Avant-propos

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Avant-propos
Avant-propos
Le secret est nécessaire à la vie des affaires et est présent dans toutes les
branches du droit. Peut-on imaginer l’exercice de la profession d’avocat
sans le secret de la correspondance ou le secret professionnel ; des relations de travail avec des collaborateurs sans obligation de confidentialité
ou l’audit d’une entreprise sans devoir de réserve du réviseur ?
Au plan juridique, le respect du secret des affaires a acquis ses lettres
de noblesse, devenant même un principe général de droit européen1.
Le secret des affaires trouve également fondement dans l’article 8 de la
Convention européenne des droits de l’homme protégeant la vie privée
des entreprises.
Pourtant, l’omniprésence des moyens de télécommunication, la mobilité croissante des entreprises et des travailleurs, la capacité technologique
de reproduire, de stocker et de diffuser instantanément d’immenses quantités d’informations fragilisent le secret non seulement au plan matériel2
mais aussi sur le plan moral, d’aucun voyant dans la révolution technologique l’émergence d’un nouveau paradigme fondé sur la totale transparence.
Les nuances, voire les contrastes, révélés par l’étude du secret dans le
droit des affaires traduisent ces tensions. Un exemple : une information
susceptible d’influer sur la situation boursière d’une entreprise cotée devra
être conservée secrète par les quelques initiés qui la détiendront tandis
qu’elle devra être divulguée par l’entreprise concernée pour informer
au mieux les investisseurs. Nécessaire à la vie des affaires, le secret doit
parfois céder devant des exigences de transparence. L’antinomie s’inscrit
au cœur même de l’édifice juridique. Si les libertés fondamentales commandent de respecter la vie privée de l’entreprise, ces libertés protègent
également le droit pour le public de savoir et pour la presse d’informer.
De même, les exigences de la raison d’État et du secret défense se trouvent
bouleversées par des révélations au nom d’autres valeurs, qu’elles soient
d’ailleurs juridiques ou morales, ainsi que l’illustrent les affaires Wikileaks,
1 Voy. notamment C.J.C.E., 19 mai 1994, SEP, Affaire C36/92 ; voy. aussi sur cette question D. Mougenot, « Le secret des affaires et ses implications en droit judiciaire », R.D.J.P.,
2009, p. 112.
2 Voyez à ce sujet S. Gilson, K. Rosier, A. Roger, S. Palate, Secret et loyauté dans la relation
de travail, Kluwer, 2012, pp. 11 et s.
L A R C I E R 5
L’entreprise et le secret
Offshoreleaks et Snowden. En droit social, le travailleur invoque son droit à
la vie privée pour s’opposer à l’espionnage de ses activités informatiques
professionnelles tout en revendiquant son droit à la liberté de divulguer
les informations confidentielles de l’entreprise intéressant l’intérêt général dans certains cas de whistleblowing.
Le CRIDES étudie le droit de l’entreprise et rassemble à cette fin des
enseignants et chercheurs en droit commercial, en droit fiscal, en droit
intellectuel et en droit social. Ces quatre disciplines sont confrontées au
secret et à ses limites. C’est dans cette perspective que le sujet transversal
traité a pour vocation de dépasser les clivages disciplinaires traditionnels.
Le secret est analysé dans sphère interne de l’entreprise mais également
dans les rapports de l’entreprise avec les tiers, ce qui ouvre l’interdisciplinarité au-delà des champs d’investigation traditionnels du CRIDES.
Dans le droit judiciaire, le secret des affaires est source de tensions entre le
droit à la preuve et la confidentialité des preuves3. La charge de la preuve
dans un litige peut amener une partie à devoir divulguer une information
confidentielle dont la communication est susceptible de lui causer un préjudice commercial sérieux.
L’entreprise et le secret ou quand le droit danse le tango des antinomies.
Pour relever ce défi, nous avons pu compter sur de nombreux spécialistes
de diverses disciplines qui allient l’analyse théorique issue de leurs enseignements universitaires et l’approche pratique tirée de leurs pratiques
quotidiennes. Nous les en remercions vivement.
Nous souhaitons également remercier les Professeurs Yves De Cordt
et Filip Dorssemont, ancien et actuel présidents du CRIDES pour leur
confiance et pour leur infaillible soutien.
Nous remercions notre éditeur Larcier pour l’édition des actes de cette
journée d’étude.
Louvain-la-Neuve, le 11 mars 2014
Vincent CASSIERS, Steve GILSON
3 Voy. à ce sujet dans la doctrine la plus récente D. Mougenot, « L’administration de la
preuve et les mesures d’instruction », in H. Boularbah et F. Georges, Actualités droit judiciaire,
2013, p. 312.
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LARCIER