Chapitre I : Le retour discret des loups

Transcription

Chapitre I : Le retour discret des loups
1
« Un agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure
Un loup survient à jeun qui cherchait aventure
Et que la faim en ces lieux attirait ».
Jean de La Fontaine (1621-1695),
Fables, Livre I, 10.
2
Il y a beaucoup de monde que je souhaiterais remercier pour m’avoir aidé ou soutenu
(ou les deux) pendant que je travaillais sur les loups, un sujet qui par ailleurs fait toujours rire
ceux à qui j’en parle.
Je remercie tout d’abord ceux qui m’ont aidé dans la relecture avec leurs conseils
avisés : mes parents, qui ont toujours écouté avec attention et bienveillance les obscurs récits
des Alpes-Maritimes que je leur faisais. Il y a aussi Gaëlle, qui m’a aidé à la relecture, bien
qu’elle eût fort à faire pour préparer ses examens du second semestre (j’espère qu’elle le
validera !).
Je tiens aussi à remercier mon Tonton Hervé, qui m’a accueilli durant tout le temps
que j’ai passé dans les Alpes-Maritimes (à Mandelieu, pour être précis) et a été si gentil, mais
c’est une habitude chez lui. Je remercie aussi son amie Franca, qui a été adorable elle aussi, et
qui est un fin cordon-bleu.
Bien entendu, je remercie Monsieur Richard, dont les conseils m’ont été
indispensables, et qui est toujours disponible pour répondre aux graves questions qui se
posent à nous. Il faut aussi rappeler que c’est lui qui m’a encouragé à choisir ce sujet, puisque
j’hésitais entre les loups et la Guerre d’Espagne, qui faisait tout de même plus sérieux.
Je remercie également toute l’équipe de la bibliothèque des Champs Libres de Rennes,
dont l’efficacité n’a d’égale que la gentillesse, toujours prête à rendre service aux étudiants
paniqués. Je remercie aussi l’équipe de la bibliothèque municipale de Cannes.
Enfin, je ne peux pas conclure ces remerciements sans y inclure Mr Daniel Chevallier,
qui m’a fait parvenir avec une grande rapidité une longue communication manuscrite qui me
donnait son sentiment à propos des loups et qui m’a été très utile.
Je ne peux pas non plus oublier Mr Daniel Spagnou et son assistant Antoine
Lanfranchi, qui m’ont accueilli avec beaucoup d’amabilité dans les bâtiments de l’Assemblée
Nationale, ont été très disponibles, ont manifesté de l’intérêt pour mon travail, et Monsieur
Spagnou m’a été d’une grande utilité pour mon travail, me permettant in extremis d’éclaircir
certains points douteux.
3
Sommaire :
Introduction………………………………………………………………………………...p 5.
Chapitre I : Le retour discret des loups (1992-1993)…………………………………...p 10.
Chapitre II : L’économie Montagnarde des Alpes à la fin du XXème siècle……........p 23.
Chapitre III : Les tensions croissantes (1994-1995)……………………………….........p 32.
Chapitre IV : Approche pragmatique du problème avec Corinne Lepage
(1995-1997)………………………………………………………………………………...p 47.
Chapitre V : Quand on parle du loup : le ministère de Dominique Voynet
(1997-2001)……………………………………………………………………………..…p 56.
Chapitre VI : De l’après Voynet à la commission d’enquête parlementaire sur la
présence du loup en France et le Plan Loup (2001-2004)………………………………p 80.
Conclusion :……………………………………………………………………………...p 100.
4
Introduction :
Ce mémoire d’Histoire est consacré aux loups. Plus précisément, comme l’indique le
titre, à leur retour en France, environ 60 ans après qu’ils eussent disparu, chassés à outrance.
Ce retour provoqua des débats très nombreux et très violents, opposant les écologistes, l’Etat,
les chasseurs, les éleveurs, les bergers, sans que les loups en fussent le moins du monde
troublés. Ces débats furent si importants dans les régions où les loups étaient revenus qu’ils
justifient la rédaction d’un mémoire. C’est surtout sur cet aspect polémique que nous
pencherons. Nous tenterons de montrer les problèmes générés par le retour des loups, et de
dresser un panorama des débats qui surgirent, et qui allèrent de l’affirmation souvent
obsessionnelle selon laquelle l’animal était revenu artificiellement, réintroduit par des esprits
malins, à une guerre des chiffres et des reproches mutuels où tous les coups semblèrent
permis.
J’ai choisi comme horizon temporel les années 1992-2004, soit douze années, de la
première observation d’un couple de loups dans le Mercantour par des gardes-moniteurs du
parc, à la publication du Plan gouvernemental pour le Loup 2004-2008. La première date, qui
pourrait paraître logique, ne l’est pas tant que cela : il n’est pas prouvé que les loups
n’arrivèrent pas un an ou deux avant . Surtout, cette découverte fut gardée secrète par
l’administration du parc durant presque sept mois, jusqu’à la mi-avril 1993, qui aurait pu tout
aussi bien servir de date de départ. J’ai choisi 1992 parce que ces sept mois de silence furent
passés en vérifications et relevés sur le terrain, qu’il ne fallait pas oublier, même si on en
parlera finalement assez peu dans ce mémoire. En fait, 1992 est appropriée parce que
l’administration du Mercantour, s’attendant à un retour probable des loups chez eux, fit
quelques démarches de préparation à ce retour. Pourquoi 2004, maintenant ? Au début, je
pensais proposer 1999 comme date de fin. Mais je m’aperçus assez vite que c’était idiot. Les
débats persistaient longtemps après, et le rapport Honde-Chevallier publié cette année-là ne
régla rien du tout, il fut enterré. Je décidai de poursuivre jusqu’en 2003, date de la publication
du second rapport parlementaire sur le sujet, écrit par Daniel Spagnou. C’était une date plus
logique, parce qu’on constate que les débats se firent moins vifs par la suite. Mais en
rédigeant le dernier chapitre, je considérai qu’il fallait inclure le Plan gouvernemental sur le
Loup 2004-2008, car il fut en grande partie la transposition (atténuée ?) des préconisations du
5
rapport Spagnou. Comme je développais quelques paragraphes sur ce Plan Loup, je décidai de
d’inclure 2004 dans mon mémoire.
Pourquoi ce sujet est-il intéressant ? D’abord parce qu’il aborde un thème assez peu
ordinaire, celui des animaux dans l’Histoire. L’Histoire des Animaux, ou zoohistoire, est une
branche récente de la science historique ; je consacrerai quelques pages à l’Histoire des loups
en France. N’y voyons pas une originalité trépidante de ma part. L’Histoire des loups est à la
mode. Jean-Marc Moriceau, éminent moderniste et spécialiste du monde rural sous l’Ancien
Régime, a écrit plusieurs livres et dirige au moins une thèse sur le sujet, celle de Julien
Alleau.
Au-delà de l’effet de mode, le sujet des débats relatifs aux loups pose plusieurs
questions. Tout d’abord, pourquoi une telle virulence dans les débats ? On verra qu’il y eut
des attentats, inoffensifs, certes, mais tout de même. On apportera plusieurs éléments de
réponses à cette première interrogation.
Le sujet questionne également sur le rapport que notre société entretient avec la nature.
Rapport étonnant, de quelque côté que l’on se place. La simple arrivée d’un loup (en fait deux
mais cela ne change rien à mon propos) y suscita l’enthousiasme immodéré de certains et le
rejet tout aussi immodéré d’autres. Même si ces réactions avaient quelques fondements
rationnels, elles pourraient révéler une société si urbanisée que partout le retour discret du
« sauvage », symbolisé par le loup, y est ressenti de façon très forte.
Le retour des loups et les dégâts qu’ils provoquèrent était un sujet somme toute
secondaire, au regard des nombreux problèmes accablant la filière ovine et des menaces
terribles qui pèsent sur l’équilibre écologique de la planète. Pourquoi alors suscita-t-il autant
de passion, de crispation et de mauvaise foi obstinée ? Ce qui nous amènera à nous demander
comment les débats se sont apaisés, à moins qu’ils ne soient qu’assoupis, vers le milieu des
années 2000.
Quelles sont les sources que j’ai utilisées pour ce mémoire ? Elles sont relativement
nombreuses, mais on verra dans la conclusion que je n’ai pas toujours pu les exploiter à fond.
Je me limiterai ici à présenter leur intérêt respectif.
Commençons par la presse. La première source que j’utilisai fut Terre Sauvage,
mensuel écologiste que je critiquerai à de nombreuses reprises pour les imprécisions et les à
peu près dont il est coutumier, agaçants quand on veut établir une chronologie précise des
événements. Mais il serait injuste de la reprocher à ce magazine, qui n’est pas conçu comme
6
un magazine d’investigation, mais comme un magazine d’évasion, avec des photos
magnifiques et des destinations insolites (ce n’est pas un hasard si j’ai mis autant de temps à
l’étudier alors que c’est un mensuel). Il m’a surtout servi comme révélateur de l’opinion des
écologistes sur la question des loups, via ses articles, parfois très brefs, et son courrier des
lecteurs, très fourni, et dans lequel on trouve des perles savoureuses.
Le Monde m’a été moins utile. Y chercher sur une période de douze ans les articles
consacrés aux loups dans les Alpes est fastidieux et ingrat : c’est vouloir trouver l’aiguille
dans la meule de foin. Mais c’est justement en cela qu’il a été utile : il montre à quels
moments le débat sur les loups franchit les frontières de la Provence et du Dauphiné pour
atteindre Paris. Il ouvre des perspectives : c’est lui qui m’a suggéré la convergence des débats
autour du monde rural lors de la discussion de la loi sur la chasse en 2000. Il n’est d’ailleurs
vraiment utile que pour la période 1997-2000, même si des articles m’ont certainement
échappé.
Nice Matin, en revanche fut pour moi une véritable mine. Il traita avec constance du
problème des loups, et me permit d’établir une chronologie au jour près, ce qui n’était pas
possible avec Terre Sauvage. En revanche, on peut discuter de l’orientation du journal. Selon
les écologistes, il était anti-loup. C’est à se demander si on n’est pas anti-loup dès qu’on ne dit
pas que les éleveurs sont des imbéciles. S’il est vrai que certains journalistes pouvaient être
catalogués sinon anti-loups, du moins complaisants envers les éleveurs (ce n’est pas la même
chose), d’autres me semblent avoir fait preuve d’une véritable sérénité par rapport au
problème. De toute façon, Nice Matin a par la force des choses été ma source principale, bien
que n’étant resté qu’une semaine dans les Alpes-Maritimes (j’ai fait beaucoup de
photocopies), parce qu’il était le seul à donner une chronologie précise.
Les autres sources qui m’ont été très utiles sont les deux gros volumes de rapports
d’auditions parlementaires effectuées par la commission d’enquête de 2002-2003 sur la
présence du loup en France, qui seront référencés AP825 dans ce mémoire. Ils m’ont permis
de compléter les lacunes de ma chronologie (je n’ai pas eu le temps d’étudier tout Nice
Matin), de multiplier les citations, de connaître le point de vue de la plupart des acteurs-clés
de ces douze années de débats : les directeurs successifs du parc du Mercantour, les auteurs de
rapports, Dominique Voynet, Corinne Lepage, Christian Estrosi, les professionnels du secteur
ovin et les associations écologistes. Ces auditions ont permis de confirmer ou de nuancer ce
que j’avais trouvé ailleurs. C’est une mine d’informations, mais d’un usage difficile, car je ne
les avais que via Internet, sans numérotation des pages.
7
J’ai également beaucoup utilisé les deux rapports parlementaires écrits sur la question,
celui de Daniel Chevallier (1999) et celui de Daniel Spagnou (2003). Tous les deux sont
intéressants, en ce qu’ils révèlent les préoccupations de la représentation nationale pour le
secteur ovin. Ils donnent des chiffres fiables, parfois en contradiction avec ce qu’on trouve
dans la presse (dans ce cas j’ai privilégié les chiffres donnés par les rapports). Ils présentent
aussi les solutions proposées pour tenter de résoudre le conflit des loups, ce qui est
absolument essentiel, puisque c’est celles qui seront mises en place par la suite. Ils donnent
également un point de vue dégagé de tout romantisme, généralement assez dur envers les
associations de protection de protection de la nature (plus le 2ème que le 1er).
Je me suis beaucoup servi du rapport LIFE-Loup de Mai 2000, que j’ai trouvé sur
Internet en format PDF, qui donne un panorama exhaustif de la situation des loups à cette date
(répartition, braconnage…), et donne de nombreuses données techniques sur les mesures de
prévention des attaques sur les troupeaux. On regrettera cependant que le rapport ne donne
aucune donnée quant à son coût global et la répartition des financements.
Enfin, je me suis servi de façon très marginale de comptes-rendus de débats
parlementaires, pour le débat sur la chasse et pour l’adoption de la proposition de résolution
créant la commission d’enquête de 2003. J’ai également complété quelques informations
grâce aux articles en ligne de l’Humanité et de l’Express.
Le plan adopté comporte six chapitres, découpés de façon chronologique, représentant
les différentes phases des débats relatifs aux loups.
Le premier chapitre est presque un chapitre d’exposition, présentant une Histoire très
succincte des loups du Néolithique à nos jours (sur 1 page…), et le récit de l’arrivée des loups
en France, avec le contexte favorable qui permet de l’expliquer.
Le deuxième chapitre est le seul chapitre entièrement descriptif du mémoire. Il
présente l’économie dans le Haut Pays des Alpes-Maritimes, là où les loups revinrent,
économie reposant globalement sur deux piliers, l’élevage ovin (souvent transhumant) et le
tourisme.
Les chapitres III, IV et V forment un ensemble, et décrivent le crescendo des tensions
autour de la présence des loups entre 1994 et 2001. Les loups n’aidaient pas leurs défenseurs,
puisque leurs prédations augmentèrent de façon notable durant toute la période. La première
période, en 1994-1995, est celle d’une contestation radicale des loups, mais limitée aux
Alpes-Maritimes et bon enfant, si l’on peut dire. Elle se limite à des manifestations répétées et
8
à la présentation de doléances aux élus. La deuxième période, en 1995-1997, délimitée par les
élections municipales de 1995 et législatives de 1997, marque un durcissement très net du
conflit, qui prit la voie judiciaire, et conduisit à l’intervention plus marquée des associations et
à la défense des loups par la préfecture et les administrations déconcentrées. La troisième
période, l’ère Voynet, de 1997 à 2001, marque l’acmé de ce qu’on pourrait presque appeler la
« guerre des loups », avec une radicalisation de tous les acteurs, des divisions parmi les
associations de défense de la nature et les opposants aux loups, l’intervention d’acteurs
nationaux comme la Fédération Nationale Ovine (FNO), des députés et une ministre.
Le chapitre VI, de 2001 à 2004, retrace les prémices d’un apaisement du conflit,
portées par une véritable mise à l’agenda politique du problème, avec la création d’une
commission d’enquête.
9
Chapitre I : Le retour discret des loups : (1992-1993)
I- A propos des loups :
Il est tout à fait envisageable d’écrire une histoire des loups. En fait, il est tout à fait
envisageable d’écrire une Histoire de n’importe quel animal. C’est ce qu’avait montré le
professeur Robert Delort, médiéviste à Paris VIII et à l’Université de Lausanne, dans son livre
Les Animaux ont une Histoire1. Il y met en évidence un fait que les Anciens connaissaient,
notamment Aristote et Pline l’Ancien, mais occulté par la zoologie moderne : l’existence
d’une espèce animale n’est pas un processus linéaire. Même un invertébré comme le lombric
a une Histoire, car il est sensible aux variations du milieu naturel ; les glaciations successives
ont fait évoluer son aire de répartition et les changements de la couverture végétale ont fait
évoluer son aire de répartition2.
Les animaux plus évolués que sont les oiseaux et les mammifères ont une Histoire plus
riche, même si elle ne peut évidemment pas prétendre au dixième de la complexité de
l’Histoire humaine. Leur morphologie change, leur adaptabilité peut les entraîner dans des
migrations et des colonisations par grandes vagues. Le cas le plus effrayant est celui du rat
d’égout, envahissant l’Europe à partir de 1727, quand des millions de ces rongeurs agressifs
franchissent la Volga à hauteur d’Astrakhan, chassées par quelque mystérieux événement3.
Mais le facteur le plus important de l’Histoire des animaux est le facteur humain.
L’Homme exploite les animaux de multiples façons, de la cueillette à l’élevage en batterie, en
passant par la chasse, l’élevage en plein air, l’utilisation contre un autre animal (les chats
contre les rongeurs ou les renards importés en Australie contre les lapins, avec le succès que
l’on sait), ou le simple agrément.
Pour Robert Delort, l’Histoire des loups est celle d’une lutte millénaire avec les
Hommes, qui entraîne une charge symbolique incroyable sur le loup4. Ils ont de nombreux
points communs : une organisation sociale développée et un régime alimentaire proche, pour
leur plus grand malheur. Pendant des siècles, la lutte a été à peu près équilibrée : les guerres
entre les Hommes et le manque d’armes à feu permettaient aux loups de ne pas trop souffrir
de la chasse.
1
Robert DELORT, Les Animaux ont une Histoire, Paris, Seuil, 1986.
Ibid p 112-113.
3
Ibid p110-112.
4
Ibid p 319-325.
2
10
Mais à partir du deuxième quart du XIXème siècle, une conjonction de facteurs va
donner la victoire aux hommes : la Révolution Française libéralisa le port des armes à feu et le
droit de chasse. Rappelons que depuis un édit de Charles VI le Fou (1380-1422) et le Code
Henri III (1574-1589), la chasse aux loups était ouverte à tous, mais sans fusil elle était
difficile. Dans le même temps, les campagnes atteignirent leur apogée démographique et
furent désenclavées par l’ouverture d’innombrables routes et chemins vicinaux. Mais surtout,
l’Etat mit en place une véritable politique volontariste d’éradication des loups, par l’octroi de
primes très élevées (jusqu’à 200 francs) pour chaque loup tué. Cette politique pouvait
d’ailleurs se comprendre : le XIXème siècle est l’apogée de l’épidémie de rage, dont les loups
sont d’importants vecteurs5.
Les derniers loups disparurent de France, de Suisse, d’Allemagne, du Benelux et de
l’Autriche au début du XXème siècle. Des populations subsistèrent dans les pays les plus
pauvres, agités de soubresauts politiques (Espagne, Yougoslavie, Roumanie…) ou très
« arriérés » (Italie du Sud, Russie…). On ne s’accorde pas sur le lieu et la date du dernier loup
abattu en France, ce qui conduit les ouvrages les plus fouillés à ne pas donner de date précise.
Mais à l’occasion du retour des loups en France en 1993, on put trouver dans la presse 1927,
1937, 1942 ou 1954, les départements de l’Allier, de Corrèze, des Vosges et de l’Aveyron 6.
Ces différences sont probablement dues à l’extrême difficulté d’exploiter la masse colossale
des archives municipales.
Ainsi, en Europe occidentale, deux foyers de populations de loups subsistèrent entre
1930 et 1980 environ. Dans le tiers Nord-Ouest de la péninsule ibérique, des populations
relativement importantes se maintinrent, ne descendant pas en-dessous de 700 individus
environ, en dépit d’une chasse autorisée. Dans les Abruzzes, la centaine de loups qui survécut
se nourrissait des sangliers et des rats qui peuplaient les décharges (le problème des ordures
dans l’Italie du Sud n’est visiblement pas nouveau). Il semble qu’on ait dû à plusieurs reprises
les ravitailler par hélicoptère, car ils étaient trop nombreux par rapport aux ressources
alimentaires disponibles. La pression démographique pourrait d’ailleurs expliquer le
dynamisme de leur colonisation vers le Nord. Ils furent d’ailleurs protégés en Italie dès 1973.
En dépit d’un braconnage persistant mais toléré par les autorités italiennes parce que
5
Geneviève CARBONE, La peur du loup, Paris, Découvertes Gallimard, 1991 réed.2004, pp 73-80
Robert
DELORT, op.cit, pp 338-341.
6
« Des loups sur le balcon de la côte », Nice-Matin, 14/04/1993, dernière page ; « Bienvenue au loup il revient
en France », Terre Sauvage, n°73, 05/1993, pp 24-42 ; Daniel Chevallier, Rapport d’information sur la présence
du loup en France, Paris, 1999.
11
superficiel, les loups des Abruzzes recolonisèrent les Monts Apennins dans les années 1970,
puis la Ligurie, au Nord-est de Gênes, vers 19857.
De là, ils arrivèrent en France, dans le parc national du Mercantour, probablement un
peu avant 1992, pour le début de leurs ennuis.
Il ne faut pas s’étonner des sauts que semblent effectuer les loups quand ils colonisent
de nouveaux territoires. Ce sont des animaux furtifs, qui peuvent parcourir plusieurs centaines
de kilomètres en une journée, et qui errent dans un large périmètre avant de s’établir dans un
territoire qui leur convienne. On peut difficilement détecter leur présence sur des lieux qu’ils
traversent, à moins qu’il y ait prédation et qu’elle soit connue. Ils nagent bien, ne craignent
pas de traverser des routes, des autoroutes et les périphéries des villes, où l’on peut les
confondre avec des chiens. Sauf s’ils sont écrasés et qu’on les identifie comme des loups8.
Ils atteignirent probablement le Mercantour vers 1990 ou 1991. Si tel était le cas, cela
permettrait d’expliquer la chute des populations de mouflons dans le massif de Mollières. Ce
fut d’ailleurs dans ce massif de Mollières que deux gardes-moniteurs du parc national du
Mercantour repérèrent deux animaux qu’ils identifièrent comme étant des loups le 5
Novembre 1992, lors d’un comptage d’ongulés.
Il fallut recueillir des preuves pour pouvoir confirmer l’identité de ces animaux. Ce fut
d’ailleurs la raison invoquée par Denis Granjean, le directeur du parc entre 1989 et 1993, pour
maintenir cette information secrète, ce qui lui a été par la suite reproché, notamment par
Christian Estrosi, député RPR (Rassemblement Pour la République) des Alpes-Maritimes et
farouche adversaire des loups, que nous retrouverons à de nombreuses reprises. Il considérait
que maintenir le secret était un manque total de transparence et de démocratie, qui le mettait
lui et ses administrés au pied du mur.
Une fois confirmée par les analyses de poils et d’excréments (collectés sur des
centaines d’hectares), la présence des loups fut révélée à la presse. Le magazine Terre
Sauvage fut le premier à en faire part9. On a beaucoup spéculé sur la nature de ce scoop : fuite
ou révélation organisée par le ministère de l’Environnement ? Il n’y avait pas matière à
7
Auditions de la commission d’enquête parlementaire sur les conditions de la présence du loup en France et
l’exercice du pastoralisme de montagne pour le rapport n°825, (on signalera ultérieurement cette source par
l’abréviation AP 825) Paris, 2003, audition de Luigi Boitani, table ronde réunissant les présidents des parcs
nationaux italiens.
8
Geneviève CARBONE, op.cit., pp 47-67.
9
TS, op.cit., n°73.
12
spéculation, c’était une stratégie de communication organisée par le parc du Mercantour10.
D’ailleurs, les journalistes étaient accompagnés de gardes-moniteurs du parc lors de leur
10
AP 825, audition de Denis Granjean.
13
visite. Ensuite, après Terre Sauvage, Nice-Matin, puis deux jours plus tard la presse
nationale11 annoncèrent le « retour naturel » des loups en France.
Cette présence fut confirmée par l’observation de deux loups le 24 Août 1993, peutêtre les mêmes. Le cadavre d’un troisième avait été retrouvé en Juillet, tué par une avalanche
durant l’hiver12.
II- Un contexte favorable :
A) Les circonstances favorables au retour des loups :
- Déclin démographique des campagnes de France :
A partir des années 1960, il y eut une mécanisation accélérée de l’agriculture dans les
pays industrialisés et les exigences de rendements augmentèrent. Ce fut particulièrement vrai
en France, avec l’instauration de la PAC (Politique Agricole Commune) en 1962.
L’agriculture devenant une industrie, et les pouvoirs publics désirant parvenir à
l’autosuffisance alimentaire (le spectre des restrictions durant la Seconde Guerre Mondiale),
les campagnes furent bouleversées. L’alignement des prix au niveau national, par exemple,
provoqua des perturbations importantes : le lait produit en montagne perdit toute sa
compétitivité par rapport au lait produit en Bretagne. Il y eut une forte diminution du nombre
de paysans, qui reçurent le qualificatif d’exploitants agricoles dans la nomenclature des
Catégories Socioprofessionnelles (CSP). La taille des exploitations augmenta dans certaines
régions, ce qui entraîna la destruction d’une partie du bocage dans l’Ouest, aux conséquences
néfastes, mais corrigées depuis par un remembrement initié par les fédérations de chasseurs.
Les zones les moins productives furent abandonnées, comme les piémonts et a fortiori les
zones de montagne, le choix était fait de l’agriculture intensive plutôt qu’extensive. Dans les
régions abandonnées, les friches s’accrurent. Et la couverture forestière, scrupuleusement
gérée en France depuis le règne de Louis XIV, poursuivit durant tout le XXème siècle une
progression lente mais continue. Selon Daniel Chevallier, le député socialiste des HautesAlpes qui a rédigé le rapport d’information parlementaire sur le loup, la friche et la forêt
représentaient en 1999 25 à 30% du territoire national soit « […] une surface égale au
Moyen-Age 13». Le tableau ci-dessous donne des chiffres significatifs de ces bouleversements
des campagnes.
11
Voir notamment Le Monde, 16/04/1993, p12, encadré en bas de page.
« Loups du Mercantour : implantation confirmée », NM, 20/09/1993, dernière page.
13
Daniel CHEVALLIER, Rapport d’information sur la présence du loup en France, Paris, 1999.
12
14
Les bouleversements des campagnes entre 1945 et 1998 :
Nombre d’exploitations Surface
1945 :
agricole Population
agricoles :
utilisée :
agricole :
2, 286 millions.
80 ares/habitant.
5,3 millions.
active Population rurale :
18 millions (41,4%
de
la
population
totale).
1998 :
0,75 million.
50 ares/habitant.
0,9 million.
14,3 millions (23,5%
de
la
population
totale)
(Chiffres tirés du livre CPNT, entre écologisme et poujadisme, Céline Vivent, l’Hartmann
2005).
- Accroissement mondial des populations de loups :
Le contexte agricole mentionné plus haut était éminemment favorable à une
recolonisation par les loups. Conjugué au contexte de prise de conscience écologiste auquel le
paragraphe suivant est consacré, il permet d’expliquer l’expansion générale des populations
de loups en Europe et en Amérique du Nord, après un minimum historique dans les années
1950-1960.
En 1994, des loups revinrent s’installer dans le parc national de Yellowstone aux
Etats-Unis (Wyoming)14. La même année, la Croatie annonça qu’il y avait des loups établis
sur son territoire, ce qui ne s’était pas produit depuis 50 ans. Les populations de loups étaient
également en progression en Scandinavie, ce que les Scandinaves ressentaient comme une
bonne nouvelle, « […] sensibilisés » à cette présence15 ».
Il convient de signaler que ce n’était pas un phénomène propre aux loups. A
l’exception des ours des Pyrénées, tous les grands carnivores d’Europe virent se relâcher la
pression humaine sur eux. Les lynx, réintroduits en Suisse en 1971 et dans les Vosges en 1983
purent se maintenir et s’étendre rapidement à tout le Jura. Les ours d’Espagne, protégés
comme ceux d’Italie, devinrent suffisamment nombreux pour causer des problèmes de
voisinage avec les Hommes16.
14
TS, n°80, 01/1994.
« Après un siècle d’absence, ils sont revenus à Split »,TS, n°87, 09/1994.
16
« Osos en Asturias », El Pais ,4/05/2008.
15
15
On pourrait multiplier les exemples mais ce serait s’écarter de notre sujet.
B) Prise de conscience écologiste et protection des espèces animales :
Pendant que les bouleversements du monde rural provoquaient ce que l’historien
Henri Mendras a appelé « La fin des paysans », l’idée de protection de l’environnement et
l’écologie politique se développèrent (années 1960). Ce fut un processus idéologique double,
avec la candidature de René Dumont, un agronome tiers-mondiste qui alertait sur les dangers
démographiques, la « bombe P »17, comme acte fondateur.
L’écologie politique fut un produit de Mai-68 et des mouvements contestataires des
années 1970, qui s’institutionnalisa, avec beaucoup de réticences, comme parti politique dans
les années 1980. Elle développait les thèmes d’une insoutenabilité de la société industrielle
moderne, de la nécessité d’adopter un mode de vie plus conforme à la Nature, sachant que ces
deux concepts de Nature et de Culture ne peuvent pas être opposés. L’Homme est immergé
dans la Nature qu’il a façonnée. Il serait donc illusoire de chercher un retour à la Nature
originelle, ou primitive. Cette critique de la société moderne s’accompagne d’une volonté de
démocratiser ladite société : abandon de l’Etat-Nation au profit d’une communauté naturelle,
la région, et de l’Europe, critique de la bureaucratie. A propos de bureaucratie, rappelons que
les premières contestations anti-nucléaires se fondaient autant sur le manque de transparence
d’une technocratie coupée du peuple que sur les risques nucléaires en tant que tels. Tout ceci
forme un « naturalisme subversif »18, théorisé par un sociologue du nom de Serge Moscovici.
Il existe une autre forme de naturalisme, qualifiée de « naturalisme conservateur »19. Il
prône la préservation d’une Nature considérée comme vierge, à défendre des atteintes des
Hommes. Le principal théoricien de ce courant de pensée fut un autodidacte suisse réputé
pour ses peintures naturalistes appelé Robert Hainard (1906-1999), qui a influencé plusieurs
écologistes français, dont le principal fut Antoine Waechter, leader des Verts de 1988 à 1993
et leur candidat à l’élection présidentielle de 1988 (3,8%). Hainard appuie se réflexion sur une
coupure radicale entre Nature et Société, chacune étant légitime, mais la Nature doit être
protégée dans sa pureté originelle. Il s’agit d’un devoir moral. Ce discours est celui qui a le
plus influencé les associations de défense de l’environnement et les premières mesures
gouvernementales. On peut cependant estimer avec le politologue Jean Jacob que Hainard, en
dépit de son influence, n’a pas été lu in extenso par tout le monde. Il a des outrances que
17
P comme population.
Jean JACOB, Histoire de l’écologie politique, Albin Michel, 1999, Chapitre I.
19
Ibid. Chapitre II.
18
16
Jacob qualifie de « […] stupéfiantes »20, et c’est un euphémisme : « cruel ou pas, je suis
toujours persuadé de la nécessité d’une sélection [parmi les hommes] et je m’étonne qu’on
prenne tant de peine pour les débiles mentaux ou les drogués, par exemple »21. Son amour de
la Nature dégénère selon Jacob en une espèce de panthéisme qui considère que les instincts et
les comportements animaux se justifient même chez les Hommes.
Bien entendu, il est illusoire d’établir une division nette entre ces deux formes de
naturalisme. Qu’on en juge par ces deux exemples. Le Seigneur des Anneaux22 devint le
succès international que l’on sait à partir de la fin des années 1960. A la grande surprise du
très pondéré et conservateur professeur Tolkien, ce livre devint un des symboles de la
contestation post-soixante-huitarde, essentiellement dans les campus des Etats-Unis. Or il
recèle incontestablement un message écologiste ambivalent, qui peut à la fois le rapprocher du
naturalisme subversif et conservateur23. Pour la France, la figure du grand savant-explorateurhumaniste Théodore Monod (1902-2000) est à mon sens assez révélatrice à cet égard. Ces
engagements associatifs lui ont fait côtoyer Robert Hainard (au Rassemblement des
Opposants à la Chasse, ROC), mais sa réflexion philosophique emprunte beaucoup plus à la
spiritualité non-violente et prône une communion plus forte entre l’Homme et la Terre24.
- Les associations de protection de la Nature :
Les premières associations de protection de la Nature apparurent au XIXème siècle : la
Société Impériale Zoologique d’Acclimatation fut créée en 1854, la Société Protectrice des
Animaux (SPA) en 1845. Leur multiplication doit être datée des années 1960 et 1970. La
Fédération Française des Sociétés de Protection de la Nature (FFSPN) fut fondée en 1968,
sans aucun rapport avec le mois de Mai. Elle sera rebaptisée France Nature Environnement
(FNE) en 1990, nous en reparlerons. Il s’agit d’une fédération regroupant plusieurs milliers
d’associations de protection de la Nature en France. Parmi elles, on trouve l’Association de
Protection des Animaux Sauvages (ASPAS, 1983).
Ces associations se caractérisaient dans les années 1970 et 1980 par leur apolitisme et
leur méfiance à l’encontre des partis politiques. Ce qui est une caractéristique du naturalisme
conservateur. Tout comme la WWF (World Wildlife Fund, 1961), elles affirmèrent très vite
20
Ibid. Chapitre II.
Ibid. Citation de Robert Hainard tirée de Roland DE MILLER, Robert Hainard, peintre et philosophe de la
Nature, Sang de la Terre, 1987.
22
J.R.R TOLKIEN, Le Seigneur des Anneaux, 1954-1955.
23
Les Hobbits et leur pays ont fait rêver les hippies américains, tandis que les forêts des Ents rappellent la Nature
violée par l’industrie.
24
Théodore MONOD, Le chercheur d’absolu, Folio, 2000.
21
17
leur volonté de conserver et préserver les espèces menacées et les espaces naturels. Si
certaines se montrèrent modérées dans leur discours dès le début (WWF), d’autres comme
l’ASPAS se sont très vite fait remarquer pour leur intransigeance dans la protection des
espèces animales en général et des loups en particulier.
Quant aux Verts, leur fondation en 1984 suivit un long processus durant lequel la
nébuleuse écologiste admit la nécessité de fonder un parti politique. Mais la prédominance
d’un courant plus proche du naturalisme conservateur fit prévaloir l’idée d’un parti qui
refusait le clivage droite-gauche. Les Verts se positionnèrent à gauche après 1993, et la
marginalisation d’Antoine Waechter : c’était la victoire des membres issus du naturalisme
subversif : Yves Cochet, Dominique Voynet…25
- Les premières mesures de protection de l’environnement :
Jacques Chaban-Delmas, premier ministre gaulliste de 1969 à 1972, avait présenté en
1970 100 mesures pour l’environnement. Cet homme était sensible à une partie des
revendications révélées par Mai-68. Son projet de Nouvelle Société, présenté à l’Assemblée
Nationale le 18 Septembre 1969 en témoignait. Or, la crainte de la pollution sous toutes ses
formes était devenue un problème public dans tous les pays industrialisés, qui inquiétait
scientifiques et opinion. Le ministère de l’Environnement fut créé en Janvier 1971, très peu de
temps après l’Agence Américaine de Protection de l’Environnement (Décembre 1970). Le
poste échut à Robert Poujade, ministre délégué auprès du Premier Ministre. Poujade, né en
1928, était sensible aux questions environnementales mais il appela sa fonction le « ministère
de l’impossible : ses marges de manœuvre étaient relativement réduites et il devait s’occuper
de tout ce qui n’allait pas : assainissement des eaux, gestion des déchets, protection de l’air,
surveillance des littoraux dénaturés, réglementation des pesticides et des engrais, tout en
s’attaquant à des intérêts puissants comme les agriculteurs ou les promoteurs immobiliers.
En juillet 1976, la France vota la loi sur la protection de la Nature, dont l’article 1
dispose : « il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde du patrimoine naturel dans
lequel il vit »26. L’influence du naturalisme conservateur est palpable, ce qui n’est pas négatif ;
la loi permit la réduction de la pollution des eaux (qui devait être catastrophique compte-tenu
de leur état actuel) et la sauvegarde de plusieurs espèces animales, particulièrement les
flamants roses et les phoques-veaux.
25
26
Guillaume SAINTENY, Les Verts, PUF Que sais-je ?, 1994.
Loi n°76-629 du 10/07/1976 relative à la protection de la nature
18
La création des parcs nationaux fut un long processus entamé avant les années 1970.
Le premier parc national du monde fut celui de Yellowstone, fondé en 1872 par le général
Phil Sheridan, également connu pour son tristement célèbre « le seul bon Indien est un Indien
mort ». En 1959, le conseil économique et social des Nations-Unies recommanda la création
de parcs nationaux partout dans le monde, sur le modèle des Etats-Unis. La France suivit cette
recommandation (loi du 22 Juillet 1960), mais laissa les collectivités locales s’accorder entre
elles, ce qui fit durer assez longtemps certaines créations. Les 7 parcs nationaux de France
métropolitaine furent créés entre 1963 (Vanoise et Port-Cros) et 1979 (Mercantour). Notre
pays étant bien plus densément peuplé que le centre des USA, il était nécessaire d’intégrer les
activités humaines dans ces parcs, contrainte dont on fit un atout de valorisation touristique.
Par ailleurs, le maintien des activités humaines présentait un naturalisme ouvert et moins
crispé sur la question de la Nature vierge, et est un aspect des problèmes engendrés par les
loups, le principal.
Dernier élément de ces mesures de protection de l’environnement : la Convention de
Berne, signée en Septembre 1979. C’était un traité passé entre les états membres du Conseil
de l’Europe, « reconnaissant que la flore et la faune sauvage constituent un patrimoine
naturel d’une valeur esthétique, scientifique, culturelle, économique, récréative et intrinsèque
qu’il importe de préserver pour les générations futures »27 . Il était convenu de protéger les
espèces animales pour les maintenir à des niveaux écologiquement satisfaisants, avec « […]
une attention toute particulière aux espèces menacées d’extinction »28 . Chaque signataire
était tenu d’assurer dans sa législation ou sa réglementation nationale la protection des
espèces menacées citées dans les annexes de la convention. Le loup était un des animaux
mentionnés comme parmi les plus menacés (ce qui conduisit l’Espagne à émettre une réserve,
comme l’article 22 le permettait, avant de signer), mais la France ne le protégea pas avant
septembre 1993, quand sa présence fut confirmée29. Régulièrement invoqué par les syndicats
agricoles, l’article 9 prévoyait une possible régulation, « à condition qu’il n’existe pas d’autre
solution satisfaisante […] en cas de dommages importants aux cultures et au bétail30 ». La
directive Habitats n°92/143/CE du 21 Mai 1992 était la transposition en droit communautaire
de la convention de Berne31.
27
Convention de Berne du 19 septembre 1979, relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de
l’Europe, préambule.
28
Ibid. Article 1er.
29
Le comité permanent du Conseil de l’Europe l’y avait invité dès 1989.
30
Ibid. Aritcle 9§1.
31
AP 825, audition de Nicholas Hanley.
19
III- Premières réactions humaines :
A) Un retour attendu : l’administration du parc du Mercantour :
Au parc du Mercantour, on s’attendait à un retour imminent des loups. Denis Granjean
fit état en 2003 de nombreuses conversations que lui et son adjoint Patrick Le Meignan eurent
en 1989-1991 avec les autorités environnementales italiennes à ce sujet32.
Convaincu que les loups allaient revenir assez vite, il écrivit un courrier au ministère
de l’Environnement, direction de la nature et des paysages, le 14 avril 1992 : « actuellement,
il est impossible de prévoir à quel terme il y aura une forte probabilité de rencontrer des
loups sur notre territoire […] Mais des déplacements de grande amplitude de jeunes à la
recherche d’un territoire pourraient nous confronter à eux dès maintenant […] Quoi qu’il en
soit, il est nécessaire d’être préparé à l’éventualité de l’arrivée du loup et au cortège de
difficultés, notamment sociologiques qui l’accompagneront »33 . Suivaient des suppositions
avisées, Granjean craignant de fortes prédations sur les troupeaux de brebis, peu gardées et
occupant beaucoup de place, au détriment d’hypothétiques proies sauvages. Pour conclure,
ses services avaient élaboré des propositions judicieuses, puisque ce sont elles qui ont été
reprises, avec des variantes, jusqu’à aujourd’hui : rétention des troupeaux la nuit,
établissement de points d’eau, optimisation de l’espace, renforcement des populations de cerfs
et de chevreuils, constitution d’un fonds d’indemnisation des dégâts, information du public et
des bergers une fois le loup présent.
Il ne prévint pas les élus du conseil d’administration, qui apprirent le retour des loups
par la presse, ce qui explique en partie l’amertume d’Estrosi. Et ce courrier ne semble pas
avoir eu d’effet. Le directeur de la nature et des paysages de l’époque, Gilbert Simon, ne
semble pas en avoir eu connaissance34.
B) Un retour espéré : l’administration du parc et les écologistes :
Denis Granjean déclara lors de son audition que la plupart des employés du parc
étaient des écologistes convaincus35, ce qui n’a rien de particulièrement surprenant, qu’ils
étaient souvent membres d’associations, et qu’ils étaient ravis du retour des loups. De la
32
AP 825, audition de Denis Granjean et de Patrick Le Meignan.
Daniel SPAGNOU, Rapport d’enquête sur les conditions de la présence du loup en France et l’exercice du
pastoralisme de montagne, Paris, 2003. Annexe 5.
34
AP 825, audition de Gilbert Simon.
35
AP 825, audition de Denis Granjean.
33
20
même façon, les communications à la presse régionale, c'est-à-dire à Nice Matin, se
glorifièrent du retour des loups, « […] signe de la réussite écologique dont le parc du
Mercantour est synonyme (Patrick Le Meignan) »36 .
Quant aux écologistes de toute la France, la nouvelle fut pour eux une grande
satisfaction. Terre Sauvage est symptomatique à cet égard. La nouvelle fit les gros titres de
leur édition de Mai 1993 (parue en Avril) : « Bienvenue au loup, il revient en France ! »37 , et
eut droit à un très gros article de 18 pages. Il s’agissait de remplissage autour de très jolies
photos : le journaliste Antoine Peillon et la zoologue Geneviève Carbone (l’auteur du livre),
qui était à cette époque pigiste du magazine écrivirent chacun une contribution racontant la
même chose : comment ils étaient allés collecter poils et excréments dans le vallon de
Mollières en compagnie de gardes-moniteurs du parc. Le style de l’article renvoyait à une
dimension lyrique et romantique du naturalisme, espèce de communion entre l’Homme et la
Nature sauvage du Mercantour (une heure de Nice en voiture) : « pendant quelques minutes,
hors du temps, le vallon […] a été le paradis d’un couple de loups » « Paul est hanté par
l’idée qu’il est très proche des loups, qu’ils l’attendent presque » « [Ils] ont imprégné à
jamais le Mercantour d’une puissance magique, sauvage » etc.38.
Pour Terre Sauvage, dont les lecteurs furent très enthousiastes, la réapparition des
loups était le symbole et le principal événement d’une recolonisation de la France par les
espèces de carnivores. En Octobre 1993, Antoine Peillon écrivit un article à ce sujet : « la
France à belles dents, le retour des grands prédateurs »39, se réjouissant de la bonne santé des
lynx, chats sauvages, genettes (sa définition de grand prédateur est relative puisque les
genettes sont plus petites que les chats domestiques), loups, ours et révéla un enthousiasme
disproportionné en assimilant à ces espèces autochtones les chiens viverrins, des canidés
originaires de Mandchourie lâchés en URSS européenne pour leur fourrure et de là répandus
en Europe, et même les ratons-laveurs. A sa décharge, ces animaux sont toujours peu
nombreux et n’entraînent pas de déséquilibres écologiques.
C) Un retour raisonnablement craint : chasseurs et professionnels de l’élevage :
Le 15 avril 1993, soit le lendemain de son premier article sur les loups, Nice Matin
publia un article intitulé « Inquiétude dans les Alpages »40. Le syndicat des éleveurs ovins des
Alpes-Maritimes, par la voix de son président, René Faraut, s’y inquiétait de futures attaques
sur les troupeaux : « […] seront-ils intéressées par nos brebis ? […] Ce serait très grave car
36
NM, op.cit. 14/04/1993.
TS, op.cit. Une.
38
Toutes les citations sont extraites de TS, op.cit., n°73, 05/1993, pp 24-42.
39
« La France à belles dents, le retour des grands prédateurs », TS n°77 10/1993.
40
« Inquiétude dans les alpages », NM, 15/04/1993, p3.
37
21
déjà, chaque année, nous perdons 100 bêtes victimes des chiens errants »41. Le même journal
indique que le parc du Mercantour prend des mesures d’indemnisation et de prévention qui
satisfont dans une certaine mesure les bergers et les éleveurs42. Terre Sauvage le rapporta
également dans un bref article de Geneviève Carbone43.
Pour la fédération des chasseurs des Alpes-Maritimes, le retour des loups, « […]
retour naturel »44, était une bonne chose. Bernard Baudin, président de la fédération, qui
comptait 10 000 membres en 1993, se déclara disposé à collaborer aux enquêtes de terrain, et
nuança légèrement son propos en signalant que les lynx avaient stabilisé les populations de
gibier, ce qui risquait de se reproduire avec les loups.
En 1993, le retour des loups n’était pas un problème qui méritât la rédaction d’un
mémoire.
Chapitre II : L’économie montagnarde des Alpes à la fin du
XXème siècle :
Les loups ne revinrent pas dans un désert. Le Haut Pays des Alpes-Maritimes était une
région peu peuplée, moins de 5% du million d’habitants des Alpes-Maritimes, enclavée par un
41
Ibid.
« Loups du Mercantour : implantation confirmée », NM, 20/09/1993, dernière page ; « Le parc soigne ses
bergers », NM, 11/06/1994, p6.
43
« Le chant du loup. Le 3ème été du loup dans le Mercantour », TS n°96, 06/1995, p44.
44
NM, op.cit., 15/04/1993.
42
22
relief tourmenté qui ne laisse que peu de voies de communication vers le littoral. Mais
plusieurs activités y subsistaient.
Elle était classé zone de montagne par la Délégation à l’Aménagement du Territoire et
à l’Activité Régionale (DATAR, 1963), ce qui impliquait un effort de maintien des activités
économiques, des services publics et le développement des infrastructures dans une zone
fragile. Deux pôles d’activités étaient essentiels : l’élevage ovin et le tourisme dit « vert »,
parce qu’il est supposément plus écologiste, ce qui n’est pas très difficile par rapport au
tourisme de la Côte d’Azur. J’ajouterai un troisième point concernant la chasse, qui joue un
rôle important dans la région.
I- L’élevage ovin dans les Alpes :
A) Caractéristiques :
L’élevage ovin est la principale forme d’élevage dans les Alpes, et d’assez loin.
Pourtant, seule 45% de la viande ovine consommée en France est produite sur le territoire. Il y
a un élevage bovin (qui était dominant jusqu’au XXème siècle), caprin (parfois combiné à
l’ovin) et équin (très minoritaire). Le pastoralisme ovin est en majorité transhumant et
toujours extensif.
Les animaux sont élevés pour leur viande, ce qui a plusieurs conséquences : 1) les
troupeaux sont moins gardés parce qu’il n’y a pas besoin de les traire comme c’est le cas
lorsqu’ils sont élevés pour leur fromage, 2) la valeur ajoutée est faible voire nulle, 3)
conséquence du 2), il faut avoir beaucoup plus de bêtes pour atteindre les seuils de rentabilité.
La profession est très dépendante des subventions et souffre de la concurrence des moutons
d’Australie et de Nouvelle-Zélande, pays de grands espaces avec une production s’étalant sur
toute l’année (il y a plus de moutons que de Néo-Zélandais en Nouvelle-Zélande). Le tableau
ci-dessous résume en quelques chiffres la situation du pastoralisme alpin en général, pas
seulement dans les Alpes-Maritimes.
Tableau présentant la situation de l’élevage ovin dans les Alpes dans la décennie 1990 :
Nombre de moutons transhumants en 550 000.
région Provence-Alpes-Côte d’Azur :
23
Nombre
d’éleveurs
(pluriactivité 2500 (moyenne 220 bêtes).
comprise) :
Nombre de moutons (dans les Alpes- 60 000 en 1993, 85 000 en 1996.
Maritimes) :
Nombre d’éleveurs (dans les Alpes- 250 (moyenne 2400 bêtes).
Maritimes) :
Revenu moyen des exploitants agricoles 21 116€/an
dans les Alpes :
(30%
inférieur
à
la
moyenne nationale des exploitants
agricoles).
Ratio aide/revenu (élevage ovin) :
71%.
Charge animale moyenne (densité des 0,7 unité de gros bétail/hectare
troupeaux) :
(1,1 en moyenne nationale).
Prix au kilo de l’agneau élevé pour la 5,04€ en 2002, qui était une bonne
viande :
année
parce
que
les
moutons
originaires du Royaume-Uni étaient
interdits.
(Données issues de Daniel SPAGNOU, op.cit., sauf les troisième et quatrième lignes, issues
de Nice Matin, 15/04/1993, op.cit., et « les moutons en route vers les alpages », 26/06/1996).
On constate donc une grande fragilité de l’élevage ovin de montagne, fortement
subventionné, imposant aux éleveurs et aux bergers une forte charge de travail (entre 350 et
400 heures de travail par semaine en période d’estive)45. Pour autant, même si le chiffre
d’affaires généré était assez faible, 45 millions de francs en 1996 pour les Alpes-Maritimes
45
AP 825, table ronde réunissant des professionnels de l’élevage.
24
(6,86 millions €)46, l’élevage ovin en montagne est très important à plusieurs niveaux. Il
maintient une activité économique dans une région fragile, c’est donc qu’il a un rôle
important en termes d’aménagement du territoire. Surtout, son rôle écologique est essentiel.
Le pâturage entretient les paysages et limite la multiplication des herbes hautes qui favorisent
les avalanches. Cependant, l’entretien des alpages implique que les brebis ne soient pas trop
nombreuses et pas trop concentrées. Le zoologue Pierre Pfeffer, de renommée mondiale et
travaillant au Musée d’Histoire Naturelle de Paris déclara lors de son audition en 2003 : « […]
lorsque je siégeais au comité scientifique (du parc du Mercantour), le problème était soulevé
chaque année. Quand plus de 100 000 moutons sont lâchés le 1er Juin, à la fin Septembre les
pelouses sont rasées »47. Il voulait signaler ce qui était pour lui une absurdité : les parcs
naturels sont supposés destinés à défendre la faune sauvage mais on y lâche tant d’ovins
domestiques que les ongulés sauvages sont contraints à la diète. Cette remarque, juste dans
l’absolu, ne semble pas avoir été vérifiée empiriquement, car il ne semblait pas que les
ongulés sauvages souffrissent de cette cohabitation.
Pour résumer, en dépit de son faible impact économique et de sa fragilité, l’élevage
ovin extensif apparaît comme essentiel à la fois pour l’aménagement du territoire et la
prévention des catastrophes naturelles comme les avalanches. Le problème fut cependant vite
évident : les loups étaient revenus exactement là où ils étaient les plus gênants.
B) Où l’on remplace l’expression « comme un chien dans un jeu de quilles » par « comme un
loup dans les Alpes » :
Les troupeaux stationnés dans les pâturages des Alpes étaient souvent immenses, en
moyenne 1000 à 2000 bêtes, et mal gardées. La faible rentabilité de l’élevage de boucherie
empêchait d’embaucher un berger à moins de 1200 bêtes48. Un seul homme n’était pas
suffisant pour garder tant d’animaux de façon serrée. Tous les bergers auditionnés par la
commission reconnurent qu’ils perdaient au minimum 2% de leurs bêtes par estive 49. Ce qui
ne doit pas nous conduire à minorer les problèmes suscités par les loups. Comment expliquer
ces fortes pertes ? La nature de l’élevage joue à ce sujet un rôle important : destinées à la
boucherie, les moutons n’avaient pas à être rentrés chaque nuit pour la traite. Ce qui marque
la principale différence avec l’Italie et explique que les dégâts y soient très inférieurs à la
France. Les sangliers sont là-bas un problème incomparablement plus grave que les loups.
46
NM, 26/06/1996, op.cit., p6.
AP 825, audition de Pierre Pfeffer.
48
Daniel SPAGNOU, op.cit., pp60-70.
49
AP 825, audition de Raymond Selva.
47
25
La pratique pastorale était idéale pour les loups, qui s’en aperçurent très vite puisqu’il
y eut des prédations dès 1993. Les loups chassent de la même façon une proie sauvage ou un
mouton. C'est-à-dire qu’ils rôdent à couvert jusqu’à ce qu’une bête se détache ou paraisse plus
vulnérable. Leur méthode est loin d’être infaillible. Ils sont souvent contraints de rester des
heures à l’affût, à opérer des attaques et des feintes, dans l’espoir qu’une bête se détache du
troupeau. Cela implique un effort de longue haleine et un stress important infligé aux proies.
Sur cette question du stress des brebis, il convient de remarquer que l’immense majorité des
éleveurs s’accorde pour estimer qu’elle cause des pertes de poids et une diminution de la
fécondité50.
Le tableau ci-dessous donne une comparaison entre la mortalité causée par les loups,
les chiens errants et les accidents divers pour l’année 1999
Tableau des causes de mortalité des brebis dans les Alpes en 1999 :
Loups.
Nombre
Autres (maladies, foudre, vols…).
50 000.
300 000.
de
brebis tuées 1100.
dans
Chiens errants.
tout
l’arc alpin :
(Chiffres tirés du Petit Savoyard du 24/08/2000, cité par Daniel Spagnou)
Les dégâts causes par les loups sont sans commune mesure avec les chiens errants ou
les maladies. A ceci près que les chiens errants ou la foudre sont des catastrophes brutales qui
tuent énormément en une seule fois, et que les maladies n’ont pas de responsable. Les
attaques de loups, ponctions répétées et régulières, étaient donc psychologiquement plus
difficiles a supporter. Un deuxième élément rendait les attaques de loups insupportables : elles
ne touchaient pas tous les troupeaux de la même façon. Sans être les génies surdoués et/ou
diaboliques parfois décrits, les loups étaient des animaux suffisamment intelligents pour
repérer les troupeaux les plus vulnérables (relief, localisation, défaut de gardiennage…) ce
problème s’accentuera quand les chiens de protection des troupeaux entreront en action.
II- Les associations de chasse :
50
AP 825, table ronde rassemblant des professionnels du secteur ovin, mais pour un avis contraire voir audition
de Raymond Selva.
26
Il faut commencer cette partie par une remarque d’ordre général : qu’on le comprenne
ou non, les chasseurs (les bons ?) sont des amoureux de la Nature. Il s furent ceux qui
voulurent obtenir la condamnation de l’irresponsable professeur Armand-Delile, qui avait
introduit la myxomatose en France et tué 90% des lapins de notre pays (1952). Ils
participèrent activement par la suite aux campagnes de réintroduction de lapins de garenne,
qui menaçaient de disparaître à la fin des années 1950.
Les Alpes-Maritimes avaient en 1993 une importante population de chasseurs :
10 000, rassemblés dans une fédération des chasseurs des Alpes-Maritimes. On a déjà cité
Bernard Baudin, son président (qui l’est toujours en 2009). En Avril 1993 il se réjouit de la
présence des loups en France, à condition qu’ils n’empiétassent pas sur le gibier des
chasseurs. On verra dans la suite de ce mémoire la relative irrésolution des chasseurs quant
aux loups. Irrésolution que l’on peut expliquer en partie par la difficulté de concilier les
différentes opinions du monde cynégétique. La fédération n’était pas un parti et s’exposa
assez rapidement au mécontentement de sa base.
A cela doit s’ajouter le problème du braconnage, fréquent dans un département dont
un habitant sur sept possédait une arme à feu51. Le 21 Février 1996, un braconnier surpris par
trois gardes-chasse les tua.
L’aspect principal de l’activité cynégétique dans les Alpes consista dans les années
suivant la seconde guerre mondiale à réintroduire des espèces en voie de disparition dans les
massifs, afin évidemment de les chasser une fois bien établies. Ainsi, les mouflons furent
introduits dans les années 1960 (et pas réintroduits, il n’y en avait jamais eu). Ces gros
animaux originaires de Corse et de Sardaigne sont un gibier intéressant mais mal adapté à la
vie alpine, les mortalités sont anormalement élevées en cas d’hiver rude52, et très vulnérables à
la présence des loups qu’ils n’ont jamais connus (la Corse et la Sardaigne n’ont jamais eu de
loups). C’est pourquoi les populations de mouflons du Mercantour ont diminué à partir de
1990, diminution qui prit parfois la forme d’un véritable effondrement, comme dans le massif
de Mollières. Les bouquetins furent sauvés d’une quasi-extinction dans les années 1960 grâce
à la collaboration des chasseurs et des scientifiques. Le gros des réintroductions opérées par
les chasseurs concerna cependant un gibier beaucoup plus commun : cerfs, chevreuils et
sangliers. En fait il ne s’agissait pas de véritables sangliers, mais de cochons sauvages,
beaucoup plus prolifiques et causant beaucoup plus de dégâts.
51
« Des gardes-chasse tués par un braconnier » NM, 22/02/1996, p10.
« Mercantour, l’appel des loups », NM, 12/02/1994, p10.
52
27
Comme les plans de chasse ne sont que rarement entièrement accomplis, c'est-à-dire
que l’on tue moins que ce qu’on pourrait), ces trois espèces se sont multipliées et causèrent de
gros dégâts aux propriétaires fonciers, qui exigèrent leur régulation en 199653. Les
« sangliers » firent encore mieux. La sécheresse de 1992 les poussa vers les maisons. On en
vit s’abreuver aux piscines de Mandelieu-La Napoule et de Cannes. La fédération des
chasseurs dut verser 800 000F (121 959€) au titre des dégâts causés par les sangliers. Le
retour des loups put signifier pour elle un auxiliaire bienvenu, gratuit (les espèces protégées
ne sont pas à la charge des fédérations de chasse en cas de dégâts), tant qu’il n’était pas trop
envahissant. Ce pari ne semble pas avoir été tenu, les loups ne sont pas assez nombreux pour
enrayer la prolifération des faux sangliers, qui grèvent lourdement le budget de la fédération
de chasse des Alpes-Maritimes, qui a reçu en 2009 de l’aide du Conseil Général54 pour
rembourser les dégâts.
III- Le tourisme et le parc du Mercantour :
A) Brève Histoire du parc :
Le massif du Mercantour présente un grand intérêt environnemental, d’abord par la
richesse de sa faune et de sa flore (dont plusieurs espèces sont endémiques), mais également
historique. La célèbre Vallée des Merveilles compte des centaines de peintures sur les roches
qui ont été faites entre le Néolithique et l’Age du Fer. Plus près de nous, le village de
Mollières connut la dernière modification de frontières importante de France métropolitaine :
le 10 Février 194755, les communes de Tende et de la Brigue furent détachées de l’Italie et
rattachées à la France. Il y avait eu de violents affrontements dans cette région en 1945 entre
les Forces Françaises et l’armée allemande.
Mais la conscience de la valeur naturelle du massif était antérieure. Victor-Emmanuel
II, mieux connu comme artisan de l’unité italienne, y créa en 1859 une réserve royale de
chasse, pour éviter que ses sujets éradiquassent les chamois. Cette réserve se maintint par la
suite dans la partie italienne du massif, et Victor-Emmanuel III, mieux connu comme ayant
laissé Mussolini gouverner, y réintroduisit des bouquetins, qui furent presque tous tués durant
les combats de 1945.
Côté français, à l’instigation du zoologue Pierre Marie, spécialiste des marmottes, la
Commission des réserves de la Société Naturelle d’acclimatation de France y créa en 1935
53
« Les grands ongulés au régime loup », NM, 30/05/1996, p3.
« L’assemblée générale des chasseurs de Alpes Maritimes demande que les loups soient mis au régime
commun », NM, 26/04/2009, vu sur le site nicematin.com.
55
Par le traité de paix entre les Alliés et l’Italie.
54
28
une petite réserve naturelle, dite du Lauzanier (elle se trouvait dans le secteur ainsi nommé).
Après guerre, une réserve de chasse de 9600 hectares y fut créée (1960) et confiée à la
fédération des chasseurs des Alpes-Maritimes, contrôlée par l’administration des Eaux et
Forêts et le Conseil Supérieur de la Chasse. Auparavant, en 1946, le Conseil Général des
Alpes-Maritimes avait demandé la création d’un parc national sur « le modèle américain ».
Passons sur les innombrables ajouts et modifications de surface et de nom imposés à la
réserve56. Après que la loi sur les parcs nationaux eût été votée en 1960, le gouvernement
français voulut établir un parc national dans le Mercantour. Mais il dut faire face à
l’opposition des communes concernées, 29 et des chasseurs. Les premières craignaient de
perdre le contrôle de leur patrimoine foncier, ce qui n’a pas été totalement le cas et explique
pourquoi un pastoralisme intense a perduré, et les seconds de ne plus pouvoir y chasser, ce qui
est effectivement le cas dans la zone centrale57.
Il fallut attendre 1979 (le 18 Août), pour voir le parc national créé. Le ministre de
l’Environnement de l’époque, Michel d’Ornano (Union pour la Démocratie Française, UDF),
l’avait imposé aux collectivités locales. Cette création au forceps, qui contraste avec celle du
parc national des Ecrins, portée par le député-maire de Briançon, Paul Dijoud (Républicains
Indépendants, RI), explique pourquoi les relations entre l’administration du parc et les
« acteurs locaux » chers à Christian Estrosi furent souvent mauvaises, et pourquoi on l’accusa
de bien tristes méfaits, entre autres d’avoir artificiellement réintroduit les loups. Il faut dire
que la majorité des interrogés s’accorde pour dire que l’administration du parc « […]
fonctionnait souvent en circuit fermé»58.
56
La plupart des informations précédentes peuvent être retrouvés sur le site du parc du Mercantour,
www.mercantour.com, à la rubrique Histoire, ou dans la fiche « Sauver le bouquetin des Alpes », 12, 80 de
L’Univers Fascinant des animaux, Berlin, 1992.
57
Ibid. ; AP825, auditions de Pierre Pfeffer et Denis Granjean.
58
AP825, audition de Denis Granjean.
29
B) Le poids du tourisme :
Le parc du Mercantour présentait dès le années 1980 un grand attrait touristique :
500 000 visiteurs par an en 199359, ce qui créait des emplois (35 gardes à l’année et 40
vacataires assermentés durant l’été, plus les retombées indirectes) et aidait à désenclaver le
59
« Une journée dans le Mercantour », NM, 15/08/1993, p10.
30
territoire. Même si ce tourisme était un tourisme « vert », il présentait quelques inconvénients.
La discipline était défaillante (beaucoup de gens emportaient leurs chiens, laissaient leurs
détritus et cueillaient des fleurs rares), mais pas au point de créer des troubles graves. Les
relations avec les bergers étaient parfois tendues, les touristes étant accusés d’être des sansgêne ne respectant rien, avec en filigrane le reproche d’être des citadins et de ne rien
comprendre60.
L’impact des loups sur ce tourisme vert était difficilement quantifiable, mais les
gardes-moniteurs interrogés affirmèrent que de nombreux touristes venaient et demandaient
où étaient les loups61. Ce qui ne serait pas absurde compte-tenu des réactions qu’on peut
trouver dans le courrier des lecteurs de Terre Sauvage : « le loup, un rayon de lumière », « je
rêve de ces rencontres inattendues »62, et on pourrait multiplier les exemples, mais j’en garde
pour plus tard. Cela dit, les touristes ayant vite compris que voir un loup était hautement
improbable, on peut supposer que l’impact touristique a été faible, comme le suggère la
stabilisation des visites au parc du Mercantour, entre 450 et 600 000 visiteurs par an.
Chapitre III : Les tensions croissantes : (1994-1995)
60
AP825, table ronde rassemblant des professionnels de l’élevage.
« Mollières a peur du loup », NM, 30/07/1994, p3.
62
TS n°119, 07-08/1997, courrier des lecteurs.
61
31
Très vite, avec les premières attaques de loups sur les troupeaux, les débats autour de
cette présence vont se faire plus virulents. Dès 1994 la tension est notable, même si elle reste
confinée au département des Alpes-Maritimes.
I- Les premiers débats :
A) Expansion des loups :
La population des loups de France augmenta entre 1993 et 1995. Mais avant de donner
des estimations, nous devons rappeler que ce sont des animaux furtifs et discrets, dont on ne
peut supposer le nombre que par des méthodes qui laissent une très large place à l’incertitude.
On relève les traces dans la neige, et on estime ainsi le nombre de loups présents, qui est le
plus grand nombre de traces relevées en une seule fois. On relève poils et excréments pour
analyse génétique. Et l’on ne compte un individu pour établi que si les mêmes traces ont été
relevées deux hivers consécutifs. Autant dire que les estimations sont vagues. En Italie à la
même époque on estimait les populations lupines dans une fourchette allant de 500 à 700
individus, en Espagne entre 2000 et 3000.
Les relevés de population donnaient deux loups en 1993, sachant qu’il y en eut au
moins un autre, celui mort dans une avalanche, et à peu près 10 en 1995, en passant par 4 à 6
en 199463. Ce qui semble impliquer un arrivage en provenance d’Italie, ou la survie de tous les
jeunes d’une hypothétique portée. Leur zone de prédation s’étendit progressivement à tout le
parc du Mercantour, au-delà même de la zone centrale. Leur élan d’expansion vers le Nord,
pour autant qu’on sache, fut un peu postérieur à 1995.
B) Augmentation des dégâts et réaction des autorités :
Durant ces deux années, le problème causé par les loups se limita aux AlpesMaritimes. « Une vingtaine de bergers seulement sont concernés actuellement par les loups
dans la Roya, la Tinée et la Vésubie » déclara la direction du parc en Janvier 1996, tout en
faisant part de ses craintes pour l’avenir : « que va-t-il se passer lorsque le prédateur
colonisera des zones à fortes tradition pastorale, comme le Haut-Var et les Alpes-de-HauteProvence ? Devra-t-on le gérer en fonction de la vallée ? »64. Il faut signaler que la direction
du parc avait changé. Denis Granjean avait été remplacé fin 1993 par Marie-Odile Guth,
toujours assistée de Patrick Le Meignan.
63
64
NM, op.cit., 12/02/1994 ; « France, mais qui a peur du loup ? », TS n°100 ; 11/1995, pp64-80.
« Le nombre de loups limité ? », NM, 09/01/1996, p3.
32
- Les dégâts causés par les loups :
Jusqu’à l’été 1995, il n’y eut pas de guerre des chiffres entre d’un côté les écologistes
et l’administration du parc, d’autre part les syndicats agricoles appuyés par certains élus
locaux. En Février 1994, le syndicat des éleveurs ovins des Alpes-Maritimes confirma le
chiffre de 32 brebis dévorées en 1993, avancé par Patrick Le Meignan d’après les indemnités
accordées65. En 1994, il y eut 140 brebis tuées, ce qui porta le chiffre à 172 brebis tuées sur
deux ans66. Par la suite, et jusqu’en 2000 environ, les dégâts allaient suivre une pente
ascendante.
- Réaction des autorités du parc :
Si l’on se fie à Marie-Odile Guth, elle dut gérer le problème des loups toute seule
durant toute la période couverte par ce chapitre, sauf les rares cas d’attaques hors de la zone
élargie du parc du Mercantour67. Dès les premières attaques, des indemnisations furent
proposées, mais rejetées par les éleveurs qui les jugeaient trop faibles68. L’administration du
parc réévalua son barème pour proposer des indemnisations calquées sur les prix du Herd
Book, un registre des différentes races et de leur valeur marchande, créé dès le XVIIIème
siècle par des éleveurs anglais et devenu international. De même, les indemnités prirent en
compte le stress et la durée de l’agnelage. C’était accéder à une revendication des éleveurs,
qui reconnurent les efforts accomplis. Charles Vallet, éleveur dans la vallée de la Vésubie, la
seule concernée à ce moment, dit à Jean-Paul Fronzes de Nice Matin : « le parc fait des
efforts, c’est vrai. Les premiers chèques, insignifiants, ne prenaient pas en compte le stress du
troupeau. Suite aux attaques de l’été dernier, 30 mères sur 380 n’ont pas ‘pris’ le bélier, et
les agnelages […] s’étalent cette année sur trois mois (au lieu de trois semaines). Ces
facteurs ont enfin été comptabilisés. De 1050F pour sept brebis égorgées durant l’été dernier,
l’indemnisation est passée à 7600F »69. Le syndicat des éleveurs ovins des Alpes-Maritimes
tint le même discours : «le dialogue se fait bien à cet égard »70. Même Terre Sauvage s’en fit
l’écho dans son numéro d’Octobre 1993 déjà cité : « les bergers du Mercantour ont d’ores et
déjà accepté de bonne grâce d’augmenter la surveillance de leurs troupeaux avec l’aide du
parc »71.
65
NM, op.cit., 12/02/1994.
« 300 manifestants anti-loups au CADAM », NM, 3/06/1995 ; « Les éleveurs des Alpes Maritimes crient au
loup », Le Monde, 3/06/1995.
67
AP825, audition de Marie-Odile Guth.
68
Ibid. ; « Le parc soigne ses bergers », NM, 11/06/1994.
69
Ibid.
70
NM, 12/02/1994, op.cit.
71
TS n°77, 10/1993, op.cit.
66
33
Les indemnités n’étant pas tout, le parc mit également en place un programme de
prévention des attaques : clôtures électrifiées, cabanes en kit pour le repos des bergers,
recrutement d’aides-bergers (trois). Mais l’élément-phare de ce plan de prévention fut le
désormais célèbre berger des Pyrénées, le chien patou. C’est un molosse impressionnant et
incommode, qui peut mesurer 80 centimètres de haut pour au moins 50 kilos, très protecteur
envers son troupeau, qui ne répugne pas au combat même contre des loups, qui de toute façon
pèsent généralement beaucoup moins (35 kilos en moyenne pour les loups italiens). En dépit
de plusieurs inconvénients dont nous reparlerons plus loin, les patous se révélèrent
relativement efficaces et contribuèrent là où ils furent établis à diminuer les prédations72.
L’augmentation exponentielle des attaques et des dégâts s’explique par l’augmentation des
populations de loups et l’extension de leur aire de répartition.
- Les débuts du conflit :
Puisque tout semblait convenablement se dérouler, comment expliquer qu’à peu près
au même moment se manifestât une opposition radicale au retour des loups 73? Voyons
d’abord les faits. Si le syndicat des éleveurs ovin des Alpes-Maritimes déclara que le dialogue
était bon avec les autorités du parc du Mercantour, il rappela qu’il craignait que les loups se
répandissent en moyenne-vallée, et surtout qu’on imposât à la profession des contraintes de
surveillance démesurées, compte-tenu des conditions de travail déjà pénibles74.
En Mai 1994, la fédération départementale des exploitants agricoles des AlpesMaritimes (FDSEA 06) vota à l’unanimité une motion exigeant l’élimination pure et simple
des loups. Ce qui n’engageait à rien puisqu’ils étaient protégés depuis Septembre précédent au
titre de la Convention de Berne. Sachant que la Fédération Nationale Ovine (FNO) est une des
composantes de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA), et
que les syndicats départementaux déjà cités sont reliés à ces deux fédérations nationales, on
peut supposer que la reconnaissance des efforts accomplis par le parc n’impliquait pas
acceptation des loups : l’un jouait le gentil et l’autre le méchant, tactique de négociation très
connue.
De fait, Charles Vallet, cité plus haut, déclarait aussi : « ce n’est pas pour rien que nos
ancêtres les ont éliminés (les loups, bien entendu) »75. Son fils Luc, lui aussi éleveur de brebis
était beaucoup plus modéré, et on peut penser qu’il chercha à inverser l’image d’ « anti-loup »
72
Voir pour le moment TS n°96, 06/1995, op.cit.
NM, 11/06/1994, op.cit., 30/07/1994, op.cit.; «De l’appétit des loups », 13/07/1994, p3.
74
NM, 12/02/1994, op.cit.
75
NM, 11/06/1994,op.cit.
73
34
qui était accolée aux éleveurs, car il fut fréquemment interrogé dans la presse. Geneviève
Carbone, à qui il était reconnaissant de son aide, l’interrogea pour Terre Sauvage76. Il ne
prétendait pas éradique les loups et estimait qu’il fallait s’y adapter ; mais il était minoritaire.
Le 11 Juillet 1994, il y eut une réunion d’information à la mairie de Roquebillière,
dans la vallée de la Vésubie, entre éleveurs et administration du Mercantour77. Le président de
la FDSEA06 Joseph Trasdour voulait y «[…] concilier les points de vue », rappelant les
fragilités de la profession « […] sinistrée », et demandant qu’on n’aggravât pas « […]
artificiellement » ses problèmes. On remarquera que c’était une étrange façon de concilier les
points de vue que d’exiger tout d’un seul parti. Et il était d’autant plus difficile de concilier les
points de vue, sachant que les éleveurs s’étaient pour la plupart convaincus que les loups
étaient revenus artificiellement du fait d’employés écologistes du parc, ou peut-être même de
l’administration elle-même. Marie-Odile Guth fut chahutée pour avoir suggéré que plusieurs
attaques attribuées à des loups fussent le fait de chiens errants. Ce n’était en effet pas très
habile. Rien de tangible ne sortit de la réunion, mais le maire et conseiller général de
Roquebillière, Pierre Guigonis (RPR)78 y déclara « puisque les éleveurs ne veulent pas du
loup, je transmettrai le message en haut lieu ».
Que déduire de ces quelques faits collectés dans la presse ? J’émets l’hypothèse que la
conciliation était plus apparente que réelle. Même s’ils savaient gré à l’administration de ses
efforts, la plupart des éleveurs et des bergers étaient vigoureusement opposés à la présence
des loups, dont beaucoup pensaient qu’ils avaient été réintroduits. Les syndicats agricoles
anticipèrent sur la probable expansion aux vallées voisines (la Tinée fut colonisée par les
loups début 1995)79 et affirmèrent en conséquence un rejet affirmé des loups.
Il est temps d’aborder le thème du « retour organisé » des loups.
II- La théorie du « retour organisé », variante alpine de la théorie du complot :
A) Quelques éléments qui pourraient corroborer la théorie :
- La méfiance envers l’administration du Mercantour :
76
TS, n°96, 06/1993, op.cit. ; voir aussi «Ce Mercantour qui a peur des loups », L’Express, 11/11/1997, sur le
site www.lexpress.fr.
77
NM, 13/07/1994, op.cit., toutes les citations suivantes proviennent de cet article.
78
Egalement président de l’Association pour le Développement Economique Montagnard(ADEM), qui fit par la
suite un discret lobbying contre la présence des loups.
79
« Des loups dans la Tinée », NM, 4/04/1995, p6.
35
Ce n’est pas à proprement parler un élément corroborant, mais un élément qui
explique pourquoi une idée aussi idiote a pu se développer chez des gens intelligents. On a vu
que le parc du Mercantour était une création imposée par l’Etat à un Haut-Pays pour le moins
réticent. Le fonctionnement interne du parc, qui manquait d’ouverture et de concertation avec
les acteurs locaux, de l’aveu même de Denis Granjean, n’était pas fait pour améliorer ces
relations. Le fait d’être dans un parc national donnait à certains l’impression d’être dans une
réserve. Un Mollièrois dit à Nice Matin : «il ne nous manque plus que les plumes sur la
tête »80. Le même ajouta une remarque peu amène contre «ces scientifiques qui ne
connaissent pas la montagne ; des gars qui n’y comprennent rien et qui viennent nous
commander »81. C’est parmi cette population montagnarde, méfiante et se sentant
probablement dépossédée par la création du parc national qu’apparut le thème du « retour
organisé » des loups, c'est-à-dire la théorie qui voudrait que les loups eussent été relâchés par
des écologistes fanatiques, et citadins par la même occasion. La première mention que j’ai pu
trouver de ce thème remonte aux deux articles de Nice Matin de Juillet 199482. Auparavant,
personne n’y avait fait allusion, ce qui ne veut pas dire que l’idée n’avait pas déjà surgi. A
l’inverse, Bernard Baudin avait bien salué un « retour naturel » des loups. D’où peut provenir
cette idée ?
- Les réintroductions de grands prédateurs en France :
La réintroduction d’un grand prédateur sur le territoire français ne serait pas chose
nouvelle. En 1983, un programme de réintroduction de lynx dans les Vosges débuta à
l’initiative du Groupe Lynx-Alsace (membre de la FFSPN), et soutenu par la WWF et le
ministère de l’Environnement. Les lynx avaient disparu des Vosges vers le milieu du
XVIIème siècle, ce qui pouvait faire passer ce programme pour une étrangeté. Mais l’absence
d’élevage et la présence de gibier rendait l’expérience assez neutre sur le plan humain. Après
de multiples errements (des lynx avaient séjourné dans un zoo slovaque et étaient habitués
aux Hommes, ce qui indique la difficulté des réintroductions), on parvint à établir une petite
population qui tournerait actuellement autour d’une vingtaine de lynx. Ceux du Jura et des
Alpes, beaucoup plus nombreux (au moins 200), ont recolonisé ces massifs depuis la Suisse
où ils furent réintroduits entre 1971 et 1976. Si l’on en croit Pierre Pfeffer, la réintroduction
des lynx ne posait pas autant de problèmes que celle des loups83. C’est un animal discret,
80
NM, 30/07/1994, op.cit.
Ibid.
82
Ibid. ; NM, 13/07/1994, op.cit.
83
AP825, audition de Pierre Pfeffer ; voir aussi L’Univers Fascinant des Animaux, op.cit., 12, 78.
81
36
encore plus craintif, solitaire (donc moins vorace), et qui se nourrit essentiellement de lapins
et de petits chevreuils. Ses prédations à l’encontre des troupeaux de brebis dans l’Ain et le
Doubs sont rares et peu mortelles. Les éleveurs auditionnés par la commission d’enquête
parlementaire de 2003 parlèrent assez peu des lynx, et sans grande conviction (on dirait que
puisque le loup était dans la ligne de mire, on en profitait pour faire un tir groupé).
Bien entendu, quand on pense réintroduction, on pense ours des Pyrénées. En 1993, le
ministre de l’Environnement Michel Barnier (RPR) y fit signer un accord de réintroduction
d’ours slovènes pour sauver la population autochtone qui agonisait. Rappelons que
l’effondrement des populations d’ours des Pyrénées n’est pas dû aux dégâts qu’il causait aux
troupeaux de brebis (même s’il y en avait). En 1923 il y en avait encore 200 dans les
Pyrénées, mais cette population tomba à une dizaine en à peu près 50 ans par le braconnage,
le percement de routes ou l’aménagement de pistes skiables.
En 1996, trois autres ours slovènes furent réintroduits en Haute-Garonne, où ils furent
très mal acceptés, ayant causé des dégâts relativement élevés (une centaine de brebis et deux
poulains en 1999)84. Le résultat final de cette réintroduction ratée fut le braconnage d’une
femelle qui venait d’avoir des oursons, la fameuse Melba. D’ailleurs, il ne faut pas inverser
les causalités : les dégâts de 1999 furent probablement causés par les oursons survivants de
l’ourse Melba, qu’on n’avait pas voulu capturer et qu’on avait ravitaillé, puisqu’ils en étaient
incapables tous seuls.
Le cas des ours a pu renforcer mais pas créer l’idée que les loups avaient été
réintroduits artificiellement. En revanche, les lynx ont pu servir de point d’appui aux
défenseurs bien informés de la théorie du retour organisé des loups, c'est-à-dire des hommes
politiques comme Christian Estrosi ou Patrick Ollier (RPR, Hautes-Alpes)
Par contre, la réintroduction du gypaète barbu, un gros rapace de la famille des
faucons, s’opéra dans le Mercantour à partir de spécimens originaires d’Autriche et bénéficia
d’une couverture médiatique honorable85. La théorie du retour organisé arriva parfois à un tel
niveau de surréalisme que la directrice de la chambre d’agriculture des Alpes-Maritimes,
Mauricette Millo, insinua que l’on avait réintroduit les loups pour permettre aux gypaètes de
se nourrir86.
- Les réintroductions de loups dans les années 1980 :
84
« La protection des grands prédateurs remise en question », Le Monde, 4/04/2000, pp14-15.
« Des gypaètes dans le Mercantour », NM, 4/08/1993.
86
AP825, audition de Mauricette Millo.
85
37
En fait, l’argument d’une réintroduction d’autres espèces fut peu utilisé parce qu’il y
avait effectivement eu des lâchers de loups en France dans les années 1980. C’était l’idée
d’écologistes partisans de la Nature vierge, et ce fut à chaque fois un fiasco lamentable. Les
animaux étaient « imprégnés », c'est-à-dire habitués au contact des Hommes et par conséquent
défaits de la crainte qui doit saisir tout loup normalement constitué à la vue d’un humain, et
en plus ils ne savaient pas chasser. A chaque fois les loups lâchés furent abattus dans les mois
qui suivirent. L’affaire du loup de Fontan (Alpes-Maritimes) fut rappelée, parce que
géographiquement proche du Mercantour. Ce loup de 35 kilos fut tué à l’issue d’une battue
dans la commune de La Brigue, en Roya, en Décembre 1987. Il avait apparemment dévoré
300 brebis en quelques mois, probablement parce qu’il avait été imprégné : il avait à la patte
une blessure qui avait été soignée par un vétérinaire, et provenait manifestement d’un
élevage87. Forts de ces exemples, on affirmait avec « bon sens » qu’il était impossible que des
loups provinssent naturellement des Abruzzes88.
B) Une théorie qui ne résiste pas à l’examen :
Rappelons avant toute chose que les loups revenus dans les Alpes ne provenaient
probablement pas des Abruzzes (encore que ce fût matériellement possible), mais de Ligurie,
ce qui fait beaucoup moins loin.
- Les analyses ADN :
Comme pour les tigres, il existe de nombreuses sous-espèces de loups, toutes
appartenant à la même espèce, Canis lupus, à laquelle on rajoute un troisième terme latin pour
définir la sous-espèce. Les loups d’Italie ont donc pour nom scientifique Canis lupus italicus.
Physiquement, ils ont quelques caractéristiques spécifiques : ils tendent plus vers le roux et
ont une raie noire sur les membres antérieurs, mais c’est l’ADN, qui les différencie à coup
sûr. Or, à partir de 1996, les cadavres de loups retrouvés et les échantillons de poils et
d’excréments furent envoyés au Laboratoire d’écologie alpine de Grenoble, dirigé par le
professeur Pierre Taberlet. Les échantillons étaient prélevés par le Réseau Loup, une
institution créée dès 1993 par le ministère et destinée à récupérer tous les indices de présence
des loups, à la fois pour établir une carte de leur répartition et mieux connaître leur
comportement. Il comprenait des agents de l’ONCFS (Office National de la Chasse et de la
Faune Sauvage), de l’ONF (Office National des Forêts), des gendarmes et des membres
87
88
« Le vrai-faux loup de Fontan », NM, 14/04/1993, dernière page.
NM, 30/07/1994, op.cit. ; AP825, table ronde rassemblant des professionnels de l’élevage.
38
d’associations écologistes, le tout sous la supervision des DDAF (Directions Départementales
de l’Agriculture et des Forêts)89.
Passons sur les explications scientifiques, que l’on pourra retrouver dans les auditions
de la commission parlementaire, mélangée à une relative mauvaise foi de certains députés de
ladite commission. Toutes les analyses génétiques concordèrent pour attribuer une origine
italienne aux loups de France. Ce résultat scientifique fut cependant contesté de deux façons.
Premièrement, les syndicats agricoles remirent en question l’impartialité du laboratoire
Taberlet qui était le seul laboratoire à pratiquer les expertises. Les députés de la commission
d’enquête, gens bien élevés et sérieux ne remirent pas en cause le laboratoire mais suggérèrent
de faire faire des contre-expertises, ce que le professeur Taberlet lui-même souhaitait90. La
seconde critique était en apparence plus subtile : certes, les loups étaient italiens, mais ils
pouvaient tout aussi bien être des Italiens réintroduits. C’est ce qu’exprima Daniel
Chevallier : « quant à savoir s’ils sont revenus à pied ou dans le coffre d’une voiture, je ne
sais pas »91, tout en penchant à titre personnel pour la première hypothèse.
- De la difficulté de disposer de loups italiens :
Si les loups avaient été réintroduits, il fallait nécessairement qu’ils fussent originaires
d’Italie. Or, il était très difficile de trouver des loups d’Italie. Il n’y en avait pas un seul en
captivité en France, et en Italie il n’y en avait que dans trois endroits, officiellement
comptabilisés et surveillés par le Corpo Forestale delle Stato. Ce qui incidemment indique
que la surveillance des loups captifs est bien meilleure en Italie qu’en France92. Donc si les
loups de France avaient été réintroduits, il fallait qu’ils fussent capturés dans la nature,
transportés en hélicoptère et relâchés en France dans le plus grand secret, alors que d’habitude
les réintroductions étaient publiques. Cela impliquait une collaboration (secrète) des autorités
italiennes et françaises.
- Une théorie incohérente, mais persistance du débat :
On a déjà vu au chapitre I que l’arrivée naturelle des loups en France était prévue, ou
au moins considérée comme probable depuis la fin des années 1980 et la détection de l’espèce
en Ligurie (1985). A moins de croire à l’existence d’un vaste complot international
scientifico-technocratique, il paraît incohérent de supposer que le parc du Mercantour ait
voulu réintroduire des loups. Denis Granjean déclara d’ailleurs « je ne vois pas quel intérêt
89
AP825, audition de Pierre Taberlet ; Rapport LIFE-loup 1997-1999, Paris, 2000.
Ibid.
91
AP825, audition de Daniel Chevallier.
92
AP825, audition de Nathalie Lacour, audition de Luigi Boitani et table ronde réunissant les directeurs des parcs
nationaux italiens.
90
39
j’aurais eu à me créer un problème alors que j’avais pas mal déminé la situation du parc
national (il avait amélioré les relations avec les acteurs locaux) »93.
Ceci n’exclut pas, conformément aux suppositions du député Spagnou (Union pour un
Mouvement Populaire, UMP, Alpes-de-Haute-Provence) la possibilité de lâchers clandestins
de loups. Ils seraient dans ce cas le fait d’individus ou de groupuscules irresponsables, dont le
groupe LYCA est un exemple sur lequel on reviendra. Le problème dans le cas de ces lâchers
est l’extrême difficulté d’obtenir des loups italiens. Leurs loups seraient plus sûrement
d’origine russe ou américaine94 et imprégnés, donc impropres à la vie sauvage. Tous les cas
de lâchers de loups dans les années 1980 se soldèrent par des échecs parce que les bêtes
étaient imprégnées. Par conséquent, même s’il ne faut pas absolument écarter cette possibilité,
elle n’a pu être que très sporadique et ne remet pas en cause la certitude scientifique (ou
quasi-certitude, si l’on veut) d’un retour naturel en provenance d’Italie.
Les problèmes causés par les loups sont suffisamment inquiétants, et la défense du
pastoralisme un thème suffisamment légitime pour qu’il soit nécessaire de contester
l’évidence, pourrait-on penser. Mais la théorie du complot est un outil politique majeur. Un
animal réintroduit n’est pas protégé par la Convention de Berne s’il l’est sans l’aval des
populations locales : elle ne vise qu’au « […] maintien et à la conservation des espèces » et
subordonne toute réintroduction « […] à une étude en vue de rechercher si une telle
réintroduction serait efficace et acceptable. A contrôler strictement l’introduction des espèces
non-indigènes »95. Ce serait également contraire à la directive Habitats. L’affirmation du
retour artificiel des loups était surtout politique et visait à entretenir un doute, chose d’autant
plus facile au niveau local que le parc du Mercantour avait mauvaise réputation. On retrouve à
nouveau cette opposition villes/monde rural, dont on reparlera plus loin en la relativisant.
C) Persistance du Mythe du Grand Méchant Loup ?
Au vu de l’aspect passionnel de ces débats, on peut se demander s’il n’y avait derrière
cette opposition farouche à la présence des loups une résurgence de la fameuse « peur
ancestrale »96 chère à Terre Sauvage. Je ne le crois pas vraiment, même s’il est vrai que les
loups sont des animaux sur lesquels se sont greffés de multiples contes et légendes (on en
parlera brièvement dans le chapitre VI). Cela a pu rendre encore plus difficile l’acceptation
93
AP825, audition de Denis Granjean.
AP825, audition de Nathalie Lacour.
95
Convention de Berne, op.cit., art.11, §2, al. a) et b).
96
TS n°100, 11/1995, op.cit.
94
40
des loups mais c’est loin d’être l’explication principale. Si on lit l’article de Nice Matin
intitulé « Mollières a peur du loup »97, on s’aperçoit que le journaliste est pour ainsi dire le
seul à avoir peur. Une Mme Giuge dit « entre les deux guerres mon père s’était fait agresser
par un loup […] on n’ose plus se promener dans les bois »98, mais les enfants étaient ravis et
le sentiment dominant était bien plutôt la rancœur envers le parc que l’effroi face à ce que le
journaliste appelle « […] la Bête aux yeux jaunes ».
Je pense qu’il y avait une inquiétude modérée, très modérée, mais pas de peur du
Grand Méchant Loup. Si l’on croise les articles de Nice Matin99 avec le courrier des lecteurs
de Terre Sauvage, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de crainte pour les humains mais seulement
pour le bétail. Dans ce cas, comment expliquer l’apparition à l’entrée du parc de papiers
imprimés sur lesquels on pouvait lire « attention LOUPS, promenade déconseillée »100, au
dessous d’une photo de loup dans un triangle de signalisation ? Il s’agissait d’un outil de
communication employé par la Ligue des opposants aux loups créée au printemps 1995.
C’était une utilisation politique de l’ancienne crainte du loup, destinée à établir un
rapprochement entre la situation du moment et les traditions littéraires (tout le monde connaît
parfaitement le Petit Chaperon Rouge) et à créer un courant d’opinion défavorable au retour
des loups. Nice Matin indique que cette campagne n’eut qu’un impact local, essentiellement
sur les promeneurs d’un certain âge101. L’échec fut patent lorsque Le Monde publia les
résultats d’un sondage SOFRES mené les 12 et 13 Mai 1995 : 80% des sondés des AlpesMaritimes étaient favorables au retour des loups102. Lors des auditions parlementaires de
2003, aucun « opposant aux loups » ne fit mention d’une crainte pour les Humains. Ce filon
de la « peur ancestrale » fut peu exploité au-delà de l’été 1995 par les opposants aux loups,
probablement parce qu’il s’était retourné contre eux.
Le courrier des lecteurs de Terre Sauvage est très instructif à cet égard. Plusieurs
courriers furent publiés qui indiquaient avec une grandiloquence amusante que la Ligue des
opposants aux loups avait manqué son objectif : « […] connards de chasseurs et d’hommes
obtus […] qui vont manifester dans les rues de Nice pour la disparition du loup avant d’aller
se murger la gueule au bar des Amis »103, « combien faudra-t-il de morts sur l’autel de
97
NM, 30/07/1994, op.cit.
Ibid.
99
NM, 11/06/1994, 30/07/1994, 29/05/1996, op.cit. ; « Une louve écrasée sur la route du ski », NM, 15/04/1995,
p2 ; « La mort de la louve ne serait pas accidentelle », NM, 19/05/1995, p2 ; « La peur du loup gagne les Alpes
de Haute Provence », NM, 20/06/1996, p6.
100
TS n°96 06/1995, op.cit ; « Les loups et les bergers », NM, 2/05/1995, p8.
101
Ibid.
102
Le Monde, 3/06/1995, op.cit.
103
TS n°98 09/1995, courrier des lecteurs.
98
41
l’obscurantisme pour qu’arrive enfin la tolérance pour ces superbes animaux (les loups) qui
ont tout autant que nous le droit de vivre en paix ? »104. Un long article d’Antoine Peillon mit
en évidence une récupération du thème de la peur des loups par les écologistes et contre les
opposants au retour des loups. On y retrouvait le style emphatique et appuyé qu’il avait déjà
employé en 1993 : « dix loups dans le Mercantour. Dix candidats à la mort. Cet automne, le
premier a été abattu de sang-froid. Pour se justifier, bergers et chasseurs réveillent la vieille
haine, les terreurs ancestrales »105. Les mises en exergue indiquaient ce qui était perçu
comme l’irrationalité des chasseurs et des éleveurs : « hystérie collective dans les alpages »,
« un coupable idéal ». D’autres citations nous plongeaient en plein Far West : « liquidés de
sang-froid », « ici la loi est bafouée ». La peur du loup était assimilée à un fantasme médiéval,
enraciné par la faute de l’Eglise Catholique. Il est amusant de noter que l’Eglise Catholique
est toujours le coupable idéal des gens mal informés sur le Moyen Age, qui se résume pour
eux à l’Inquisition. Le loup aurait été haïssable parce qu’ « [il] était un symbole absolu de vie
sauvage. Chacun de ses retours célèbre une victoire sur l’ignorance et les préjugés »
Le thème du Grand Méchant Loup s’étant retourné contre eux (voir Le Monde des
3/06/1995 et 4/04/2000106), les opposants aux loups modifièrent leur discours et leur stratégie.
On le verra plus loin. Mais pour le discours, on répétait que les loups étaient de moins en
moins craintifs107. Abstraction faite de possibles exagérations, il était assez logique que des
loups plus nombreux fussent aperçus plus régulièrement, comme le déclara Luigi Boitani108.
III- Le premier paroxysme de la crise : (avril-juin 1995)
A) Un début d’année difficile :
En 2003, Marie-Odile Guth se décrivit comme « […] n’étant pas femme à se laisser
abattre »109. Il est vrai qu’elle s’employa avec ténacité à faire accepter les loups et à contester
les opposants à leur présence. Elle fit parfois quelques erreurs, emportée par un tempérament
assez direct. Par exemple, elle nia catégoriquement qu’il pût y avoir des loups croisés avec
des chiens en s’appuyant sur des analyses ADN dont leur auteur, Pierre Taberlet, précisa
104
TS n°103 02/1996, courrier des lecteurs.
TS n°100 11/1995, op.cit. Les citations suivantes sont extraites du même article.
106
Op.cit.
107
« De moins en moins craintifs ? », NM, 16/04/1997, p6.
108
AP825, audition de Luigi Boitani.
109
AP825, audition de Marie-Odile Guth.
105
42
qu’elles ne pouvaient pas dire si le père était un chien (l’ADN mitochondrial qu’il utilisait ne
se transmet que par la mère). Elle eût mieux fait de dire que c’était hautement improbable110.
Le parc du Mercantour lança en Mars 1995 une vaste opération de communication
auprès des écoles primaires du Haut Pays. « Conte-moi le loup »111 devait favoriser
l’acceptation de l’animal en montrant qu’il n’était pas si méchant, et était également destiné
aux parents via un questionnaire. Pour les enfants, un jeu-concours devait permettre de gagner
une visite au parc à loups de Lozère, accompagnés par les parents ayant bien répondu au
questionnaire.
Dans le même temps, l’ASPAS édita une bande-dessinée « Pour souhaiter la
bienvenue au loup »112. On remarquera que l’animal est presque toujours nommé au singulier,
ce qui accentue la dimension symbolique dont il est chargé.
Encore dans les même temps, la vallée de la Tinée fut colonisée par des loups qui se
manifestèrent d’une façon tout à fait regrettable : 21 brebis furent tuées à Isola113. Il semblerait
que la progression des loups dans la Tinée fut un élément déclencheur de la création de la
Ligue des opposants aux loups (le nombre n’est pas bien arrêté, il y a parfois un pluriel,
parfois un singulier). Les associations de chasse semblent s’être divisées, lors d’un
rassemblement des éleveurs à St Etienne-de-Tinée le 21 Avril 1995. Bernard Baudin n’y était
pas, mais la fédération des chasseurs des Alpes-Maritimes était représentée par un Mr Barbier,
président de la commission gros gibier de la Haute-Tinée. Les chasseurs ne pouvaient ne
pouvaient pas rester insensibles à la colère des éleveurs, dont plusieurs étaient également
chasseurs. En revanche, ils n’exigeaient pas l’éradication mais la régulation des loups. Cette
réunion de St Etienne-de-Tinée fut également l’occasion pour de nombreux élus locaux de
manifester leur soutien aux éleveurs, « […] au nom de l’avenir économique du Haut Pays »114
. Les maires et conseillers généraux d’Isola, Roquebillière, St Etienne-de-Tinée et St Dalmasle-Selvage s’y montrèrent. La plupart d’entre eux étaient membres du RPR (Guigonis,
Blanchi, de Valdeblore) ou divers droite. Le sénateur UDF et président de la commission
permanente des élus du parc, José Balarello, contacté, affirma que le thème des loups serait
abordé lors du conseil d’administration du parc du Mercantour du 2 Juin. On notera l’absence
du député de la circonscription. Ce n’était pas Christian Estrosi, mais son remplaçant Gaston
Franco, lui aussi RPR, conseiller général de St Martin de Vésubie, et qui a la caractéristique
110
NM, 16/04/1997, op.cit. ; AP825, audition de Pierre Taberlet.
« ‘Conte-moi le loup’ », NM, 6/03/1995, p12.
112
« L’ASPAS et le loup », NM, 1/03/1995, p10.
113
« Les loups dans la Tinée », NM, 4/04/1995.
114
« Chasseurs et bergers contre le loup », NM, 22/04/1995, p3.
111
43
(il est toujours en activité et a été président du parc du Mercantour entre 2004 et 2009) d’être
l’un des rares élus locaux très favorable à la présence des loups115.
- La louve écrasée : (14-19 Avril 1995)
Il ne faudrait pas croire que l’on donne une rubrique canidé écrasé sans une bonne
raison. Cet événement mineur est caractéristique des éléments que l’on a énuméré plus haut :
un Haut-Pays loin d’être unanime, une peur des loups assez inexistante, une crainte pour le
gibier et le bétail, une opposition farouche à la présence des loups. L’événement fut couvert
de façon assez large par Nice Matin (la journaliste s’appelait Véronique Mars, ce qui ravira
les amateurs de séries américaines) et fut mentionné par Terre Sauvage116.
Le 14 Avril, une habitante du lieu-dit Pont-de-Paule, sur la commune de St Sauveursur-Tinée, découvrit une louve écrasée à 150 mètres de chez elle, ce qui ne l’inquiétait pas du
tout, elle fut même attristée par la mort de la bête. En revanche, les chasseurs de la commune
s’inquiétèrent : « […] d’ici cinq ans, quand ces animaux auront proliféré, la situation
deviendra difficilement gérable, surtout pendant la transhumance où 14 000 moutons
viennent passer l’été dans les alpages »117.
L’anecdote connut un rebondissement quand une étudiante de Biot témoigna à propos
de l’accident, qui avait eu lieu le 14 vers 23h30, et était en fait un acte volontaire, le chauffard
ayant accéléré et s’en étant vanté auprès de la jeune femme, qui était scandalisée. La
gendarmerie ne crut pas immédiatement le témoignage de la jeune femme, mais un article du
Monde du 1er Octobre 1997 nous révèle qu’elle mena quand même l’enquête et identifia le
coupable, un éleveur appelé Jacques Rigussini qui affirma : « c’était le loup ou moi »118.
B) Manifestation et contre-manifestation : (2 Juin 1995)
La Ligue des opposants aux loups profita du conseil d’administration du parc du
Mercantour pour organiser une manifestation le 2 Juin 1995, rassemblant 300 personnes. Le
conseil d’administration se tenant dans la Cité Administrative des Alpes-Maritimes
(CADAM), à Nice, les manifestants se rassemblèrent devant avec le slogan « choisir l’homme
et la nature plutôt que le loup »119. Une délégation fut reçue par le président du Conseil
d’administration, le sénateur RPR Charles Ginésy. Il assura les éleveurs que leurs
115
Voir à ce sujet « vivre en paix avec les loups », TS n°149, 05/2000, pp38-53.
NM, 15/04/1995 et 19/04/1995, op.cit. ; TS n°96 06/1995, op.cit.
117
Ibid.
118
« Les loups, les éleveurs et les écolos », Le Monde, 1/10/1997, p18.
119
« 300 manifestants anti-loups devant le CADAM », NM, 3/06/1995, p3.
116
44
revendications seraient prises en considération, même s’il était inenvisageable qu’on éradiquât
les loups (Gilbert Simon rappela qu’ils étaient protégés et peu nombreux). On décida de
mettre sur pied une « […] commission regroupant les parties concernées »120, de façon à
proposer rapidement des solutions. Dans la perspective des élections municipales, la Ligue
des opposants prévint les élus qu’on leur demanderait de prendre position « pour ou contre
les loups »121.
Mais dans le même temps, au matin du 2, un attentat eut lieu dans la vallée de la
Vésubie. Par bonheur, ce fut un attentat de comédie : les explosifs firent très peu de dégâts et
aucun blessé. Le pont sur la Vésubie qui était visé fut rouvert à la circulation dès le jour
même122. L’acte fut revendiqué par un groupe appelé LYCA, ou Frères des Loups. Ils avaient
barbouillé les bas-côtés et la route d’inscriptions en plusieurs langues et très désobligeantes
envers les chasseurs : «chasseurs de merde, caccia merda, hunters killers »123. Ce groupuscule
était totalement inconnu des gendarmes, mais il s’était déjà manifesté dans Terre Sauvage, à
l’annonce du retour des loups. Ils menaçaient de représailles quiconque s’attaquerait à leurs
« frères »124(les loups). On doit donc craindre que cette attaque n’ait pas été une provocation
destinée à décrédibiliser les écologistes, comme la gendarmerie de Lantosque le pensa un
moment, très étonnée125. Cet acte n’eut qu’un impact limité, et Le Monde ne le mentionna pas
avant 1997, pour dire que les Frères des Loups n’avaient plus jamais fait parler d’eux126.
Bien que très anecdotique, l’attentat de la Vésubie indique, de même que l’affaire de la
louve écrasée, que les tensions autour des loups étaient déjà vives. Mais le problème des loups
était toujours départemental et mineur (172 brebis concernées sur les 45 000 des AlpesMaritimes). Il resta globalement départemental jusqu’en 1997, après les élections législatives,
même si les loups entrèrent dans les Alpes-de-Haute-Provence en 1996. Seulement, entre Juin
1995 et Mai 1997, avec Corinne Lepage comme ministre de l’Environnement, le
gouvernement se préoccupa quelque peu du sujet.
120
Ibid.
Ibid.
122
« Les Frères des Loups font sauter le pont », NM, 3/06/1995, p3.
123
Ibid.
124
TS n°74, 06/1993, courrier des lecteurs.
125
« Vésubie, pas de traces sur la piste des Frères des loups », NM, 4/06/1995, p8.
126
Le Monde, 1/10/1997, op.cit.
121
45
Chapitre IV : Approche pragmatique du problème avec Corinne
Lepage : (1995-1997)
46
Michel Barnier ne fut pas sollicité sur la question des loups durant son ministère
(1993-1995), pas plus que ne l’avait été Ségolène Royal (1992-1993)127. Ce ne fut pas le cas
de Corinne Lepage. Elle succéda à Michel Barnier en Mai 1995, après la victoire de Jacques
Chirac aux élections présidentielles et la constitution du gouvernement d’Alain Juppé. Née en
1951, elle fonda avec son mari un cabinet d’avocats spécialisés dans le droit de
l’environnement128, ce qui la conduisit dès 1979 à défendre les collectivités locales dont les
côtes avaient souffert de la marée noire causée par le naufrage du pétrolier Amoco-Cadiz.
Parallèlement à sa carrière d’avocate, elle fut dès 1982 enseignante dans plusieurs universités
(Sciences-Po Paris, Paris II, puis Paris XII). Elle entra en politique comme maire adjointe de
Cabourg (Calvados) en 1989, puis échoua aux élections législatives de 1993 dans ce même
département. Au ministère de l’Environnement, sa principale action législative fut la loi
LAURE (Loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Energie) du 30 Décembre 1996, qui
instaurait un contrôle plus large et plus strict de la pollution atmosphérique et une place plus
importante aux associations qui s’en préoccupaient. Sa conception de l’écologie est globale, et
généralement centrée sur la lutte contre la pollution.
On verra que le thème des loups n’était pas essentiel à ses yeux.
I- Un problème encore peu visible à l’échelle nationale :
A) Faible couverture médiatique ?
Alors que les polémiques enflèrent durant l’année 1996 dans les Alpes-Maritimes, la
couverture médiatique nationale resta relativement faible. Si le Nouvel Observateur du 23 Mai
1996 annonça que trois communes de la Vésubie (Roquebillière, Belvédère et la BollèneVésubie) s’apprêtaient à organiser des battues administratives, Le Monde n’en fit pas
mention129. Curieusement, même Terre Sauvage se fit beaucoup plus discret que l’année
précédente. La battue administrative n’y fut mentionnée que dans le courrier des lecteurs,
avec la lettre indignée à Corinne Lepage dont un certain Marc Grihon adressait copie au
magazine. Il y dénonçait les chasseurs (ce qui était plutôt une erreur de cible) et regrettait
que : « […] les millions de personnes (partageant son avis) [fussent] moins organisées et
moins influentes que d’autres »130.
Le suivi des informations n’étant pas l’atout majeur de Terre Sauvage, sa lecture seule
condamne à ne pas comprendre grand-chose aux événements. Sans compter le courrier des
127
AP825, auditions de Michel Barnier et Ségolène Royal.
Cabinet Huglo-Lepage et associés.
129
Je n’ai pas consulté cet article du Nouvel observateur, il était mentionné dans le courrier des lecteurs, TS
n°108 07-08/1996 p 8.
130
Ibid.
128
47
lecteurs, on ne recense que 4 brefs articles concernant les loups, dont un sur ceux
d’Espagne131, mais qui en fait serait censé contenir de très nombreux et très sages
enseignements sur la situation française. A de nombreuses reprises, en effet, le magazine
publia des brèves qui expliquaient à quel point les loups étaient beaucoup mieux acceptés
dans le reste du monde132. Cette fois-ci, on apprit qu’une commune des Asturies « […] ne
travaillait plus que pour le loup, grâce à l’indemnisation, très large ! »133. Les chevaux élevés
dans cette commune étaient apparemment de qualité médiocre et les maquignons les faisaient
dévorer par les loups pour toucher des primes. Sans vouloir extrapoler, on sent tout de même
que les éleveurs étaient vus comme des chasseurs de primes.
Les autres informations données par Terre Sauvage furent le nombre de brebis
dévorées, estimé à 200 par les « experts », c'est-à-dire ceux qui étaient habilités à effectuer les
constats de prédation, les gardes-moniteurs du parc national, les employés de l’ONCFS, et les
gendarmes. Le chiffre fut critiqué par la chambre d’agriculture des Alpes-Maritimes qui
annonça 450 brebis tuées134. En Mai, Antoine Peillon nous expliqua que les loups, « […] en
ce cœur du parc national [chantaient] à pleins poumons pendant des heures. Pour le simple
plaisir de hurler à la vie »135. Il poursuivait son humanisation des loups, et lança une
polémique que l’on sentait latente : Corinne Lepage était accusée de donner raison à « […]
certains bergers et éleveurs fanatisés », pour la raison qu’elle avait envoyé un lieutenant de
louveterie enquêter sur place. Il concluait par un émouvant : « […] combien de louveteaux ne
savent pas que leur tête risque d’être bientôt mise à prix ? ». En Décembre, une brève
annonça que la CEE (qui avait été remplacée par l’UE depuis 4 ans) allait protéger les loups
en diminuant les subventions accordées à l’élevage de montagne, ce qui est confirmé par le
rapport Spagnou. La satisfaction qui se dégage de ce bref article136 indique un certain manque
de recul ou une vision de l’aménagement du territoire très axée sur la défense de la Nature
Vierge, puisque son auteur semble se réjouir de la diminution desdites subventions.
Le 5 Novembre 1996, l’émission la Marche du Siècle présentée par Jean-Marie
Cavada fut consacrée au retour des loups en France. Mais l’approche privilégiée par Cavada
131
« Haute tension »et « Le loup, l’éleveur et le petit cheval », TS n°103, 02/1996, p16 ; « Où voir le printemps
de toutes ses forces », TS n°106, 05/1996, p 47 ; « Loups sans frontières. La CEE va les protéger.
Indirectement », TS n°112, 12/1996, p 22.
132
TS n°103, 02/1996, op.cit. ; « En Israël, un gros chien asiatique est chargé d’éloigner les petits loups », TS
n°97, 07-08/1995, p 35 ; « Aux USA, hommes loups et coyotes cohabitent avec pleinement leur place », TS
n°113, 01/1997, p 36.
133
TS n °103, 02/1996, op.cit.
134
Ibid.
135
TS n°106, 05/1996, op.cit. Les citations suivantes sont du même article.
136
TS n°112, 12/1996, op.cit.
48
fut d’écarter toute polémique, « […] contraire aux principes de l’émission »137, à propos des
dégâts infligés par les loups aux éleveurs comme des conditions de leur retour. Un débat sur le
retour n’azurait servi qu’à démontrer la vacuité des arguments des partisans de la thèse du
retour organisé. La déception fut grande du côté des opposants à la présence des loups, et put
alimenter l’impression d’un fossé villes/campagnes. En réalité, on peut penser que Cavada et
son équipe ne voyaient pas dans le débat sur les loups un problème fondamental.
Pour trouver un bon suivi de la progression des loups et des débats adjacents, il faut se
référer à Nice Matin, c’est à dire à la presse locale. Presque tous les articles consacrés aux
loups furent à partir de ce moment rédigés par Jean-Paul Fronzes, qui semble avoir été
relativement neutre, ne manifestant pas de penchant nettement affirmé dans ce qui devenait
progressivement un référendum pour ou contre les loups (comme le prouve l’attitude de la
Ligue des opposants aux loups au moment des élections municipales).
Plutôt que de se demander pourquoi les débats autour des loups suscitèrent si peu
d’intérêt durant la période 1993-1997, il faudrait retourner la question : pourquoi devinrent-ils
d’actualité à partir de 1997 ? Nous en reparlerons au prochain chapitre.
B) Corinne Lepage et les loups :
Comme tous les ministres de l’Environnement entre 1993 et 2003, Corinne Lepage fut
auditionnée par la commission d’enquête parlementaire de 2003138. Elle y déclara : « […] je
suis assez catastrophée de voir combien, dans notre pays, des questions qui devraient être
secondes en matière d’environnement par rapport à d’autres, deviennent tellement
passionnelles qu’elles prennent le pas sur tout. […] alors qu’il me paraît beaucoup plus
important de se mobiliser totalement sur d’autres sujets, comme par exemple les polluants
persistants dans les sols. […] si j’étais en phase de faire quelque chose, j’aurais diablement
plus envie de me battre là-dessus que sur le loup, l’ours ou la chasse. […] cela ne veut pas
dire que je ne me battrais pas pour les protéger une fois qu’ils seront là ».
Elle ne considérait pas le problème des loups comme majeur, mais comme un
épiphénomène symbolique, symptomatique « […] d’une crise de civilisation en arrière-plan
[…] crise profonde d’une partie de la société, qui comprend mal et n’approuve pas le monde
dans lequel elle vit ».
137
138
« La Marche du Siècle ; les loups du Mercantour sans détracteurs », NM, 5/11/1996, p 26.
AP825, audition de Corinne Lepage. Toutes les citations suivantes sont de même provenance.
49
Tout à fait consciente des dangers de la déprise agricole, comme Dominique Voynet,
d’ailleurs, elle tenta de mettre en œuvre une politique concrète de coexistence entre un
élevage ovin et une présence des loups. Elle avoua s’être reposée sur ses services.
II- Des crispations toujours plus importantes, l’idée de zonage :
A) Un débat de plus en plus virulent :
On a vu que la manifestation des opposants aux loups avait abouti à la promesse d’une
solution rapide au problème via une commission multipartite. Le conseil d’administration
suivant, du 16 Décembre 1995, décida qu’il y avait « […] des mesures nécessaires à prendre
au plus vite »139, et suggérait une régulation dans la mesure où elle serait compatible avec les
textes internationaux (et particulièrement avec l’article 9 de la Convention de Berne, article
16 de la directive Habitats en droit communautaire). Charles Ginésy et le préfet des AlpesMaritimes Philippe Marland s’accordèrent également pour demander l’envoi d’un médiateur
désigné par le ministère de l’Environnement.
Dans le même temps, la Chambre d’Agriculture des Alpes-Maritimes se plaça du côté
des éleveurs et jeta de l’huile sur le feu. En fait, elle se contenta d’être la caisse de résonance
des doléances des éleveurs et rapporta sans nuances tout ce qu’ils affirmaient à propos des
loups. Une mention spéciale doit être accordée à Mauricette Millo, la directrice de la
Chambre. Elle multiplia les déclarations et les publications affirmant que les loups avaient été
réintroduits artificiellement et qu’il était par conséquent licite de les chasser140. Ses arguments
étaient pour le moins légers : la présence des loups ne pouvait pas être naturelle puisque leur
colonisation n’était pas continue entre las Abruzzes et les Alpes-Maritimes141.
Par la suite, elle souscrivit à la théorie du complot organisé par des écologistes
citadins : lors de son audition en 2003, elle accusa de façon presque explicite Geneviève
Carbone d’avoir menti à propos d’un couple de loups en captivité qu’elle accusait d’être à
l’origine de la réintroduction des loups142.
La même menaça les pouvoirs publics en Janvier 1996 : « si aucune mesure n’est
prise d’ici à la fin du mois de Mars (concernant les loups) nous conviendrons des formes à
donner à notre action. Il est hors de question de recommencer une saison d’estive dans les
conditions de la précédente »143. Les décisions attendues étaient des « […] mesures
139
« Le nombre de loups limité ? », NM, 9/01/1996, p 3.
« Les anti-loups sortent les crocs », NM, 31/01/1996, p 3 ; Daniel CHEVALLIER, op.cit., p 11 ; AP825,
audition de Mauricette Millo.
141
NM, 31/01/1996, op.cit.
142
AP 825, audition de Mauricette Millo.
143
NM, 31/01/1996, op.cit. La citation suivante idem.
140
50
définitives », comme l’avaient voté soixante éleveurs rassemblés le 27 Janvier à la BollèneVésubie par la Chambre d’Agriculture. Quelles étaient ces solutions définitives ? Comme
l’avait déclaré le président de la Chambre, Raoul Matthieu, il s’agissait de capturer tous les
loups et de les parquer144(les tuer eût été d’un effet déplorable sur l’opinion publique).
Ce ne fut pas ce que proposa le médiateur envoyé par le ministère de l’Environnement,
Jean-François Dobremez. Il proposa le zonage des Alpes, ce que l’on développera dans le
prochain point. Cette solution destinée à ménager les loups et les moutons ne plut à personne.
Les associations de protection de la Nature la dénoncèrent comme impraticable. C’était
d’ailleurs un des rares points sur lesquels ils étaient d’accord avec les organisations agricoles.
Beaucoup d’associations, comme la peu connue Région Verte, basée dans les AlpesMaritimes, et même Terre Sauvage accusèrent Corinne Lepage de céder aux éleveurs et aux
chasseurs145. Les chasseurs revenaient régulièrement dans les dénonciations, alors qu’ils
étaient pour le moment très discrets sur la question des loups. Mais l’époque était celle du
Rassemblement des Opposants à la Chasse (ROC), avec Théodore Monod comme président,
et le moment approchait des grands débats sur les dates d’ouverture de la chasse : les
chasseurs avaient mauvaise presse.
Pour les opposants aux loups, le zonage était une mauvaise solution. Ils optèrent pour
une stratégie judiciaire. C’est à ce moment que les trois communes de la vallée de la Vésubie
posèrent un ultimatum à l’Etat : si les loups n’étaient pas « […] ôtés avant le 17 Mai »146, elles
se chargeraient de « […] requérir les habitants avec armes et chiens propres à la chasse de
ces animaux afin de les détruire », en considération de la « […] carence de l’Etat », le tout
en vertu d’un article du code rural. Elles furent rejointes le 28 Mai par la commune d’Ubraye
dans les Alpes de Hautes Provence, en dépit de la réaction rapide du préfet des AlpesMaritimes, Philippe Marland, qui déféra les résolutions des trois premières communes devant
le tribunal administratif du département comme illégales (24 Mai)147. Il fut suivi par son
collègue des Alpes-de-Haute-Provence.
- Intervention du préfet des Alpes-Maritimes :
Le préfet des Alpes-Maritimes sortit de sa réserve à la fin du mois de Mai, adoptant
une posture de « […] défenseur naturel des loups »148. Cette intervention est à mon vis
significative du degré de contestation auquel étaient arrivés les opposants aux loups. En
144
« Les agriculteurs crient au loup », NM, 18/01/1996, p 10.
« Région Verte défend le loup », NM, 6/02/1996, p 10 ; TS n°106, 05/1996, op.cit.
146
« Les loups du Mercantour menacés de battues », NM, 29/05/1996, p 3. Les citations suivantes idem.
147
Ibid. ; « La peur du loup gagne les Alpes de Haute Provence », NM, 20/06/1996, p 6.
148
« Le préfet en ‘défenseur naturel’ des loups », NM, 31/05/1996, p 3.
145
51
menaçant d’organiser des battues, ils avaient lancé un défi à l’Etat, obligeant son représentant
à rappeler l’évidence, c'est-à-dire que les loups étaient des animaux protégés et que toute
chasse serait absolument illégale.
En déplacement dans la vallée de la Roya, il tenta de recentrer le débat, s’en prenant à
« […] une campagne de désinformation tendant à accréditer la thèse d’une introduction
artificielle des loups. Cette thèse ne repose sur absolument aucune preuve tangible mais elle
intéresse probablement ceux qui la colportent, car dans un pareil cas la Convention de Berne
ne s’appliquerait pas et permettrait l’éradication de cette espèce protégée »149. Il constitua un
groupe de travail visant à établir un zonage effectif dans son département.
Cette sortie relativement violente pour un représentant de l’Etat s’explique, on l’a dit,
par le climat tendu, de défi à l’Etat, qui semblait gagner les opposants aux loups. Il fallait
appuyer Marie-Odile Guth et le parc du Mercantour, qui étaient presque les seuls à gérer les
loups, puisqu’à cette époque les programmes européens n’étaient pas encore en place.
- L’échec judiciaire des opposants aux loups :
Le commissaire du gouvernement du tribunal administratif (qui ne représente pas le
gouvernement) rendit une appréciation favorable aux communes de la Vésubie lors de
l’audience du 25 Juin 1996, considérant qu’il y avait effectivement « […] une faille dans le
dispositif de protection de la faune sauvage »150, qui autorisait les communes à organiser des
battues. Mais dans ses conclusions, le tribunal administratif ne suivit pas ces
recommandations, et interdit les battues (Juillet 1996)151. Mais entretemps, ayant vu leurs
exigences approuvées par le commissaire du gouvernement, les syndicats agricoles, la
Chambre d’Agriculture et quelques éleveurs individuels se constituèrent partie civile contre le
parc du Mercantour pour mise en danger d’autrui, les loups présentant d’après eux une
effroyable menace pour des milliers de promeneurs. Marie-Odile Guth qualifia la plainte de «
[…] stupide [et de] retour vers le Moyen Age »152. La plainte fut rejetée.
Etant donné que la voie judiciaire leur était fermée, les opposants à la présence des
loups durent se résigner ou se radicaliser, penchant vers la violence ou ce que Jean Lassalle
(député UDF, Pyrénées Atlantiques) appela avec indulgence « […] l’autodéfense »153. On le
verra dans le prochain chapitre, dans lequel on verra que les tensions allèrent crescendo.
149
Ibid.
« Les élus frondeurs retrouvent le moral au tribunal », NM, 26/06/1996, p 3.
151
AP825, audition de Dominique Voynet.
152
« Les anti-loups portent plainte contre le parc du Mercantour », NM, 26/06/1996, p 3.
153
AP825, audition de Dominique Voynet.
150
52
B) Le zonage, principe, avantages et limites :
L’idée d’effectuer un zonage des Alpes fut proposée pour la première fois par JeanFrançois Dobremez, le médiateur désigné en Février 1996 par Corinne Lepage. C’était un
ingénieur de l’ONCFS et un lieutenant de louveterie. La louveterie, remontant à Charlemagne
(768-814), avait été instituée par François Ier (1515-1547), avec une ordonnance de 1520.
Elle doit son organisation militaire et son uniforme vert à Napoléon Ier (1804-1815),
coutumier du fait. Elle était chargée de lutter contre les loups dans chaque baillage, par tous
les moyens, y compris les plus odieux, décrits par Robert Delort et Geneviève Carbone dans
leurs livres respectifs154. Après la disparition des loups en France, durant les années 1930, la
louveterie devint une fonction bénévole attribuée par les préfets sur recommandation des
directions départementales de l’Agriculture et des fédérations de chasseurs, qui fut chargée
d’un rôle de conseiller en gestion de la faune.
En lui-même, le principe du zonage est simple : les Alpes seraient divisées en deux.
Une première zone serait ouverte à la colonisation par les loups et la seconde réservée à
l’élevage ovin, dans laquelle ils ne seraient pas tolérés (mais on préfèrerait les capturer que les
tuer). Il proposa dans les zones d’exclusion une gestion locale de la régulation, et un droit
« […] d’autodéfense pour les éleveurs »155, estimant qu’une régulation plus ou moins légale
était une bonne solution pour apaiser les tensions (« c’est très méditerranéen ! »), comme cela
se pratiquait en Italie156.
Dans la pratique, cette solution qui eut jusqu’à nos jours la préférence des autorités fut
combattue par tous les autres acteurs. Les opposants à la présence des loups affirmèrent que
cela revenait à diviser les Alpes en « zone libre et zone occupée »157, refusant que l’on
abandonnât aux loups une partie des pâturages (et ce même si le pastoralisme dans ces zones
n’était pas interdit et était fortement subventionné). Quant aux défenseurs des loups, ils
reprochèrent à ce projet de ne laisser qu’une portion congrue, « […] des mouchoirs de
poche »158, qui revenaient à créer « […] des zones mouroirs où les loups seraient attendus
avec des fusils » alors que le vrai zonage serait de laisser aux loups des zones de l’ordre de
« […] 10 000 kilomètres carrés, comme le suggérait le professeur Luigi Boitani », sans y
interdire le pastoralisme, bien sûr.
154
Robert DELORT, op.cit. ; Geneviève CARBONE, op.cit. pp 74-82 et 168-169.
AP825, audition de Jean-François Dobremez, en tant que directeur adjoint du parc régional du Vercors et
auteur du rapport.
156
Ibid.
157
Le Monde, 4/04/2000, op.cit.
158
AP825, table ronde réunissant des associations de protection de la Nature. Les citations suivantes aussi.
155
53
En l’état, les propositions de Dobremez et du groupe de travail de la préfecture des
Alpes-Maritimes étaient difficilement praticables. Les zones étaient divisées de façon trop
stricte, et les loups ne se préoccupent pas vraiment des frontières. Ils furent repérés dans les
Alpes-de-Haute-Provence en 1996, dans les Hautes-Alpes en 1997, en 1998 en Isère et même
en Savoie et dans la Drôme en 1999. Ce qui ne veut pas dire qu’il y eut des meutes dès cette
époque dans tous ces départements. Au moins jusque vers 2000, la Savoie, la Drôme, le Var
et les Alpes-de-Haute-Provence ne furent ne furent fréquentées que par des individus
erratiques159.
Pour autant, en dépit des critiques qui lui furent adressées, l’idée de zonage séduit
généralement les pouvoirs publics. Dominique Voynet y était favorable, et elle déclara lors de
son audition en 2003 : «nous avons cherché à mettre en place une sorte de zonage du
territoire en estimant qu’il y avait des zones sur lesquelles le pastoralisme [devait] être
prioritaire, des zones où sur lesquelles la présence des loups [devait] être tolérée et des zones
sur lesquelles il [fallait] discuter encore parce que les loups [bougeaient] »160. Il permettait
d’envisager une « […] coexistence sans cohabitation entre loups et pastoralisme »161.
De son propre aveu, Corinne Lepage ne se préoccupa plus des loups après la mi-1996
(« j’avais d’autres occupations ! »162). D’autant qu’en Avril 1997, comme on le verra, le
programme européen LIFE-Loup fut mis en œuvre. Pourtant, les débats persistaient, avec des
fissures dans les rangs des étiquetés ‘’anti-loups’’. Le remplacement de Corinne Lepage par
Dominique Voynet relança les débats.
159
Rapport final LIFE, op.cit, pp 35-39.
AP825, audition de Dominique Voynet.
161
Ibid.
162
AP825, audition de Corinne Lepage.
160
54
Chapitre V : Quand on parle du loup. Le ministère de Dominique
Voynet : (1997-2001)
Le ministère de Dominique Voynet fut celui, sinon d’une véritable mise à l’agenda du
problème des loups, du moins de sa prise en compte par les pouvoirs publics. On tentera d’en
expliquer les raisons, qui ne sont pas absolument évidentes. En réalité, bien que les loups
eussent été un dossier important pour le ministère de l’Environnement, ils furent englobés
dans un contexte plus large, celui d’une crise de confiance entre le gouvernement et ce qu’on
pourrait appeler en schématisant le monde rural. Cela nous obligera à nous écarter quelque
peu des loups eux-mêmes pour aborder l’apogée de Chasse Pêche Nature Traditions et se
malaise villes/campagnes dont beaucoup de monde parlait à cette époque.
55
I- Un ministère conflictuel :
A) Accumulation de handicaps :
Une bonne partie de la biographie de Dominique Voynet devait lui poser problème
dans sa relation avec les représentants de ce ‘’monde rural’’ dont nous parlerons plus loin.
Née en 1958 à Montbéliard dans le Doubs, elle fit des études de médecine et fut
anesthésiste réanimatrice. C’est un aspect qui n’est pas gênant, mais cela va se compliquer.
Elle fut membre-fondatrice du parti Vert en 1984, après un long militantisme écologiste dans
les années 1970 (notamment aux Amis de la Terre). Son engagement écologiste est plus
proche du naturalisme subversif sue du naturalisme conservateur, ce qui se manifesta en 1992,
lorsqu’elle prit la tête de l’opposition à Antoine Waechter ; elle contribua à ancrer le parti
Vert à gauche, contre la stratégie apolitique qui prévalait auparavant. Cette décision était
cohérente par rapport à son parcours antérieur (syndiquée à la CFDT, membre d’associations
pacifistes…). Elue députée du Doubs en 1997, lors des élections législatives anticipées de Mai
(dissolution de l’Assemblée Nationale par Jacques Chirac et défaite de la droite qui provoque
la 3ème cohabitation), grâce à un accord entre les Verts et le parti socialiste (PS), elle fut
désignée par le nouveau Premier Ministre socialiste, Lionel Jospin, au poste de ministre de
l’Environnement, auquel fut ajouté le ministère de l’aménagement du Territoire (ce qui était
une première, en temps normal il était rattaché au ministère de l’Intérieur comme ce fut le cas
en 2002-2007. Mais il a été à nouveau réuni à l’Ecologie en 2007). Elle avait 39 ans, ce qui
était relativement jeune, et aucune expérience d’ordre gouvernemental. Ses mandats de
conseillère régionale (1992-1994) et de députée européenne (1989-1991), qu’elle avait
abandonnés dans le souci louable de se consacrer pleinement à d’autres tâches
(respectivement candidate à l’élection présidentielle de 1995 et secrétaire nationale des Vert)
ne pesaient pas très lourd. Sa jeunesse et son inexpérience ne furent pas ses principaux
handicaps. D’ailleurs, son inexpérience s’explique par la pratique de son parti, qui voulait
qu’on n’eût qu’une fonction à la fois. Ce n’est plus le cas aujourd’hui puisque Dominique
Voynet est à la fois sénatrice de Seine-Saint-Denis (2004) et maire de Montreuil-sous-Bois
(2008).
Ses handicaps principaux furent sa condition féminine et son statut de membre le plus
en vue à cette époque des Verts. Il est indubitable qu’elle dut supporter un grand nombre
d’injures machistes voire misogynes. Exemple : « Dominique, si t’es aussi bonne au lit qu’au
ministère […] »163. Les opposants les plus virulents à la ministre furent les associations de
chasseurs, mais les organisations agricoles ne furent pas tendres non plus : ses bureaux furent
163
Le Monde, 26/04/2000.
56
pillés et dévastés par des agriculteurs lors d’une manifestation en Février 1999, et les
dirigeants de la FNSEA ne jugèrent pas utiles de présenter des excuses164. Car non contente
d’être une femme, il fallait qu’elle fût une écologiste et une citadine, donc suspecte a priori
des plus noirs desseins envers les paysans, par exemple de « […] vouloir chasser l’Homme de
nos campagnes alors qu’il y est la vraie espèce en voie de disparition »165. Elle fut sujette à
une suspicion immédiate et systématique de la part des chasseurs, éleveurs et agriculteurs. Or
nous verrons plus loin qu’elle ne méritait pas entièrement cette suspicion.
Cependant, il ne faudrait pas négliger les responsabilités personnelles de Dominique
Voynet. Son sens politique laissait à désirer. Il n’est pas toujours judicieux de dire la vérité
lorsqu’on est ministre : quel besoin avait-elle de déclarer en Décembre 1999 devant la France
atterrée par la catastrophe de l’Erika, ce pétrolier qui venait de provoquer une grande marée
noire, que « ce n’était pas la catastrophe écologique du siècle ». Cela parut totalement
déplacé dans la bouche d’une ministre écologiste. Son audition en 2003 par la commission
parlementaire montre une femme qu’on agace assez vite : « (à Augustin Bonrepaux qui venait
de lui poser une question assez absurde) je fais l’effort de ne pas vous caricaturer,
j’apprécierais que vous fassiez de même à mon sujet »166. Elle ne manquait pas de courage,
puisqu’elle n’hésita pas à visiter (vite) le salon de l’Agriculture sous les huées à deux reprises
(1999 et 2000), mais manquait d’influence au gouvernement (on le verra). Elle ne parvint
jamais à renouer avec les chasseurs et leurs fédérations, leurs points de vue étant trop
ouvertement incompatibles, ni avec les syndicats agricoles. Cela limita l’impact des plans
qu’elle fit élaborer à propos des loups.
B) Une succession de conflits :
- Les Grandes Heures de Chasse Pêche Nature et Traditions (CPNT) :
Le mouvement Chasse Pêche Traditions fut créé en vue des élections européennes de
Juin 1989, et officialisé sous le même nom (en rajoutant Nature) en Septembre de la même
année. Ce parti politique ne s’assumait pas comme tel : il se présente comme un mouvement
« […] ayant dû s’engager en politique par obligation »167, pour défendre la ruralité. Leur
définition de la ruralité repose sur une critique de la ville, perçue comme un lieu hostile dans
lequel tout lien social est rompu, c'est-à-dire l’exact opposé du monde rural. La dimension
164
Voir le reportage de France 2 sur le site www.ina.fr, « saccage bureau Voynet ».
AP825, phrase-type que l’on retrouve à plusieurs reprises dans la bouche de quelques députés de la
commission d’enquête, notamment Augustin Bonrepaux, député PS de l’Ariège lors de l’audition de Dominique
Voynet.
166
AP825, audition de Dominique Voynet.
167
Manifeste CPNT, in www.cpnt.asso.fr
165
57
locale est essentielle ; toutes les politiques devraient être abordées par un biais local, « […] un
aménagement du territoire équilibré et différencié »168. Ce qui implique une empreinte
écologiste dans le discours CPNT et le rapproche du naturalisme subversif post soixantehuitard. Dans le même ordre d’idées, CPNT défend une Europe des régions, dénonce la
technocratie et la confiscation du pouvoir par des professionnels de la politique, ce qui
conduit à vouloir un engagement seulement temporaire en politique169 : leur candidat à
l’élection présidentielle de 2002, Jean Saint-Josse, se taillait un franc succès en s’écriant à
chaque meeting « hé faites pas les cons ! M’envoyez pas à l’Elysée ! »170. Les élections ne
sont pour eux qu’un moyen de pression. Cependant, CPNT n’est pas véritablement ou pas
seulement un mouvement écologiste. Pas uniquement parce qu’il considère que « […] la
chasse [est] une composante fondamentale de la ruralité »171 et qu’à ce titre tous les types de
chasse sont également valables. La conception de la Nature qui est défendue est très
particulière : c’est un « […] capital à gérer […] ». Selon CPNT, « si l’on laissait faire la
Nature, on aboutirait à la banalisation des milieux ». L’Homme, en tant que maître et
gestionnaire de la Nature, doit veiller localement à maintenir la diversité des milieux. Outre sa
conception très particulière de la Nature, CPNT défend l’idée que la ville est une sorte
d’enfer, « […] pathologie de la modernité », totalement contraire au mode de vie idéal qu’est
le mode de vie rural. Mais CPNT est autre chose qu’un mouvement écologiste d’un genre très
particulier : l’empreinte du poujadisme est assez nette. Il ne s’agit pas ici de développer ce
que fut le poujadisme, ce serait hors de notre propos. Rappelons seulement que ce fut un
mouvement protestataire des petits artisans et commerçants de la France rurale, effrayés par
les transformations économiques et se sentant exclus de la modernité, à la fin de la IVème
République, mené par Pierre Poujade (1920-2003). Le discours de Poujade était corporatiste,
vite teinté d’antiparlementarisme. Il affirmait que l’élu devait avoir la même profession que
ses administrés et faire preuve de bon sens. Il défendait les petites entreprises rurales.
Tous ces aspects peuvent se retrouver dans le discours de CPNT. Mais il ne faut pas
exagérer : l’antiparlementarisme n’est pas particulièrement flagrant chez ce dernier. Il estime
qu’il faut constamment se rappeler au bon souvenir des élus, soupçonnés de toujours oublier
leurs promesses. De même, CPNT ne peut pas être accusé d’être xénophobe, antisémite et
d’extrême droite, comme Poujade. Sans être xénophobe, CPNT est très eurosceptique et
pourfend à longueur de communiqués les directives « […] injustes scélérates »172. Mais il
168
Ibid.
Céline VIVENT, CPNT, entre écologisme et poujadisme ?, Paris, l’Hartmann, 2005, p135 et sq.
170
Ibid.
171
Ibid., p 76. Les citations suivantes idem.
172
Céline VIVENT, op.cit., p 108.
169
58
semblerait que ce fût parmi les électeurs CPNT que Jean-Marie Le Pen obtint l’un de ses
meilleurs reports de voix lorsqu’il parvint au second tour de l’élection présidentielle de 2002 :
entre 10 et 14% des électeurs CPNT votèrent Le Pen, mais Saint-Josse appela à voter pour
Jacques Chirac173. Quant à l’enracinement à droite de CPNT, il est manifeste, mais pas
extrême : Jean Saint-Josse, président du parti entrer 1998 et 2004 et son candidat à la
présidentielle de 2002 était un ancien cadre du RPR. Et pour les élections européennes de
2009, CPNT s’est allié au Mouvement Pour la France (MPF) de Philippe de Villiers, parti
souverainiste, sur la base « […] d’un accord de programme et des valeurs partagées »174.
Cette longue digression sur un parti politique comme CPNT n’est pas gratuite. Comme
on va le voir, il va jouer un rôle important dans les années 1997-2002, qui sont ses années
d’apogée. Même s’il n’a pas développé de discours spécifique sur les loups, et en parla assez
peu avant 2004175, son influence indirecte fut très forte, car il obligea à parler de ruralité et
favorisa un discours sans concessions face aux écologistes en général et à Dominique Voynet
(leur tête de Turc favorite avec Noël Mamère, autre Vert) en particulier. Pourtant, avec Jean
Saint-Josse accédant à la tête du parti en 1998, le discours politique du parti devint moins
radical176. Alors qu’André Goustat, son prédécesseur, s’offusquait de ce que l’on défendît le
cinéma au lieu de la ruralité, Saint-Josse déclara « je veux bien payer pour rénover le théâtre
de la Bastille, mais alors qu’on ne me supprime pas mon école parce que j’ai 147 élèves au
lieu de 150 »177. Comme il s’agit d’un homme charismatique et drôle, il connut un succès
électoral, qui n’arrangea pas les affaires de Dominique Voynet. On peut penser (c’est une
hypothèse sur laquelle ne s’appuie aucune donnée que je connaisse) que la désignation de
Voynet au ministère de l’Environnement est une des causes des succès électoraux de CPNT
en 1998 et 1999. Aux élections régionales de 1998, CPNT obtint 32 élus dans 17 régions, et
aux élections européennes de 1999, il parvint au score honorable de 6,77% des suffrages
(1 195 727 voix) et 6 élus dont Saint-Josse.
- Un débat sociétal villes/campagnes ?
Dans la deuxième moitié des années 1990, l’idée d’un débat sociétal, d’une opposition
nette entre villes et campagnes apparut. Plusieurs articles du Monde le dirent, parfois pour la
qualifier d’artificielle et de symptomatique du « […] blocage systématique d’un monde rural
en crise qui voit dans ces réintroductions (celle des ours slovènes dans les Pyrénées) un
173
Ibid. p 87.
Editorial de Frédéric Nihous sur www.cpnt.asso.fr.
175
Conversation téléphonique avec un permanent du parti le 12/03/2009.
176
Céline VIVENT, op.cit., p 88.
177
Ibid. p 139.
174
59
complot des technocrates des villes »178, formulation quelque peu condescendante. Car tout de
même, on note dans les sources utilisées pour ce mémoire un agacement réciproque entre les
« ruraux » et les écologistes au sens large, plus que les citadins en général qui ne devaient pas
se sentir particulièrement concernés ni en déphasage total avec les premiers. Le courrier des
lecteurs de Terre Sauvage, qui donne l’opinion des écologistes, fourmille de réactions parfois
très surprenantes, dont on a déjà eu un aperçu. Mais il y en eut d’autres : « il suffit de garder
les moutons », «la liberté du loup est une claque pour nous qui avons rompu le lien qui nous
unit à notre Mère-Nature », ou un lecteur de Grenoble qui cita Platon à propos de loups,
protégés par la loi : «crois-tu qu’un Etat puisse subsister encore et n’être pas renversé quand
les jugements rendus n’y ont aucune force et que les particuliers les annulent et
détruisent ? »179. Le magazine publie cependant des lettres de personnes opposées aux loups,
mais avec parfois un brin de moquerie. Ainsi, une dame née en 1910 écrivit qu’il était
insuffisant de dire qu’il fallait simplement garder les moutons, face à « […] un fauve aussi
rusé que le renard »180, et qu’il était utile de le chasser. Le titre donné par Terre Sauvage était
« Mort aux loups en 14/18 ! ».
En s’appuyant sur ce courrier des lecteurs, on constate que le clivage villes/campagnes
décrit par André Goustat et les journalistes du Monde n’est pas tout à fait juste. Plusieurs
lettres venaient de personnes à la fois favorables aux loups et rurales : des chasseurs, des
bergers181. Une des plus intéressantes auditions effectuées par la commission d’enquête de
2003 est celle d’un berger appelé Raymond Selva qui expliqua que l’école de bergers de
Salon de Provence recevait à cette époque des centaines de candidatures, souvent envoyées
par des jeunes urbains182.
Mais à l’inverse, Nice Matin et d’autres auditions mettent en évidence l’agacement
réciproque dont on parlait plus haut : on s’élevait contre les touristes, forcément
insupportables et irrespectueux183, des technocrates venus des villes184, et les écologistes
répliquaient aux demandes d’éradication des loups « mais à qui appartient la Nature ? »
(Lionel Brard, président de FNE)185.
Je pense qu’il est trop schématique de parler d’un débat sociétal de fond entre villes et
campagnes. Tous les citadins et tous les ruraux n’étaient pas unanimes, et toutes les
178
« Un fracture artificielle entre villes et campagnes », Le Monde, 4/04/2000, p 15.
TS n° 114 et 118, 03/1997 et 07-08/1997, courrier des lecteurs, p 8.
180
TS n°115, 04/1997, p 8. La citation suivante idem.
181
TS n°118 07-08/1997 et n°129 07-08/1998, courrier des lecteurs p 8.
182
AP825, audition de Raymond Selva.
183
AP825, audition de François-Marie Perrin
184
NM, 30/07/1994, op.cit.
185
TS n°113, 06/1997, courrier des lecteurs p 8.
179
60
campagnes ne se ressemblaient pas ; il y a beaucoup de différences entre un céréalier de
Picardie et n éleveur de chèvres en montagne. Il y avait indubitablement, et selon toute
apparence il y a toujours, un sentiment assez répandu mais pas unanime dans les régions les
plus isolées, comme le Haut Pays des Alpes-Maritimes : la centralisation du pouvoir et des
décisions à Paris était mal perçue car elle était assimilée à une perte de la capacité de décision,
et les mesures de protection de la Nature étaient des contraintes destinées à satisfaire les
touristes venus de villes, comme le parc du Mercantour. Ce sentiment fut renforcé par
l’attitude de certaines associations de protection de la Nature dont le discours faisait passer le
pastoralisme par pertes et profits, et dont la volonté de créer des espaces de sanctuarisation
totales de la Nature était perçue comme une dépossession. Elles commirent en plus l’erreur de
ne pas prendre en compte dès l’abord ces perceptions réticentes, ce qui accentua le malaise.
Tous ces aspects donnèrent une impression de clivage villes/campagnes, alors qu’il
s’agirait plus probablement d’un clivage entre les écologistes au sens large et les
professions/activités auxquelles les écologistes demandaient plus ou moins poliment de
s’adapter. Y a-t-il encore un monde rural ? On peut se poser la question au vu du tollé que
provoque l’irruption du sauvage, en la personne de quelques loups. On pourra répondre à cette
question que le tollé provoqué est justement la preuve que le monde rural, basé sur
l’ordonnancement de l’espace, est toujours vivace.
- Exacerbation du débat sur les loups :
1997 et surtout 1998 virent le débat sur les loups devenir particulièrement violent dans
les Alpes-Maritimes. Les raisons que l’on peut invoquer sont l’échec des procédures
judiciaires visant à éliminer les loups, la mise en œuvre des mesures européennes perçues
comme injustes et insuffisantes, un changement d’acteurs (Dominique Voynet remplaçant
Corinne Lepage, Louis Ollivier remplaçant Marie-Odile Guth), et peut-être aussi la forte
progression des loups dans l’arc alpin qui élargit la géographie des débats.
1) L’essai de conciliation des chasseurs ?
En 1997, la fédération des chasseurs des Alpes-Maritimes manifesta ouvertement son
point de vue sur la question. On se souvient que jusqu’à présent elle avait maintenu un
équilibre ambigu : Bernard Baudin saluait un retour naturel, mais le responsable de la
commission gros gibier de la Tinée, Mr Barbier (Gilbert ou Georges selon les articles de Nice
Matin) avait affirmé sa solidarité avec les éleveurs. Cette ambiguïté peut s’expliquer par le
rôle attribué aux fédérations de chasse par le code rural : « [elles] participent à la mise en
valeur du patrimoine cynégétique départemental, à la protection de la faune sauvage et de
61
ses habitats, elles peuvent apporter leur concours à la prévention du braconnage »186. Ce qui
les place en contradiction avec les éleveurs et les bergers, dont plusieurs sont également
chasseurs, et souhaiteraient pouvoir chasser les loups. Mais on peut aussi penser que la
fédération se sentait tenue de mettre en avant le rôle écologique de la chasse en ne s’opposant
pas au retour des loups. Car depuis que la conscience écologiste augmentait, la chasse était
mal perçue et les fédérations tentaient de contrer cette désaffection. Sans aucun succès
puisque les écologistes continuaient en général à diaboliser la pratique (rappelons que la
chasse à la glu et le piégeage sont toujours pratiqués) et que la base des chasseurs ne
comprenait ces justifications étranges187.
Le discours de Bernard Baudin est tout à fait en adéquation avec la volonté de
présenter un visage plus avenant et progressiste de la chasse : « nous sommes respectueux de
la biodiversité et donc favorables [aux loups] du moins tant qu’il[s] participe[nt] aux
équilibres naturels, ce qui n’est pas le cas depuis deux ans »188. Il demanda une régulation des
loups qui limiterait les effectifs à douze individus pour les Alpes-Maritimes, sachant qu’on en
comptait officiellement 19 ou 20, chiffres apparemment fiables. Il jugea très insuffisant le
protocole LIFE-loup qui était en cours de préparation (il sera abordé plus loin), parce qu’il ne
s’axait que sur la protection des troupeaux alors qu’il jugeait nécessaire d’y adjoindre une
régulation, « […] au besoin par les armes »189. Au besoin par les armes était probablement
une formulation malheureuse, en tous cas la manifestation qui eut lieu le samedi 19 Avril
1997 provoqua un florilège de réactions outrées et/ou grandiloquentes de la part des
associations de protection de la Nature, dont celle de FNE, déjà citée, et de l’ASPAS : « […]
cette manifestation est dérisoire ; les chasseurs se mobilisent pour défendre leur passe-temps
alors que des hommes luttent pour défendre leur emploie et leur avenir. […] Ils refusent la
vraie Nature, celle des grands animaux qui attirent les touristes et feront vivre la
montagne »190. On ne sait pas vraiment de quels hommes parlait l’ASPAS, des bergers ou des
personnels hospitaliers, très mobilisés durant le printemps 1997. La manifestation fut un
succès, puisqu’elle rassembla 2000 personnes. Jean-Paul Fronzes estima que la position prise
par la fédération des chasseurs « […] affaiblissait le front du refus [des loups] », bien que les
chasseurs « […] de base » fussent souvent plus virulents que leurs dirigeants. Je ne souscris
pas entièrement à cette analyse. Factuellement, on ne vit aucun affaiblissement particulier du
« […] front du refus » (la Ligue des opposants aux loups avait disparu de la presse après Juin
186
Code rural art. L221-2, in VIVENT, op.cit. , p 38.
Céline VIVENT, op.cit., pp 47-49.
188
« Les chasseurs crient au loup », NM, 16/04/1997, p 3.
189
Ibid.
190
« 2000 chasseurs pour moins de loups », NM, 19/04/1997, p 3. Les citations suivantes idem.
187
62
1995) dans les années qui suivirent. Il faut dire que les associations de protection de la Nature
se montrèrent incapables de profiter de cette divergence de vues entre chasseurs et secteur
ovin. Elles attaquèrent violemment les chasseurs alors même qu’ils eussent pu faciliter
l’acceptation des loups pour peu qu’on régulât leur nombre. Ce manque de diplomatie ou de
sens tactique, comme l’on voudra, ne peut s’expliquer que par raideur écologiste (la chasse,
c’est mal), bien compréhensible mais tout à fait hors de propos dans le cas qui nous occupe.
De fait, les chasseurs ne furent pas suivis dans leur tentative de conciliation, et la fédération
cessa pour longtemps de se faire entendre sur le sujet, sans pour autant changer d’opinion191.
On remarquera par exemple qu’aucun membre d’une fédération de chasse ne fut auditionné
par la commission d’enquête de 2003, même si plusieurs de ses membres étaient chasseurs.
2) Le braconnage :
Outre la négociation du programme LIFE, les craintes de braconnage ont pu pousser
les dirigeants de la fédération des chasseurs à intervenir. Le braconnage est une chose qu’ils
sont tenus de combattre. Dès 1995, Antoine Peillon et Terre Sauvage annoncèrent que « […]
le premier loup [avait] été abattu de sang-froid »192, ce qui est confirmé par le rapport final du
programme LIFE193 pour la période 1997-1999. C’était un mâle qui fut tué à la chevrotine en
Septembre 1995. Mais les choses empirèrent à la fin de l’été 1997 : un loup de sexe inconnu
fut empoisonné au cyanure, et un autre tué par balles et décapité. Durant l’hiver 1998 ce fut
pire et l’on constata au printemps que deux bêtes avaient été empoisonnées avec des
anticoagulants, dont on ne retrouva que des vomissures. En Avril 1999, un quatrième loup fut
empoisonné à St Martin de Vésubie194. Il est possible mais pas avéré qu’il y eut des
braconnages supplémentaires durant la période 1995-1999.
Ces cas suscitèrent une réaction des pouvoirs publics, d’autant plus que les loups ne
furent pas les seules victimes de ces empoisonnements effectués en plaçant des quartiers de
viande empoisonnés dans le parc du Mercantour : il y eut des martres, des blaireaux, des
renards et un aigle royal qui eurent la mauvaise idée d’en manger195. Une enquête judiciaire et
administrative fut lancée, et la préfecture ordonna aux agents de l’ONCFS (renforcés par
l’envoi de 5 agents supplémentaires) et aux agents du parc du Mercantour de mener une
enquête poussée, concurrencés par des bénévoles de la FNE. L’enquête dura du 11 au 25 Mai,
et révéla que les empoisonnements étaient sûrement le fait de personnes isolées sans « […]
191
NM, 26/04/2009, op.cit.
TS n°100 12/1995, op.cit.
193
Rapport final LIFE, op.cit., p 38.
194
Ibid. ; « double enquête sur l’empoisonnement des loups », NM, 22/05/1998, p 3.
195
Ibid.
192
63
campagne concertée et organisée »196. Elle était condamnée à la fois par les professionnels du
secteur ovin et leurs syndicats, puisqu’elle mettait en péril tous les prédateurs et même les
corbeaux, dont l’utilité est grande pour retrouver les moutons disparus, ou surtout les chiens
de bergers. Par contre, « la quasi-totalité des bergers est armée […] et beaucoup ne se font
pas mystère de se servir d’un fusil de chasse pour défendre leur troupeau. Certains l’ont
même avoué […] »197. Le braconnage au fusil semble d’ailleurs être à l’heure actuelle être
assez répandu, même s’il ne provoque pas un e baisse des effectifs.
Plus personne n’était d’accord sur rien et tout le monde tablait apparemment sur la
politique du pire. Il y eut des agressions et des actes de vandalisme que l’on pourrait presque
qualifier de terroristes. Le 20 Mai 1997, un local d’information du parc du Mercantour fut
détruit par l’explosion de bouteilles de gaz, et plusieurs panneaux d’orientation furent détruits
à la hache. L’enquête n’aboutit pas. Pire encore, le 30 Juin 1997, le directeur départemental
adjoint de l’agriculture fut séquestré et frappé par des éleveurs. Les coupables furent arrêtés,
cette fois198.
Les associations écologistes et à un degré moindre Terre Sauvage étaient tout aussi
virulents, proclamant haut et fort que si les attaques de loups avaient diminué en 1998, c’était
parce que les meutes avaient été décimées, et pas parce que certaines avaient repassé la
frontière italienne, comme le pensaient les scientifiques du parc et la DDA 199. Et la guerre des
chiffres de recommencer : 20 loups pour l’administration dans l’ensemble des parcs naturels
des Alpes (en comptant les parcs d’Italie), 12 pour la FNE. Les associations écologistes
n’étaient pas d’accord sur la stratégie à tenir. Le groupe Loup-France, dont on reparlera plus
longuement ensuite, désavoué pour sa méthode « pour aider les loups, aidons les bergers »200,
fut exclu en Octobre 1998 de la mission loup de FNE.
Les manifestations d’opposition à la présence des loups suivirent la progression de
l’espèce vers le Nord, à travers l’axe des Alpes. Les loups ayant atteint la région RhôneAlpes, particulièrement l’Isère, la FNO organisa une manifestation à Lyon le 15 Octobre
1998, dans laquelle les éleveurs excédés tombèrent dans un ridicule achevé : ils demandèrent
l’éradication des loups, des lynx (présents dans l’Ain) et même des renards201. Le président de
la FNO, Denis Grosjean (ne pas le confondre avec Denis Granjean, directeur du Mercantour
en 1993) reconnut que « […] les collègues [avaient] exagéré pour les renards », c’est le
196
« Empoisonnement des loups: des actes isolés », NM, op.cit., p 3.
Ibid.
198
NM, 22/05/1998, op.cit.
199
NM, 22/05/1998 et 15/06/1998, op.cit. ; TS n°128 05/1998, p 7, éditorial.
200
AP825, audition de René Burle.
201
« A pas de loups » TS n°134 12/1998.pp 48-49.
197
64
moins qu’on puisse dire, mais il renchérit à propos des deux autres : « qu’on les tire, qu’on
les piège, qu’on les empoisonne, ça n’est pas mn problème, qu’on m’en débarrasse, c’est
tout ! »202.
Dans une ambiance aussi fanatisée, les velléités consensuelles du nouveau directeur du
Mercantour, Louis Ollivier, n’avaient pas plus de chance de se faire entendre que celles de la
ministre203 ;
C) Les intentions de la ministre :
On fit à Dominique Voynet un véritable procès d’intentions, qui n’avait pas lieu
d’être. Son approche du problème des loups se situait dans la perspective ouverte par Corinne
Lepage et Jean-François Dobremez. Son idée majeure était d’assurer une coexistence entre
pastoralisme et présence des loups. En tant que ministre de l’Aménagement de Territoire, elle
estimait en effet qu’il était nécessaire de maintenir l’élevage ovin dans les Alpes. On a vu plus
haut qu’elle était favorable au zonage, qui assurerait selon elle « […] une coexistence sans
cohabitation »204. C'est-à-dire qu’un loup pourrait être capturé voire chassé s’il entrait dans
des zones où le pastoralisme était prioritaire.
Elle s’attacha à renégocier à Bruxelles la reconduction du programme LIFE pour les
années 2000-2003 et tenta d’intéresser le ministère de l’Agriculture au problème, domaine
dans lequel elle obtint des résultats mais limités. Elle obtint certes la formation d’une mission
interministérielle conduite par un haut fonctionnaire de l’Agriculture, Pierre Bracque, mais
dès qu’il s’agit de donner de l’argent, elle n’obtint presque plus rien, comme l’indique le
rapport Chevallier205. Il est possible que les arbitrages rendus aient été généralement plus
favorables au ministère de l’Agriculture, pour deux raisons : c’est un ministère stratégique
pour la France, qui reste la 2ème puissance agricole du monde, et Jean Glavany, ministre
socialiste à cette époque était un proche de Lionel Jospin. Cela renvoie au manque d’influence
de Dominique Voynet au sein du gouvernement.
Mais au final, il est évident qu’elle ne méritait pas les critiques très dures dont elle fut
accablée.
II- Le programme LIFE-Loup :
202
Ibid.
« Mercantour, un nouveau directeur consensuel », NM, 3/02/1998, p 3
204
AP825, audition de Dominique Voynet.
205
Daniel CHEVALLIER, op.cit., p 19.
203
65
Le programme LIFE-Loup ne doit pas se prononcer à l’anglaise, c’est en fait un
acronyme français, L’Instrument Français pour l’Environnement, comme le rappela
péremptoirement Dominique Voynet lors de son audition206. LIFE-Loup était un programme
européen, suggéré par la France et réclamé pour financer les dégâts provoqués par les loups,
mais aussi pour mieux connaître leur comportement. Le rapport final du programme pour le
première période, 1997-1999, rendu publics en Mai 2000, expliquait : « l’objectif général du
programme LIFE-Loup était, d’une part de rechercher des méthodes et solutions permettant
de faciliter l’acceptation sociale et la conservation de la population de loups installée dans
les Alpes-Maritimes, d’autre part d’accompagner l’expansion de l’espèce dans l’ensemble du
massif alpin »207. C’était donc un programme environnemental, dont les aides à la filière ovine
avaient pour vocation de faciliter l’acceptation des loups, afin qu’ils pussent coloniser les
Alpes sans provoquer les tensions qui avaient pesé sur les Alpes-Maritimes. Pour cette raison,
les sommes allouées étaient réparties de la façon suivante208, pour un total de 8 millions de
francs209 :
-
2,8 millions pour assurer et améliorer la connaissance des loups.
-
432 000 francs pour communiquer sur le thème des loups et sensibiliser la population
à leur retour (organisation d’expositions, disponibilités pour les interviews à qui en
demande…)210.
-
220 000 francs pour réintroduire des cerfs et diminuer la prédation par contrecoup.
-
4,5 millions destinés aux « […] mesures d’accompagnement en faveur des éleveurs
ovins »211, dont :
- « […] mesures d’indemnisation et de compensation des dommages »212 pour les
éleveurs, pour un montant d’environ 1,1 million de francs (seulement pour les
Alpes Maritimes, les Alpes-de-Haute-Provence et les Hautes-Alpes en 1997).
- Mesures de prévention des dommages :
- parcs mobiles, cabanes démontables…
- recrutement d’aides pastoraux.
206
AP 825, audition de Dominique Voynet.
Rapport final LIFE-Loup, op.cit, p 7.
208
Daniel CHEVALLIER, op.cit. , 17.
209
9 millions pour Nice Matin, qui donne une répartition des sommes différentes, mais on s’est basé sur le
rapport parlementaire daté de 1999 (c'est-à-dire à la fin du 1er programme plutôt que sur « 3MF pour aider les
bergers contre les loups », NM, 19/04/1997, p 3.
210
Rapport final Life, op.cit, pp 80-90.
211
Daniel CHEVALLIER, op.cit., p 17.
212
Ibid. p 18.
207
66
- chiens de protection, presque tous des patous (mais il y avait aussi
quelques
marais Abruzzes et des dogues du Tibet), poste important puisque 2
millions de
francs allaient aux frais de personnel (vétérinaire, animatrice pour
les chiens et
techniciens pastoraux).
Les montants énumérés ci-dessus ne valent que pour le premier programme, mis en place en
Avril 1997 jusqu’en Décembre 1999 et appliqué aux Alpes-Maritimes, de Haute Provence et
Hautes-Alpes. Pour répondre à l’expansion des loups dans la région Rhône-Alpes, un second
programme LIFE fut mis sur pied en Juillet 1999, couvrant tous les départements concernés
(les trois précédents plus l’Isère, la Savoie et la Drôme), valable jusqu’en 2001, alors que le
premier programme n’allait pas au-delà de 2000 (il y eut un chevauchement des deux
programmes un peu difficile à suivre), et disposant d’une enveloppe de 18,6 millions de
francs. 10,2 étaient apportés par le ministère de l’Environnement, 0,9 par le ministère de
l’Agriculture (voir ce que l’on disait plus haut) et 7,5 par la Commission Européenne.
Le programme LIFE remplit en grande partie ses objectifs. La connaissance des loups
installés dans les Alpes fut considérablement améliorée213, et les mesures de prévention
employées pour réduire les dégâts sur les troupeaux permirent de réduire les pertes, sinon les
attaques. Le problème était le suivant : pour parvenir à des résultats vraiment probants, il
fallait au moins deux mesures de prévention combinées, c'est-à-dire chiens+ aides bergers
(présence humaine presque constante) ou chiens+parc mobile qui enfermerait les bêtes. Or
c’était très coûteux, voire même infaisable, car sur des terrains caillouteux et accidentés il
était difficile de placer des parcs. Autre limite du programme, il ne parvint pas à faciliter
l’acceptation des loups, dont on persistait à exiger l’éradication. Cependant, dès cette époque,
pour pallier ces problèmes, l’association écologiste groupe Loup-France, qui avait été plutôt
discrète jusque-là malgré sa fondation en 1993, lança un programme appelé Pastoraloup. Il
reprenait les recommandations du rapport LIFE avec lequel il travaillait214 pour prévenir les
attaques et les transposait au milieu associatif : il s’attacha à financer l’envoi d’aides bergers
bénévoles pour aider les éleveurs menacés par les loups, suivant en cela les recommandations
de René Burle, président du Groupe Loup-France, et ancien éleveur : « pour aider le loup, il
[fallait] aider les moutons »215.
Quelles critiques furent adressées au programme LIFE ? La principale était qu’il
s’agissait d’un programme temporaire, et que les financements retomberaient bientôt
entièrement à la charge de la France. Il fut prolongé jusqu’en 2003, puis en 2004, mais
213
Rapport final LIFE, op.cit, p 6-60.
Ibid., p 31.
215
AP825, audition de René Burle.
214
67
s’arrêta cette année-là. Plusieurs députés français trouvaient que dépenser des millions
d’euros pour quelques malheureux loups était du gaspillage. C’est un point de vue qui se
défend, mais qu’on peut retourner en disant que les millions d’euros en question sont de plus
en plus versés aux éleveurs ovins, qui en ont bien besoin. La deuxième critique découle de
cette remarque : LIFE était un programme environnemental, dont la finalité était de faire
accepter les loups. Les difficultés du secteur ovin sont d’ailleurs mieux prises en compte
depuis, grâce aux rapports de l’Assemblée Nationale et à un rapport sénatorial de 2008. Le
ministre de l’Agriculture en exercice, Michel Barnier, a d’ailleurs modifié début 2009 la
répartition des subventions à l’agriculture française en faveur du secteur ovin, au grand
mécontentement des céréaliers216
D’autres critiques furent adressées au programme LIFE, parfois complètement ineptes.
On accusa par exemple les patous de protection d’être inefficaces et surtout effroyablement
dangereux pour les touristes, en plus d’être des carnivores féroces, les marmottes auraient
disparu du Mercantour217. Denis Grosjean, avec son autorité de président de la FNO, annonça
même qu’il prenait des patous pour prouver qu’ils ne servaient à rien 218. Si les éleveurs
rappelèrent à juste titre quelques incidents entre patous et humains, il ne fallait pas exagérer :
on sait depuis que la presse en parle que les chiens en général peuvent être des animaux
dangereux. L’ennui de cette théorie du patou psychopathe est que le programme LIFE, par
précaution, mena une enquête pour connaître les réactions des patous lorsqu’ils aperçoivent
des touristes219, qui savaient (l’analphabétisme est rare dans notre pays) que les chiens
pouvaient les approcher par les 300 panneaux dispersés dans tout le parc du Mercantour sur
les sentiers de randonnée. L’enquête donna des résultats significatifs : dans 56% des cas le
chien ne réagit pas à la vue d’un touriste, dans 31% des cas il s’approcha et put aboyer, dans
les 14% restants il y eut un contact (le chien vint flairer les arrivants), contact qui donna lieu
dans 88% des cas à une réaction amicale de la part du chien, à de l’indifférence dans les 12%
restants. Aucun cas d’agressivité ne fut observé, ce qui ne veut pas dire qu’il ne pouvait pas
en avoir. Mais Daniel Chevallier précise dans son rapport que plusieurs cas de morsure furent
liés à une réaction déplorable des randonneurs, comme des jets de pierre220.
Bien que n’étant pas la panacée, les patous ne sont en aucun cas les inefficaces et
dangereux décrits par les syndicats ovins.
216
« Début de campagne difficile pour le candidat-ministre Michel Barnier », Le Monde, 17/04/2009, p 14.
AP 825, table ronde réunissant des professionnels du secteur ovin.
218
Ibid. Intervention de Denis Grosjean.
219
Rapport final LIFE, op.cit. pp 73-76.
220
Daniel CHEVALLIER, op.cit., p 23.
217
68
III- Les loups dans le débat parlementaire :
Dans le précédent chapitre, on se demandait pourquoi le thème des loups devint un
thème d’actualité nationale, ou plutôt un thème récurrent dans l’actualité nationale seulement
à partir de 1997. Ce ne peut pas être parce que les loups étaient parvenus dans la région
Rhône-Alpes, parce qu’on ne le sut qu’en 1998. Le principal centre de manifestation contre
les loups resta Nice durant toute cette période. Je vois plusieurs raisons à ce phénomène, dont
on peut penser qu’elles ont toutes joué un rôle.
Les hommes politiques se saisirent de la question à des niveaux de plus en plus élevés.
En 1994-1995, il s’agissait essentiellement d’élus locaux (maires et certains conseillers
généraux). Les hommes politiques plus hauts placés restaient à l’écart du problème. On se
souvient que Gaston Franco, qui était député de la 5ème circonscription des Alpes-Maritimes,
était favorable aux loups. Or, aux élections législatives de Mai 1997, Franco laissa son siège
de député à Christian Estrosi, qui était beaucoup moins favorable aux loups, convaincu qu’ils
avaient été réintroduits. De même, André Aschieri, député Vert de la 9ème circonscription des
Alpes-Maritimes (Grasse) élu en 1997, se définissant lui même comme « […] un écologiste
pragmatique »221, était très préoccupé par les dégâts provoqués par les loups. Ils se
retrouvèrent tous les deux à Nice lors d’une manifestation des professionnels du secteur ovin
dans laquelle on exigea l’éradication des loups (ce qui ne veut pas dire qu’ils aient partagé
cette opinion). Les élus de toutes les tendances politiques se retrouvaient pour manifester leur
solidarité avec les éleveurs222. Cette solidarité toutes tendances politiques confondues se
retrouva le 24 Octobre 1997. Une motion présentée au conseil régional de la région PACA par
Christian Estrosi et Daniel Spagnou (tous deux vice-présidents) demandait l’éradication ou la
capture des loups, sans que cela eût une valeur contraignante. Elle fut votée par tous les partis
politiques représentés (RPR, UDF, PS, PCF, Verts), sauf le Front National et le Mouvement
Ecologiste Indépendant (MEI), qui n’étaient pas non plus présents à la manifestation de
Septembre223. Au mois de Novembre, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée
Nationale, André Aschieri posa à Voynet une question à propos des loups224. Il demanda les
moyens d’une cohabitation harmonieuse entre les deux espèces plus que la destruction des
loups, à laquelle il précisa par la suite qu’il se résignerait s’il n’était pas possible de faire
autrement225. Daniel Spagnou estime qu’Ascheri est un homme de conviction et qu’il n’avait
221
Daniel CHEVALLIER, op.cit., exposé des motifs de vote.
« Manifestation anti-loup à Nice », L’Humanité, 30/09/1997, sur le site internet de l’Humanité.
223
TS n°123 12/1997, p 9, brève ; « Motion anti-loup au conseil régional PACA », L’Humanité, 25/10/1997, sur
le site internet de l’Humanité.
224
« Les loups à l’Assemblée Nationale », NM, 5/11/1997, p 10.
225
Daniel CHEVALLIER, op.cit., exposé des motifs de vote.
222
69
pas d’arrière-pensée politique en manifestant sa solidarité avec les éleveurs226. Cette
affirmation fut faite suite aux suggestions de ma part quant à une utilisation plus politique des
loups, comme instrument de lutte contre le Front National. Je m’explique. Bien que cela ne
remette pas en cause les convictions profondes des élus sur la nécessité de défendre le
pastoralisme, conviction démontrée par la durée de l’engagement desdits élus sur le sujet, on
remarque que le Front National était pro-loup, et Jean-Marie Le Pen son président avec (un
fait que Terre Sauvage évita de mentionner). Il put donc y avoir de la part des élus une
volonté de rappeler aux électeurs que ceux qui défendaient vraiment leurs intérêts étaient les
partis politiques traditionnels, et peut-être une volonté de mettre en avant ce qui rassemblait
ces partis politiques traditionnels. Cette supposition reste du domaine de l’hypothèse, mais de
l’hypothèse plausible dans la mesure où les Alpes-Maritimes votèrent très fortement FN lors
de législatives de 1997. Il y eut un candidat FN dans toutes les circonscriptions, mais pas une
seule triangulaire. La position des députés élus était d’ailleurs assez inconfortable : Christian
Estrosi fut élu avec un peu moins d’une moitié de voix de gauche, et s’il y avait eu une
triangulaire, il n’aurait pas été sûr d’être élu. Même chose pour André Aschieri, élu avec un
gros tiers de voix de droite, évitant la triangulaire parce qu’il y avait un candidat RPR
dissident au premier tour. Le thème des loups était un thème rassembleur pour toute la base
électorale de ces députés élus par des électeurs appartenant à des camps opposés.
A) La mission d’information Honde-Chevallier : (Février-Octobre 1999)
Lors de la réponse qu’elle fit à André Aschieri, Dominique Voynet admit que la
situation « […] [était] préoccupante »227, mais exclut l’idée d’un débat à l’Assemblée
Nationale autour des loups. Elle envisageait seulement « […] d’associer régulation et
prévention »228. Son opinion sur le sujet était donc bien arrêtée dès 1997. On peut supposer
que son refus d’organiser un débat parlementaire était dû à la crainte de politiser la question
des loups et de voir réclamer leur éradication, chose contraire aux engagements internationaux
de la France et à une bonne partie de la base électorale des Verts. Mais la maîtrise du sujet
allait lui échapper quelque peu, nouvelle preuve de l’influence réduite dont elle disposait au
sein de la majorité dite de la Gauche Plurielle.
Jusqu’à la fin de 1998, il n’y eut pas de nouvelle intervention sur la question des loups
à l’Assemblée Nationale. Le 15 Octobre 1998, le ministère de l’Environnement et celui de
l’Agriculture annoncèrent la formation d’une mission interministérielle confiée à Pierre
226
Entretien avec Daniel Spagnou, le 12/05/2009, Paris, 101 rue de l’Université, 12h45-14h.
NM, 5/11/1997, op.cit.
228
Ibid.
227
70
Bracque, dont le rôle était de proposer les moyens de concilier pastoralisme en montagne et
protection des loups. Pierre Bracque était inspecteur général de l’Agriculture. Peu avant, un
Comité Consultatif avait été mis en place par le ministère de l’Environnement (Juin 1998) et
cherchait à rassembler toutes les parties concernées par le retour des loups pour « […]
élaborer une stratégie nationale […] qui préserverait le pastoralisme »229. Mais dans ce
contexte d’opposition frontale entre les « pro-loups » et les « anti-loups », les syndicats
agricoles quittèrent ce comité en estimant « […] qu’il mettait l’animal au même rang que
l’Homme »230. Pierre Bracque mena donc sa mission dans un climat tendu : la création de la
mission fut annoncée le jour de la grande manifestation de Lyon.
A l’Assemblée Nationale, Estrosi profita de l’occasion pour déposer une proposition
de résolution avec Patrick Ollier (RPR, Hautes-Alpes) et Jean-Claude Guibal (RPR voisin
d’Etrosi dans la 4ème circonscription des Alpes-Maritimes, celle de Menton), le 16 Décembre
1998231. Ils réclamaient la création d’une commission d’enquête sur le retour du loup en
France, faisant leur l’argumentaire de la Chambre d’Agriculture des Alpes-Maritimes. Pour
ces élus de droite, outre que le sujet les préoccupait sincèrement, le thème des loups était
politiquement assez porteur : il pouvait semer un certain trouble dans les rangs de la majorité,
puisqu’il opposerait de nombreux élus PS à la ministre Verte de l’Environnement. Et il
marquait une différence assez nette avec le FN, qui pouvait avoir des points de convergence
avec eux sur d’autres thèmes : Estrosi avait déposé en 1991 une proposition de loi visant à
rétablir la peine de mort pour les crimes les plus graves (notamment les violeurs d’enfants),
rejoint par son collègue de Savoie Michel Bouvard., lui aussi grand opposants aux loups.
Si on rejeta la création d’une commission d’enquête, le PS vota la création d’une
mission d’information (c'est-à-dire disposant de moins de moyens et de pouvoirs
d’investigation) en Février 1999, officielle le 28 Avril232. Bien qu’opposée à l’idée, Voynet
s’y résigna. C’était cependant un nouveau désaveu pour elle, après le saccage de son bureau le
8 Février.
- Travaux de la mission d’information :
Robert Honde (Parti Radical de Gauche- PRG, Alpes-de-Haute-Provence) et Daniel
Chevallier (PS, Hautes-Alpes) furent les deux principaux membres de la commission avec
respectivement les titres de président et de rapporteur. Elle était composée de 10 membres (4
229
AP825, audition de Pierre Bracque.
Ibid.
231
« Loups, faut-il accepter la cohabitation ? », NM, 13/03/1999, p 2.
232
Ibid. ; Daniel CHEVALLIER, op.cit., p 3.
230
71
PS, 3 RPR, 1 PRG, 1 PCF et 1 UDF), dont un seul n’était pas un élu PACA, un élu de
montagne ou les deux à la fois. Dans la commission manuscrite qu’il a eu la gentillesse de
m’envoyer si rapidement, Daniel Chevallier explique que le consensus qui se dégagea parmi
les membres de la commission était en grande partie lié à cette identité de point de vue.
Interrogé par Nice Matin, Robert Honde déclara : « je suis sûr que nous ferons du bon travail
ensemble car nous sommes entre gens raisonnables et nous partageons le même souci vis-àvis du problème »233.
La commission travailla entre Mai et Septembre 1999, et interrogea assez peu de
monde, surtout des fonctionnaires, rencontra des professionnels du secteur ovin, et pour les
associations de protection de la nature, elle se limita à interroger Gilbert Simon, qui en plus
d’être fonctionnaire appartenait au groupe Loup-France. Selon Robert Honde, l’idée était
surtout d’essayer de pacifier le débat : « ce sera surtout un travail d’écoute, en espérant que
la raison l’emporte sur la passion »234. En effet, pour les propositions d’ordre pratique, il y
avait déjà le rapport Bracque, rendu public le 19 Mars235. Bracque avait pris en compte de
façon rigoureuse les instructions. Il proposa une batterie de mesures destinées à sauver les
loups, les moutons et les éleveurs. Pour les loups, il suggérait que l’on abrogeât les
dispositions du code rural contraires à la protection de l’espèce et que les communes de la
Vésubie avaient avancé pour ordonner les battues et l’uniformisation des indemnisations (afin
que l’on n’attribuât pas toujours aux loups ce qui pouvait être dû aux chiens). Mais le gros des
propositions était destiné à « […] permettre [aux éleveurs et eux bergers] de vivre de leur
métier et de l’exercer dans des conditions normales »236. On peut citer entre autres une
décentralisation des fonds d’indemnités qui permettrait de dédommager plus vite, la création
d’une assurance-risque grands prédateurs, d’une fondation d’aide au pastoralisme financée par
la grande distribution et la formation de « […] brigades de bergers » équipées de radios et de
téléphones (ce qui impliquait une amélioration du réseau dans les alpages). On notera que
Bracque voulait cantonner les loups aux Alpes et était opposé à leur présence dans la Drôme,
trop urbanisée : « voulons-nous [que les loups] viennent se nourrir dans les décharges,
comme ils le font en Espagne ? […] ils ont difficilement leur place en l’absence de proies
naturelles ». Cette remarque est pertinente, mais non seulement elle est très anticipée, mais
l’idée de cantonner les loups aux Alpes n’est pas bonne : plus ils se dirigeront vers les régions
233
NM, 13/03/1999, op.cit.
Ibid.
235
« Gérer le loup entre écologie et bergerie », NM, 20/03/1999, p 14 ; « Le comité National du loup se réunit
aujourd’hui à Paris », NM, 30/03/1999, p 2 ; AP825, audition de Pierre Bracque.
236
NM, 20/03/1999, op.cit. Les citations suivantes idem.
234
72
rurales dans lesquelles ils ne pourront pas commettre autant de dégâts que dans les Alpes, plus
on pourra les y réguler sans craindre des déséquilibres écologiques.
Les travaux de la commission se déroulèrent parallèlement à l’élaboration d’un plan de
gestion des loups par le Comité Consultatif National. Cela réduisait ses chances d’être
originale (ce n’était de toute façon pas le but), mais lui donnait un poids politique important,
car ses conclusions porteraient la parole de la représentation nationale. D’ailleurs, la
commission fut soumise à la pression des Chambres d’Agriculture et des syndicats
agricoles237. Les associations écologistes attendaient la publication du rapport pour manifester
leur mécontentement.
Le rapport Chevallier fut publié le 20 Octobre 1999. C’était un texte bref (31 pages de
rapport, 54 avec les annexes), mesuré dans son propos : il penchait pour un retour naturel des
loups tout « […] manifestant le plus grand respect pour l’une ou l’autre hypothèse »238. Mais
l’idée-force n’était ni prudente ni mesurée : « la présence des loups [était] incompatible avec
le maintien d’un pastoralisme durable »239. Formulation abrupte, malgré un objectif réel plus
nuancé. Chevallier prenait en compte l’intérêt suscité par les loups pour suggérer qu’on les
tolérât « […] dans des parcs à loup ». Le texte du rapport était obscur sur ces parcs à loups.
Cela pouvait tout autant signifier zoos que réserve vaste mais grillagée comme on en trouve
en Afrique. Dans tous les cas, l’idée de parcs à loups n’était pas totalement nouvelle
puisqu’elle avait déjà été suggérée sous Corinne Lepage, comme solution extrême. Ce qui
était nouveau était l’affirmation nette de l’incompatibilité, qui était mise sur le plan d’une
incompatibilité loup/développement durable. Dans son courrier, Daniel Chevallier a précisé
ce qu’il entendait par parc à loups : « dans notre esprit il ne s’agissait nullement d’espace
clôturé, mais d’espace en surveillance constante, avec […] un marquage (puce
électronique »240. Cette proposition était intéressante parce que les touristes étaient plus ou
moins assurés de voir un loup, mais aléatoire et coûteuse.
En général, le rapport vaut surtout par sa volonté conciliatrice et compréhensive, qui
fut saluée par tous les députés et contraste avec les propos sans nuances tenus par le député
Bouvard avant la constitution de la commission d’enquête de 2002-2003, à côté de qui
Christian Estrosi, pourtant très tranché sur cette question, semble être un diplomate
consommé.
237
Communication manuscrite de Mr CHEVALLIER, p 3. Cette pression n’étonne pas Daniel Spagnnou.
Daniel CHEVALLIER, op.cit., p 10.
239
Ibid., p 26, la citation suivante idem.
240
Communication manuscrite p 2.
238
73
- Réception du rapport Chevallier :
Le rapport Chevallier suscita des réactions assez contrastées et obtint un écho
médiatique relativement important, bien que Terre Sauvage n’en parlât pas avant Mai 2000,
mais on a déjà remarqué que ce magazine ne répercutait pas immédiatement les informations.
Le Monde lui accorda la dernière page241, mais sans qu’une farouche sympathie se
dégageât du texte. Le journaliste, Ali Habib, rappela que Jean-Pierre Chevènement (ministre
de l’Intérieur, Mouvement Républicain et Citoyen-MRC), s’exprimant au nom du
gouvernement en l’absence de Voynet et Glavany, avait qualifié le retour des loups de « […]
signes évidents du développement durable retrouvé, […] d’élément du patrimoine naturel
national, [bien qu’ayant] mis en évidence en les accentuant les difficultés structurelles de
l’élevage de montagne ». Le rapport était donc contraire aux orientations du gouvernement.
D’ailleurs, sa réaction fut embarrassée, et il se retrancha vers les engagements
internationaux de la France. Dominique Voynet, apparemment très mécontente, eut une
entrevue orageuse avec Daniel Chevallier, qui considère qu’elle manquait complètement
d’objectivité
sur
la
question,
en
épousant
les
« […]
thèses
des
associations
environnementales »242. Quant au ministère de l’Agriculture, il se désintéressa de la question,
tout en participant au comité consultatif national. La presse régionale accueillit le rapport de
façon globalement positive, et le milieu rural également, ce qui était relativement logique243.
Les associations de protection de la nature ne furent bien entendu pas satisfaites : «le
rapport Honde-Chevallier n’est pas très objectif et est très influencé par la perspective des
municipales »244, dit le président de la Société d’Etude et de Protection des Mammifères.
Quelle fut la postérité de ce rapport ? De l’aveu même de son auteur, il fut quelque peu
oublié, car il était contraire à ce que voulait le gouvernement, et Dominique Voynet l’avait
dès le départ vu d’un mauvais œil. Cependant il permit de mettre en évidence les problèmes
de la filière ovine au niveau de la représentation nationale, et en ce sens est un précurseur.
B) Le débat sur la chasse : (Mars-Avril 2000)
Depuis plusieurs années, les associations écologistes et Terre Sauvage s’attaquaient à
la pratique de la chasse, considérée comme un accaparement honteux de la nature au
détriment des promeneurs, randonneurs et autres vététistes. Parallèlement, et depuis la fin des
années 1980, il y avait une forte mobilisation des chasseurs du Sud-ouest contre la directive
241
« Un rapport parlementaire préconise l’exclusion des loups des zones d’élevage », Le Monde, 21/10/1999,
dernière page. La citation suivante idem.
242
Communication manuscrite, p 4.
243
« Un rapport parlementaire affirme l’incompatibilité entre loup et pastoralisme », NM, 21 :10 :1999, p 3.
244
TS n°150, 05/2000
74
Oiseaux (79-409/CEE du 2/04/1979). CPNT émergea à cette occasion, Saint-Josse étant à la
pointe de ce mouvement, le siège du parti est à Pau. Cette directive prétendait harmoniser les
dates de chasse aux oiseaux migrateurs à l’échelle de l’Europe, ce qui impliquait leur
réduction d’à peu près deux mois en France.
Dominique Voynet présenta un projet de loi sur la chasse qui avait pour but de régler
les rapports chasseurs/promeneurs et de faire appliquer la directive Oiseaux, qui n’était pas
respectée et valait à la France d’être condamnée tous les ans depuis 20 ans devant la Cour
Européenne de Justice. Tout ça n’a rien à voir avec les loups, dira-t-on. C’est vrai, pour
l’instant. Car la très forte mobilisation de CPNT et de ce qu’il faut bien appeler le lobby des
chasseurs à l’Assemblée Nationale fit de ce débat sur la chasse un grand déballage des
plaintes du monde rural envers l’Etat. Les grands prédateurs étaient la principale plainte.
Voyons d’abord rapidement les prémices du débat sur la chasse. Durant l’été 1999,
Lionel Jospin confia au député François Patriat (PS, Côte d’Or, actuel président de la région
Bourgogne) la charge de rédiger un rapport sur les conditions d’exercice de la chasse qui
permettrait une refonte globale de cette pratique. Le rapport fut remis en Octobre et le projet
de loi rédigé par le ministère de l’Environnement présenté en Conseil des ministres le 16
Février 2000. Il suscita immédiatement les hauts cris de CPNT qui y vit une provocation de
d’une partie de l’opposition et de la majorité, accusant Voynet de sectarisme, d’incompétence,
de nullité, on rappela sa malencontreuse sortie à propos de l’Erika, et on regretta qu’elle eût
conservé son poste suite au récent remaniement ministériel. Ce projet gouvernemental fut
retoqué parce que le PCF s’y opposait au nom de la défense de la chasse populaire, etc.
Finalement, lors du débat parlementaire des 28 et 29 Mars, ce fut la proposition de loi de
François Patriat légèrement modifiée qui fut présentée. Le Monde affirma qu’il s’agissait d’un
camouflet pour Voynet, mais que Jospin cherchai à éviter une plus grande humiliation, raison
pour laquelle on ordonna au député Henri Sicre (PS, Pyrénées Orientales, président du groupe
d’études sur la chasse de l’Assemblée) de se taire. Mais on ne pouvait pas éviter la présence
pesante de Saint-Josse et ses militants dans les tribunes, et les manœuvres de séduction à leur
égard de députés de toutes tendances, à l’aide de phrases-chocs dont voici un florilège : « Ce
projet conduit à une soviétisation de la chasse » (Maxime Gremetz, PCF Somme), « Il
faudrait rattacher la chasse au ministère de l’Agriculture ou au ministère de la Jeunesse et
des Sports » (Jean-Claude Lemoine, RPR Manche), mais la palme revint à Charles de
75
Courson (UDF Marne), avec une phrase d’anthologie : « la chasse est comme l’Amour, il faut
l’avoir connu pour en parler »245.
Le gouvernement ne vit pas venir l’amendement Bonrepaux, du nom de ce député
socialiste de l’Ariège dont il a déjà été question plus haut. Il faut dire qu’il n’avait rien à voir
avec la chasse et ne concernait que les grands prédateurs : « Compte-tenu de la perturbation
que génèrent les ours slovènes réintroduits en 1996, il sera procédé à leur capture ».
L’amendement fut adopté, mais en revanche Estrosi ne parvint pas au même résultat lorsqu’il
voulut élargir l’amendement aux loups. Ne pouvant rien contre l’amendement Bonrepaux (il
est possible que leur contentieux date de cette époque), Voynet dut réagir pour empêcher que
les loups ne subissent le même sort : elle affirma dans le Journal du Dimanche du 2 Avril
2000246 que les loups resteraient dans les Alpes et qu’elle essaierait d’obtenir le retrait de
l’amendement Bonrepaux, jugé « […] irrationnel et de mauvaise foi ». Il faut reconnaître que
Bonrepaux n’avait pas tort de dénoncer les dégâts causés par les ours, mais il eût dû préciser
qu’il s’agissait des oursons de l’ourse Melba, dont on a vu la situation spécifique.
Bien que Le Monde ait supposé que les efforts d’Estrosi se répercuteraient au Sénat, ce
ne fut pas le cas. La loi sur la chasse fut promulguée le 26 Juillet 2000, et l’amendement
Bonrepaux y avait été déclaré inconstitutionnel par le Conseil Constitutionnel (CCons. 200434). Le débat sur la chasse, s’il n’eut pas de conséquences sur la situation des loups en
France, fut tout de même révélateur de la convergence des débats entre écologistes et ruraux,
l’un servant de tremplin à l’autre : Bonrepaux et Etrosi se saisirent du débat sur la chasse pour
demander l’enlèvement des grands prédateurs, alors que ce n’était pas le sujet. Cela peut
permettre de comprendre pourquoi une partie des membres de la commission d’enquête de
2003 fut si marquée anti-écologiste, et pourquoi il y eut une appréhension élargie du problème
des grands prédateurs, pas seulement les loups mais aussi les lynx et les ours. Mais sur la
cause immédiate de cette convergence, on peut supposer que la personne de Voynet l’a
favorisée, étant suspecte a priori. La loi sur la chasse mécontenta les chasseurs et renforça
CPNT par contrecoup.
C) Le plan gouvernemental sur les loups :
Pendant que le débat sur la chasse mettait l’Assemblée en verve, le Plan
Gouvernemental pour la préservation du pastoralisme et du loup dans l’arc alpin fut rendu
public (30 Mars 2000). Il est assez significatif du procès d’intention fait à Voynet, car il était
245
« Un débat sur la chasse qui s’annonce périlleux pour Dominique Voynet », Le Monde, 30/03/2000, p 12. La
citation suivante idem.
246
Le Monde, 4/04/2000, op.cit. La citation suivante idem.
76
sur certains aspects plus sévère que le rapport Bracque. Le rapport Chevallier, bien qu’enterré,
avait pu servir à faire pencher les conclusions finales vers une plus grande sévérité à
l’encontre des loups. Des tirs au loup étaient envisagés, ce qui ne se trouvait pas dans le
rapport Bracque, et les zones dans lesquelles les loups étaient intouchables se limitaient au
Mercantour et au parc régional du Queyras (même si on pouvait élargir ces zones en fonction
de la progression des loups et de l’évolution de leurs populations). Sur le reste du territoire, ils
pouvaient être chassés en fonction des dégâts provoqués aux troupeaux. Aides et
indemnisations étaient maintenus. Avec le recul, Daniel Spagnou estime que le plan Voynet,
« […] était trop restrictif, même s’il avait le mérite d’exister »247.
Comme il était prévisible, tout le monde manifesta son opposition au projet. Les
représentants du secteur ovin, confrontés à un pic de prédation (qui depuis s’est stabilisé à ce
niveau mais avec une population de loups en forte hausse), continuèrent à exiger l’éradication
des loups et reprochèrent au zonage qui était préconisé de créer une division du territoire
(« zone libre/zone occupée »). Et toutes les associations de protection de l’environnement
déplorèrent l’état actuel du plan. Le groupe Loup-France regretta que les loups vissent avec ce
plan « […] leur colonisation stoppée »248. La FNE critiqua et le plan et le secteur ovin : « la
Nature n’est pas un jardin ». L’ASPAS fit une déclaration qui pourrait corroborer l’idée d’un
clivage villes/campagnes : « le rural profond veut aseptiser la Nature ». Interrogée par Terre
Sauvage, Geneviève Carbone estima que le Plan Loup était un retour au XIXème siècle et au
système de primes249.
Le plan fut mis en application en Juin 2000. Dès Octobre 2001, dans la Vésubie, il y
eut ce que Dominique Voynet appela « […] la preuve de l’attitude ouverte du ministère »250,
parce qu’une autorisation de tir au loup fut délivrée, mais n’aboutit pas, parce que les
associations de protection de l’environnement occupèrent le site de la battue (mais le loup
pouvait tout aussi bien être parti et loin). A cette époque, Voynet n’était plus ministre de
l’Environnement, remplacée par Yves Cochet (Verts, Paris).
Le protocole précisait « […] que c’était devant l’échec des mesures de protection des
troupeaux que des mesures de capture voire de destruction pouvaient être envisagées, et non
en fonction de décisions irrationnelles, de sentiments locaux ou de politique locale ». Pour
éviter que la chasse qui devenait envisagée ne devînt systématique, elle fit casser par un arrêté
247
Entretien avec Daniel Spagnou.
Le Monde, 4/04/2000, op.cit. Les citations suivantes idem.
249
TS n°150, 05/2000, op.cit.
250
AP 825, audition de Dominique Voynet. La citation suivante idem.
248
77
de Mai 2001 un arrêt du Conseil d’Etat qui autorisait les battues aux loups et contredisait donc
le tribunal administratif des Alpes-Maritimes.
Ce fut sa dernière décision sur le dossier des loups, car elle démissionna le 10 Juillet
2001 de son ministère, pour prendre le poste de secrétaire national des Verts. Quel bilan peuton faire de son action sur le dossier des loups ? A son passif on doit remarquer que c’est
durant son ministère que les tensions furent les plus vives entre écologistes et secteur ovin.
Elle n’était pas entièrement responsable, car elle hérita d’une situation déjà très dégradée,
mais elle ne sut pas trouver le moyen de prouver que ses propositions n’étaient pas celles des
associations de protection de la nature (personne n’était content). C’est un passif lourd, mais à
l’actif il faut signaler qu’elle obtint des rallonges sur les programmes LIFE, tenta d’intéresser
le ministère de l’Environnement à ce dossier et en obtint des contributions. Le fait que son
plan gouvernemental ait été critiqué par tout le monde indique à mon avis qu’il n’était pas si
mauvais…
78
Chapitre VI : De l’après-Voynet à la commission d’enquête
parlementaire sur la présence du loup en France et le Plan Loup :
(2001-2004)
Dominique Voynet fut remplacée en Juillet 2001 par Yves Cochet, né en 1946, qui
était lui aussi membre du parti Vert, député de Paris et vice-président de l’Assemblée
Nationale. Resté en poste 10 mois, jusqu’en Mai 2002, il n’eut pas l’occasion de marquer de
façon notable le débat sur les loups, même si ses opinions étaient probablement plus
favorables aux loups que celles de Dominique Voynet251. Il était opposé aux tirs et à la
régulation, parce qu’à son avis la responsabilité majeure incombait au productivisme importé
dans le secteur ovin.
L’élection présidentielle de 2002 ayant donné le résultat surprenant que l’on sait
(Jospin éliminé au premier tour, Le Pen présent au second, et Jacques Chirac devenant de ce
fait le président le mieux élu de la Vème République), Yves Cochet fut remplacé par
Roselyne Bachelot (Union pour un Mouvement Populaire –UMP, Maine-et-Loire). Elle non
plus n’avait pas particulièrement l’intention d’intervenir sur la question des loups. Le
ministère de l’Environnement était plus préoccupé par les thèmes du développement durable
et de la Charte de l’Environnement, que le président souhaitait adjoindre à la Constitution (ce
qui fut officiel par une ordonnance du 29 Avril 2005).
Il est indéniable que Jacques Chirac a une sensibilité écologiste assez forte, surtout
pour un homme de sa génération (il est né en 1932 et avait 70 ans au moment où nous
251
AP825, audition d’Yves Cochet.
79
sommes arrivés)252. Il voulait mettre la France à l’avant-garde du combat contre le
réchauffement climatique et c’est à ce titre qu’il déclara lors du Sommet Mondial sur le
Développement Durable à Johannesburg (26 Août-4 Septembre 2002) : « Notre maison brûle,
et nous regardons ailleurs ». Les loups étaient peu de chose face à des enjeux d’une telle
ampleur. Malheureusement, l’un d’eux eut l’idée très regrettable de faire parler de lui : le 20
Juillet 2002, dans la commune de Moulinet, une attaque provoqua un décrochement du
troupeau qui se précipita du haut d’une falaise : 404 moutons tués. Ce drame (pour le
propriétaire autant que pour les moutons) suscita une émotion assez forte pour servir
d’élément déclencheur à une proposition de résolution de Christian Estrosi, réclamant à
nouveau la création d’une commission d’enquête.
I- La commission d’enquête sur la présence du loup en France : (2002-2003)
A) Formation de la commission :
- Un contexte particulier :
L’accident du 20 Juillet 2002 servit d’élément déclencheur à la formation de la
commission d’enquête. Mais à lui tout seul il ne suffisait pas. Tout un faisceau de
circonstances permet d’expliquer pourquoi on forma cette commission d’enquête, c'est-à-dire
disposant de moyens élargis, et la façon dont se déroulèrent les travaux.
Le premier aspect est le plus évident aux yeux de qui a lu les cinq précédents
chapitres. Christian Estrosi était engagé sur le sujet des loups depuis des années, et il fut
rejoint à l’Assemblée par Daniel Spagnou, qui fut élu député des Alpes-de-Haute-Provence
pour la première fois en 2002. Profitons-en pour présenter Estrosi (on parlera de Spagnou plus
loin). Né à Nice en 1955, c’est un ancien champion de moto, engagé dès 1983 en politique,
lorsqu’il fut élu conseiller municipal de Nice. A peu près aussi précoce que Nicolas Sarkozy,
ministre de l’Intérieur du moment dont il est proche, il devint conseiller général du Haut Pays
en 1985 et député de la 5ème circonscription des Alpes-Maritimes en 1988. En tant qu’élu
local, il estima avoir été plus ou moins trompé en 1993 par le secret maintenu durant 7 mois
sur le retour des loups. Sa conviction d’une réintroduction artificielle date de cette époque. Il
manifesta plus ouvertement sa solidarité avec les éleveurs lorsqu’il fut réélu député de la 5 ème
circonscription, et cette fois avec une grande virulence : « […] dénon[çant] avec force
l’imposture selon laquelle les loups seraient revenus naturellement »253. S’il ne parvint pas à
se faire entendre entre 1997 et 2002 (il ne fut pas membre de la mission Honde-Chevallier),
252
253
Voir Nicolas Hulot, in Pierre PEAN, l’Inconnu de l’Elysée, Fayard, Paris, 2007, pp 467-477.
Daniel CHEVALLIER, op.cit., 4 43.
80
les choses changèrent à partir de 2002, lorsque la majorité passa à la droite. Il était un homme
politique en vue et membre du parti majoritaire. Député, vice-président du conseil général des
Alpes-Maritimes dont il allait devenir le président en Septembre 2003, il était l’auteur en 2001
de Insécurité : Sauvons la République (éditions du Rocher), qui prouvait sa capacité à sentir
l’air du temps. Signalons que sa carrière ascendante se poursuivit par la suite : il fut ministre
délégué à l’Aménagement du Territoire (de 2005 à 2007) puis secrétaire d’Etat à l’Outre-mer
(de 2007 à 2008), auprès du ministre de l’Intérieur dans les deux cas. Il quitta son ministère
pour conquérir la mairie de Nice, en plus de la députation et de la présidence de Nicemétropole. A la fin 2002, il pouvait sans trop de problèmes obtenir la création de la
commission d’enquête puisque l’UMP disposait de la majorité absolue à l’Assemblée.
De plus à ce moment, tous les partis politiques s’accordaient à penser qu’il fallait
prendre en compte les problèmes du monde rural. Aux élections présidentielles, Jean SaintJosse, en tant que candidat CPNT, avait obtenu le score honorable de 4,23% des voix
(1 204 000 voix), devancé d’à peine 6000 voix par le candidat de la Ligue Communiste
Révolutionnaire, Olivier Besancenot, et devançant de 90 000 voix le candidat libéral Alain
Madelin. Dans certaines régions rurales, Saint-Josse arrivait en 4ème ou 5ème position, avec aux
alentours de 9% des voix (Alpes-de-Haute-Provence, Pyrénées Atlantiques). Il lui arriva de
dépasser Jospin dans certaines communes rurales des Alpes-Maritimes (St Etienne-de-Tinée,
St Delmas-le-Selvage, Ilonse, Moissans) ou de faire jeu égal avec lui comme à Isola. Même
s’il n’y avait pas besoin de CPNT pour être anti-écologiste (les bergers et les éleveurs le
pouvaient sans être poussés), cette force peut expliquer sinon la tonalité anti-écologiste des
auditions, du moins l’unanimité des groupes parlementaires à approuver la création de la
commission.
Dans le même temps, les députés étaient liés par les engagements environnementaux
du président de la République. S’ils n’ont joué aucun rôle dans la création ou le déroulement
des travaux de la commission, ils ont été invoqués à de nombreuses reprises par les
associations écologistes pour modérer ce qu’ils pensaient être les ardeurs anti-loups de la
commission. Daniel Spagnou n’avait pas pour objectif l’éradication des loups, il l’avait
déclaré à de nombreuses reprises à la presse, répété aux auditionnés de FNE et me l’a
réaffirmé au cours de l’entretien qu’il m’a accordé254. Mais je ne suis pas convaincu que
certains députés n’aient pas eu cet espoir secret en rejoignant la commission. Or, c’était
impossible car la France avait signé les diverses conventions relatives à la protection des
254
AP825, table ronde réunissant des membres de la FNE.
81
animaux et Chirac venait de réaffirmer l’attachement de la France à la biodiversité, comme il
fut précisé dans l’Introduction du rapport (p 11).
- Création de la commission :
La proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la
présence du loup en France (n°155) fut déposée le 29 Juillet 2002, soit à peine 9 jours après
l’accident de Moulinet. Estrosi la présentait, et elle était signée par 10 autres députés, tous
membres de l’UMP et originaires d’un département colonisé par des loups. L’exposé des
motifs était sans nuance ; on y lisait : « d’une façon générale, la présence du loup porte
atteinte à l’environnement, à l’activité touristique et au pastoralisme »255. Soutenue par
Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du
territoire de l’Assemblée, signataire de la proposition de résolution de 1998, approuvée par
des députés PS comme François Brottes (Isère et membre de la mission Honde-Chevallier), la
proposition fut adoptée à l’unanimité des partis politiques le 5 Novembre 2002, 10 ans jour
pour jour après la première observation. « Dix ans pile ! » s’écria fougueusement Estrosi en
interrompant son collègue Ollier256. On eut des exposés lyrico-catastrophistes selon lesquels
les loups mettraient en péril la survie du monde rural en général (Jean Lassalle : « quelle est
donc cette philosophie complètement folle qui voudrait que les hommes s’éclipsent [parce
qu’est revenu] le temps des fleurs, des bêtes ? […] »). Seul André Chassaigne (PCF, Puy de
Dôme) fit montre parmi les orateurs de ce jour là d’une pondération dont il ne se départit pas
tout au long des travaux de la commission.
La commission comptait 20 membres, dont seule une moitié participa activement aux
travaux : Christian Estrosi, le président, Henriette Martinez (UMP, Hautes-Alpes) et François
Brottes, vice-présidents, Jean Lassalle et André Chassaigne, secrétaires, Daniel Spagnou, le
rapporteur et le seul qui ait été toujours présent à en juger par les rapports d’audition,
Augustin Bonrepaux et Geneviève Perrin-Gaillard (PS Charente). Les autres participèrent peu
ou pas du tout.
- Objectifs de la commission :
Si l’on suit Daniel Chevallier, la commission d’enquête devait prouver que les loups
étaient revenus « […] dans le coffre d’une voiture »257 et de ce fait remettre en cause la
255
Proposition de résolution n°155 du 29/07/2002.
Compte-rendu des débats parlementaires du 5/11/2002, 2ème séance.
257
AP825, audition de Daniel CHEVALLIER.
256
82
protection des loups (la Convention de Berne ne s’appliquerait pas)258. C’était la grande
crainte des associations écologistes259, et permettrait d’expliquer l’acharnement d’Estrosi à
demander si les loups étaient bien revenus naturellement, et à demander des preuves
officielles à qui répondrait oui260.
Compte-tenu des propos outranciers de certains députés de la commission (comme
Michel Bouvard, ou même Hervé Mariton, UMP Drôme), on peut penser que certains
l’avaient envisagé et comprendre que certains aient craint qu’on ne voulût éradiquer les loups.
Mais ce n’était pourtant pas le but recherché. Estrosi n’en fait pas mention dans la proposition
de résolution, et Daniel Spagnou, on le répète, n’y était pas favorable et préconisait une
régulation. On constate que sa position, tout comme celle de Christian Estrosi, avait évolué
depuis 1997. Il transparaît de façon nette des rapports d’auditions que l’un et l’autre
penchaient pour une régulation, assez stricte, mais pas pour une éradication.
En fait, pour résumer, on pourrait dire que les objectifs de la commission d’enquête
étaient de savoir dans quelle mesure on pourrait réguler les populations de loups (et
accessoirement de lynx et d’ours, sans contrevenir aux engagements environnementaux de la
France et de son président. Cela pour améliorer au maximum les conditions d’exercice du
pastoralisme en montagne. Il y avait également la volonté de démasquer ce qu’Estrosi et avec
lui beaucoup de ses collègues pensaient être une réintroduction inavouée des loups. Là-dessus
ils ne découvrirent rien d’autre que ce que j’ai présenté au chapitre III.
L’intitulé exact fut Commission d’enquête sur les conditions de la présence du loup en
France et l’exercice du pastoralisme en montagne. Il fallait répondre aux demandes des
éleveurs et proposer des solutions qui pussent améliorer la pratique pastorale.
B) Les travaux de la commission :
- Le rapporteur Spagnou :
Daniel Spagnou était et est toujours le député-maire de Sisteron dans les Alpes-deHaute-Provence. Né en 1940 et membre de l’UMP, il était maire de Sisteron depuis 1983,
mais c’était son premier mandat comme député.
Globalement, il fut plus discret sur ses opinions que d’autres lors des auditions
parlementaires. Pensant comme beaucoup de ses collègues qu’il y avait eu des
réintroductions, il n’était pas anti-écologiste comme pouvait l’être Jean Lassalle. C’était lui
qui avait obtenu qu’on invitât la fondation Brigitte Bardot, dont il est membre, à venir
258
Communication manuscrite p 5.
« Mais qui a peur du loup ? », TS n°181, 02/2003, p 45.
260
AP825, audition de Luigi Boitani, Pierre Taberlet
259
83
exprimer ses opinions sur le sujet des loups. D’ailleurs, c’est durant la table ronde réunissant
des associations écologistes, dont la fondation Brigitte Bardot, qu’il perdit pour la seule fois
son calme : au représentant de l’ASPAS qui contestait la légitimité de la commission
d’enquête, il rétorqua : « monsieur, vous n’êtes pas ici pour faire le procès de qui que ce
soit ! »261 En revanche, il salua les propositions de René Burle, pour lequel il a de l’estime,
considérant que le groupe Loup-France, « […] bien que très pro-loup, n’est pas une de ces
associations qui vivent du loup »262.
Son rapport est un ouvrage dense et complet abordant les problèmes de la filière ovine,
l’éthologie des loups, des ours et des lynx, leurs prédations et les moyens de lutter contre. Sur
la question du retour naturel ou non des loups, bien que sa conviction personnelle soit qu’il y
a eu des réintroductions, il admit qu’il y eut aussi et probablement un retour naturel. A ce
sujet, il manifesta une caractéristique du rapport, qui n’ôte rien à sa qualité, mais qui est assez
surprenante : les titres sont plus virulents que les contenus. Par exemple au point « un retour
naturel est possible mais de lourdes incertitudes subsistent »263, il estima que des retours
naturels étaient presque certains, mais que tout de même il y avait eu probablement des
réintroductions, tout en rappelant que celles des années 1980 avaient échoué, « […] parce
qu’un loup imprégné par l’homme est beaucoup moins adapté à la vie sauvage ». C’est un
phénomène assez curieux, qu’a pointé André Chassaigne dans ses explications de vote.
- Conclusions de la commission :
Les commissions d’enquête parlementaire durant 6 mois, le rapport Spagnou fut
déposé le 2 Mai 2003 et publié le 14. Si l’on veut résumer ce qui fut proposé dans le rapport,
il faut rappeler le titre de la quatrième partie : « seule une politique de régulation et de
maîtrise de l’espèce loup permettra de concilier les obligations liées à la protection de la
faune sauvage et la sauvegarde du pastoralisme ». L’idée d’un zonage était reprise et
modifiée dans un sens qui n’aurait pas déplu à Dominique Voynet : il fallait définir 3 zones,
celles de protection intégrale, celles où l’on les tolèrerait et celles où il était hors de question
de les laisser s’établir264. Le tout en fonction de « […] seuils de compatibilité ».
L’incompatibilité totale entre loup et pastoralisme n’était pas réaffirmée parce que la France
ne pouvait pas s’abstraire de ses engagements internationaux : se retirer de la Convention de
Berne, qui eût été du plus mauvais effet au niveau international, n’empêchait pas la directive
261
AP825, table ronde réunissant des associations de protection de la nature.
Entretien avec Daniel Spagnou.
263
Daniel SPAGNOU, op.cit., p 35. La citation suivante idem.
264
Ibid., proposition finale n°10. La citation suivante idem.
262
84
Habitats de s’appliquer265 et il était exclu de faire pression pour changer le statut des loups à
l’échelle européenne, même s’il était précisé que les loups n’étaient plus une espèce en voie
de disparition à l’échelle de l’Europe (affirmation non dénuée de fondements sur laquelle les
spécialistes pourraient discuter des heures). Il fallait jouer sur les marges de manœuvre
étroites des articles 9 de la Convention de Berne et 16 de la directive.
Par ailleurs, Daniel Spagnou insista sur la nécessité d’anticiper et de prévenir les
expansions futures des loups (il précisa par exemple qu’une présence dans le Massif Central
ne poserait probablement pas de problèmes ; au contraire, cela permettrait de réguler les
populations de sangliers), de développer des indemnisations rapides266 et des indemnités
compensatrices « grands prédateurs »267, qui anticiperaient les dégâts et seraient basées sur le
modèle de l’indemnité compensatrice de handicap naturel (ICHN). Il estima qu’une régulation
immédiate mais sélective en cas de prédation pouvait être mise en place en respectant la
directive Habitats. A ce sujet, Jean Lassalle expliqua son abstention par l’absence de remise
en cause de la directive Habitats, qu’il abhorrait sous le prétexte qu’elle sanctuariserait la
Nature en y excluant les Hommes. On n’a pas la place ici de discuter cette interprétation. La
régulation devait pour Daniel Spagnou être locale et rapide, autorisée aux bergers détenteurs
d’un permis de chasse en cas d’attaque sur leur troupeau, sauf dans les zones de protection
intégrales268.
En ce qui concerne la défense du pastoralisme, il émit des propositions de bon sens
que l’actualité récente a montré difficiles à mettre en œuvre : redéployer les aides de la PAC
en faveur de l’élevage ovin. Il approuva l’idée de soutenir la création d’aides-bergers, et prit
acte de l’engouement d’une partie de la population pour ce métier en recommandant
d’augmenter le nombre de places dans les écoles de formation. Enfin, il suggéra d’améliorer
globalement les conditions de vie dans les alpages (réseau téléphonique, cabanes, points
d’eau…)269.
Je pense que pris globalement, c’était un projet cohérent et sérieux. Certes il
impliquait qu’on chassât des loups et déplaisait aux associations de protection. Mais la
comparaison avec l’Espagne et l’Italie indique clairement que le braconnage, tant qu’il n’est
pas intensif, ne met pas en péril la survie de l’espèce270. Il prenait également en compte les
265
AP825, audition de Nicholas Hanley.
Daniel SPAGNOU, op.cit., proposition finale 3.
267
Ibid., proposition 4.
268
Ibid., proposition 16.
269
Ibid., proposition 18 à 21.
270
AP825, auditions de Jean-François Dobremez et Luigi Boitani.
266
85
difficultés de l’élevage ovin, comme le remarqua Roland Chassain (UMP, Bouches du Rhône)
dans son explication de vote.
On pourrait cependant relativiser cette appréciation laudative en remarquant la grande
méfiance envers un « […] lobby écologiste »271. Il fallait « […] en finir avec la cogestion »
entre le ministère de l’Environnement et certaines associations de protection de la nature
(FNE était visée), mais surtout exclure les bénévoles desdites associations de la collecte
d’échantillons sur le terrain, qu’il fallait réserver à des agents assermentés, sous prétexte que
leurs échantillons seraient sujets à caution. Cette suspicion n’était pas propice à faire accepter
les conclusions du rapport aux écologistes. Cela dit, compte-tenu de ce qu’il faut bien appeler
la partialité de Christian Estrosi vis-à-vis des associations de protection de l’environnement
(l’audition des différents membres de la FNE est très impressionnante à lire tant la tension y
est palpable entre un Estrosi autoritaire et les gens de la FNE 272), le rapport lui-même est un
ton en-deçà.
C) Réception du rapport :
Comme l’avait promis Roselyne Bachelot lors de son audition, les conclusions du
rapport servirent à l’élaboration d’un Plan Loup pour les années 2004-2008 qui devait prendre
le relais des programmes LIFE au niveau national. Daniel Spagnou, qui participa jusqu’en
2007 aux travaux du groupe national sur le loup, qui réunissait tous les acteurs concernés par
la question et veillait à l’application du Plan, se déclara satisfait par la transposition de son
rapport en Plan d’action gouvernemental, regrettant cependant que les tirs de défense des
troupeaux ne fussent pas autorisés (ce qui n’empêchait pas le braconnage d’avoir lieu et d’être
une régulation occulte apparemment assez importante). Mais avant de rédiger le Plan Loup les
ministères concernés (Ecologie, qui avait remplacé Environnement en 2002 et Agriculture)
convoquèrent un groupe de travail national sur le loup de Novembre 2003 à Avril 2004, qui
rassemblait tout le monde, conduisant à de « […] fructueux débats »273. L’objectif du plan
était sensiblement le même que celui du rapport : « […] concilier le développement maîtrisé
d’une population de loups et la poursuite d’activités pastorales et plus généralement de
l’élevage ».
Publié le 8 Novembre 2004, c'est-à-dire après le remaniement ministériel consécutif
aux élections régionales d’Avril, qui avait vu le remplacement de Roselyne Bachelot par
Serge Lepeltier (sénateur UMP du Cher et maire de Bourges). Lepeltier était un écologiste
271
Ibid., audition d’Yves Cochet. La citation suivante idem.
AP825, table ronde réunissant des membres de la FNE.
273
Plan d’action sur le loup, Paris, 2004, p 1. La citation suivante idem.
272
86
convaincu, comme le prouvaient ses travaux parlementaires. Le Plan d’action gommait
certains aspects du rapport, notamment concernant le droit de tir au loup en cas d’attaque sur
un troupeau. Il affirmait que les trois objectifs majeurs du plan étaient : « […] garantir un
état de conservation favorable du loup, […] en accord [avec] la directive Habitats. Réduire
les dommages aux troupeaux. Rechercher et mettre en place des méthodes de gestion plus
économes en moyens financiers »274. Le plan n’allait pas aussi loin que les recommandations
du rapport, préconisait essentiellement une indemnisation plus rapide des dégâts (dont Daniel
Spagnou a remarqué l’effectivité qui apaise les tensions), une généralisation des mesures de
protection (particulièrement les patous), l’harmonisation des indemnisations et la répression la
plus poussée possible contre les chiens errants275. La régulation était considérablement
limitée : seulement si les mesures précédentes ne parvenaient pas à réduire les prédations. Elle
permettait cependant de prélever environ 10% de l’effectif total estimé durant l’hiver 20032004, soit 4 loups sur 39. Mais la décision devait être prise par le ministère, répartie ensuite
par département en fonction des conclusions de l’ONCFS et de la DDAF.
Ce plan fut appliqué et reconduit en 2008 avec une autorisation de prélèvement portée
à 6 loups (ce qui selon toutes estimations ne faisait plus que 6% de l’effectif et explique
pourquoi CPNT accusa Nathalie Kosciusko-Morizet, la secrétaire d’Etat à l’Ecologie276)
Mais revenons à la réception du rapport Spagnou, car nous nous éloignons des limites
temporelles de ce mémoire. A la différence du rapport de 1999, celui-ci fut bien accueilli par
le gouvernement. Roselyne Bachelot était disposée à s’appuyer sur le rapport pour élaborer un
plan d’action sur le loup277.
Les Verts se fendirent d’un communiqué en date du 15 Mai 2003, qui reprochait
(vertement) au rapport de considérer les problèmes suscités par les loups comme la principale
raison de la crise de la filière ovine278. Cette critique était fondée sur les propositions finales,
mais ne prenait pas en compte la seconde partie du rapport qui n’était consacrée qu’aux
problèmes de la filière ovine. André Chassaigne, mieux argumenté, regrettait dans ses
explications de vote le manque d’articulation entre ces remarques de la deuxième partie et les
propositions finales. On entendit à peu près les mêmes propos au PS, mais sans
développement, car il y avait de fortes divergences sur la question au sein de ce parti (entre
Geneviève Perrin-Gaillard et Augustin Bonrepaux, par exemple).
274
Ibid., p 2 ?
Ibid., pp 9-11.
276
Bulletin d’information CPNT, 11/2008, in www.cpnt.asso.fr.
277
AP825, audition de Roselyne Bachelot.
278
« Les loups, boucs-émissaires de la non-politique agropastorale française », communiqué de presse des Verts
du15/05/2003, in www.lesverts.fr.
275
87
Du côté des associations de protection de la nature, on oscilla entre silence et
réprobation totale. Terre Sauvage ne fit pas de commentaire (mais j’ai arrêté de l’étudier à
Septembre 2003), et le groupe Loup-France, qui venait de fusionner avec l’association de
défense des ours ARTUS pour former FERUS ne fit pas de commentaires, même s’il est
probable qu’il désapprouvait les orientations du rapport, étant opposé de longue date au
zonage et à la régulation.
En revanche, L’ASPAS et FNE exprimèrent un désaccord que l’on pourrait qualifier
de très vif : « un rapport bidon. La commission d’enquête parlementaire sur le loup va
rendre, sans aucune surprise, un rapport forcément défavorable au loup […] démarche
totalement subjective et malhonnête »279. « FNE demande avec force que l’on tienne ce
rapport pour ce qu’il est […] un pamphlet partisan et sans surprise, s’agissant d’une
commission dont la majorité des membres affichait dès l’origine un parti-pris foncièrement
anti-loup »280. Les efforts répétés de Daniel Spagnou pour rappeler qu’il ne s’agissait
certainement pas d’éradiquer les loups avaient été vains. Cela n’est pas très étonnant car
jamais au cours de 10 années couvertes par ce mémoire, l’ASPAS et la FNE n’avaient
démontré un vrai sens de la mesure et du compromis.
Quant aux syndicats ovins, ils prirent acte de la priorité donnée à l’Homme (qui
semblait gêner l’ASPAS), et leurs revendications furent mises en sourdine, même si elles
réapparurent de temps en temps281.
II- Retour aux loups :
Au terme du laps de temps couvert par ce mémoire, il est nécessaire d’établir un état
des populations de loups en France au début des années 2000. Or cet état est presque
impossible à connaître. Il faut se souvenir que les loups ont une structure sociale relativement
complexe, qu’il est hors de question de développer dans un mémoire d’Histoire. Mais il suffit
de dire que les jeunes loups sont régulièrement chassés de leur meute et deviennent des
individus erratiques, ceux qui partent coloniser parfois à des centaines de kilomètres et
peuvent ou non former à leur tour une meute (pour cela il faut être deux, de préférence mâle et
femelle). Il est difficile de connaître l’effectif exact d’une meute, a fortiori celui des solitaires
vagabondant sur le territoire.
279
« Un rapport Bidon en perspective », communiqué de presse de l’ASPAS du 13/05/2003 sur www.aspas.fr.
on remarquera que l’on critique avant même la publication du rapport, ce qui est assez révélateur.
280
Communiqué de presse de Journalistes et écrivains pour la Nature et l’Environnement (JNE), fédérée à FNE,
du 21/05/2003, sur www.jne.fr.
281
« Des bergers réclament l’éradication du loup », Métro, 5/04/2009, p 4.
88
C’est la raison pour laquelle les recensements très précis sont douteux. Le chiffre de
26 loups régulièrement avancé par les scientifiques et les associations pour 2002-2003 était un
chiffre minimum, qui ne comptabilisait que ceux dont on avait effectivement relevé des traces
en hiver, grâce à la neige, méthode qui laisse très probablement échapper quelques spécimens
à notre connaissance. Rappelons que les relevés de traces sont effectués sous l’égide de
l’ONCFS et que des bénévoles associatifs y participent. Cela fit dire aux syndicats agricoles
que l’administration faisait le jeu des associations et sous-estimait les hordes de loups. La
première affirmation était ridicule, dans la mesure où les bénévoles, bien que très utiles pour
effectuer le travail ingrat de collecte, étaient généralement loin derrière les employés de
l’ONCFS ou même des gendarmes pour la collecte des échantillons. Quant à la seconde, c’est
la méthode employée et pas les associations qui conduisent à sous-estimer le nombre de loups.
La guerre des chiffres est de toute façon un classique dans le débat sur les loups. Les
brebis perdues et l’ampleur des dégâts collatéraux (et difficiles à quantifier) sont estimés en
fonction des groupes de pression ; de même pour les loups. En 1998, quand on s’aperçut qu’il
y avait eu des empoisonnements de loups, Terre Sauvage publia un bref article intitulé
« alerte rouge pour les loups »282, estimant qu’ils allaient bientôt disparaître. Deux mois plus
tard, le même annonça que loups d’Espagne et d’Italie allaient se croiser dans le Massif
Central283. Et en Décembre, il estima que la population de loups du Mercantour était passée
de 20 à 12 individus en même temps que les loups progressaient à vive allure vers le Nord284.
Ces estimations contradictoires indiquent bien la difficulté qu’il y avait à estimer une
population de loups. Il faut d’ailleurs signaler que cette fois Terre Sauvage est au-dessus de
tout reproche et que ses informations sont précises.
Ces 8 loups manquants pouvaient avoir été victimes du braconnage, dans la vallée de
la Roya. Mais l’administration du parc supposa qu’ils pouvaient aussi être repassés en Italie,
où l’on avait repéré des traces dans le Parco Naturale de Valle Pesio.
Les associations environnementales semblent en général privilégier les hypothèses de
braconnage plutôt que celle d’un retour en Italie. Il est vrai que le braconnage est
probablement assez important, et Daniel Spagnou a rencontré des éleveurs qui lui ont avoué
avoir tué un loup. On se rapproche à l’heure actuelle d’une situation à l’italienne : les loups
sont protégés par la loi, mais un braconnage persiste, plus ou moins toléré par
l’administration, sans que cela entraîne une diminution des populations de loups.
L’association FERUS (qui succède au groupe Loup-France), dans une enquête sur
282
« Alerte rouge pour les loups », TS n°125 02/1998, p 25.
Brève, TS n°127, 04/1998, p 25.
284
TS n°134, 12/1998, op.cit.
283
89
l’accroissement des populations de loups datée de Mars 2009, estime que si le nombre de
bêtes présentes en France est en augmentation modérée par rapport à ce que l’on serait en
droit d’attendre des loups, c’est à cause du braconnage. Elle ne prend pas du tout en compte
l’hypothèse d’un retour en Italie.
En 2003, il y avait d’après les relevés environ 26 loups au minimum en France, dont la
répartition allait de la Savoie au Var
285
(voir la carte). Les relevés de l’hiver 2003-2004
donnèrent au minimum 37, au maximum 44, mais plus sûrement entre 39 et 41 loups.
Dès cette époque on pouvait supposer que les Pyrénées Orientales abritaient quelques
loups, qu’on suppose être d’origine italienne eux aussi. En 2008, on a repéré des traces de
présence permanente dans le Massif Central (dans les Cévennes, plus précisément). Il y aurait
à l’heure actuelle entre 100 et 120 loups en France286
285
Daniel SPAGNOU, op.cit., p 45.
« Ces meutes de loups qui émeuvent les hommes », The Independant, in Courrier International, du 5 au
12/03/2009, p 9.
286
90
91
III- Relations écologiste-chasseurs-bergers-éleveurs-loups :
La première partie de ce point III est très redevable à Elaine Chanteloup et au travail
qu’elle a effectué en 2008287.
A) Vers un apaisement des passions ?
On avait déjà mis en évidence à plusieurs reprises le fait que tous les acteurs des
débats relatifs aux loups ne pouvaient pas être présentés en deux blocs de style Guerre Froide,
appelés lycophobes et lycophiles par Elaine Chanteloup. Tout comme durant la Guerre
Froide, il y a un subtil dégradé chez les uns et chez les autres. La position de l’ASPAS n’est
pas celle de Loup-France-FERUS, celle des fédérations de chasseurs est contraire à celle des
syndicats agricoles. Et au sein de ces derniers, tous les éleveurs ne sont pas aussi tranchés que
leur organisation, et il y a aussi des différences entre bergers et éleveurs288.
L’impression dominante au niveau national était que le dialogue était impossible entre
les « lycophiles et les lycophobes ». Au niveau local, cependant, les choses étaient bien plus
complexes, et les points d’accord pouvaient transcender les clivages. On se souvient de Luc
Vallet, éleveur dans la Vésubie et pas favorable à l’extermination des loups, mais il n’était pas
le seul, comme le révèle incidemment Nice Matin289. Un exemple significatif est celui des
chiens de protection. On a vu que les syndicats ovins estimaient que les patous étaient une
catastrophe à tous points de vue. Or, beaucoup de leurs adhérents pensaient exactement
l’inverse, estimant que ces chiens leur étaient d’une très grande utilité en dépit de la contrainte
qu’ils représentaient. Ils rejoignaient en cela les associations écologistes, dont certaines les
aidaient à acquérir et éduquer les chiens290. Elles les aidaient également lorsqu’ils étaient
confrontés aux touristes à cause des chiens. Les alpages de l’Isère sont très touristiques, et
tout le monde s’accorde à dire que les touristes sont irrespectueux et ne comprennent rien au
pastoralisme. Toujours est-il que plusieurs ont été mordus en voulant traverser un troupeau. A
ce sujet, je pense qu’il faut éviter que les éleveurs de patous soient concernés par la loi sur les
chiens dangereux de 2007, si l’on ne veut pas les ruiner et le système de protection contre les
loups avec. Sur cette question des patous, alors que FNE et sa filiale Fédération Régionale des
287
Elaine CHANTELOUP, De l’affrontement au débat public sur la présence du loup en France. La constitution
d’une identité consensuelle, Rennes, IEP de Rennes, 2008.
288
AP825, table ronde réunissant des professionnels du secteur ovin.
289
NM, 19/04/1997, op.cit.
290
Elaine CHANTELOUP, op.cit., pp 57-60 ; TS n°150, 05/2000, op.cit.
92
Associations de Protection de la Nature (FRAPNA) Isère s’opposent frontalement à la
fédération des alpages de l’Isère, qui refuse catégoriquement les patous (elle mise beaucoup
sur la fréquentation touristique et estime que les patous la mettent en péril)291, le dialogue
entre les associations et plusieurs éleveurs individuels est plutôt fructueux.
Le programme Pastoraloup, du groupe Loup-France, est un aspect essentiel de cet
apaisement des tensions locales qui semble se dessiner. On peut le dater de la fin des années
1990, vers 1999, mais il devint réel plutôt après la mise en place du Plan Loup et le rapport
Spagnou. Ce programme Pastoraloup, créé en 1999, est « […] un programme d’écovolontariat […] [qui] est pour nous l’action principale que nous développons depuis
plusieurs années (déclaration en 2003). Il rencontre un vif succès, recevant à la fois un
accueil enthousiaste des jeunes urbains désireux de se rendre utiles, et l’accueil chaleureux
de bergers réconfortés de se sentir soutenus »292, selon les mots de René Burle. De jeunes
volontaires (ils ne sont pas forcément jeunes) viennent aider les éleveurs durant la saison
d’été, pour les seconder et leur permettre de se concentrer sur leur métier de bergers : ils vont
désamorcer les conflits avec les touristes, et aident à prévenir les attaques de loups293. Un
programme comme celui-ci a le grand mérite de mettre en relation durant plusieurs mois des
gens dont le positionnement sur le thème des loups était supposément très différent. Ce qui
contribue à rapprocher les points de vue, comme il est logique. Des éleveurs en viennent à
admettre « […] que les loups peuvent rester tant qu’on ne les emmerde pas avec les patous ».
De même des écologistes repartent de leur expérience en acceptant l’idée de tirs aux loups. La
fameuse fracture ville/campagne peut être ramenée chez les participants au programme à ce
qu’elle est plus sûrement, une fracture entre « […] écolos bornés qui ne savent pas faire la
différence, […] [alors que les éco-volontaires sont] plutôt des gens raisonnés » et les
professions rurales. Ne faisons pas non plus du Pastoraloup le seul facteur d’apaisement.
Daniel Spagnou estime que les indemnisations plus rapides et les plans de tirs ont été bien
utiles. Daniel Chevallier pense que l’apaisement est essentiellement lié au découragement de
professionnels confrontés à des difficultés de plus en plus grandes.
De toute façon, il ne faudrait pas tomber dans l’angélisme et dire avec Candide que
tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Des revendications persistent, on continue
parfois à demander l’éradication des loups (comme lors d’une manifestation début Avril en
291
Ibid., pp 60-62.
AP825, audition de René Burle.
293
Elaine CHANTELOUP, op.cit., p 60. Les citations suivantes idem, pp 63-69.
292
93
Savoie). Bernard Baudin a demandé récemment une gestion des loups au même titre que le
reste du gibier, c'est-à-dire via des plans de chasse départementaux294.
Les prédations par les loups semblent rester à peu près constantes, au niveau
relativement élevé de 3000 pertes par an tout au long de la décennie 2000, mais avec un
effectif des loups multiplié par quatre et une population de brebis concernée plus importante.
Ce qui implique le succès des mesures de prévention mais explique que les tensions ne soient
pas totalement apaisées. De toute façon, il est inenvisageable qu’elles le deviennent un jour.
Même en Italie et en Espagne, où les loups ont toujours été présents, ils ne sont pas
particulièrement populaires auprès du secteur ovin autochtone. Régulièrement, en Espagne,
des battues sont organisées et les loups capturés (cela arrive) sont parfois pendus à des arbres.
Plus que les loups, comme le disait Daniel Chevallier, c’est le déclin du pastoralisme
qui est désormais au centre des préoccupations de la FNO et des pouvoirs publics. Un rapport
sénatorial a été rédigé à ce sujet, qui ne consacre que deux pages au problème des loups 295. Il
s’agit d’ailleurs d’un des rares aspects positifs des débats autour des loups : ils auront permis
à la filière ovine de se faire entendre, de façon souvent outrée, parfois stupide, mais malgré
tout nécessaire compte-tenu des difficultés qu’elle rencontre.
B) Le loup, sujet d’Histoire :
Les débats historiens ou pseudo-historiens autour des loups du passé ont été nombreux depuis
la fin des années 1980. Il ne s’agit pas ici d’en faire un panorama exhaustif, d’autant plus que
son dernier épisode, le plus violent, qui concernait les travaux de Jean-Marc Moriceau et son
livre Histoire du Méchant Loup 296est postérieur de 4 ans à la date finale de ce mémoire. Mais
on peut l’y rattacher artificiellement, parce que Jean-Marc Moriceau a commencé à travailler
sur le sujet en 2002. J’en parlerai de façon rapide puisque c’est un aspect intéressant du débat
sur les loups, mais nous ne nous y attarderons pas.
Depuis la fin des années 1980, les loups du passé avaient suscité l’intérêt, donc ils
devinrent des sujets d’Histoire. Si l’on se concentre sur la Bête du Gévaudan (dont je ne suis
toujours pas convaincu, à titre personnel, qu’elle fut seulement quelques gros loups très
méchants), il faut remonter bien au-delà. En 1985, l’historien Guy Crouzet publia un ouvrage
intitulé Quand sonnait le glas au pays de la Bête, dans lequel il s’attachait à démontrer que la
294
« Les chasseurs veulent que le loup soit mis au régime commun », NM, 26/04/2009.
Gérard BAILLY et François FORTASSIN, Revenons à nos moutons, Paris, 2008.
296
Jean-Marc MORICEAU, Histoire du Méchant Loup. 3000 attaques du loup sur l’homme en France, XVèmeXXème siècles, Fayard, Paris, 2007.
295
94
Bête susnommée n’était pas une Bête mais une meute de loups anthropophages. Bien que son
ouvrage fût tout à fait documenté, il péchait par un manque de connaissances zoologiques qui
affaiblissait sa démonstration, ce que l’éthologue Michel Louis n’eut pas de mal à démontrer
dans son livre à lui, plus simplement appelé La Bête du Gévaudan (1992). Son livre,
extrêmement convaincant d’un point de vue zoologique, souffrait de suppositions hasardeuses
et sans grand fondements historiques. Il serait bon sur ce sujet que des zoologues et des
historiens s’attachent en commun à étudier l’Histoire de la Bête du Gévaudan, pour rappeler
ses spécificités sans nier qu’il y eut d’autres Bêtes durant les siècles Modernes.
A propos des loups en général, on remarquera qu’ils sont parmi les 6 espèces sur
lesquelles Robert Delort se pencha en détail dans ses Animaux ont une Histoire. Il les
considérait comme très importantes pour l’Histoire humaine (le hareng, le moustique, le
chien, le chat et le lapin) ou très symboliques (le loup, l’éléphant et les trois précédents)297.
- Un animal très symbolique :
Peu d’animaux ont autant inspiré les Hommes au niveau du vocabulaire et de la
littérature, sauf peut-être les chats et les chiens, et de façon aussi variée. Il serait vain de
vouloir présenter ici un aperçu complet des symboles attachés aux loups. Le lecteur intéressé
pourra se référer aux ouvrages de Robert Delort et Geneviève Carbone298.
Rappelons seulement que les personnages de loups de la littérature européenne vont de
la Louve de Rome allaitant Romulus et Remus au Grand Méchant Loup de Charles Perrault
(Contes de ma Mère l’Oye, 1697), en passant par l’Ysengrin du Roman de Renart, cruel et
stupide, et l’Akela du Livre de la Jungle (Rudyard Kipling, 1894), courageux et sage. Le
XXème siècle a même inventé le Loup gentil, comme celui des Contes du Chat Perché de
Marcel Aymé, en 1934 (cela dit, dans ce livre, tous les animaux sont gentils), repris au cinéma
avec le Loup de Shrek (2001) ou celui de La Véritable Histoire du Petit Chaperon Rouge (où
le méchant est le Lapin !).
Le loup est considéré comme un symbole de la vie sauvage contre la vie domestique
(voir Le Loup et le Chien de La Fontaine, I, 5, 1668), ce qui explique que chaque fois que la
Nature est un élément valorisé de l’atmosphère culturel, comme sous le Romantisme, il
bénéficie d’une image plus favorable, alors que dans un siècle d’urbanité et de rationalité tel
que le XVIIIème, le loup n’est qu’ « […] odieux durant sa vie, inutile après sa mort »
(Buffon, Histoire Naturelle, 1749-1804)
297
Guy CROUZET, Quand sonnait le glas au pays de la Bête, centre régional de documentation pédagogique de
Clermont-Ferrand, 1985 ; Michel LOUIS, La bête du Gévaudan, Perrin, Paris, 1992 ; Robert DELORT, op.cit.
298
Ibid. pp315-349; Geneviève CARBONE, op.cit.
95
La vision des loups diffère selon les civilisations. Pour ne citer que deux exemples, les
Vikings voyaient en eux les dévoreurs du Soleil, en la personne de l’horrible Fenris,
précurseur du Crépuscule des Dieux (le Ragnärok). A l’inverse, les Amérindiens les
considèrent comme des animaux braves, endurants, et qu’il est valorisant d’interpréter dans
les rituels magiques.
- La contestation de l’anthropophagie des loups :
La connaissance des loups par l’éthologie ayant progressé de façon notable dans les
années 1970 et 1980, nombre de zoologues en vinrent à nier la réalité des histoires de loups
mangeurs d’hommes, pourtant abondamment documentée (Journal d’un bourgeois de Paris,
pour les années 1420-1450). Cela s’inscrivait dans un courant de réhabilitation de l’animal
loup, important dans les années 1980, marqué par la création par Gérard Ménatory de son
parc à loups du Gévaudan ou les travaux de Geneviève Carbone, pour ne citer qu’elle. On ne
niait pas que les loups mangeassent des morts, mais qu’ils attaquassent les vivants. Ce n’était
pas absurde. Au cours du XXème siècle, on compte sur les doigts d’une main le nombre de
cas de loups non enragés qui attaquèrent des Humains : un jeune homme fut mordu en Galice
vers 1974, et une petite fille tuée en Inde dans les années 1960299. Surtout, les éthologues
constatèrent que les loups craignaient terriblement les Hommes, au point de ne pas toujours
défendre les louveteaux si on vient les prendre300. Ces faits ne cadrent pas vraiment avec
l’image du Grand Méchant Loup, et ont été confirmés par les remarques éparses qu’on peut
trouver dans les traités de chasse médiévaux ou modernes, qui rappellent que les loups fuient
les Hommes, et ne se défendent pas toujours quand ils sont acculés.
De ce fait, tous les textes et témoignages historiques qui accusaient des loups d’avoir
enlevé des Humains pour les manger furent rejetés comme sans fondement, n’apportant pas
de preuve de leurs dires, et ne seraient basés que sur des rumeurs alimentées par la naïveté
populaire ou l’Eglise catholique. Cette remise en cause est totale chez Michel Louis, qui
accuse les historiens d’être « […] ennemis du loup […] prisonniers de grimoires anciens
interprétés de façon tendancieuse et dans la plus totale méconnaissance du comportement
animal ». Il assimile plutôt l’attribution des décès à des loups à une déformation des
informations et à l’association hâtive cadavre dévoré par un loup=cadavre tué par le loup en
question. En revanche, beaucoup d’écologistes, et parfois des scientifiques, vont jusqu’à
estimer que nos ancêtres médiévaux et modernes étaient des imbéciles fanatisés par l’Eglise,
299
300
AP825, table ronde réunissant des spécialistes du loup.
Michel LOUIS, op.cit., pp 240-261. La citation suivante idem, p 11.
96
soit incapables de faire la différence entre un loup et un chien, soit feignant de croire à des
attaques de loups pour se dissimuler les innombrables actes de pédophilie, nécrophilie,
inceste, viol, psychopathie et autres crimes dont il est bien connu qu’ils étaient bien plus
coutumiers que nous301.
Au-delà de la bêtise de ces remarques, il convient de noter que la question du loup
dans l’Histoire est elle aussi un sujet extrêmement polémique parmi les écologistes. Pour
certains d’entre eux, le fait de dire que les loups ont été des dévoreurs d’Hommes équivaut à
vouloir leur disparition. Or ce n’est pas vrai. Robert Delort, dont le livre montre un grand
attachement pour les animaux et une bonne connaissance de la zoologie, est convaincu sans
qu’il prenne la peine de le justifier que loups et hommes ont été des prédateurs l’un pour
l’autre. Historiens et zoologues/éthologues ne semblent pas en fait parler des mêmes loups. La
zoologie moderne, par rigueur scientifique, ne parle que des animaux qu’elle peut étudier avec
ses propres outils méthodologiques : les actuels. Elle estime que le comportement de ces
animaux est invariable selon les époques. Les zoohistoriens, à l’inverse, n’étudient que les
animaux des siècles passés existant encore aujourd’hui (sinon elle se confond avec la
paléontologie), essentiellement à partir des témoignages humains et des rares données
archéologiques302 avec l’intuition que leur comportement a pu varier selon les époques. Dans
le cas des loups, cette intuition est tout à fait envisageable quand on connaît les capacités
d’adaptation assez larges des loups quant à son régime alimentaire. Jean-Marc Moriceau, qui
a étudié la question de façon approfondie, estime que les loups mangeurs d’hommes étaient
quelques très rares individus déviants, dont la tâche était rendue plus facile par le manque
d’armes à feu et la petite taille de nos ancêtres, proies moins impressionnantes, souvent
seules, comme lorsqu’on envoyait les petits enfants de 5 ans garder les troupeaux familiaux
dans les prairies.
Le travail de Jean-Marc Moriceau est un travail d’archives très volumineux et très
sérieux, basé sur une étude critique des sources, généralement les curés de campagne, dont il
démontre la fiabilité globale (au contraire des critiques enflammées des écologistes
anticléricaux, qui feraient rougir Anatole France), et une étude critique du lexique employé. Il
écarte trop vite à mon goût la probabilité d’animaux hybrides (j’ai été très convaincu par
l’analyse de Michel Louis dans le chapitre 4 de sa Deuxième partie), mais au final démontre
de façon convaincante que les loups ont pu être pour une infime partie d’entre eux des
dangers pour les Hommes. Il rappelle à plusieurs reprises l’incompréhension qui saisissait les
301
Voir à ce sujet le forum de discussion du site loup.org, à l’occasion de la sortie du livre de Jean-Marc
Moriceau.
302
Robert DELORT, op.cit., pp 15-100.
97
populations touchées, habituées aux loups craintifs des éthologues. Cette incompréhension
favorisait les explications religieuses voire eschatologiques, le loup annonçant alors la colère
divine envers les Hommes (il y avait une corrélation fréquente mais pas systématique entre les
attaques de loups et les périodes de guerre et d’insécurité).
Il n’est pas nécessaire de donner un résumé des conclusions de Jean-Marc Moriceau,
le lecteur intéressé se reportera à son livre. On constatera cependant que les loups suscitent
toujours une passion forte, animal mythique par excellence303, quel que soit l’angle par lequel
on l’aborde. Ce qui ne semble pas perturber les intéressés.
303
Comme le rappela Daniel Spagnou.
98
Conclusion :
Il serait hasardeux de conclure avec des affirmations telles que « le débat est achevé »,
« les tensions sont éteintes », etc. Les nouvelles de ces dernières semaines, que j’ai
mentionnées dans ce mémoire, montrent que les loups ne sont pas toujours acceptés, et que
certains souhaitent toujours leur éradication. Mais globalement, on peut estimer que l’on ne
reverra pas tout de suite les débats homériques des années 1990. Le plan Loup 2008-2012,
que Nathalie Kosciusko-Morizet a fait adopter pour remplacer le plan Loup 2004-2008,
portant (ou limitant, selon le point de vue où l’on se place) les autorisations de tirs aux loups à
6 individus, n’a pas suscité de graves troubles. Un indice à mon avis assez net de cet
apaisement que nous pouvons constater depuis 2003-2004 est que l’on entend à nouveau les
chasseurs des Alpes-Maritimes dans le débat. Ce qui n’était plus le cas dans les années 19982002, où leur position sur la question était ce que l’on pourrait qualifier de centriste : oui aux
loups (revenus naturellement) mais pas trop. Bernard Baudin, qui a vécu toute la période
couverte par le mémoire comme président de la fédération des chasseurs des AlpesMaritimes, qu’on n’avait plus entendu après la manifestation des chasseurs d’Avril 1997 à
Nice, a pu de nouveau donner son avis sur la question, réclamant à peu près la même chose,
c'est-à-dire des plans de chasse pour les loups, au même titre que ce qui est en vigueur pour
d’autres espèces qu’on n’a pas le droit de chasser sans restriction (sangliers, cerfs,
chevreuils…).
Les associations travaillant à la réconciliation entre les différentes parties, de même
que les pouvoirs publics, par leur implication continue et de plus en plus forte entre 1993 et
2004, ont fortement contribué à diminuer la virulence des débats. Mais comme je l’avais déjà
signalé, je ne crois pas que le résultat actuellement atteint soit exactement celui qu’ils
souhaitaient pour le problème des loups. Les associations comme Loup-France, ou d’autres
comme A Pas de Loup souhaitaient obtenir une acceptation du loup par les éleveurs et les
bergers, avec des moyens de protection généralisés qui limiteraient au maximum les
prédations. Les pouvoirs publics, une fois qu’ils admirent la nécessité de réguler les
populations de loups, souhaitaient l’encadrer de façon à éviter que le braconnage persistât.
Mais en fait, même si tous obtinrent de bons résultats, avec notamment des mesures de
protection efficaces, la situation de la France par rapport aux loups se rapproche de la
situation de l’Italie. C'est-à-dire que les loups sont plus tolérés que réellement acceptés par les
éleveurs, et que le braconnage y est important, illégal par définition, mais les autorités ferment
99
les yeux. En France, il semblerait que le braconnage se limite, sauf exceptions toujours
possibles, à la défense des troupeaux en cas d’attaque. On se rapprochera encore plus de la
situation italienne lorsque les loups seront plus nombreux dans le Massif Central, ce qui
arrivera probablement (on ne peut jurer de rien et je ne suis pas zoologue) d’ici quelques
années : les sangliers y prolifèrent, y font de nombreux dégâts, et les loups pourraient être un
auxiliaire bienvenu des chasseurs, comme l’avaient pointé André Chassaigne lors des
auditions parlementaires, et Daniel Spagnou dans son rapport.
La progression des loups à travers la France se poursuit, mais il semblerait qu’elle ne
soit pas aussi rapide que le pensaient les scientifiques, qui estimaient pour certains qu’ils
pourraient atteindre la Bretagne vers 2025.
Mais on pourrait donner une raison supplémentaire à l’apaisement des tensions autour
des loups : il y a des questions environnementales plus graves, et depuis les alentours de
l’année 2000, on s’en est aperçu de façon globale dans l’opinion publique. Le réchauffement
climatique et l’épuisement des ressources naturelles sont des problèmes plus importants que
quelques mangeurs de moutons. Il serait intéressant de chercher à voir à quel moment
l’opinion publique française fut mieux alertée de ces risques, et quel a été l’influence de
Jacques Chirac dans ce processus, influence essentiellement d’ordre discursif, mais qui a pu
être importante.
Pour finir, je tenterai de montrer en vrac tous les aspects qui mériteraient d’être
développés et qui ne l’ont pas été dans le cadre restreint de ce mémoire. Au niveau des
sources, il ne m’a pas été possible de faire une étude poussée de tous les périodiques
concernés, sauf Terre Sauvage. Je n’ai étudié Nice Matin que durant les années 1993-1999, et
ai dû aller au plus rapide, pressé par le temps : je n’ai pas étudié tous les mois de chaque
année. J’avais au préalable établi un calendrier et savais à peu près quels mois étaient
absolument nécessaires et quels autres ne l’étaient pas. Mais il est évident que certains
événements ont failli m’échapper, et que je n’en ai eu connaissance qu’à travers des renvois
effectués à un article précédent. S’il fallait reprendre ce travail, il faudrait consulter tous les
mois, de Janvier à Décembre, mais aussi pousser l’étude jusqu’à l’année 2004. Mais c’est
l’inconvénient de travailler sur un sujet dont les principales sources sont à l’autre bout de la
France. Autre manque dans mes sources, le fait que je n’aie consulté que Nice Matin au titre
de la presse régionale. Il aurait été utile de consulter également La Provence, ou Le Dauphiné
Libéré. Mais là encore, le temps et l’éloignement l’ont empêché. Ce deuxième aspect est bien
100
plus fâcheux que le premier, car pour les lacunes de Nice Matin j’ai pu compenser avec les
auditions parlementaires de la commission d’enquête, car je savais à peu près ce que je
cherchais. Un exemple : la décision du tribunal administratif de Nice concernant les battues
administratives des communes de la Vésubie en 1996. Je ne l’avais pas dans les numéros de
Nice Matin que j’avais consultés. Mais en sachant à peu près ce que je cherchais, j’ai pu
trouver une allusion à cette décision dans l’audition de Dominique Voynet, qui a confirmé ce
que je pensais, c'est-à-dire que le tribunal administratif les avait interdites. Les sources
officielles, presque toutes publiées sur Internet, ont été très utilisées mais ne remplacent pas
entièrement les journaux des zones les plus au Nord que colonisèrent les loups.
Il ne serait donc pas inutile de poursuivre ce travail en se focalisant plus sur les
journaux des Alpes-de-Haute-Provence, des Hautes-Alpes et de l’Isère. Autre piste que l’on
pourrait creuser, celle de la perception des loups dans l’opinion publique à cette époque, que
je n’ai fait qu’effleurer.
Sources :
101
•
Terre Sauvage, numéros 73 à 186, Mai 1993- Juillet-Août 2003. Bibliothèque des
Champs Libres cote 100-712.
•
Nice Matin, Avril 1993- Octobre 1999. Bibliothèque Municipale de Cannes pour
Février
1993-Décembre
1994
et
Janvier
1996-Octobre
1999,
Archives
départementales des Alpes-Maritimes à Nice pour l’année 1995, sur microfilms.
•
Le Monde, Avril 1993-Avril 2000 et Mai-Juin 2003, Bibliothèque de Institut de
Préparation à l’Administration Générale (IPAG).
•
Rapport d’auditions parlementaires de la commission d’enquête sur les conditions de
la présence du loup en France et l’exercice du pastoralisme dans les zones de
montagne, tomes I et II, sur le site de l’Assemblée Nationale (www.assembleenationale.fr/12/dossiers/loup.asp).
•
Rapport d’information sur la présence du loup en France, Daniel CHEVALLIER, 54
pages, Assemblée Nationale, Paris, 1999.
•
Rapport d’enquête sur les conditions de la présence du loup en France et l’exercice
du pastoralisme dans les zones de montagne, Daniel SPAGNOU, Assemblée
Nationale, 2003, sur le site de l’Assemblée Nationale (Même adresse), pagination
manquante.
•
Projet Life-Nature, conservation des grands carnivores en Europe, le loup en France,
rapport final 1997-1999, Ministère de l’Environnement et de l’Aménagement du
Territoire, Paris, 2000, 97 pages, en format PDF sur le site du ministère.
•
Débats parlementaires à l’Assemblée nationale, 28 Mars 2000 et 5 Novembre 2002,
sur le site de l’Assemblée Nationale.
•
Communication manuscrite de Mr Daniel CHEVALLIER, 5 pages, envoyée le 9 Avril
2009.
•
Entretien avec Mr Daniel SPAGNOU, le 12 Mai 2009, au restaurant des députés puis
à son bureau du 101 rue de l’Université, immeuble Chaban-Delmas, entre 12h 45 et
14h15.
•
Il faut ajouter à cela les sites Internet desquels ont été tirées des citations et des
articles :
 www.assemblee-nationale.fr. (auditions parlementaires et rapports)
 www.aspas.fr (communiqués)
 www.loup.org
(forum de discussion et commentaires relatifs au rapport
Spagnou).
102
 www.ferus.org
(communiqués de l’association).
 www.lesverts.fr
(communiqué de réaction à la publication du rapport
Spagnou).
 www.fne.fr
(communiqués de réaction aux rapports LIFE et Spagnou).
 www.jne.fr
(Idem.).
 www.lhumanite.fr (articles de 1997 relatifs aux manifestations).
 www.lexpress.fr
(Idem.).
 www.nice-matin.fr (article de 2009 sur l’assemblée générale des chasseurs des
Alpes-Maritimes).
Bibliographie :
103
Ouvrages imprimés :
•
Anonyme, Le roman de Renart, Livre de Poche, Paris, 2001.
•
Geneviève CARBONE, La peur du Loup, Découvertes Gallimard, Paris, 1991, rééd.
2004.
•
Elaine CHANTELOUP, De l’affrontement au débat public sur la présence du loup en
France. La constitution d’une identité consensuelle, IEP de Rennes, Rennes, 2008.
•
Robert DELORT, Les Animaux ont une Histoire, Points Seuil, Paris 1984, rééd. 1993.
•
Jean Jacob, Histoire de l’Ecologie Politique. Comment la Gauche a redécouvert
l’écologie, Albin Michel, Paris, 1999.
•
Rudyard KIPLING, Le Livre de la Jungle, Folio, Paris, 2000.
•
Jean de La Fontaine, Fables, Livre de Poche, Paris, 2002.
•
« Qui a peur du Grand Méchant Loup ? », Historia n°717, Septembre 2006, p 32-33,
Françoise LABALETTE.
•
Michel LOUIS, La bête du Gévaudan, Perrin, Paris, 1992, rééd. 2003.
•
Jacques MARSEILLE, Les Echos 1900-2000, un siècle d’économie, Les Echos, Paris
1999.
•
Jean-Marc MORICEAU, Histoire du Méchant Loup. 3000 attaques du loup sur
l’homme, XVème-XXème siècle, Fayard, Paris, 2007.
•
François MOUTOU (dir.), L’Univers fascinant des Animaux, imprimé en Italie, 1992.
•
Pierre PEAN, L’Inconnu de l’Elysée, Fayard, Paris, 2007.
•
Charles PERRAULT, Contes de ma Mère l’Oye, Folio plus classiques Gallimard,
Paris, 2003.
•
PLINE L’Ancien (Caius Plinius Secundus Maior), Histoire Naturelle, Folio
Gallimard, Paris, 2002.
•
Guillaume SAINTENY, Les Verts, PUF Que sais-je ?, Paris 1992.
•
Dominique SIMONNET, L’écologisme, PUF Que sais-je ?, Paris, 1991.
•
John Ronald Ruel TOLKIEN, Le Seigneur des Anneaux, Folio Gallimard, Paris 1988.
•
J.R.R TOLKIEN, Silmarillion, Pocket, Paris, 1978.
•
Céline VIVENT, Chasse pêche nature et traditions, entre écologisme et poujadisme?,
L’Hartmann, Paris, 2005.
•
Dictionnaire d’Histoire de France Perrin, Perrin, Paris, 2002.
104
Sites Internet :
Les sites Internet cités dans cette partie ont servi à trouver des renseignements
complémentaires:
•
www.assemblee-nationale.fr (biographies des députés).
•
www.cpnt.asso.fr
•
www.senat.fr (biographie des sénateurs).
•
www.developpement-durable.gouv.fr (biographie des ministres).
•
www.interieur.gouv.fr
(opinion de CPNT)
(résultats électoraux des élections législatives de 1997 et
présidentielles de 2002).
•
www.fno.fr (point de vue de la FNO, assez peu de renseignements).
Index des Personnes :
A
Alleau (Julien) 6.
Aristote 10.
Arman-Delille
(Paul-
Félix) 27.
B
Aschieri (André) 70,71.
Aymé (Marcel) 96.
105
Bachelot (Roselyne) 80,
Chassaigne (André) 83,
Fronzes (Jean-Paul) 39,
87, 88.
85, 88, 101.
49, 63.
Balarello (José) 44.
Chassain (René) 86.
Barbier
(Georges
ou
Chevallier (Daniel) 58,
Gilbert) 43, 62.
14, 39, 66, 69, 71-75, 81,
Bardot (Brigitte) 84.
83, 94, 95.
Barnier (Michel) 37, 47,
Chevènement
68.
Pierre) 74.
Baudin (Bernard) 22, 27,
Chirac (Jacques) 47, 56,
36, 43, 62, 94, 100.
59, 80, 82, 101.
Besancenot (Olivier) 81.
Cochet (Yves) 18, 78, 80.
Blanchi (Fernand) 44.
Courson (Charles de) 76.
Boitani (Luigi) 42, 53.
Crouzet (Guy) 95.
Bouvard (Michel) 72, 74,
83.
Bracque (Pierre) 66, 71,
73, 77.
Brard (Lionel) 61.
Brottes (François) 83.
Burle (René) 68, 84, 94.
Goustat (André) 59, 60.
Granjean (Denis) 12, 20,
21, 33, 36, 40, 65.
Gremetz (Maxime) 76.
Grihon (Marc) 48.
Grosjean (Denis) 65, 69.
Guibal (Jean-Claude) 72.
Guigonis (Pierre) 35, 44.
D
Guth (Marie-Odile) 33,
Delort (Robert) 10, 53,
35, 43, 52, 53, 62.
96, 98.
Dijoud (Paul) 29.
Dobremez
H
(Jean-
François) 51, 53-55, 65.
Dumont (René) 16.
Buffon (Georges Louis
de) 96.
Ginésy (Charles) 45, 50.
Glavany (Jean) 66, 74.
(Jean-
Bonrepaux (Augustin) 57,
76, 77, 83, 88.
G
Habib (Ali) 74.
Hainard (Robert) 16, 17.
Henri III 11.
Honde (Robert) 5, 71, 72,
E
73, 75, 81, 83.
Estrosi (Christian) 7, 12,
C
20, 29, 37, 44, 70, 71, 72,
74, 76, 77, 80-84, 87.
Carbone (Geneviève) 11,
21, 35, 51, 53, 78, 96, 97.
Cavada (Jean-Marie) 49.
Chaban-Delmas (Jacques)
18.
Chanteloup (Elaine) 92.
Charles VI le Fol 11.
J
Jacob (Jean) 17.
Jospin (Lionel) 56, 66, 76,
F
80.
Faraut (René) 22.
Juppé (Alain) 47.
France (Anatole) 98.
Franco (Gaston) 44, 69.
François Ier 53.
K
Kipling (Rudyard) 96.
106
Kosciusko-Morizet
Mendras (Henri) 16.
(Nathalie) 88,100.
Monod (Théodore)
Romulus 96.
17,
Royal (Ségolène) 47.
51.
Moriceau (Jean-Marc) 6,
L
La Fontaine (Jean de) 96.
Lassalle (Jean) 53, 83, 84.
Le Meignan (Patrick) 20,
95, 98-99.
S
Saint-Josse (Jean) 58, 59,
Moscovici (Serge) 16.
Mussolini (Benito) 29.
21, 33.
60, 75, 82.
Sarkozy (Nicolas) 81.
Selva (Raymond) 61.
Le Pen (Jean-Marie) 59,
N
Sheridan (Phil) 19.
70, 80.
Napoléon Ier 53.
Sicre (Henri) 76.
Lemoine
(Jean-Claude)
76.
Simon (Gilbert) 20, 45,
73.
O
Lepage (Corinne) 7, 46,
47, 48, 49, 50, 51, 53, 54,
55, 62, 65, 74.
Lepeltier (Serge) 87.
Louis (Michel) 96-98.
Louis XIV le Grand 14.
Ollier (Patrick) 37, 72, 83.
Ollivier (Louis) 62, 65.
Ornano (Michel d’) 29.
Patriat (François) 76, 77.
Perrault (Charles) 96.
Marie (Pierre) 29.
Mariton (Hervé) 83.
Marland
(Philippe) 50,
52.
T
Taberlet (Pierre) 39, 43.
(John
Ronald
Ruel) 17.
Trasdour (Joseph) 35.
Perrin-Gaillard
Mamère (Noël) 59.
83, 84, 86, 87, 88, 89, 90,
Tolkien
48, 63.
Madelin (Alain) 82.
24, 40, 49, 70, 77, 81, 82,
94, 101.
P
Peillon (Antoine) 21, 42,
M
Spagnou (Daniel) 5, 6, 8,
(Geneviève) 83, 88.
V
Pfeffer (Pierre) 24, 37.
Vallet (Charles) 33, 35.
Platon 60.
Vallet
Pline
(Caius
Plinius
(Luc,
fils
du
précédent) 35, 92.
Secundus Maior) 10.
Victor-Emmanuel II 28.
Poujade (Pierre) 59.
Victor-Emmanuel III 28.
Poujade (Robert) 18.
Villiers (Philippe de) 59.
Voynet (Dominique) 7, 9,
Mars (Véronique) 44.
Martinez (Huguette) 83.
R
Matthieu (Raoul) 51.
Remus 96.
Ménatory (Gérard) 97.
Rigussini (Jacques) 44.
18, 50, 54, 55, 56, 57, 60,
62, 65, 66, 70, 71, 72, 74,
75, 76, 77, 78, 80, 85,
102.
107
Table des Sigles :
ASPAS : ASsociation de Protection des Animaux Sauvages.
CEE : Communauté Economique Européenne.
CFDT : Confédération Française et Démocratique du Travail.
108
CPNT : Chasse Pêche Nature Tradition.
DATAR : Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Activité Régionale.
DDAF : Direction Départementale de l’Agriculture et des Forêts.
FDSEA 06 : Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles des AlpesMaritimes.
FFSPN : Fédération Française des Sociétés de Protection de la Nature.
FN : Front National.
FNE : France Nature Environnement.
FNO : Fédération Nationale Ovine.
FNSEA : Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles.
ICHN : Indemnité de Compensation de Handicap Naturel.
LAURE : Loi sur l’Air et l’Utilisation Rationnelle de l’Energie.
LCR : Ligue Communiste Révolutionnaire.
LIFE-Loup : L’Instrument Français pour l’Environnement sur le Loup.
LYC(A) : On ne sait pas. L y et c sont les premières lettres de loup en grec.
MEI : Mouvement Ecologiste Indépendant.
MRC : Mouvement Républicain et Citoyen.
MPF : Mouvement Pour la France.
ONCFS : Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage.
ONF : Office National des Forêts.
PAC : Politique Agricole Commune :
PACA : Provence Alpes Côte d’Azur (Région).
PCF : Parti Communiste Français.
PS : Parti Socialiste.
RDG : Radicaux De Gauche.
ROC : Rassemblement des Opposants à la Chasse.
RPR : Rassemblement Pour la République.
UDF : Union pour la Démocratie Française.
UMP : Union pour un Mouvement Populaire.
UE : Union Européenne.
WWF : World Wildlife Fund (Fonds Mondial pour la Nature).
109
Table des Matières :
Introduction………………………………………………………………………………...p 5.
110
Chapitre I : Le retour discret des loups (1992-1993)…………………………………...p 10.
I- A propos des loups……………………………………………………………...p 10.
II- Un contexte favorable…………………………………………………………p 14.
A) Les circonstances favorables au retour des loups……………………….p 14.
Déclin démographique des campagnes de France…………………p 14.
Accroissement mondial des populations de loups………………….p 15.
B) Prise de conscience écologiste et protection des espèces animales……..p 16.
Les associations de protection de la Nature………………………..p 17.
Les premières mesures de protection de l’environnement………....p 18.
III- Premières réactions humaines……………………………………………… p 20.
A) Un retour attendu : l’administration du parc du Mercantour…………...p 20.
B) Un retour espéré : l’administration du parc et les écologistes………….p 21.
C) Un retour raisonnablement craint: chasseurs et professionnels de l’élevage
……………………………………………………………………………...p 22.
Chapitre II : L’économie Montagnarde des Alpes à la fin du XXème siècle……........p 23.
I-L’élevage ovin dans les Alpes…………………………………………………..p 23.
A) Caractéristiques………………………………………………………
…p 23.
B) Où l’on remplace l’expression « comme un chien dans un jeu de
quilles »
par « comme un loup dans les Alpes »…………………………
…………..p 25.
II- Les associations de chasse…………………………………………………
….p 27.
III- Le tourisme et le parc du Mercantour……………………………………...p 28.
A) Brève Histoire du parc………………………………………………….p 28.
B) Le poids du tourisme…………………………………………………..p 31.
Chapitre III : Les tensions croissantes (1994-1995)……………………………….........p 32.
I- Les premiers débats…………………………………………………………….p 32.
A) Expansion des loups…………………………………………………….p 32.
B) Augmentation des dégâts et réaction des autorités……………………...p 32.
Les dégâts causés par les loups…………………………………….p 33.
Réaction des autorités du parc……………………………………..p 33.
111
Les débuts du conflit………………………………………………..p 34.
II- La théorie du « retour organisé », variante alpine de la théorie du complot
……………………………………………………………………………………...p 36.
A) Quelques éléments qui pourraient corroborer la théorie………………..p 36.
La méfiance envers l’administration du Mercantour………………p 36.
Les réintroductions de grands prédateurs en France……………...p 36.
Les réintroductions de loups dans les années 1980………………..p 38.
B) Une théorie qui ne résiste pas à l’examen………………………………p 38.
Les analyses ADN…………………………………………………..p 38.
De la difficulté de disposer de loups italiens……………………….p 39.
Une théorie incohérente, mais persistance du débat……………….p 40.
C) Persistance du mythe du Grand Méchant Loup ?.....................................p 41.
III- Le premier paroxysme de la crise…………………………………………...p 43.
A) Un début d’année difficile……………………………………………...p 43.
La
louve
écrasée…
............................................................................p 44.
B) Manifestations et contre-manifestations………………………………..p 45.
Chapitre IV : Approche pragmatique du problème avec Corinne Lepage
(1995-1997)………………………………………………………………………………...p 47.
I- Un problème encore peu visible à l’échelle nationale………………………..p 47.
A) Faible couverture médiatique ?................................................................p 47.
B) Corinne Lepage et les loups…………………………………………….p 49.
II- Des crispations toujours plus importantes ; l’idée de zonage………………p 50.
A) Un débat de plus en plus violent………………………………………..p 50.
Intervention
du
préfet
des
Alpes-
Maritimes......................................p 52.
L’échec judiciaire des opposants aux loups……………………
…..p 52.
B) Le zonage, principe, avantages, limites…………………………………p 53.
Chapitre V : Quand on parle du loup : le ministère de Dominique Voynet
(1997-2001)……………………………………………………………………………..…p 56.
I- Un ministère conflictuel………………………………………………………..p 56.
112
A) Accumulation de handicaps…………………………………………….p 56.
B) Une succession de conflits………………………………………………p 58.
Les grandes heures de CPNT………………………………………p 58.
Un débat sociétal villes/campagnes ?................................................p 60.
Exacerbation du débat sur les loups………………………………..p 62.
1) L’essai de conciliation des chasseurs…………………………...p
62.
2) Le braconnage………………………………………………p
63.
C) Les intentions de la ministre…………………………………………….p 65.
II- Le programme LIFE-Loup…………………………………………………...p 66.
III- Les loups dans le débat parlementaire……………………………………...p 69.
A) La mission d’information Honde/Chevallier……………………………p 71.
Travaux de la Mission d’information………………………………p 72.
Réception du rapport Chevallier…………………………………...p 74.
B) Le débat sur la chasse…………………………………………………...p 75.
C) Le Plan Gouvernemental sur les loups………………………………….p 77.
Chapitre VI : De l’après Voynet à la commission d’enquête parlementaire sur la
présence du loup en France et le Plan Loup (2001-2004)………………………………p 80.
I- La commission d’enquête sur la présence du loup en France……………….p 81.
A) Formation de la commission……………………………………………p 81.
Un contexte particulier……………………………………………..p 81.
Création de la commission…………………………………………p 82.
Objectifs de la commission…………………………………………p 83.
B) Les travaux de la commission…………………………………………..p 84.
Le rapporteur Spagnou……………………………………………..p 84.
Conclusions de la commission……………………………………...p 85.
C) Réception du rapport……………………………………………………p 87.
II- Retour aux loups………………………………………………………………p 89.
III- Relation écologistes-chasseurs-éleveurs-bergers-loups…………………….p 93.
A) Vers un apaisement des passions ?..........................................................p 93.
B) Le loup, sujet d’Histoire………………………………………………..p 95.
Un animal très symbolique………………………………………
…p 96.
113
La contestation de l’anthropophage des loups…………………
…..p 97.
Conclusion :……………………………………………………………………………...p 100.
Sources…………………………………………………………………………………...p 103.
Bibliographie…………………………………………………………………………….p 105.
Ouvrages imprimés……………………………………………………………………….p 105.
Sites Internet……………………………………………………………………………...p 106.
Index des Personnes……………………………………………………………………..p 107.
Table des sigles…………………………………………………………………………..p 110.
114

Documents pareils