Quand on veut, on peut - Après l`hôpital, la vie continue

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Quand on veut, on peut - Après l`hôpital, la vie continue
Quand on veut, on peut - Après l'hôpital, la vie continue
CONTEXTE
«Chaque fois que je mentionnais à un dispensateur de services de soins auxiliaires que
j'étais branchée à un respirateur, on me raccrochait au nez». La lutte que Liliane
Bondoux, de la région d'Ottawa- Carleton, a livrée pour sortir du cadre institutionnel
fut très ardue. La réponse qu'elle recevait des dispensateurs de soins auxiliaires de la
région d'Ottawa-Carleton était toujours la même: qui serait responsable si quelque
chose devait mal tourner? Les dispensateurs de services n'en étaient pas certains et de
toute façon le Ministère de la santé ne fournissait pas, en 1991 de lignes directrices
quant aux services généralement considérés comme des actes contrôlés aux termes de
la Loi sur les sciences de la santé réglementées.
À l'automne 1991, j'ai reçu un appel de la travailleuse sociale s'occupant de Liliane à
l'Hôpital
général. Il était évident qu'elle avait trouvé notre numéro dans une liste d'agences
communautaires, auxquelles elle s'adressait les unes après les autres. Il me semblait
également qu'elle s'attendait à ce que je mette rapidement fin à la conversation en
apprenant que sa cliente était branchée à un respirateur. Quand je lui ai dit que j'étais
toujours à l'écoute, il y a eu un moment de silence. Puis elle s'est empressée de me
dire que sa cliente communiquerait directement avec moi, en la décrivant comme «une
cliente qui sait ce qu'elle veut». Moins de dix minutes plus tard, je recevais un appel de
Liliane Bondoux. Rapidement, elle m'a présenté un compte-rendu clinique complet
objectif de sa maladie comprenant tous les symptômes et les signes accessoires. Elle a
ajouté qu'elle était vraiment contente de me parler et qu'elle voulait que je vienne la
rencontrer à la «maison», c'est-à-dire l'Unité de soins intensifs de l'Hôpital général
d'Ottawa.
Je lui ai rendu visite la même semaine et j'ai été très agréablement surprise. Une jeune
femme
brillante, attirante, vêtue avec goût, et portant des lunettes vraiment originales était dans
son cubicule, assise dans un fauteuil roulant, et branchée à un nombre impressionnant
d'appareils. Son attitude et son apparence ne semblaient n'avoir aucun rapport avec les
gens autour d'elle, des personnes très malades et des infirmières très affairées. Je me
revoyais étudiante en infirmerie et des expressions telles que «psychose de l'unité de
soins intensifs» me revenaient à l'esprit.
Comme il n'y avait pas de fauteuils, je me suis assise sur son lit, et à compter de ce
moment, Liliane a pris le contrôle de la conversation.
Dix-huit mois auparavant, Liliane s'était graduellement détachée du respirateur auquel
elle était branchée depuis quatre ans. Ces années, elle les avait passées dans des
hôpitaux pour grands malades de Pembroke et de Toronto, y compris un séjour de près
de dix-huit mois à l'unité de soins intensifs de chirurgie de l'hôpital Sunnybrook. Ce
séjour dans une unité spécialisée en traumatologie avait convaincu Liliane qu'il devait
y avoir d'autres options. Il est vrai que Liliane était exposée à des risques énormes et
que les médecins étaient extrêmement sceptiques. Cependant, elle était résolue à ne
plus vivre en institution. «Si le fait d'être branchée à un respirateur signifie que je dois
passer le reste de mes jours dans un hôpital, alors de deux choses l'une: ou bien je me
débranche de l'appareil ou bien on me déconnecte!»
Ces dix-huit mois, Liliane les a passés à la maison, sans aucun services; elle souffrait
périodiquement d'infections respiratoires très graves. Après la dernière infection, à la
suite de laquelle Liliane avait dû être hospitalisée d'urgence, les médecins ne lui ont pas
laissé beaucoup de choix: c'était le respirateur ou la mort. Liliane accepta d'être
branchée à nouveau, mais en tenant à préciser que, si elle ne pouvait vivre ailleurs
qu'à l'hôpital, elle demanderait à être débranchée. En songeant sans doute à l'affaire
de Nancy B, les gens qui travaillaient auprès de Liliane étaient convaincus du sérieux
de ses intentions.
Alors même que Liliane cherchait une solution de rechange de vie en communauté à
la vie en
institution, CPVA, révisait son rôle vis-à-vis sa clientèle traditionnelle, c'est-à-dire les
adultes souffrant de blessures à la moelle épinière et les jeunes adultes handicapés
congénitaux, et examinait les nouvelles avenues ouvertes par le Ministère de la santé de
l'Ontario dans sa Réforme des soins de longue durée. On proposait de remplacer les soins
prodigués en institution par des soins dispensés au sein même des communautés.
La création de CPVA, agence affiliée à la «Cheshire Homes Foundation», remonte à 1974,
et résulte des efforts d'un groupe de travailleurs sociaux de l'Hôpital Royal Ottawa, qui se
sentaient frustrés de devoir institutionnaliser des adultes physiquement handicapés, mais
dont l'état médical était stable, pour la simple raison qu'aucun soin n'était disponible dans
la communauté.
CPVA a donc ouvert ses portes en 1975, en tant que foyer d'accueil pouvant accueillir huit
personnes. Grâce à un accord de financement conclu avec le Ministère ontarien du
logement, les client(e)s de CPVA en sont en même temps les locataires. La contribution
financière du ministère sert à couvrir les coûts d'entretien des lieux. Par ailleurs, le
Ministère de la santé assume la totalité des coûts en dotation. En 1987, on a crée un
programme de résidence pour les personnes en transition. Auparavant, le foyer de groupe
servait de résidence permanente, mais, au fur et à mesure que d'autres options se
présentaient, on s'est aperçu qu'il serait encore plus utile d'en faire un service de résidence
pour les personnes en transition. De 1975 à 1987, vingt locataires ont habité notre foyer
de groupe. De 1987 à 1993, trente personnes ont bénéficié de nos services. En 1989, on a
inauguré CPVA II, un centre installé dans un groupe d'habitations, où le personnel
dispense des soins auxiliaires 24 heures par jour, en assurant aux personnes qui le
désirent un suivi de leur état et l'aide dont ces personnes ont besoin pour accomplir leurs
tâches de la vie de tous les jours, tant au centre même qu'à l'extérieur. À l'automne 1990,
le personnel de CPVA a entamé une série de discussions internes quant à
l'orientation future de l'organisme.
Un survol préliminaire des ressources disponibles dans notre milieu nous a fait prendre
conscience des perspectives intéressantes quant à la dispensation de certains services. En
dehors des institutions, il n'existait à peu près pas dans la région de services de soins
auxiliaires destinés aux personnes qui dépendent d'une façon ou d'une autre d'un appareil,
sans qu'on sache très bien pourquoi il en était ainsi.
La dispensation de soins auxiliaires constitue un champ d'activités professionnelles
uniques, car il n'est pas réglementé, et en général, tout se déroule au domicile même du
client. C'est le consommateur qui supervise les soins qu'il reçoit et, en général, les fonds
proviennent de petits organismes dont les administrateurs sont très attentifs aux besoins de
leur clientèle. Il nous semblait que le fait de limiter la disponibilité de services de soins
auxiliaires à une certaine catégorie de consommateurs conduisait à une énorme sousutilisation des services.
Le Comité de la planification à long terme de CPVA a vu là une occasion de développer
des services destinés à des personnes qui nécessitent beaucoup de soins, en utilisant tout le
potentiel d'auxiliaires entraînés et en profitant des services qu'on trouvait déjà dans la
communauté.
On dessina donc le profil de notre client-type éventuel. Il faudrait que:
a) le client satisfasse aux exigences du ministère quant à sa capacité actuelle ou potentielle
de donner des directives aux membres d'un personnel;
b) le client ait une bonne compréhension de son état de santé et des risques auxquels il est
exposé: c'est-à-dire que, tout comme les quadriplégiques doivent être au courant des
risques de dysréflexie, les consommateurs de soins intensifs doivent, eux-aussi, être tout à
fait conscients de tous les aspects de leur situation unique;
c) le client soit admissible à bénéficier de certains services, tels les soins à domicile, que
nous ne
pouvons pas dispenser (par exemple, une thérapie intraveineuse à domicile);
d) le client soit conscient des risques liés à la vie en communauté et qu'il soit prêt à les
assumer; le client ait un médecin de famille qui l'appuie dans sa démarche.
En 1990 et 1991, l'Ontario, à l'instar des autres provinces, se voyait aux prises avec un
formidable resserrement monétaire dans le domaine des soins de santé et autres services.
Le gouvernement provincial s'est attaqué au dossier des soins à long terme. On a beaucoup
parlé de la transition d'un régime de soins dispensés par des institutions à un système
communautaire de dispensation des soins, et des consultations ont été menées à ce sujet.
Une étude 1 de Catherine Mather and Associates, menée en 1990 à la demande du
Ministère ontarien des Services sociaux et communautaires, affirmait catégoriquement que
les auxiliaires combleraient un vide important si pour peu qu'on leur permette de
s'acquitter de ce qu'on considère en général comme des tâches réglementées au bénéfice
de clients pour qui il s'agit, en réalité, d'activités de routine faisant partie de la vie de tous
les jours. Des tâches telles des injections d'insuline, des soins post-trachéotomie et de
succion, la fragmentation digitale des écalomes (un type d'activité qui n'est toujours pas
assuré par toutes les agences de soins auxiliaires en Ontario - certaines continuent à avoir
recours aux infirmières de l'Ordre de Victoria), ainsi que les cathétérismes urinaires (une
autre fonction qu'on ne retrouve pas partout) devraient désormais être considérées comme
des «activités de routine faisant partie de la vie de tous les jours.» Les chiffres découlant
de cette étude indiquaient que parmi les ventilés placés dans un établissement médical,
une proportion de onze sur douze manifestait le désir de vivre dans la communauté.
Même s'il y avait d'énormes possibilités de changement, nous savions que retourner Liliane
à la
communauté serait plus facile à dire qu'à faire.
Il était fort inhabituel pour un programme de soins auxiliaires communautaires d'accepter
quelqu'un qui sortait directement d'une unité de soins intensifs. Une personne qui ne
pouvait être accueillie en salle commune parce que les infirmières n'avaient pas reçu une
formation spéciale n'est pas généralement considérée comme le consommateur idéal de
soins auxiliaires. Quoi qu'il en soit, à mon avis, Liliane remplissait toutes les conditions
requises. Elle était alerte, parfaitement consciente de son état et de l'appareil dont elle
dépendait; elle était courageuse et elle était animée d'un sens de l'humour qui nous a aidé
à traverser bien des moments difficiles.
En règle générale, notre processus d'admission prévoit une entrevue avec le locataire
éventuel, ainsi que l'étude de son dossier médical. Les exigences physiques sont appariées
au temps disponible à l'intérieur du programme. Par exemple, si une personne qui a besoin
de trois heures d'aide tous les jours nous quitte, alors ce client doit être remplacé par une
autre personne qui a également besoin de trois heures de service. Nous n'avions aucune
idée des besoins éventuels de Liliane parce que nous n'avions jamais eu affaire à un cas
comme le sien. En plus de souffrir d'un trouble neuromusculaire dégénératif - myopathie
de la moelle épinière - Liliane était équipée d'un cathéter de veine centrale (Porta-Cath)
dont elle se servait pour s'injecter des analgésiques qui lui permettaient de maîtriser ses
douleurs chroniques. Ce cathéter lui permettait également de recevoir des infusions
intraveineuses continues de fluides assurant un afflux d'antibiotiques dont elle avait besoin
pour lutter contre des infections fréquentes, graves et systémiques. Un deuxième poteau
d'intraveineuse, fixé à sa chaise, était raccordé à son appareil d'alimentation parentérale.
Quelques années auparavant, Liliane avait subi d'importantes interventions chirurgicales
dans la région de l'abdomen pour cause d'intussusception. Elle était alimentée par un petit
tube gastrotomique inséré directement dans son intestin à travers une ouverture dans
l'abdomen. Lorsque Liliane souffrait d'obstruction, elle devait elle-même y insérer un
tube naso-gastrique connecté à l'aspiration de drainage.
1 Services for Persons with Hiah Care Needs Livina in Ontario [Services aux personnes habitant
l'Ontario et nécessitant des soins importants], Catherine Mather and Associates Consultants Inc,
pour le compte du Ministère des services sociaux et communautaires, 1990.
Sa dépendance envers n'importe lequel de ces appareils aurait été une raison suffisante
pour lui interdire l'accès à n'importe quel autre programme de soins auxiliaires et c'est
précisément
l'expérience qu'elle avait vécue. Prises ensemble, toutes ces dépendances, pour ne rien dire
de
l'instabilité inhérente à son état, auraient été autant de raisons de m'alarmer si je n'avais été
rassurée sur quelques points très clairement définis :
• Liliane était la cliente qu'il fallait pour piloter ce changement d'orientation et elle
était à la fois tout à fait disposée et parfaitement capable de faire face à l'attention
considérable que l'on prêterait à toutes les décisions relatives à son cas;
• Le personnel de CPVA était enthousiaste à l'idée de relever un tel défi, de même
que prêt à faire tout pour que le placement réussisse;
• Le Conseil d'administration de CPVA considérait l'approche de gestion du risque
comme une bonne façon de procéder;
• CPVA est très engagé envers tous les principes de la vie indépendante, y compris le
droit à l'autodétermination et à la dignité du risque.
Tout en sachant qu'aucune mesure ne pourrait garantir que ce placement soit exempt de
problèmes, nous pensions pouvoir en gérer les risques. Nous avions un certain nombre
d'atouts à notre disposition.
L'affiliation avec la Cheshire Homes Foundation
À elle seule, la province de l'Ontario ne compte pas moins de dix-sept organismes affiliés
à la
Cheshire Foundation, qui ensemble mènent quelque vingt-trois projets dispensant la
gamme
complète de tous les services imaginables à des personnes qui ont un handicap physique.
Plusieurs des projets menés dans la région immédiate de Toronto desservent des
personnes qui dépendent d'un respirateur. Il m'a suffi de trois appels téléphoniques pour
confirmer ce dont je pensais déjà: en général, il n'est pas plus difficile de dispenser des
services à des personnes qui dépendent d'un respirateur que, par exemple, à des
quadriplégiques requérant des soins plus importants. Dans tous les cas, la clé du problème,
c'est le choix du consommateur quant à ce qui constitue un niveau acceptable de risque.
Liliane était parfaitement consciente qu'elle aurait l'entière responsabilité de tous les
risques
auxquels elle serait exposée. Cela dit, il était indispensable de nous assurer de ne pas
procéder sans prendre les précautions suffisantes, et ce pour deux raisons fondamentales :
nous nous efforçons toujours de dispenser les meilleurs services possibles à nos locataires
et nous savons que tout problème qui aurait pu être évité, mais qui aurait été ignoré ou
négligé au départ et qui aurait entraîné un échec par la suite, ne pourrait que nuire aux
autres utilisateurs de respirateurs désireux de venir vivre dans notre communauté.
Services existants
Nous avons fait un inventaire des ressources disponibles dans la région d'Ottawa-Carleton :
• le 911;
• SERVICE SECOURS;
• la très grande proximité des centres de soins tertiaires;
• les infirmières de l'Ordre de Victoria sont mandatées pour dispenser les types de
soins que nous ne pouvons offrir, c'est-à-dire la gestion des intraveineuses à
domicile, les changements de trachéotomie, la stérilisation du cathéter de veine
centrale Porta-Cath;
• les vendeurs d'équipement de ventilation qui ont accès 24 heures par jour à des
pécialistes en inhalothérapie et à de l'équipement de réserve;
• Liliane est suivie par un médecin personnel dévoué et bienveillant qui gère ses
soins médicaux.
En dernière analyse, c'est la présence de ce médecin dévoué qui fut le véritable facteur
décisif. Il est apparu que c'est cette relation médecin/patient qui ferait en sorte que le
personnel de soins auxiliaires ne se retrouverait pas dans une situation intenable. C'est
strictement à Liliane et au Dr R.Eaton qu'il reviendrait de prendre des décisions
concernant les soins médicaux à dispenser à Liliane. Les membres de notre personnel
dispenseraient des services pour lesquels ils pourraient recevoir une formation
adéquate, par exemple la succion. Ces services seraient dispensés sous la supervision
de Liliane elle-même et leur dispensation n'exigerait pas qu'on recourre au jugement
d'un médecin ou d'une infirmière. Le médecin de Liliane s'est révélé être un avocat
hors pair quand est venu le temps de traiter avec les relations plus complexes au sein
des bureaucraties hospitalières et du système de soins à la maison.
LE PASSAGE À LA COMMUNAUTÉ
Après notre première rencontre, en novembre, nous avons pris des dispositions pour
tenir, en
décembre, une conférence sur le cas de Liliane. Des spécialistes de toutes les
disciplines
imaginables y étaient représentés. À cette époque, Liliane n'avait été transférée en salle
commune que depuis quelques semaines. Certains médecins étaient certainement
sceptiques à la perspective de la voir passer directement de l'Hôpital général d'Ottawa
à CPVA. Un médecin en particulier estimait qu'elle aurait avantage à séjourner
pendant quelques semaines au Centre de réadaptation des Services de santé Royal
Ottawa. Ce séjour l'aiderait, pensait-il, à «s'acclimater» à un mode de vie moins
médicalisé. Après avoir obtenu son congé du Centre de réadaptation, elle pourrait
ensuite passer à CPVA. Le problème de ce scénario, c'est que la direction de l'hôpital
s'y opposait. Il aurait fallu que des infirmières reçoivent une formation spéciale, car le
Centre de réadaptation n'acceptait pas de clients dépendant d'un respirateur. Par
ailleurs, le scénario posait des problèmes financiers. Notre position, lors de cette
première conférence, était de nous montrer très ouverts, tout en rappelant qu'aucune
décision n'avait encore été prise. Il nous restait encore à mener notre propre entrevue
d'admission et nous devions recevoir des assurances à l'effet que l'Hôpital général
dispenserait la formation nécessaire à notre personnel avant que Liliane ne reçoive son
congé.
En janvier, l'entrevue d'admission formelle entre Liliane, notre gestionnaire des
services aux
locataires et moi-même a finalement eu lieu. La rencontre a donné lieu à un incident
comique et complètement inattendu. Notre gestionnaire des services aux locataires n'a
pas de formation en soins de santé et elle ne connaissait rien aux respirateurs. Elle ne se
doutait pas qu'elle respirait en synchronie avec la machine jusqu'au moment où elle
s'est mise à hyperventiler! Éventuellement, kathy retrouva son rythme de respiration
normal et nous avons informé Liliane et la travailleuse sociale qu'elle était acceptée à
CPVA.
Plus tard cette semaine-là, Liliane devait apprendre que le RORRC était lui aussi, en fin
de compte, prêt à l'accepter. Elle y serait reçue à la fin de janvier 1992. Tel que
convenu, l'Hôpital général et Liliane organisèrent un séminaire d'une demi-journée
pour le groupe consultatif. Ce fut, pour le personnel, une occasion de se familiariser
avec la physiologie de la ventilation mécanique et l'équipement lui-même.
Le personnel du Centre de réadaptation a organisé à notre bénéfice une séance sur la
technique de succion et l'utilisation de l'appareil, mais le placement lui-même fut un
échec. Un médecin du Centre a dit à Liliane que les objectifs qu'elle s'était fixés de
vivre au sein de la communauté et de retourner au travail étaient irréalistes. Le
personnel du Centre estimait qu'elle ne devait pas passer à CPVA tant qu'elle
dépendrait de narcotiques pour maîtriser sa douleur. Elle fut donc retransférée du
Centre à l'Hôpital général le 17 mars 1992.
Nous étions parfaitement conscients du fait que Liliane devait régulièrement prendre
des
médicaments pour maîtriser ses douleurs chroniques. Nous savions déjà avant de la
rencontrer
qu'elle prenait des médicaments et nous avions évalué son niveau de fonctionnement
alors qu'elle en prenait régulièrement. Enfin, l'expérience acquise avec une autre
personne souffrant de douleurs chroniques aiguës faisait que nous étions au courant
de l'existence de solutions de rechange. Nous n'avions pas fait grand cas du fait que
Liliane devait prendre des médicaments, mais les médecins, quant à eux, s'en
inquiétaient beaucoup. Les gens du Centre de réadaptation avisèrent Liliane qu'elle
pourrait y retourner trois semaines après avoir cessé de prendre des médicaments. Ils
ne faisaient pas la différence entre les cas où ce sont les patients eux-mêmes qui
prennent les décisions à cet égard et ceux où ces décisions reviennent aux médecins.
Nous étions parfaitement conscients du fait que Liliane n'avait qu'une ambition : quitter
le milieu institutionnel pour s'intégrer à la communauté. Toute tentative de l'obliger à
régler des problèmes qui pourraient être résolus au sein de la communauté, après
qu'elle aurait obtenu son congé, nous paraissait contreproductive. Lors d'une
deuxième conférence sur son cas, nous avons clairement indiqué que nous étions au
courant du fait qu'elle prenait des médicaments et que ce fait n'avait aucune incidence
sur notre décision. À cette époque, la préservation de l'équilibre émotionnel de Liliane
était notre objectif premier. Nous étions convaincus d'y parvenir en l'accueillant au
sein de notre communauté. Son médecin communautaire l'a beaucoup aidée à
effectuer la transition du Demerol à la pompe dilaudide, solution qui s'est avérée
efficace jusqu'à maintenant.
L'attente fut une source de très grande frustration, en plus de se traduire par un
manque à gagner pour CPVA, car nous avions été obligés de maintenir un lit ouvert
depuis novembre 1991. Nous étions alors à la mi-mars 1992. Nous avions envoyé tous
les membres du groupe consultatif suivre une séance de formation d'une demi-journée
dispensée par le thérapeute en inhalothérapie de l'Hôpital général et par Liliane avant
le transfert de cette dernière au Centre de réadaptation Royal Ottawa. Et, par la suite,
je les avais tous envoyés recevoir une formation en succion pendant que Liliane était
au Centre de réadaptation Royal Ottawa. Or voilà que nous étions confrontés à un
autre délai d'au moins quelques semaines pendant lesquelles les membres de notre
personnel ne seraient toujours pas en mesure de pratiquer ce qu'ils avaient appris. Ceci
dit, nous sommes tout de même parvenus à profiter du délai pour inviter Liliane à
visiter le foyer de groupe à plusieurs reprises et ce pour des périodes de durée variable.
Ces visites nous ont permis de «faire l'essai» les uns des autres avant l'étape finale,
ainsi que de nous assurer que l'environnement physique était adéquat, avec quelques
réserves: comme le foyer de groupe a été rénové et qu'il n'est pas adapté à ses besoins,
Liliane est incapable d'entrer dans sa chambre lorsque sa chaise est équipée d'appuispieds.
Alors que la date prévue pour son congé de l'hôpital ne cessait d'approcher puis de
s'éloigner à nouveau, le personnel a commencé à s'inquiéter. Il était assez normal que
nos employés se
préoccupent des problèmes que poserait l'usage d'une technologie nouvelle et quelque
peu
intimidante. Le défi le plus délicat qui se posait à nous, néanmoins, avait trait à la
consigne de non- réanimation de Liliane.
Au cours de son entrevue d'admission, cette dernière nous avait informés qu'après
avoir été
réanimée à la suite d'une attaque et de l'asystolie qui s'en était suivie, la veille de Noël,
elle avait demandé qu'on émette une consigne de non-réanimation. Le personnel d'un
hôpital peut s'appuyer sur une longue expérience et sur des procédures établies pour
de telles consignes, mais nous n'avions pour notre part aucune expérience de ce genre
de choses. Les membres de notre personnel étaient résolus, si jamais le coeur de Liliane
s'arrêtait, à entamer de toute façon lesprocédures d'aide à la réanimation pulmonaire. Es
avaient très peur de ne pouvoir respecter ses désirs dans de telles circonstances. Liliane
est notre première cliente dont les chances de mourir subitement sont aussi immédiates;
d'autre part, elle avait exprimé le désir de mourir à la maison.
Le Conseil d'administration de CPVA estimait que, comme nous n'avions aucune
procédure établie, ni aucune expérience de ce genre de situation, il serait utile d'avoir une
consigne d'un médecin. Le médecin de Liliane était prêt à se rendre à ce désir. Il rédigea
donc une consigne, à la bonne franquette, en utilisant son carnet d'ordonnances habituel.
Cette consigne est, sans contredit, l'une des «notes de service» les plus étranges qui ait
jamais circulé à une réunion de notre Conseil d'administration!
Le 14 avril, jour où Liliane obtint enfin son congé de l'hôpital, voici ce qui avait été fait :
1) Les membres de notre personnel avaient reçu une formation dans les domaines suivants
:
- la physiologie de la ventilation mécanique
- le nettoyage du respirateur
- le nettoyage de l'humidificateur
- le remplacement des filtres
- le nettoyage des circuits
- la succion trachéale
- les soins stomates (au site de trachéotomie et au site pneumoencéphalographie.
- la suspension de solutions intraveineuses et d'osmolyte (les
changements des tubulures sont effectués par les infirmières de
l'Ordre de Victoria).
2) Un vendeur commercial nous avait livré un respirateur de secours et un appareil de
succion
portatif, un appareil GOMCO;
3) On avait pris des dispositions pour assurer des visites d'infirmières de l'Ordre de Victoria
(surtout pour la supervision);
4) La centrale du service ambulancier avait été avisée de la venue de Liliane dans notre
communauté;
5) Une provision de solutions intraveineuses et d'osmolyte nous avait été livrée;
6) Liliane avait fait l'achat de meubles et effets personnels;
7) Notre horaire prévoyait l'entrée en fonction de nouveaux membres du personnel
pendant la
semaine prévue pour l'emménagement de Liliane (cette mesure est d'usage lorsque nous
recevons un nouveau locataire);
8) Le Conseil d'administration avait mis en oeuvre une nouvelle politique non-fumeurs :
l'expérience était difficile à vivre pour certains locataires à qui on ne permettait plus de
fumer dans le foyer de groupe.
CHANGEMENTS APPORTÉS À LA LOI SUR LES PROFESSIONS DE LA
SANTÉ
REGLEMENTEES DE L'ONTARIO
Le 1er janvier 1994, ce qu'on connaissait jusque là sous le nom de Loi sur les sciences
de la santé subissait des changements considérables. Vingt-deux nouvelles disciplines
venaient s'ajouter à la liste comprise dans le texte de la Loi, dont l'inhalothérapie et
l'hygiène bucco-dentaire.
Ces changements coïncidaient avec l'élaboration, par la province, de normes et lignes
directrices destinées aux travailleurs formés à l'aide personnelle. Ces travailleurs
formaient désormais une vaste catégorie regroupant les auxiliaires, les auxiliaires
familiaux et les aides soignants. Le gouvernement s'est engagé à financer la formation
de ces travailleurs. Il y a lieu de croire qu'on demandera aux Conseils régionaux de
santé d'allouer spécifiquement une partie de leur budget à la formation dans ce
domaine.
Au cours du processus d'élaboration et de consultation relatif à la nouvelle loi, les
défenseurs des droits des consommateurs handicapés physiques ont réussi à
convaincre le gouvernement que certaines activités qui devaient tomber sous le coup de
la nouvelle loi à titre «d'actes contrôlés» ne devraient pas, en fait, être considérées
comme tels lorsqu'elles étaient menées dans le cadre de la dispensation de soins
physiques de routine à une personne handicapée.
Un document préparatoire rendu public à l'automne 1993 décrivait les circonstances
dans
lesquelles un acte contrôlé pouvait être exempté à titre «d'activité faisant partie de la vie
de tous les jours».
Même si la discussion entourant ces activités se poursuit, ce document devrait
beaucoup contribuer à aider des organismes comme le nôtre à étendre leur gamme de
services pour y inclure les utilisateurs d'appareils de respiration. Il contient les
premières directives provinciales jamais émises pour ce genre de services et, pour la
première fois, nous disposons d'un document qui énonce et reconnaît les
responsabilités respectives du client, du travailleur et de l'employeur, lequel peut être
la même personne que le client. Il ouvre la voie aux projets pilotes en financement
direct du consommateur qui seront bientôt lancés et que les groupes d'intervention
ontariens réclament déjà depuis plusieurs années.
Le document établit également une distinction claire entre le client responsable des
soins sous tous leurs aspects, et qui est par là-même en mesure de juger que l'activité
appartient à la catégorie des activités faisant partie de la vie de tous les jours, et le
client qui ne l'est pas, de sorte qu'un professionnel doit juger à sa place du caractère
routinier des activités en question. Cet élément particulier du document provisoire
devrait aider à faire la lumière sur les problèmes qui continuent à entourer la question
de savoir «qui est responsable quand quelque chose va de travers?». On pourrait dire
que le manque de clarté à cet égard a eu pour effet que plusieurs consommateurs n'ont
pu accéder à des services communautaires, alors même que plusieurs organismes se
voyaient, pour leur part, empêchés de dispenser des services à un plus grand nombre
de consommateurs qui requièrent des soins intensifs.
«Je contrôle à nouveau ma vie. En tant que bénéficiaire de soins auxiliaires, c'est moi
qui supervise les services - ce qu'on ne peut pas faire quand on reçoit des soins
hospitaliers. Je me suis adressée à Computerwise et à la Fondation Neil Squire. Dès que
mon ordinateur personnel sera installé et que j'aurai rafraîchi mes compétences en
éditique, je veux lancer un bulletin destiné aux locataires de CPVA. Un jour, j'espère
réaliser mon objectif de créer un mouvement voué à la défense de la ventilation et de
la vie communautaire. En tant que membre du Conseil d'administration de CPVA, je
contribue à mettre sur pied CPVA III, le premier service auxiliaire pour utilisateurs de
soins intensifs de langue française en Ontario. CPVA III doit ouvrir ses portes en
1995. Je n'aurais jamais pu faire tout cela d'un lit d'hôpital.»
La région d'Ottawa-Carleton dispose de ressources extraordinaires pour mettre sur pied
un système communautaire de services aux utilisateurs de respirateurs. Les nouvelles
directives provinciales destinées aux travailleurs formés pour dispenser de l'aide
personnelle nous fournissent les structures dont nous avions grand besoin. Si la
proposition du Groupe de travail reçoit un accueil favorable, nous disposerons de
ressources financières plus appropriées. Nous avons d'excellentes chances d'atteindre
l'objectif que nous nous sommes fixé, qui est de rendre les services communautaires
plus accessibles.