real people - Clarence Edgard-Rosa

Transcription

real people - Clarence Edgard-Rosa
C
hatte, minou, foufoune, mounette, con, motte,
fente... Autant de mots, plus ou moins crus,
pour désigner quelques centimètres carrés
qui font de nous ce que nous sommes!: des
femmes. Indépendamment de la densité de
la toison, de son périmètre, de la taille des
grandes ou des petites lèvres. Dans un espace
aussi intime, on devrait pouvoir faire ce que
l’on veut, avec pour seule règle la conquête
de notre plaisir. Et pourtant... Quand la surabondance d’images véhiculées par le porno
ne donne à voir que des sexes lisses aux allures de tirelire, quand des jeunes femmes n’ayant pas commencé leur vie sexuelle considèrent l’épilation intégrale comme
nécessaire, quand la nymphoplastie –!réduction chirurgicale
des petites lèvres!– est envisagée par des filles sans anomalie
physiologique comme un acte esthétique, quand ce qui
devrait être un territoire d’exploration érotique est envahi
par des normes, on s’inquiète quant à notre liberté à disposer de notre corps. À l’assumer tel qu’il est. Comment, après
tous les combats féministes gagnés, en est-on arrivé là!?
Les diktats sur la pilosité ne datent pas d’hier. Ils sont culturels autant que sociétaux. Dès l’Égypte antique, les femmes,
mais aussi les prêtres et les pharaons, s’épilaient intégralement pour signifier leur pureté. Mode ou régression, il en
va quasiment de même dans nos sociétés occidentales. Cire
chaude ou froide, crème, rasoir, laser... Le poil est devenu
tabou. Parfois au prix de la douleur –!et de 7!000 à 17!000 euros
en moyenne dans une vie*!–, nous ratiboisons. Dans “Défense
du poil, contre la dictature de l’épilation intime” (éd. La
Musardine, 2010), Stéphane Rose raconte qu’il a rencontré
des jeunes hommes qui n’ont jamais vu un poil de chatte!! Et
80!% des femmes considèrent qu’un sexe glabre est un gage
de séduction**. À tel point que sur Instagram, en octobre
dernier, le cliché de Petra Collins montrant une innocente
culotte en coton de laquelle dépasse un petit buisson, a
provoqué une avalanche de réactions outrées. La contre-
( REAL PEOPLE )
TOUTES
LES ORIGINES
DU MONDE
Marre des diktats qui ont réussi à coloniser notre corps
jusque dans sa zone la plus intime. Qu’on le préfère
touffu, épilé ou glabre, quel rapport avons-nous avec
notre sexe"? Six femmes se dévoilent sans tabou.
Par Clarence Edgard-Rosa. Photos Émilie Jouvet.
attaque ne s’est pas fait attendre!: en novembre, l’agence britannique Mother London a lancé Project Bush (“projet buisson”), une série de 93 photos de pubis plus ou moins épilés,
pour lutter contre la dictature de l’imberbe. Dans le même
temps, Cameron Diaz a publié “The Body Book” (éd. Harper
Wave), un ouvrage dans lequel elle livre une ode au “ravissant
petit rideau qui rend votre sexe beaucoup plus mystérieux”.
Quel que soit le choix de chacune, cela reste un acte féministe
et courageux d’oser se montrer telle que l’on est, sans retouches. C’est ce qu’ont fait les six femmes qui se dévoilent ce
moi-ci dans nos pages face à l’objectif d’Émilie Jouvet***,
photographe et réalisatrice du road-movie documentaire
“Too Much Pussy” (2011). “La sexualité et le corps des
femmes sont des territoires d’oppression, explique-t-elle. En
créant nos propres images, nous pouvons faire de ce territoire
un espace de liberté.” Et, on l’espère, faire bouger les choses.
CRÉDIT XXXXXXXXXXXX
CRÉDIT XXXXXXXXXXXX
*Selon une étude menée en 2010 par une société américaine d’épilation au laser. **Sur l’étude Ipsos “Enquête sur les Français et l’épilation” réalisée en 2006. ***Auteure de “The Book” (éd. Womart,
2014). Son travail sera affiché dans le cadre de l’expo “Barbi(e)turix":
la culture lesbienne s’exhibe” du 10 au 27 avril au Point Éphémère
(Paris 10), et au festival In/Différences (Vauvert) du 11 au 13 avril.
Océane
Doctorante sur les forums dédiés
au sida et à la sexualité
“J’ai toujours été très à l’aise avec la nudité.
Sans militantisme naturiste, c’est quelque chose
de naturel dans ma famille. Ces dernières
années, ça s’est surtout accompagné d’une vraie
réflexion!: j’ai pris conscience de toutes les
normes auxquelles on est confrontées à longueur
de journée, et de mon envie de m’en dégager. J’ai
appris à être fière des caractéristiques de mon
corps. J’ai tellement de choses plus intéressantes
à faire que de le contraindre pour atteindre une
norme irréaliste, c’est pourquoi je n’ai jamais eu
envie de souffrir pour être lisse. Si je décide
d’enlever des poils, je me rase non pas pour des
considérations esthétiques, mais parce que ça
m’apporte plus de sensations au niveau sexuel.
Le plaisir et la liberté sont mes priorités,
loin devant la souffrance, la discipline ou la
contrainte!! Aujourd’hui, ces quelques centimètres
d’intimité sont en train d’être colonisés par des
principes sans queue ni tête, il est urgent que les
femmes reprennent possession de leur corps.”
Sandra
Photographe
“J’ai fait un grand travail sur moi pour arriver à
m’accepter. Dix ans de basket et l’habitude d’être
nue dans des vestiaires remplis de filles plus tard,
je suis très à l’aise avec la nudité. J’ai appris à
aimer mon sexe, mais recouvert de poils il me fait
penser à un porno des années 70, donc je rase,
évitant ainsi la douleur, le temps et l’argent que
certaines dépensent chez l’esthéticienne. Je le
fais uniquement quand je suis en couple. Le reste
du temps, les poils ne me dérangent pas,
mais je trouve qu’un corps lisse est plus érotique
et plus esthétique, et ça s’applique aussi à mes
partenaires que je préfère imberbes. J’ai même
du mal à faire un maillot brésilien. D’ailleurs, je
trouve plus vulgaire d’avoir un ticket de métro
que de ne rien avoir du tout, et le côté «!petite
fille!» qu’on peut prêter à l’épilation intégrale ne
me vient même pas à l’esprit. C’est tellement
intime que ça devrait être un choix pour chacune,
mais force est de constater que les corps
féminins que l’on voit sur papier glacé
ne donnent à voir qu’un modèle fantasmé.”
Safia
Eva
“Notre génération a grandi avec une imagerie
du corps féminin très normée, et il me semble
assez terrible que l’obsession de l’apparence
«!dans les clous!» soit allée jusque sous nos
jupes. Adolescente, je ne savais pas quoi faire.
J’ai essayé d’explorer plusieurs pistes!:
le porno, qui épile tout!; les peintures de la
Renaissance, buisson minimal!; les artistes
féministes, qui shootent des filles à la pilosité
«!brute!»... Au final, ces poils sont ma féminité,
donc je les accepte, mais «!L’Origine du monde!»,
c’est un peu trop à mon goût. Je n’aime
simplement pas voir des poils dépasser de ma
culotte, j’opte donc pour un maillot échancré.
J’ai déjà eu droit à des commentaires («!ton
ticket de métro, c’est un billet de train!»),
mais dans la mesure où les hommes qui ne se
posent pas de questions sur leurs propres poils
sont ceux qui se permettent des réflexions
sur les nôtres, je n’y prête aucune attention.”
“J’ai longtemps été mal à l’aise avec mon corps
à cause d’une hyperpilosité diagnostiquée à
l’adolescence, qui m’a interpellée assez tôt sur
mon genre et mon rapport au poil. Je ne voulais
pas grandir et être ce qu’on attendait d’une
femme. J’ai compris plus tard qu’on pouvait être
beaucoup d’autres choses que douce, gentille,
lisse, mince. J’ai eu l’occasion de poser nue,
ce qui m’a permis de m’approprier mon corps.
Aujourd’hui, je suis beaucoup plus à l’aise nue
qu’habillée!! Je me fiche de l’épilation et de
ce que les autres peuvent en penser. Je n’ai pas
choisi de ne pas m’épiler, j’ai décidé d’accepter
mes poils. Mais c’est un choix affirmé et assumé!:
je n’oblige personne à faire la même chose, bien
évidemment, mais de mon côté je ne me forcerai
pas non plus à m’épiler pour quiconque. Après
tout, c’est mon corps. La tendance actuelle
à l’uniformisation est dangereuse, c’est pour
Artiste
Chargée de communication
la liberté de choix que l’on devrait se battre.”
Ortie
Louise
“Mon sexe et moi, c’est une relation amoureuse.
Je réalise des vidéos érotiques et je fais
aussi beaucoup d’autoportraits. Au départ,
c’était une exploration de mon corps!:
je m’épilais, je photoshopais mes vergetures...
Et puis j’ai utilisé Instagram, sans retouche.
Des filles m’ont remerciée de les avoir aidées à
se décomplexer. C’est alors devenu politique.
Je déteste la sensation de papier de verre quand
le poil repousse. Alors, j’ai jeté mes rasoirs
et j’ai décidé d’aller chez l’esthéticienne quand
j’avais le temps, l’argent, l’envie. Parfois, dans ma
culotte, c’est un porno des années 70, parfois
j’ai la peau plus lisse que le crâne d’un chauve.
Je sais que je trouve plus sensuelles des aisselles
non épilées, plus jolies des jambes lisses, plus
graphiques des poils pubiens, mais que les poils
sur les lèvres rendent le sexe oral moins agréable.
C’est toujours un peu compliqué à expliquer
à mon esthéticienne, mais elle a fini par arrêter
de me faire les gros yeux. Et ça fait un bon tri
dans mes conquêtes!!”
“Dans mes numéros burlesques, je me sers
de mon corps comme d’une base pour mettre
en scène les archétypes féminins, les détourner
et les déconstruire. Comme le merkin [perruque
pour le pubis, ndlr] que je porte aujourd’hui, la
lingerie fine et le maquillage sont mes outils de
travail, au même titre que l’épilation. C’est
pourquoi je m’efforce de ne pas les utiliser dans
ma vie quotidienne. Contredire les pressions
sociales pour accepter d’être belle telle quelle
reste un challenge. Au début de ma prise de
conscience féministe, je n’ai pas rasé mes jambes
pendant sept ans. Ma mère m’a suppliée de le
faire en échange de ma robe pour le bal de
promo. J’ai opté pour le compromis diplomatique
en rasant mes aisselles. Aujourd’hui, je me rase
quand je suis payée pour le faire, mais en
vacances, je suis poilue comme un gorille. Cette
obsession du lisse, ce n’est rien de plus qu’une
catégorie de films pornos qui est devenue une
norme. Dans dix ans, on se rendra peut-être
compte que les poils sont très sexy.”
Réalisatrice
Artiste performeuse
Maquillage Mathilde
Passeri. Assistant
lumière Camille
Sauvayre. Assistant
numérique Jeremy
Pilain pour Imag’in.