Battre la campagne

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Battre la campagne
Battre la campagne
Le monde rural est sans doute encore trop proche de nous, trop inscrit dans
quantité de gestes et de formes, dans quantité de valeurs pour que nous puissions en avoir une
conscience claire. Il continue d’exister dans l’ombre de notre culture sans qu’on y prenne garde. Les
grands mythes agraires ont nourri les grandes religions monothéistes qui ont porté notre culture tout
comme la culture antique. L’attachement à un lignage, l’enracinement dans un terroir continuent de
séduire en un temps où la légèreté est devenue le paradigme d’un monde ouvert et mobile. La
proximité d’une nature revalorisée ajoute à cet intérêt. Tandis que Raymond Depardon nous montre
les derniers représentants des paysans traditionnels - solitudes poignantes, silences pesants, toiles
cirées, cuisinières massives et lent tic tac des pendules dans la cuisine - une ruralité nouvelle
s’invente, traçant une nouvelle géographie avec de nouveaux acteurs. Mais ces dynamiques
n’intéressent généralement que peu le monde de la culture. Les phénomènes de repeuplement de
certains cantons ruraux dans l’orbite des grands centres urbains et au-delà par des populations
étrangères à l’activité agricole, l’importance des résidences secondaires dans la géographie affective
des français, l’extraordinaire attachement pour le patrimoine bâti et le patrimoine paysager, le
développement de nouveaux usages des territoires ruraux seraient plus affaires d’économistes, de
sociologues et de politiques que sujets devant intéresser des artistes soucieux de leur temps ! N’estce pas dans la vigueur changeante des mégalopoles, dans la confrontation aux nouvelles techniques
que l’on prétend découvrir l’art contemporain ? C’est comme un double handicap qui pèse sur le
monde rural ; d’abord trop attaché de manière presque inconsciente à notre chair, ensuite trop
exclu d’une actualité citadine pour être considéré comme le lieu des enjeux civilisationnels majeurs
de notre temps. Et pourtant que de richesses !
Mutation du monde rural et préservation d’un héritage paysan
La révolution profonde qui affecte le monde rural, chacun peut s’en convaincre aisément, n’a pas
lieu dans un laboratoire sans histoire. Elle touche en profondeur notre culture, elle remet, en
particulier, en question les idées que beaucoup se font d’une nature encore perçue à travers le filtre
des représentations de la ruralité, une nature qui était d’abord rurale et qui se comprenait à travers
les clés d’un savoir ancré dans le monde paysan. Il n’est pas exagéré de dire que notre époque
montre les signes de la fin de l’époque néolithique. Le déracinement général des populations
s’accélère dans des proportions affolantes, la mobilité et la mondialisation des échanges de tous
ordres, l’urgence d’un tempo sans cesse plus rapide touchent toutes les cultures promises à perdre
leurs caractéristiques millénaires dans une unification appauvrissante par bien des côtés (1). Quand
le livre du sociologue Henry Mendras paraît en France en 1967 avec le titre La fin des paysans, il fait
scandale (2). On ne peut se résoudre à croire que, dans les décennies qui viennent, ne résisteront
que de grands agriculteurs entrepreneurs oublieux des modes de vie d’autrefois et des savoir-faire
qui leur étaient intimement liés ; savoir-faire/savoir-vivre. Le danger paraît si grand que le pouvoir
doit y faire face et les lois et divers règlements tentent de préserver une agriculture familiale
« paysanne » face à la pression des grandes exploitations (3). La crainte de voir disparaître les
paysages patrimoniaux, l’horizon campagnard voulu d’une vie essentiellement citadine contribuent à
aller dans ce sens. Il faut lutter contre le dépeuplement rural, contre ce que l’on appelle la
désertification des campagnes, quand, au fond, on pourrait juger comme positif cette enfrichement
massif et ce retour progressif à une sauvagerie relative de vastes espaces. Mais en haut lieu, et sans
doute en suivant les idées du plus grand nombre, on se refuse à favoriser ce Tiers Paysage dont la
fécondité a été théorisée récemment avec passion par Gilles Clément (4). Il faut des terroirs
ordonnés, des routes et des villages quadrillant le pays. On le voit, la ruralité n’est pas seulement
affaire de culture et d’élevage, de rentabilité agricole ; elle est un enjeu culturel et sociétal
d’aujourd’hui (5).
Les temps longs de l’histoire
Si l’on veut comprendre la spécificité de la culture rurale il faut l’envisager comme le fruit d’un long
processus de domestication des plantes et des animaux utiles à la vie de sociétés de plus en plus
complexes. Il s’est créé ce que nous avons nommé, dans un livre récent, un « ordre domestique »
original attentif aux forces de la nature, inquiet de tout excès, soucieux de penser la durée d’un
environnement dont on dépend presque entièrement (6). Un modèle original venu du Proche -Orient
et qui, doit-on noter, avec Philippe Descola, « n’est pas un scénario universel » (7). Le ressort
profond de la conception du monde et des pratiques qui ordonnent les sociétés rurales vivant dans
cette filiation repose sur l’opposition première qui les soutient : l’homme ouvre dans le monde
naturel les clairières où vivre avec ses commensaux tandis que le domaine de la sauvagerie s’offre à
lui, tout autour, avec ses richesses quasiment inépuisables mais dangereuses et imprévisibles.
« L’habitat des bêtes sauvages constitue ainsi une ceinture de non-civilisation indispensable à la
civilisation pour qu’elle s’épanouisse » dit encore Philippe Descola (8). La culture néolithique tire sa
force de cette dialectique entre le domaine de l’homme et le domaine de la nature sauvage. En
1993, un numéro de la revue Etudes Rurales rassemblait plusieurs textes sur ce thème. « L’hypothèse
commune aux quatorze contributions rassemblées ici est qu’une partition repérable dans maintes
cultures anciennes entre ce qui relève du « sauvage » et « du domestique » continue d’agir dans le
contexte des sociétés modernes », était-il annoncé dans l’introduction (9). Et François Poplin y
déclarait ; « On aura beau dire et beau faire, nos conceptions sur la chasse et l’élevage, sur le
sauvage et le domestique pourraient être appelées le mythe du moine défricheur. Le cadre où tout
cela se passe se présente à notre esprit comme l’emboitement de la maison dans la clairière dans la
forêt » (10). Le bon pays, n’est-ce pas, pour bien des gens encore, une étendue sur laquelle l’eau, les
bois profonds, les campagnes riantes forment un équilibre fécond autour de villages paisibles ? La
prégnance d’une iconographie paysagère montrant cette organisation durant des siècles ne dit-elle
pas aussi la fascination qu’elle exerça sur les esprits ? C’est de cette très longue mémoire que notre
époque contemporaine, tout récemment, se détourne.
Art et ruralité
Depuis les images des Riches Heures du Duc de Berry jusqu’aux peintures des peintres de plein air du
XIXème siècle les paysages et les scènes de la vie rurale ne cessent d’occuper une place importante
dans le corpus des œuvres des artistes européens. L’histoire de cette thématique a été faite (11). Et
on peut suivre le changement des regards portés sur ce spectacle ; figures indifférentes des rustres
dans les fonds de peinture médiévale, idéalisation pastorale d’une nature divinisée dans l’âge
baroque, réalisme du XIXème mettant progressivement en lumière les paysans eux-mêmes avec
parfois des intentions apologétiques évidentes. On pourrait rappeler comment Van Gogh affirme à
maintes reprises sa volonté de vivre et de travailler comme un paysan et la dette qu’il se reconnaît
là-dessus envers Jean-François Millet. Pour lui, c’est tout un idéal de travail assidu, de pauvreté
méritante, de soumission à Dieu qui l’amène à se réclamer de cette civilisation paysanne. Il est
toutefois plus surprenant de constater que, d’une manière ou d’une autre, celle-ci inspire les artistes
jusqu’au cœur du XXème siècle. Picasso lorsque la paix revient en 1946 exprime sa joie et celle de
toute une époque à travers des visions pastorales dans les quelles, sur fond de paysage et de travaux
des champs, on voit danser de grandes femmes nues sur la musique faite par des faunes jouant de la
flûte (La joie de vivre, Musée Picasso à Antibes). Pendant toute la guerre c’est la figure du pasteur l’Homme au mouton- qui l’accompagne ; et elle trouve à s’épanouir, elle aussi, dans l’immédiat
après guerre comme l’expression apaisée d’une confiance retrouvée. Braque de son côté peint à la
fin de sa vie des paysages inspirés par les champs et les ciels chargés de la Normandie. Sa dernière
toile montre une sarcleuse, puissante forme noire se détachant sur des blés dorés, survolés de
corbeaux (La sarcleuse, 1961-1963). Comme une réminiscence du dernier tableau de Van Gogh. Mais
on ne souligne que rarement la source rurale de l’inspiration de ces grands artistes de la modernité.
Comme si il y avait là quelque chose de gênant, voire d’incompatible avec leur statut de créateur
révolutionnaire. Et pourtant ces créateurs, parmi les plus glorieux du vingtième siècle, nous offrent
précisément des images du monde rural dans des moments où ils tentent de dire le plus profond de
leurs sentiments.
Plus près de nous un examen rapide peut laisser penser qu’à partir des années 60 les références à la
ruralité ont disparu des productions contemporaines. On remarquera pourtant que des artistes
majeurs des années 60 et 70 ont nourri leurs démarches d’emprunts au monde paysan. Ils y ont
puisé non plus seulement des images (certains ont continué de le faire tel un Martial Raysse), mais
des matériaux, des techniques, des manières de faire et souvent même des valeurs orientant leur
vision du monde. Joseph Beuys, Jannis Kounellis, Giuseppe Penone, Mario Merz, Gérard Gasiorowski,
Bernard Pagès, David Nash, chacun par des voies originales construisent leurs œuvres sur ce socle
puissant. Lorsque je décidai en 1995 de faire une recherche sur ce thème, il n’existait aucun texte
mettant en évidence cette source commune. A proprement parler l’idée que de grands artistes issus
d’horizons divers puissent être rassemblés sous la bannière de l’inspiration rurale paraissait
incongrue. Un retour à la nature avait certes bien eu lieu à travers le Land Art. Mais il convient de
rappeler que les premiers land artists étaient essentiellement des américains issus du mouvement
minimaliste. L’agriculture ne les intéressait que fort peu et la paysannerie encore moins. C’est
seulement dans les prolongements ultérieurs du Land Art qu’on rencontre parfois des artistes se
réclamant de l’inspiration rurale. Ils peuvent travailler sur de larges échelles en environnement
« naturel » et interrogent une réalité qui devient de plus en plus complexe au fur et à mesure que
monte en puissance une intelligence écologique du monde. Les jeunes artistes ne peuvent pas en
effet reprendre les éléments d’une culture rurale sans devoir les revisiter à l’aune des nouveaux
savoirs. C’est de ruralité et d’écologie qu’il convient alors de parler. Une nouvelle « nature » peut
être invoquée comme le cadre englobant des démarches environnementales en milieu rural.
Quel retour à la nature ? Histoire naturelle et approche écologique.
Il semble en effet que la nature soit redevenue aujourd’hui une préoccupation majeure du public. Il
faut la protéger, il faut continuer de l’observer et d’en recenser les richesses, il faut interroger ses
enseignements, il faut, pour certains, retrouver le chemin d’une harmonie perdue entre monde
humain et monde naturel. Mais le grand public ne s’occupe guère des doctrines et les approches
systémiques du scientifique écologue s’énoncent dans son esprit, le plus souvent, sur le mode des
anciennes sciences naturelles. Il verra volontiers dans des pratiques de cueillette respectueuse de
l’environnement et dans des installations végétales (Marinette Cueco, Bob Verschueren…) le signe
d’une admiration et d’une simplicité qui lui parlent. Il verra dans la religiosité de Wolfgang Laib, ses
maisons de cire, ses offrandes de riz, ses tapis de pollen, la manifestation d’une vénération qu’il
partage. Le discours du savant écologue réduisant la vie à la modélisation de systèmes complexes
dans la continuité de la physique ne lui paraît pas contredire le tableau des différences et des
curiosités que l’Histoire Naturelle peignait à travers son observation des grands règnes de la nature.
On discernerait aisément, dans ce mouvement profond, des aspirations romantiques ou des
nostalgies rurales tout à fait étrangères aux nouveaux enjeux des savoirs contemporains. Plusieurs
artistes ont plus ou moins directement abordé cette question. Le travail de Mark Dion est
précisément situé dans ce changement de paradigme. Beaucoup de ses pièces empruntent les objets
et les vitrines des anciens cabinets de curiosité qu’il donne à voir de manière en même temps
fascinée et critique, alors même qu’il est pleinement conscient des dimensions d’une approche
écologique nouvelle. Son exposition de Londres en 1999 est exemplaire à ce sujet (12).
La révolution qui se trame va en fait bien au-delà d’un « goût » pour la nature. Et quand le
philosophe Bruno Latour nous invite à repenser notre place et celles des objets qui nous entourent
dans une redistribution radicale des rôles, il bouleverse en profondeur l’idée même de nature. Il est
tout à fait significatif qu’un anthropologue comme Philippe Descola lui emprunte des concepts pour
fonder une anthropologie en rupture avec le dualisme qui opposait culture et nature dans la culture
occidentale, un dualisme qui sous-tendait l’ordre domestique de la ruralité traditionnelle évoqué
plus haut. « Il est désormais difficile de faire comme si les non-humains n’étaient pas partout au
cœur de la vie sociale, qu’ils prennent la forme d’un singe avec qui l’on communique dans un
laboratoire, de l’âme d’une igname visitant en rêve celui qui la cultive, d’un adversaire électronique à
battre aux échecs ou d’un bœuf traité comme substitut d’une personne dans un prestation
cérémonielle… » (13). Notre intelligence du monde devient ainsi une intelligence « diagrammatique »
faite de l’attention aux interrelations changeantes des différents actants entre eux, et ceci dans
l’affirmation d’une continuité où hommes, bêtes, plantes, choses et concepts forment des systèmes
plus ou moins stables pris eux-mêmes dans de plus vastes ensembles, eux-mêmes en mouvement.
Quel paysage alors pour un tel monde ignorant le socle fondamental sur lequel prend appui le
schème paysager de la tradition occidentale ; un sujet face au monde, un sujet s’opposant au monde
comme une pure conscience du monde ? La fin de ce statut privilégié ne jette-t-il pas l’homme dans
le sensible, ne lui fait-il pas connaître une immersion où se perdent tous repères fixes ?
« L’anthropologie est confrontée à un défi formidable, soit disparaître avec une forme épuisée
d’humanisme, soit se métamorphoser en reprenant son domaine et ses outils de manière à inclure
dans son objet bien plus que l’anthropos, toute cette collectivité d’existants liés à lui et relégués à
présent dans une fonction d’entourage » (14).
Complexité
Les artistes contemporains se sont déjà appliqués à explorer ces concepts, à présenter au public des
dispositifs mettant en évidence des organisations complexes sur un mode « illustratif » (ce que vous
voyez est ce que vous voyez…), ou sur un mode engagé (regardez le monde qu’il faut préserver,
comprenez les nouveaux enjeux écologiques). Les uns plus sensibles au végétal (Meg Webster, Eve
Andrée Larramée, …). Les autres plus intéressés au monde animal (David Byrne, Huang Yongping,
Michel Blazy…). Certains se sont directement impliqués dans des approches globalisantes où la
production de nourriture, l’impact environnemental, les dimensions sociale et économique sont
prises en compte au sein d’équipes pluridisciplinaires. Une ruralité nouvelle s’y dessine qui assemble
traits anciens et modernité, réalités culturelles et sociales exotiques et techniques occidentales les
plus pointues. Le meilleur exemple en serait celui du projet The Land lancé par deux artistes
thaïlandais en 1999 (15). Une rizière entourée de bassins et d’étangs sert de lieu de production et
d’expérimentation. Fruitiers et légumes sont aussi plantés. L’artiste Rikrit Tiravanija s’y trouve
impliqué avec d’autres participants tels un collectif danois s’occupant d’installation de biogaz, un
plasticien de Chicago travaillant sur les capteurs solaires, un autre (thaïlandais) appliqué à
développer une ferme piscicole, tandis que Philippe Parreno et François Roche, plus connus du public
français, inventent une architecture répondant à l’esprit ouvert de ces lieux. The Land présente une
utopie rurale mondialiste dans laquelle enjeux de développement et activités artistiques sont
étroitement liés. Le vieux modèle de l’autarcie paysanne est revisité dans une vision de partage
humaniste et d’autonomie alimentaire. On souhaite, soit dit en passant, que l’humanisme généreux
ne soit pas trop mêlé d’humanitarisme paternaliste… Mais au-delà de ce danger inhérent à maintes
réalisations, le projet nous dit sur quelles voies la ruralité, associée depuis des millénaires à l’idée de
lenteur et de tradition est pris dans le vent de la mondialisation. Une ruralité élargie comme il
convient à notre temps. Car « notre » ruralité c’est aussi celle des champs de tomates marocains et
des haricots verts du Sénégal. Notre ruralité est aussi celle des tissus que nous ramenons pieusement
du Sapa au Vietnam ou des fragments d’architecture richement ornés repris à l’Asie centrale. Le
cercle s’est élargi. Et l’exode rural s’est amplifié à l’échelle planétaire dans un mouvement qui donne
le vertige.
Pour autant ces nouvelles dimensions n’effacent pas les anciennes ; elles s’ajoutent, se recomposent
pour former l’imaginaire de la ruralité contemporaine. Idéal rustique traditionnel, vision moderne
marquée par l’écologie (qu’on pourrait appeler néo-rurale en mémoire des mouvements de retour à
la terre des années 60-70), sensibilité contemporaine aux enjeux mondiaux et nouvelle approche des
dynamiques ville-campagne (continuité métropole-territoire) peuvent se croiser dans des pratiques
variées chez les artistes. C’est ce qui fait la richesse d’une démarche comme celle de notre exemple
précédent. C’est ce qui fait aussi la richesse de celle de Victoria Klotz d’une manière différente.
L’exposition de Taurines
Le château de Taurines est une rude bâtisse aux pierres rousses située au milieu de quelques fermes.
Alentours une campagne plaisante sur un paysage de collines. Comme une image rêvée de terroir
traditionnel avec ses champs, ses pâtures, ses haies vives sur des surfaces modestes. On y ressent le
tissu des siècles de travail paysan. Au pied de la bâtisse, une charrue dans une bordure fleurie ; signe
discret de cette attache terrienne, image classique tant de fois vue dans la France d’aujourd’hui. Un
effort de restauration récent témoigne de l’extraordinaire engouement des français pour leur
patrimoine rural. Taurines fait partie des centaines de petits monuments villageois inventoriés et
restaurés dans les trois dernières décennies. Il est à lui seul l’expression d’une ferveur collective
remarquable.
L’exposition voulue par Victoria Klotz, présentant à la fois ses œuvres et celles des artistes qu’elle
rassemble autour d’elle, nous amène dans ce lieu fort à une perception inhabituelle du monde rural.
La visite s’accomplit un livret à la main, avec la recommandation de lire les textes de l’artiste, choisis
pour chacun des espaces traversés. On doit s’arrêter et découvrir des mots qui ne sont en rien une
explication des œuvres qui nous entourent même s’ils entrent en résonnance avec elles. Ils disent
des expériences fortes, des passions ombrageuses, des descriptions sensibles du monde rural. Ce
sont là textes littéraires à la première personne demandant une attention propre. Les textes auraient
pu être distribués de salle en salle. Victoria Klotz a préféré nous confier ce petit livre dès l’ouverture
d’un parcours qui aurait pu être mis sous le signe d’une culture matérielle et sensible. La suite n’est
pas moins étonnante. Portraits de chasseurs endormis sur leur lieu de chasse, vaste chambre noire
servant de sténopé projetant sur un mur l’image du village proche, photos discrètes de sites
ensauvagés(…), petits tableaux de gaze sur laquelle sont piqués de petits os (…). Ou encore vaste
collection de cartes postale anciennes mêlant des scènes rurales françaises, mais aussi des vues
exotiques de marché africain ou de rizière (…), construction sommaire d’une hutte pygmée, salle de
réception avec table mise et bêtes empaillées courant ici et là, vieille carcasse de voiture sortie d’une
grange, podium sportif…
La simple énumération de ces objets dit bien les horizons différents qui
s’ajoutent à la vision d’une campagne rustique ; celle-ci est bien présente avec la vue prise du
château, les chasseurs endormis, les cartes postales montrant les travaux et les jours d’une
campagne profonde. Mais le podium inattendu introduit l’image du sport tandis que des photos
d’architecture moderne, dans la même salle, apportent la ville sous la forme d’une urbanité verticale
et silencieuse (…). La hutte pygmée joue avec un primitivisme que les productions paysannes locales
nourrissaient au début du XXème siècle et les vues exotiques dispersées parmi les cartes postales
renforcent cette trame universelle d’un monde rural « primitif » plongé dans l’ordre naturel des
saisons. Une dimension mondiale y est manifestement revendiquée. Enfin les petites photos de
broussaille et les tableaux aux petits os ouvrent la porte à une réflexion sur la sauvagerie et les
reliques animales soigneusement présentées ; s’agit-il d’un appel à regarder une campagne à
l’abandon livrant les traces discrètes des morts qui s’y déroulent incessamment ? Nous sommes en
tout état de cause, on le voit, bien loin des clichés romantiques qui collent encore au domaine
campagnard.
Tout attaché à voir le changement de perception d’un monde rural dont les limites imaginaires et les
usages se transforment rapidement sous nos yeux, je propose ici trois lectures du parcours proposé
par l’exposition.
Première lecture : le merveilleux.
Sur le bord de la belle nappe de la table de banquet courent les premiers mots du conte de Charles
Perrault La Belle au bois dormant. « Alors le roi et la reine après avoir embrassé leur chère enfant
sans qu’elle s’éveillât sortirent du château… ». La Belle est endormie, les ronces envahissent les
fossés et le château devient à peine visible derrière d’épaisses frondaisons. Nous sommes dans le
beau château de Taurines et un cercle de ronces mortes est installé près de la table du banquet
tandis que des animaux sauvages (taxidermisés, mais nous dirons ici immobilisés par un
enchantement) paraissent ici et là. Le conte de Perrault offre sa trame narrative pour les images
archétypales. Les enfants d’aujourd’hui attendent encore des Princes Charmants et les loups, qui
n’existent quasiment plus que dans les livres, continuent de leur faire peur. La puissance des image
débordent sur les jours qui les ont vues naître et hantent toujours notre temps. Sur les photos de
l’escalier la broussaille gagne et les chasseurs, dans leurs vêtements de chasse contemporains, fusils
en main, sont pris d’un sommeil étrange. Participent-ils au conte qui nous est suggéré ?
D’un autre côté, sans aller jusqu’au merveilleux, la vie rurale elle-même a été idéalisée sur le mode
d’une culture « refuge » faite d’une innocence vertueuse, opposée aux valeurs de la ville. Les images
des cartes postales nous plongent dans cet univers où égorger un cochon devient une fête et gaver
les oies une aimable curiosité promesse de bonne chère. De telles transfigurations ne peuvent
qu’être engendrées par une adhésion affective profonde. C’est là-dessus que le peintre Gérard
Gasiorowki construisit son œuvre après 1975 ; en inventant une fiction paysanne dans laquelle luimême se mettait en scène, il retrouvait sur un mode parodique –mais au fond fort sérieux- la
confiance qui lui faisait défaut dans sa vie et dans son œuvre dans les années passées. Au milieu des
années 80, il affirmait clairement la dette qu’il avait contractée envers cet enracinement paysan
imaginaire. Une part de sa production intime était d’ailleurs consacrée à la collecte de cartes
postales rurales semblables à celles présentées à Taurines, qu’il s’amusait à reprendre de quelques
traits ou coups de pinceau. Cette même culture populaire à proprement parler l’enchantait.
La campagne n’est-ce pas aussi le lieu du temps long, le lieu d’une mémoire préservée où
s’accomplissent sans heurt les lentes disparitions propices au deuil ? C’est à la campagne que
finissent de mourir doucement les voitures de notre enfance dans la poussière des granges ou
l’humeur joyeuse des poulaillers. La belle carcasse de voiture figurant dans l’exposition évoque
« merveilleusement » ce point. Sur des modes divers se manifeste ainsi au fil de l’exposition cette
puissante machine à rêver que représente encore le monde rural ; l’image mystérieuse du sténopé,
nous renvoyant, comme il se doit, inversée, l’image de la campagne proche, participe à cet élan.
Deuxième lecture ; la chasse.
Dans le château, des animaux sauvages, des chasseurs endormis, la forêt entrevue, mais surtout, à
travers les textes, la description des chasseurs dans le style d’une énumération infinie ; « Il y a ceux
qui courent le monde et les autres qui s’aventurent au fond de leur prairie. Il y a ceux qui parlent
latin et divaguent dans la classification des espèces… ». Et, dans la salle de réception, une profession
de foi qui dit clairement la distance qui sépare l’artiste des valeurs rustiques paysannes ; « Ils [les
paysans] ont toujours quelque chose à défendre même si les silos sont vides. Qu’ai-je à défendre ? Je
n’ai pas de terre. Pas de graines à semer. Et je déteste être le légataire de ces gens là. Pourtant j’ai
souvent le bras tendu, avec à la place du poing une pierre, et à la place de ma volonté une flèche ».
Le premier texte brocarde allègrement les chasseurs de tous poils comme une tribu innombrable
avec ses travers et ses ridicules mais cependant tous animés par la même passion. Le second essaie
de dire quelle est la position de l’artiste, sa révolte, sa force et sa volonté en forme de flèche. La
métaphore ici n’est pas sans fondement car Victoria Klotz pratique elle-même la chasse à l’arc. Et,
même si cette pratique n’apparaît pas au premier plan de l’exposition de Taurines, elle doit retenir
notre attention en ce qu’elle éclaire les autres références faites à l’art cynégétique. La chasse à l’arc
est chasse de patience, de silence, de proximité dans laquelle l’arme silencieuse impose comme un
exercice de méditation (16). Dans ce sens là, VK se veut du côté de la forêt contre l’ordre des
champs. Elle est du côté des coureurs de bois, du côté d’une chasse « élitiste » aussi. Celle qui, de
tout temps, a voulu être l’éducatrice du citoyen ou du guerrier (17). Ce rôle éminent reconnu à la
chasse, notons le, n’a pas peu contribué au maintient de vastes espaces sauvages dans nos pays et
contribué à modeler les paysages qui sont chers à beaucoup (18). C’est dire l’importance de cette
activité dans les mentalités et dans le la mise en forme des territoires. En évoquant la chasse et
disant son propre engagement dans cet art Victoria Klotz nous met sous le regard une dimension
généralement occultée de l’héritage rural. Il ne faut pas cependant s’arrêter à ce seul constat.
La chasse est plutôt affaire d’hommes. Mais Artémis (ou Diane) sont femmes ; ces divinités de la
fécondité du monde sauvage sont aussi détentrices d’un pouvoir sur les bêtes dont elles favorisent la
multiplication. Elles président donc à la chasse. Ambivalence qu’a voulu ignorer un écoféminisme
faisant de la femme la protectrice d’une nature violentée par le pouvoir des mâles. Cette
ambivalence peut donc se retourner vers une pratique singulière ; la connivence avec la nature
s’exalte alors dans le sens de la chasse. Mais, ce n’est pas l’ivresse du sang qui est recherchée, ce
n’est pas la brutalité vaine. Tout au contraire. C’est paradoxalement Aphrodite (ou Venus), en
allumant les feux de l’amour, qui suscitent violence et folie (19). En suivant Artémis on apprend en
effet la maîtrise, la patience. Nous avons aujourd’hui curieusement pacifié l’amour en le mêlant de
compassion ; l’antiquité, sans doute avec juste raison, en faisait un maître redoutable. La chasse, elle,
inviterait à dépasser la pulsion immédiate et peut aisément être comparée à un apprentissage
spirituel, comme l’attestent de nombreux témoignages. Mieux que l’amour elle préparait à la vertu.
Le personnage de Victoria Klotz ne manque pas d’évoquer ces paradoxes cruels. Alors les bêtes et les
buissons entrevus dans l’exposition prennent un tout autre sens et le château devient un refuge
hautain.
Enfin, l’art du chasseur reconnaît dans les bêtes une parenté de violence et de ruse qui les fait
respecter comme des adversaires singuliers, chacun ayant une personnalité à part. On dira alors,
non sans raison, qu’un chasseur vit profondément sa parenté avec le monde animal. Et que
contrairement à la vision abstraite instaurée dans l’espace ouvert de la clairière, il pratique une
intelligence concrète en situation. C’est là un argument souvent repris par les chasseurs eux-mêmes.
Le paysan n’est donc pas fondamentalement un chasseur. Ainsi considérée la chasse recèle des sens
multiples, propres à se retourner et à offrir un matériel symbolique particulièrement riche. Victoria
Klotz s’en empare pour inventer une pratique qui pourrait, après tout, servir aussi à comprendre sa
stratégie d’artiste ; n’y aurait-il pas une part de ruse, de camouflage dans son personnage ? N’y
aurait-il pas un peu de cette intelligence métis selon laquelle il faut que l’esprit se rende semblable à
l’objet auquel il s’applique si il veut en triompher (20). Son personnage accepte tout à la fois le
compagnonnage rural mais le récuse par maints aspects, vit aussi pleinement ses moments de chasse
mais en les mettant sous le signe de l’art. Quelle proie vise-t-elle au juste ?
Troisième lecture : la friche
Le domaine rural ne serait-il pas une vaste friche ? Non pas celle de l’agriculteur ou du sylviculteur
qui n’accordent que difficilement et à regrets à la nature l’occasion de reprendre les espaces qu’il
abandonne, mais au sens où il représente probablement un bien susceptible d’être mis en valeur de
bien des façons encore à inventer. La déprise agricole a élargi ces dernières décennies les espaces
forestiers mais les gestionnaires de nos campagnes encadrent toujours précisément les usages du
territoire. Le retour à la sauvagerie ne se fait qu’à la marge. Si nous parlons de friche c’est que la
ruralité a vécu dans le dernier demi siècle un reflux des activités productives agricoles et s’est placée
essentiellement sous le signe du tourisme ou des villégiatures secondaires, de la protection de la
nature et des paysages. Dans son aspect patrimonial, nul doute que certains la jugent sousemployée. Elle a certes été en France le lieu d’expérimentations sociales libertaires autour de 1968.
Elle est aujourd’hui lieu de luttes pour inventer une agriculture responsable dans un paysage
économique mondialisé. Mais elle recèle sans doute des potentialités en matière d’espace et de
culture qui ne sont pas valorisées. Tout comme les friches urbaines et industrielles l’ont démontré
ces dernières années. Dans la complexité mouvante des pratiques et des imaginaires qui s’y croisent
des artistes peuvent donc s’emparer de fragments épars pour imaginer d’autres mondes.
L’opposition ville-campagne constitutive du modèle rustique paysan peut céder la place à une vision
nouvelle dans laquelle s’affirme une humanisation profonde de tout le territoire dans la même
rationalité. Un artiste tel que Giuseppe Penone, pour sa part, se refuse à faire une différence entre la
rationalité industrielle et l’organisation des champs. Notre civilisation, pour lui, doit être perçue dans
une continuité temporelle et spatiale. Andy Goldsworthy, quoique célébré pour son attachement à la
nature, affirme constamment qu’il n’existe pas d’espace naturel. Partout l’homme est présent,
partout il a laissé sa marque et il serait vain d’opposer une humanité des villes à celle des
campagnes. S’il y a un travail à faire, c’est bien dans l’esprit d’une culture d’une métropole-territoire
sans esprit d’exclusion. Le monde d’aujourd’hui doit nous inviter à recoudre ce qui a été séparé ; que
l’on regarde les travaux d’Helen et Newton Harrison sur la région centrale de l’Angleterre entre
Liverpool et Hull. Les deux artistes ont reçu, pour ce vaste territoire, commande d’un projet visant à
aménager concrètement une vie urbaine plus verte, avec un réseau de nature plus continu et plus
riche dans une symbiose intelligente (21).
La salle de réception dans le château de Taurines montre une table mise de 20 couverts. Sur la nappe
un motif régulier représente des bois de cerf entremêlés. Tout autour est écrit le début du texte du
conte de la Belle au Bois Dormant. Sur les serviettes, pour qui a la curiosité d’en déplier une, figure
une suite de noms pris parmi les 717 toponymes des « zones sensibles urbaines » françaises. Ce
rapprochement, à première vue incongru, nous invite sans doute à penser la marge des villes comme
des lieux d’invention, des lieux sensibles, à mi-chemin entre la centralité urbaine et la campagne
proche, des lieux où les escapades peuvent trouver aussi bien le refuge des derniers bosquets que
celui de l’anonymat des grands boulevards. La misère sociale qui règne là ne doit pas effacer la
richesse potentielle des expériences paysagères et culturelles que ces marges recèlent. C’est
précisément dans un environnement de banlieue qu’Andy Goldsworthy a trouvé son inspiration.
Alan Sonfist, artiste de Land Art touchant pleinement à la mémoire des lieux et aux problèmes qui
nous occupent, partage ses années d’enfance à New-York entre un bois tout proche et la ville, et son
travail se trouve tout imprégné de cette double expérience.
La convivialité du banquet renoue avec la longue tradition du partage des agapes, tout comme une
autre pièce de l’artiste qui amenait nuitamment son public à un banquet de chasseurs en pleine
nature. (Il manque les coups de feu, Centre d’Art La Chapelle, Saint-Gaudens, 2003). Voilà une
manière bien particulière de s’adresser à « la banlieue », bien loin des programmes sportifs ou des
encouragements portés aux rapeurs ! Les bêtes assemblées là nous écartent manifestement des
pelouses réglementaires ! Et l’on s’aperçoit en fait que les « friches » débordent largement les
espaces qu’on leur assigne généralement. Il y a dans toute notre culture de vastes territoires
mentaux, d’innombrables usages qui ont encore une fécondité qu’un enchanteur peut soudain
réveiller. Cette manière d’interroger les espaces interstitiels correspond certes à la réflexion menée
ces dernières années par de nombreux artistes dans la ligne du groupe Stalker. Mais les
rapprochements proposés par Victoria Klotz renouvellent l’exercice ; entre ville et campagne, entre
chasse méditative et sport, entre ruralité profonde et ouverture africaine exotique toutes sortes de
contacts s’établissent brouillant les repères habituels.
Le travail de Victoria Klotz invite à repenser le monde rural en échappant au désir d’une
reterritorialisation qui serait simple nostalgie patrimoniale dans les formes et dans les gestes. Les
émotions vives au contact des choses, herbes, feuilles et bruits secrets des bêtes s’y rencontrent
dans des termes qui pourraient être ceux d’un Jean-Loup Trassard appliqué à redonner par les mots
et les photos depuis des années l’immense sensualité d’une ruralité esthétisée. La référence à la
chasse et à ses rituels nous amènent à percevoir la force d’un attachement populaire à cette activité
qui peut faire écran à d’autres dimensions. Il appartient cependant à l’art de sublimer toutes ces
valeurs dans une recomposition ouverte ne s’interdisant aucune audace. L’émergence originale de la
ruralité dans une démarche artistique contemporaine répond à une ruralité remodelée par des flux
où s’ajoutent dimensions locales, régionales, européennes et mondiales. Le livre récent Jean Viard
(22) portant un regard de sociologue sur la France rurale rend compte de cette mutation : dans un
monde fini, la terre reprend une importance capitale. Les fermes de demain seront performantes et
absolument modernes et il faut espérer qu’une agriculture verte et intelligente deviendra une
activité enfin libérée des clichés rustiques qui la définissent encore. Il faut préparer, dit Jean Viard,
« un déplacement symbolique et politique de la question agricole ». Ne doit-on pas voir des signes
forts de ce déplacement dans les œuvres de Victoria Klotz ? Par toutes ses richesses et toutes ses
potentialités en termes de ressources, d’espaces et d’images, la ruralité peut certainement être
encore porteuse d’utopies et montre bien une fécondité prolongée propre à nourrir un art de notre
temps.
Pierre Paliard
Notes
1 Sans aller jusqu’à partager le même pessimisme que Claude Levi-Strauss, on peut rappeler ce qu’il
entrevoyait dans sa conclusion au livre Tristes Tropiques en 1954 parlant d’une promesse d’entropie
générale pour toutes choses et d’un effacement progressif des différences culturelles au profit d’une
civilisation mondiale appauvrie.
2 Henri Mendras, La fin des paysans, Actes Sud, Arles, 1993.
3 « Dans une évolution qui peut être brutalement économique, une sorte de nostalgie protège les
caractères humains et sociaux fondamentaux du « paysan » », écrit Jacques Audier dans son livre
Mementos, Droit Rural, Dalloz, 2002, p.9. Venant d’un juriste habitué à peser chaque chose sans état
d’âme, le constat n’en a que plus de valeur.
4 Gilles Clément, Manifeste du Tiers paysage, Ed. Sujet Objet, 2004. L’auteur y fait l’éloge de la friche
et du « délaissé », des zones interstitielles où la nature reconstruit les systèmes vivants les plus
riches. Dans cette dynamique, « la fixation du modèle érigé en patrimoine condamne le Tiers
paysage à sa propre disparition ».
5 De cet élargissement de vocation le droit porte aussi la marque en en venant à faire de l’activité
agricole une composante secondaire, comme en témoigne la fin de la citation ci après : « Le droit
rural, parce qu’il repose sur une définition large de l’activité agricole, a progressivement vocation à
devenir aussi le droit de l’espace rural, il est le droit de l’espace rural et des activités agricoles » in
Jacques Audier op. cit. p.6.
6 Pierre Paliard, L’ordre domestique, mémoire de la ruralité dans les arts plastiques contemporains en
Europe, L’Harmattan, Paris, 2006.
7 Philippe Descola, Par delà nature et culture, Gallimard, Paris, 2005. Cit. p. 83.
8 Id. p. 86.
9 Valentin Pelosse et André Micoud, introduction au numéro 129-130 des Etudes Rurales, janvier-juin
1993 consacré au thème « Sauvage et domestique ».
10 Id. l’article de François Popelin a pour titre « Que le lapin est la forme domestique du lièvre », cit.
p. 97
11 Voir en particulier le beau catalogue de l’exposition Paysages-Paysans, L’art et la terre en Europe
du Moyen-âge au XXème siècle, sous la direction d’Emmanuel Leroy Ladurie, Bibliothèque Nationale
de France, 25 mars-26 juin 1994, Paris Réunion des Musées Nationaux, 1994 et l’étude d’ Héliane
Bernard, La terre toujours réinventée, la France rurale et les peintres, 1920-1955, Lyon, Presses
Universitaires de Lyon, 1990.
12 Pour l’installation Tate Thames Dig (1999), Dion proposa d’exposer les objets qu’il avait trouvés
en pratiquant une fouille dans le lit de la Tamise bordant le musée. Ainsi furent présentés tout à la
fois des fragments d’os animaux et humains, des restes de céramiques antiques, divers objets des
temps modernes jusqu’à des téléphones portables. Le fleuve et les marées brassaient toutes choses
et ce désordre étonnant était comme un appel à recomposer notre vision du monde au-delà du
partage entre culture et nature. Voir Daniel Birnbaum, Stream of Conscience, article paru dans Art
Forum, nov. 1999.
13 Philippe Descola, op. cit. p. 15
14 Id. p. 15
15 Voir le site du projet : www.thelandfoudation.org
16 Cherchant à savoir l’importance de cette pratique aujourd’hui, j’ai été surpris d’apprendre
qu’elle intéressait un nombre significatif de chasseurs ; « Combien de tireurs à l’arc en France ? De
8500 à 10 000 personnes se présentent chaque année et obtiennent un certificat d’aptitude. Mais ils
ne sont que 4000 à 5000 chasseurs à pratiquer assidûment ce type de chasse ». Aurélien Viratelle,
Guide juridique pratique du chasseur, Flammarion, Paris, 2003. On voit comment Victoria Klotz porte
avec elle plus que la marque d’une originalité singulière sur ce point ; elle donne une voix à une
sensibilité diffuse renouvelant le rapport au sauvage.
17 Xénophon, au début du IVème siècle avant JC énonce que « la chasse vise à former l’honnête
homme, pour qu’il devienne un bon citoyen, puis à le préparer à la guerre, et ensuite à honorer la
déesse Artémis ». Arrien et Oppien d’Apamée, L’art de la chasse, cynégétiques, introduction de Louis
L’Allier, Les Belles Lettres, La roue à livres, Paris, 2009. Citation de Louis L’Allier, p. 9.
18 « Les souverains angevins du XIIème siècle étendirent la forêt royale jusqu’aux deux tiers des
terres anglaises » écrit Philippe Salvadori (La chasse sous l’Ancien Régime, Fayard, Paris, 1996). Et on
pourrait évoquer plus prés de notre temps l’extraordinaire importance de l’activité cynégétique des
princes européens pour conforter ces remarques ; « Pour la seule année 1738, Louis XV compte qu’il
a pris cent dix cerfs avec une meute, et quatre vingt dix huit avec l’autre » (id.). On suppose en outre
que certains gibiers auraient échappé à la domestication pour les destiner à la chasse, entrainant une
distribution particulière des animaux autour de l’homme ( Philippe Descola le suggère : « Il n’est pas
impossible en effet que les peuples du néolithique se soient abstenus de domestiquer quelques
espèces, notamment les cervidés, de manière à les préserver comme un gibier de choix ». Op. cit. p.
85).
19 Ainsi, chez Lucrèce, sous le coup des simulacres (ce flux constant d’atomes se détachant de toute
chose pour frapper les récepteurs sensibles des êtres vivants), les amants sont poussés à la violence,
voire la fureur :
« Ce qu’ils ont pourchassé, ils le serrent très fort,
Ils lui font mal au corps et souvent de leurs
dents lui déchirent les lèvres et le rouent
de baisers : c’est que leur volupté n’est pas
pure, en son sein il est des aiguillons
qui poussent à blesser justement cet objet d’où
lèvent, quel qu’il soit ces germes de fureur.
Pourtant, pendant l’amour, Vénus légèrement
Atténue les tourments, la tendre volupté
Venant à s’en mêler réfrène les morsures »
Lucrèce, De la nature des choses, traduction Bernard Pautrat, Paris, Librairie Générale Française, Livre
de Poche, 2002, vers 443. On trouve des mots semblables chez Virgile.
20 Je reprends ici le mot métis au sens qui lui est donné par Jean-Pierre Vernant. Voir Les ruses de
l’intelligence : la métis des Grecs, entretien du 14 janvier 2007 entre Georges Charbonnier et JeanPierre Vernant à propos du livre de Jean-Pierre Vernant Les ruses de l’intelligence : la métis des
Grecs ; « Les grecs pensent que seul le même peut agir sur le même. Et que seul le même peut
connaître le même. Et il faut que l’intelligence se rende semblable à l’objet auquel elle s’applique et
si cet objet est un objet mouvant, inquiétant, un objet qui prend toutes les formes, l’intelligence doit
se faire elle-même plus polymorphe, plus souple et plus dangereuse et plus ambiguë que ceux qu’elle
essaie de connaître ».
21 Helen et Newton Harrison, Casting a Green Net : Can It Be We Are Seeing a Dragon? 1998, in
Natural Reality, Artistic Position between Nature and Culture, Daco Verlag, Stuttgart, 1999, p. 188.
22 Jean Viard, Lettre aux paysans et aux autres sur un monde durable, Ed. de l’Aube, 2009.

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