE”
En tant que centre scientifique et technique, Centexbel veille à garantir et à renforcer la
position compétitive de l'industrie textile belge. Son directeur, Jan Laperre, est convaincu
de l'important potentiel d'innovation de son secteur. "Nous avons mis en place une série
de méthodes, très appréciées par les entreprises, pour stimuler l'innovation. Nous portons notamment une attention particulière aux opportunités issues des croisements entre
secteurs." Centexbel surveille les technologies étrangères au textile et imagine comment
les transférer à son secteur. Inversement, le centre observe comment des technologies
propres au textile peuvent être appliquées par exemple au secteur de la construction.
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ment que les projets éloignés du processus
de valorisation de la recherche ou des actuelles lignes de conduite du business ont
une grande chance de ne jamais voir le jour
s'ils ne sont pas supportés par l'IWT. De la
même manière, des entreprises précisent
que le soutien de l'Institut leur permet de
mener des projets de recherche fondamentale pour lesquels le risque est élevé.
En Région wallonne, le Plan Marshall est à
l'origine d'un changement de philosophie
du financement de la recherche en partenariat, plus soucieux de chacun des partenaires. Un des intérêts de la recherche en partenariat est d'ouvrir de nouvelles portes.
C'est notamment le cas du partenariat stratégique entre l'Ulg et Arcelor autour du
projet 'Biocoat' qui marie la biotechnologie
à l'acier. "Les entreprises adoptent de plus
en plus une attitude transversale par rapport à l'innovation. Cela n'a par exemple
pas de sens actuellement, pour une société comme Arcelor de développer son propre centre de recherche biologique," déclare Michel Morant. La recherche en partenariat rentre tout à fait dans le concept d'open innovation. "En effet, contrairement à
ce qui se faisait auparavant, où les résultats
inexploités de la recherche restaient dans
les tiroirs de l'entreprise qui les avait initiés,
l'université peut aujourd'hui les reprendre
et les diffuser à d'autres entreprises dont le
secteur d'activité pourrait en profiter."
Dans certains cas, la recherche peut prendre la forme d'un 'PPP', un partenariat public
privé. Ce mécanisme de financement permet à la Région wallonne de faire appel à
des entreprises privées pour soutenir conjointement des programmes de recherche
d'intérêt public, en partenariat avec des
universités. "Nous avons notamment eu un
"Nous avons notamment de nombreux
contacts avec le CSTC, le centre collectif du secteur de la construction. On
peut par exemple placer des matériaux
textiles dans des coffrages afin de donner au béton une forme plus fluide.
L'usage du textile dans la construction
se développe. Le toit du 'Millennium
Dome' à Londres est par exemple composé de nombreux matériaux textiles.”
3 QUESTIONS À THIERRY VAN LANDEGEM,
VICE-PRÉSIDENT GLOBAL OPERATIONS
BELL LABS, ALCATEL-LUCENT BELL
Quelle stratégie
de recherche et
développement
Alcatel-Lucent at-elle adoptée ?
"Nous pratiquons l'open innovation depuis
longtemps. Vu la taille de notre entreprise,
nous sommes conscients qu'il nous est
impossible de pouvoir tout faire nousmêmes. Notre département R&D compte
un petit millier de collaborateurs. En parallèle à leurs activités, nous avons développé
de nombreux partenariats industriels et
académiques, belges et étrangers. Nous
avons notamment créé 'l'Alcatel-Lucent
Prefer Research Partnership' qui reprend
nos dix partenaires académiques privilégiés, au niveau mondial. Parmi eux, deux
instituts flamands : l'IMEC (centre de
recherche en micro-électronique et nanotechnologie) et l'IBBT (het Interdisciplinair
Instituut voor BreedBand Technologie)."
Quelle est la valeur ajoutée de ces
partenariats ?
"D'une part, nous utilisons nos partenai-
PPP avec le Groupe Herstal sur le thème
de la sécurité et des armes non létales ainsi
que récemment un PPP entre UCB et Neurocom pour la recherche
sur l'épilepsie et les maladies neurodégénératives," continue Michel Morant.
MAIN DANS LA MAIN
La recherche en partenariat est un des mécanismes
visant à accélérer l'innovation, mis en place par l'Interface Entreprises-Université de l'Ulg. Après la KULeuven, cette interface est la
première à avoir vu le jour dans
le monde universitaire francophone en 1990. A cette époque
le développement économique de Liège
était dans le creux. L'Université a alors pris
conscience qu'elle avait un rôle à jouer dans
la redynamisation de l'industrie. Les entre-
res comme des satellites de reconnaissance de nouveaux domaines technologiques qui pourraient se révéler importants à l'avenir. D'autre part, les partenariats nous apportent les connaissances
dont nous ne disposons pas pour explorer ces domaines. Nous essayons d'identifier ensemble s'il est relevant pour
Alcatel-Lucent d'aller plus loin dans
leur recherche. Par ailleurs, nos nombreux contacts académiques nous permettent d'attirer, suite à des projets de
collaboration, de nouvelles personnes
chez nous."
Avec l'IBBT, vous avez notamment
travaillé sur un projet de 'home networking' (réseau domestique)
"Le paysage de l'ICT est devenu tellement complexe. La chaîne du secteur des
télécommunications comprend tellement
de nouveaux acteurs que nous avons
besoin de connaissances complémentaires, notamment de l'IBBT. Le résultat a
été un succès, nous en avons retiré une
importante ligne de produits."
prises l'ont aussi compris et cela a mené à la
création de l'Interface. Participer au redéploiement économique de la région est aujourd'hui une de ses missions.
Une autre d'entre elles est de
contribuer à la valorisation des
résultats de la recherche universitaire. Pour y parvenir, l'Interface a développé trois mécanismes : la recherche en partenariat que nous venons d'évoquer, la création de spin-offs et
le licensing (l’octroi de license).
Faire percoler les défis futurs
“
de l’entreprise et les solutions
technologiques”
Jos Pinte (Sirris)
Depuis 1999, une cinquantaine de spin-offs
ont été créées. "Pour des raisons de solidité de portefeuille de technologies, le défi
pour les prochaines années sera de les
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>> créer en collaborant avec d'autres universités wallonnes mais aussi flamandes, comme
nous commençons à le faire", précise Michel Morant. "Quant au licensing, nous l'avons organisé afin de mieux gérer la propriété intellectuelle
de ce que nous développons en interne et
de façon à permettre
des retours financiers
pour les chercheurs
qui se 'mouillent' dans
l'innovation." Quand
il y a des retours d'une
opération de valorisation, ils sont organisés
suivant la règle des
trois tiers : 1/3 aux institutions, 1/3 aux laboratoires et 1/3 aux 'inventeurs'. "Cette compensation est nécessaire, car un chercheur, qui s'investit dans
ce type de projet, est obligé de retarder le
moment où il va publier or, les publications
font la carrière du chercheur."
FAIRE LE BON CHOIX
position concurrentielle sur le marché. Cinq
services sont proposés aux entreprises
dans cette perspective : le conseil technologique, la réalisation concrète (à savoir
l'apport de compétences dont l'entreprise
ne dispose pas), le partage des risques en
recherche et développement de technologies, le partage de la capacité de technologie avancée et le transfert des connaissances via une intense veille technologique.
"Afin d'être les plus efficaces dans nos services, nous avons choisi de développer une
approche horizontale de l'expertise que
nous offrons. En veillant bien sûr à ce que
cette expertise horizontale puisse couvrir tous les besoins des
Trouver un équilibre entre
secteurs pour lesquels nous travaillons", explique Jos Pinte,
compétition et coopération
général de Sirris. Le
pour être efficace” Paul Zeeuwts (IWT) directeur
centre travaille essentiellement
pour les entreprises des secteurs
d'Agoria, la Fédération de l'industrie techSirris conseille et assiste les entreprises lors
nologique, et adapte ses activités aux évode la mise en œuvre d'innovations technololutions des secteurs. Cette horizontalité
giques afin de renforcer durablement leur
Les universités sont un des partenaires de
l'important réseau de collaboration qu'a
développé Sirris (l’ex-CRIF-WTCM), le centre collectif de l'industrie technologique
belge. Le centre possède d'ailleurs une structure décentralisée
et est présent sur six sites, presque tous universitaires : Liège,
Charleroi, Bruxelles, Hasselt, Gent
et Leuven. Chaque site développe sa propre spécialité; le transfert de connaissances se fait ensuite au niveau régional.
“
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des compétences est, selon Jos Pinte, un
des éléments qui différencie Sirris d'un centre universitaire. "Tout comme la flexibilité
avec laquelle nous pouvons donner nos
conseils techniques, surtout aux PME où les
réponses doivent être rapides." Parallèlement aux universités, Sirris développe aussi
de nombreux partenariats avec des clusters
d'entreprises, les pouvoirs publics, etc. "Le
nombre de projets où nous restons l'architecte, mais où la réalisation se fait en collaboration, augmente de plus en plus." Afin
de continuer à avoir des collaborations les
plus optimales possible, le centre a tissé des
liens très forts avec les entreprises et fait
régulièrement l'exercice de savoir quels sont
les défis qui les attendent dans les cinq ans
à venir, quelle influence cela peut avoir sur
elles et quelles sont les technologies qui
seront nécessaires pour répondre à ces
défis. "Nous nous devons de toujours regarder vers le futur et de nous concentrer sur la
manière de faire percoler les défis futurs de
l'entreprise et les solutions technologiques.
Cela demande de pouvoir faire des choix.
Un des enjeux sera de faire les bons choix
de technologies. 25% de notre budget provient de la facturation de nos services aux
entreprises. Cela prouve que nos services
sont appréciés; cela doit continuer", conclut
Jos Pinte.
Florence Delhove
FAIRE APPEL À UNE SOCIÉTÉ
SPÉCIALISÉE EN INNOVATION
V
ous voulez réinventer votre portefeuille de produits ou vos procédés ?
Ils ne sont pas encore légion mais des
acteurs comme Martec Consulting, spécialiste en conseil stratégique, et CREAX, qui
a fait de la stimulation d'idées son core business, se proposent de vous accompagner
dans votre démarche d'innovation.
Passé les portes de CREAX, les idées se
bousculent pour augmenter la performance, diminuer les effets nocifs, faciliter l'utili-
sation ou réduire le coût d'un produit ou
d'un procédé. Mais d'où viennent ces idées
? La société yproise a développé et breveté
sa propre méthodologie 'The CREAX Directed Variation', dérivée de la méthode russe
TRIZ et basée sur deux concepts : les propriétés et les fonctions d'un produit. Les
propriétés sont les adjectifs que l’on peut
lui attribuer (flexible, transparent, poreux,
etc.). Les fonctions sont les actions qu'il
peut faire ou subir. En croisant ces deux >>
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variables, CREAX crée une matrice dans
laquelle peut être intégré tout produit.
Les évolutions qu'il a connu et
surtout, son potentiel d'innovation sont ainsi cartographiés. Car c'est là le cœur
de la méthode et du processus d'innovation :
"changer les propriétés
pour améliorer les fonctions," explique Simon
Dewulf, directeur général de CREAX. Un exemple ? Transformer la surface d'une voiture en
une surface de balle de
golf pour améliorer son ergonomie et gagner en consommation d'énergie.
FOUINEUR DE BREVETS
crobiologie. CREAX nous a présenté des
centaines d'idées et nous a aidés à sélectionner celles qui nous semblaient être les
plus intéressantes à développer et à essayer
de commercialiser", explique Jo Rogiers,
Business Development Manager de Cumerio. Depuis sa séparation d'Umicore, Cumerio a choisi de ne traiter ses activités de
recherche qu'avec des tiers (universités, IWT,
Umicore, clients, etc.) "De par notre secteur
d'activité, nous avons petit à petit perOn essaie de faire plus de du en interne l'habitude d'être très
créatif. Nos partenariats permettent
D que de R ” Simon Dewulf (CREAX) d'y palier." Pour soutenir les activités
de R&D nécessaires au développela même recherche?" La méthoment des nouvelles applications, Cumerio
avait aussi besoin de financement. "CREAX
de séduit; PME et multinationales s'y intéressent. "Les mentalités ont changé .
nous a aidé à rédiger les dossiers, à prendre
les bons contacts et a accompagné le dosProcter & Gamble a des milliers de collaborateurs R&D. Et pourtant, ils
sier auprès de l'IWT et des inssont aussi très intéressés par
tances européennes," conles connaissances des milliers
clut Jo Rogiers.
de personnes extérieures à
leur société," ajoute-t-il.
OPÉRER UN TRI
riant. Mais n'allez surtout pas lui parler de
plagiat. "Copier une idée, c'est du plagiat. En copier 10, les combiner et
les transférer à un autre domaine d'application, c'est faire de
la recherche," précise-t-il.
"Avec notre système, on essaie de faire plus de D que de R.
Est-ce en effet encore responsable aujourd'hui d'effectuer dix fois
“
La méthode ne serait complète sans le trésor de CREAX : un serveur contenant les
bases de données de plus de 12 millions de
brevets internationaux. Les collaborateurs
de la société, pour la plupart des scientifiques, y recherchent qui au monde a déjà
OUVRIR DE NOUVELLES
connu le même type de problème que leur
PORTES
client, comment cela a été résolu et examiVoulant s'éloigner des applinent la pertinence de la solution pour le
cations traditionnelles des
client. L'objectif étant de
transférer cette connaisSouvent, la difficulté n'est pas
sance vers son domaine
d’aller
chercher les idées mais de les
d'application. On peut
par exemple rechercher hiérarchiser” Walter Dalle Vedove (Martec Consulting)
des idées de technologies dans les brevets relatifs à la fermentaproduits semi-finis du cuivre, la société
tion du pain pour les transférer à la producCumerio, un des leaders européens dans le
tion de mousse de métal1. "Notre succès
secteur du cuivre, a testé le système. "Le
tient à ce que nous faisons de l'innovation
concept fonctionne et nous a ouvert de
ouverte", souligne Simon Dewulf en sounouveaux horizons, notamment dans la mi-
“
STRATÉGIQUE
Sur le marché de la consultance en innovation, certains
acteurs se positionnent davantage dans le conseil stratégique que dans la stimulation de la créativité. C'est notamment le cas de Martec Consulting, cabinet de conseil indépendant à Bruxelles. "En
Belgique, ce marché est relativement stable
et assez réduit. Il est occupé soit par de très
grandes entreprises soit par de petits cabinets comme le nôtre qui ciblent les business
unit de grosses sociétés et les entreprises
de petite taille", précise Walter Dalle
Vedove, Managing Consultant de Martec
"ON N'INNOVE PAS TOUS LES JOURS"
Taste Development produit des arômes alimentaires et collabore à la recherche
de développement de nouveaux produits pour des petits artisans et multinationales. Depuis 10 ans, la PME jongle avec les 6000 molécules aromatiques existantes et développe un savoir-faire apprécié. Mais sa responsable, Valérie
Cruyplants, insiste: "Pour innover, l'expérience n'est pas suffisante; il faut surtout constamment tout remettre en question." Tout en veillant soigneusement
sur ses secrets de fabrication, elle nous livre sa conception de l'innovation.
"Innover c'est créer quelque chose de totalement nouveau, que ce soit rentable ou non. Ce n'est pas transformer le rouge en bleu. Une de nos activités est
de faire du développement en continu sans finalité commerciale. Parmi la
CREAX transfère les idées brevetées
d’un domaine à un autre
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Consulting. En essayant de se projeter
dans une durée de minimum trois ou
quatre ans, ce cabinet de conseil aide
les entreprises à se positionner à la fois
au niveau marché et technologique et à
s'inscrire dans une réalité économique
qui tient la route. Martec Consulting
voit plusieurs cas de figure qui conduisent les sociétés à la contacter. "Les
entreprises très innovantes, même les
petites, fonctionnent toutes de manière
relativement ouverte. C'est naturellement qu'elles vont chercher en Belgique et à l'international des idées. Pour
ces entreprises, la difficulté n'est pas
d'aller chercher les idées mais de choisir parmi la masse d'informations qu'elles ramènent. Elles parviennent à hiérarchiser en termes techniques, mais
pas toujours en termes d'importance
stratégique. C'est là que nous intervenons et veillons à un développement
cohérent de l'entreprise." Les sociétés
très technologiques, dans des secteurs
d'activités risqués, pratiquent aussi
cette ouverture et recourent fréquemment au conseil. "Elles ont leur stratégie mais souhaitent souvent un avis extérieur, de nouveaux éclairages." Walter Dalle Vedove regrette cependant
que les sociétés qui font face à un vieillissement très important de leur portefeuille d'activités et qui doivent se repositionner, recourent souvent trop tard à
la consultance, au moment où innover
est devenu vital pour leur survie.
FD
1. J. Banhart, D. Weaire, On the road
again: metal foams find favor, Physics
Today 55, 37-42 (2002)
LE CLUSTERING
“S
i l'on veut être compétitif, il faut s'installer là où se trouvent nos meilleurs
concurrents”, conseille l’économiste américain Michael Porter. Et cette compétition
rapprochée conduira, outre à une meilleure
productivité, à plus d’innovation. Le cluster
est né de ce constat. Quels sont, en termes
d’innovation, les avantages d’une mise en
réseau ?
Clusters, grappes, pôles, vallées,
réseaux… la terminologie économique ne lésine pas sur les
moyens pour désigner le regroupement, plus ou moins structuré,
de compétences – qu’elles soient
technologiques, scientifiques
ou commerciales – dans le
but de stimuler l’innovation
et, partant, la croissance. Car,
dans la théorie des clusters,
‘innovation’ et ‘compétition’
sont les deux pôles indissociables d’une
même stratégie. Pour Paola Duchaine, coordinatrice d’un cluster auprès de l'Agence
bruxelloise pour l’entreprise (ABE), le cluster
“met en réseau un ensemble d’entreprises
ayant un certain nombre de points communs, par exemple un secteur spécifique.
Les compétences sur lesquelles elles s’appuient et les technologies auxquelles elles
masse de travail qui va à la poubelle, nous retenons quelques idées que nous proposons ensuite à nos clients. Ensemble, nous développons un nouveau produit qui
va créer un nouveau marché. C'est cela innover, c'est créer une demande." Ces projets, qu'ils soient menés à l'initiative de Taste ou à la demande, anticipent nos
besoins de consommation bien avant qu'ils ne surgissent puisqu'ils demandent de 2
à 6 ans de développement. "La mode lychee, mangue, fruit de la passion, … cela
fait trois ans qu'on n'y travaille plus." Mais qu'en est-il des 5 à 6 nouveaux arômes
que la société crée tous les mois? S'agit-il d'innovation? "Non, nous faisons 'simplement' notre métier: produire de nouveaux goûts que les autres n'ont pas."
ont recours sont convergentes et souvent
complémentaires. Elles peuvent donc fonctionner en partenariat et bénéficier de nombreux avantages individuels et collectifs.” Si
les membres d'un cluster sont avant tout des
entreprises, d'autres organismes peuvent en
faire partie, comme des centres de recherche, de formation ou techniques, des fédérations professionnelles, ou encore
des chambres de commerce.
INTERACTION ET MASSE
CRITIQUE
L’idée d’une ‘relative’ concurrence interne et d’une complémentarité revient régulièrement parmi les principaux ingrédients
du clustering, cités par les
experts. “Quand elle est
transparente, la concur-
La mise en réseau favorise
“
la spécialisation et la différenciation, elles-même sources
d’innovation” Paola Duchaine (ABE)
rence augmente la productivité, insiste l’intéressée. Par ailleurs, la formation de chaînes de compétences, depuis les projets ou
la recherche jusqu’à la valorisation en passant par la production, stimule la diffusion
d’innovations au sein du cluster. Autrement
dit, la mise en réseau favorise la spécialisation, la différenciation de l’offre des entreprises les unes par rapport aux autres, ellemême source d’innovation.” Une idée que
l’on retrouve dans les propos de Mehdi
Jehaes, ingénieur auprès de Seca Benelux,
une société de conseil et d'assistance en engineering qui a rejoint le cluster EcoBuild,
créé en Région bruxelloise avec le soutien
de l’ABE. "Nous avons rejoint ce cluster
pour les atouts qu’il offre du fait de la mise
en relation d'interlocuteurs ayant les mêmes
centres d'intérêt, mais surtout une vision
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>> partagée de la construction et de la rénovation durables. Le cluster – composé jusqu’ici de 21 entreprises représentant des activités, des spécialités assez diverses quoique
liées – n’a pas, en soi, pour vocation l’innovation. Ce n’est pas un centre de recherche.
Mais la dynamique même du cluster, le fait
de confronter et de partager les différents
savoir-faire des membres permet de construire de nouvelles pistes, de nouvelles
idées. L’innovation est en permanence stimulée de manière indirecte par le partage
et l’enseignement d’expériences.”
Un cluster n’est pas forcément synonyme de
concentration géographique. Paola Duchaine : “Le cluster EcoBuild, créé en 2006,
fonctionne comme
une plate-forme d'échanges entre des
entreprises déjà bien
implantées dans le tissu économique des 19
communes de Bruxelles.” Au rang des avantages d’un cluster, la spécialiste cite en première position les effets d’échelle obtenues
par la mise en commun des ressources.
“Cela signifie une visibilité accrue sur les
marchés visés, porteuse en termes d’innovation. On se fera plus facilement remarquer,
par une université ou un centre de recherche, pour l’identification de besoins en technologies. On participera plus aisément à un
programme de recherche de grande ampleur. Le nombre permet aussi la mutualisation de certaines ressources (infrastructures,
formation, transport, etc.), qui elle génère
des gains de productivité.” La pérennité est
une autre caractéristique du cluster : il n’est
pas un projet ponctuel, mais se développe
sur le long terme. L’éco-construction est un
secteur tourné vers l’avenir. En particulier à
Bruxelles, qui connaît une très forte concentration d'occupation au m2 (avec 12 millions
de m2 de bureau et 500.000 logements !) et,
surtout, un bâti assez ancien. “Il est particulièrement stratégique pour la Région de
soutenir ce secteur à fort potentiel. EcoBuild,
qui concentre ses efforts sur la construction
durable, et en particulier sur ses composantes énergétiques (utilisation rationnelle de
l'énergie et de l'eau, mise sur pied de bâtiments à haute qualité environnementale,
etc.), vient donc à son heure. Il développe à
cet effet des techniques très pointues, en
collaboration le Centre Scientifique et
Technique de la Construction (CSTC), la
Certains clusters, à fort caractère scientifique, sont directement
liés à un domaine de recherche
tel que la génétique.
Confédération Construction, InduTec – l'interface entre les 4 instituts d'ingénieurs de
Bruxelles –, mais aussi avec le Centre d’étude, de recherche et d’action en architecture (Ceraa),…”
Le cluster facilite
l’accès aux connaissances
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MARS 2008
PÔLE
D'EXCELLENCE
Certains clusters, à fort
caractère scientifique
ou technique, sont directement liés à une
université ou un centre de recherche. C’est
le cas des Biopôle ULB Charleroi (Gosselies)
et Biopôle ULg (Liège). C’est de la collaboration de ces deux clusters qu’est née DNAVision AgriFood, une spin-off… de spin-off,
qui développe des services d’analyse génétique sur mesure, à la demande du secteur
agro-alimentaire. Là, l’élément le plus porteur du cluster est sans équivoque l’accès
facilité aux connaissances. Christina Franssen, administrateur délégué de DNAVision
AgriFood : “La société est née de la rencontre du laboratoire des denrées alimentaires de l’ULg, qui voulait développer une
plateforme de services génétiques pour le
secteur agro-alimentaire, et
de la société DNAVision,
elle aussi active dans les services génétiques, mais plutôt destinés au secteur pharmaceutique (voir, à ce sujet,
la rubrique Jeunes pousses, FORWARD de janvier 2008). On a donc
rassemblé les compétences scientifiques et
techniques des deux équipes, de manière à
atteindre une masse critique requise pour
être compétitif au niveau international.” Des
collaborations étroites ont déjà été nouées
avec la plateforme de génomique du GIGAULg (la Grappe Interdisciplinaire de Génoprotéomique Appliquée), permettant l’accessibilité à des technologies de pointe et
des collaborations avec des équipes de renommée scientifique internationale, poursuit notre interlocutrice. Comme pour l’écoconstruction à Bruxelles, il s’agit ici aussi, en
filigrane, de valoriser les compétences d’une
Région. “Il est clair que notre position au
sein de la faculté vétérinaire de l’ULg et,
plus particulièrement, du pôle de compétences et d’expertise dans le domaine du
contrôle de qualité et de sécurité de la
chaîne alimentaire (Wagralim) fait de nous
une référence dans le domaine des services génétiques. Notre société est un bel
exemple des effets dopants d’une synergie
entre le monde scientifique, politique et de
l’entreprise.”
AM
PRENDRE LE CONTRÔLE D'UNE
START-UP
L
e rachat d'une entreprise dans le but
de mettre la main sur une technologie prometteuse est sans doute la stratégie la plus directe pour acquérir de l'innovation. A l'heure du choix entre ‘make
or buy’, des impératifs de rapidité de
commercialisation (time to market) font
alors pencher la balance en faveur du
rachat d'une technologie innovante, plutôt que de miser sur les investissements
dans la R&D interne. C'est particulièrement le cas dans un secteur hyperconcurrentiel comme l'ICT, où de surcroît la
durée de vie des produits est très limi-
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DOSSIER DE COUVERTURE
tée. Nous y avons puisé deux témoignages, d'une multinationale et d'une PME. En 2001, EMC, le leader mondial en
matière de solutions de stockage de données informatiques, rachetait la petite société belge Filepool (une vingtaine de personnes), pionnière sur le plan du transfert sécurisé d'informations et du partage de fichiers. "EMC l'a
rachetée moins de 50 millions de dollars à l'époque pour en
faire un business qui pèse plusieurs centaines de millions
de dollars," avance Geert Van Peteghem, le directeur
d'EMC Belux. "Nous avons injecté du capital pour transformer cette technologie et en faire un élément clé de notre
gamme de produits Centera, commercialisée partout dans
le monde et qui connaît la plus forte croissance." Le rachat
a eu également des retombées bénéfiques en termes d'emplois puisque l'équipe d'une centaine de personnes chargée du support et de l'intervention sur site pour cette
gamme de produits est basée en Belgique. "Une des leçons
que nous avons apprises lorsqu'on réalise une telle acquisition pour du savoir-faire, c'est qu'il faut laisser beaucoup
d'indépendance à l'équipe rachetée. Une telle démarche
permet d'accélérer le processus d'innovation et/ou de combler un trou en vue d'offrir une solution totale aux clients."
La chasse aux sociétés innovantes est bien structurée chez
EMC, comme chez la plupart des autres
géants technologiques : une équipe
‘merger & acquisitions’ scanne constamment le marché pour détecter
des jeunes pousses prometteuses,
en se basant notamment sur le feedback des différentes filiales. "Notre
département R&D fort de 8000
personnes se concentre sur
notre cœur de métier depuis
20 ans, à savoir le stockage.
Pour ce qui est de la conquête de marchés complémentaires, nous procédons par ac-
Nous disposons immédiate“
ment d'un produit qu'il nous
aurait fallu un à deux ans à
développer” Luk Denayer (Xylos)
quisitions," résume Geert Van Peteghem. Pour ce faire,
EMC dispose d'une enveloppe déterminée. Qu'on imagine
confortable puisque l'entreprise dispose de 8 milliards de
dollars de liquidités.
GARDER SON FOCUS
Une manne dont ne dispose pas le prestataire de services
ICT belge Xylos (140 personnes), qui n'a pourtant pas hésité à mettre la main au porte-feuille début de cette année
pour prendre une participation majoritaire dans Smart@xs,
une start-up de 7 personnes qui s'est fait remarquer >>
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DOSSIER DE COUVERTURE I
>>
grâce à un logiciel qui permet, par exemple pour un opérateur de centre d'appels, de mieux naviguer dans une application de gestion de la relation client
(CRM). "Cette prise de participation présente au moins trois avantages : nous
disposons immédiatement d'un produit
qu'il nous aurait fallu un à deux ans à
développer, soit une éternité dans notre
secteur. Nous mettons un pied au niveau
international, car Smart@xs est distribué
dans différents pays européens et enfin,
nous nous diversifions tout en préservant
notre spécialisation, à savoir les solutions
qui visent à augmenter la productivité de
l'utilisateur informatique," explique Luk
Denayer, directeur général de Xylos.
Selon lui, le principal défi d'une telle opération est de laisser une autonomie suffisante à l'entité rachetée pour que celle-ci
conserve son 'focus', tout en trouvant la
colle qui permet de développer une culture d'entreprise commune. Une PME
comme Xylos ne dispose pas d'un budget pour les acquisitions : chaque opportunité est analysée au cas par cas par une
petite équipe d'environ cinq personnes
qui traque les nouvelles technologies. OF
ACCÉDER À DES IDÉES ET DES
TECHNOLOGIES VIA L'ACTIONNARIAT
I
l ne faut pas nécessairement aller jusqu'au rachat d'une start-up pour accéder à des compétences qui ouvriront de
nouveaux marchés. Une prise de participation minoritaire ou, juste en dessous
de la prise de contrôle – la joint-venture
– peuvent parfois suffire. Pour prendre un
seul exemple : la machine à café Senseo,
résultat de la collaboration entre Philips
et Douwe Egberts. La gestion de ces
'alliances stratégiques' peut prendre une
tournure plus formelle dans les grandes
entreprises via la création de fonds de
capital-risque ('corporate venturing').
Ceux-ci investissent dans des start-ups
dont la force innovatrice pourrait bénéfi-
cier directement ou indirectement au
cœur de métier de l'investisseur. Fortis
Venturing, le ‘hub innovation de Fortis’
selon son directeur Kris Vander Velpen, a
pris pas moins de 24 participations,
majoritaires ou minoritaires, dans des
(jeunes) entreprises. L'une d'entre elles
est VM2 (dont nous avons dressé le portrait en septembre dernier). Cette jeune
pousse se fait fort de rentabiliser l'achat
de secondes résidences haut de gamme
au soleil au travers de la location et de
l'optimisation fiscale. On voit tout de
suite le lien avec le secteur financier.
Fortis Venturing en détient 40%.
OF
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I DOSSIER DE COUVERTURE
Ne pas confondre innovation
et créativité
Soumettre les idées reçues
au marteau piqueur
de la créativité
Ingénieur, philosophe, consultant en créativité, Luc de
Brabandere est directeur associé du Boston Consulting
Group. Toujours en quête d’idées nouvelles qui ‘décoiffent’,
il est l'auteur d'une série d'ouvrages (1) axés sur l'innovation
et la créativité.
F
orward : La créativité et l’innovation
sont, selon vous, deux concepts différents ?
Luc de Brabandere : "Il s’agit d’un de
mes grands combats. On prend souvent
ces mots comme des synonymes. Ce sont
en fait deux notions différentes. L’innovation est une démarche qui se passe dans
la réalité. Par contre, la créativité se passe
dans le monde des idées. L’innovation
prend du temps, consomme de l’argent,
implique généralement des grandes équipes. La créativité, qui est la
capacité d’un individu à changer sa perception, ne consomme ni temps, ni argent.
Léonard de Vinci, extrêmement créatif, n’a jamais réalisé un prototype ou une maquette de ses inventions. Par
contre, Edison et Microsoft ont innové.
Bien sûr, ces deux conceptions participent
au changement mais elles sont totalement
différentes.
GM pour créer le pick-up ! Pour GM, le
problème n’était pas la créativité mais l’innovation. Starbuck innove car il vend des
cappuccinos dans le monde entier mais il
n’a pas inventé le cappucino.
A contrario, la fameuse souris qui équipe
les ordinateurs individuels est un exemple
de créativité sans innovation. Quelque 5
ou 6 brevets ont été déposés chez Xerox.
Passer d’un clavier à une souris est un bel
exemple de créativité, mais Xerox a été
Le brainstorming ne sert pas à
“
grand-chose. Changer une idée
sence. La créativité est discontinue. Nous
avons besoin de ces deux visions.”
Pouvez-vous donner quelques exemples ?
“Conceptuellement, innover, c’est
agir dans le système existant, mais
d’une manière différente. Etre créatif, c’est penser un système neuf.
Tout système est conçu sur un ensemble de règles. Auparavant, il
existait une règle dans le système aérien
selon laquelle l’atterrissage se faisait dans
les capitales des grandes villes. Ryanair a
‘cassé’ la règle en disant qu’il allait atterrir
à Charleroi. Une telle idée, présentée au
conseil d’administration d’Air France ou
de British Airways, risquait d’être mal acceptée. L’innovation respecte les règles, la
créativité les remet en cause.
existante est plus difficile qu’avoir
une idée nouvelle”
L’innovation peut exister sans la créativité.
Un exemple dont je parle dans mon livre,
est le cas de General Motors qui a distribué ses premières voitures dans le Middle
West. La majorité des agriculteurs enlevaient la banquette arrière pour transporter leurs marchandises. Et il a fallu 15 ans à
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MARS 2008
incapable d’innover. On peut donc avoir
de l’innovation, sans créativité et de la
créativité sans innovation.”
Dans une entreprise, est-il important de
faire appel à ces deux concepts ?
“Il s’agit véritablement de deux mondes
qui requièrent des compétences différentes. Pour développer l’innovation, il faut
être chef de projets. Pour guider la créativité, il faut être davantage un secoueur
d’idées. L’innovation est continue par es-
Si on prend les dix plus gros acteurs d’Internet aujourd’hui, pas un seul n’est né dans
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DOSSIER DE COUVERTURE I
Quelques champions de la créativité
en entreprise
ILS ONT OSÉ REMETTRE
EN QUESTION LE SYSTÈME
ÉTABLI :
- Xerox a inventé la souris d'ordinateur,
alors que le clavier avait seul les
commandes
- RyanAir a cassé la règle qui disait
qu'il fallait atterrir dans les capitales
des grandes villes
- Bouygues, géant du béton, s'est
lancé dans les télécoms
- BIC, non content de transformer une
marque de stylo à bille en un nom
commun, a décidé un jour de fabriquer des rasoirs jetables.
- Et bien sûr, des entreprises comme
Amazon.com, eBay ou YouTube qui
ont changé nos manières de faire du
commerce ou de consommer de l'information.
une grande entreprise qui à priori disposait de plus de moyens, de connaissances.
Comment se fait-il que ce ne soit pas TF1
qui ait lancé YouTube, que ce ne soit pas
Carrefour qui ait lancé Amazon, que ce ne
soit pas DHL qui ait lancé eBay ? Par ce
qu’il est difficile de changer fondamentalement un système.”
De là votre idée de paradoxe ?
“Exactement, car le grand paradoxe est
que plus un système innove, plus il lui est
difficile d’être créatif. L’école de Palo
Alto dit, dans une de ses publications,
que plus le système change, plus il est le
même.
Bouygues qui était dans le béton, dans
les routes, les ponts, est aujourd’hui bien
placée dans les télécoms. Il faut être un
génie de persuasion, de communication,
pour changer de cap, d’atteindre une
telle vision.”
Comment apprendre la créativité ? Estce inné ?
“Je crois que paradoxalement, le brainstorming ne sert pas à grand-chose. Changer une idée existante est plus difficile
qu’avoir une idée nouvelle.
Bic est un bel exemple. Cette entreprise a
commencé par l’écriture. Si elle avait limité son champ d’investigation à l’écriture,
jamais elle n’aurait produit de rasoirs bon
marché et jetables.
La créativité, c’est à raison de 80% détruire des schémas mentaux existants au marteau piqueur.
Dans mes séminaires, je fais des exercices
orientés vers une remise en question des
idées existantes. Je demande par exemple aux gens de parler de leur métier mais
je leur interdis d’utiliser les cinq mots les
plus courants. Je les force à parler d’euxmêmes avec d’autres mots et cela secoue
beaucoup. Dans une entreprise qui distri-
bue de l’eau par exemple, j’ai demandé de
ne pas parler d’eau, de distribution, de
tuyauterie, de robinet, de compteur. Une
personne a dit : 'Notre métier, c’est de libérer la femme dans le tiers-monde' …
Une petite entreprise de champagne cherchait des idées de marketing. Je leur ai
demandé de ne pas se limiter aux mots
bouteilles, champagne, bouchons, camion,
magasin. Un des participants a constaté :
'Notre métier est de faire en sorte que les
fêtes soient plus réussies'. L’entreprise en
question a imprimé un petit livre consacré
à la manière de réussir un discours, qu’elle
a attaché à la bouteille.”
Brigitte De Wolf-Cambier
(1) Le dernier en date est La Valeur des idées,
De la créativité à la stratégie en entreprise par
Luc de Brabandere, avec la collaboration de
Anne Mikolajczak, Dunod, Paris, 2007, 321 pages.
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