Londres, nettoyage olympique - HIC Habitat International Coalition

Transcription

Londres, nettoyage olympique - HIC Habitat International Coalition
Habitat International Coalition
- 2017-02-16 07:27
Londres, nettoyage olympique
Liberation
Coup de badigeon et billardneuf
En 2005, Londres, choisipour organiser les Jeux olympiques 2012, a bouleversé l’équilibre relatif deshabitants,
parmi les plus pauvres mais soudés par un réel sentimentcommunautaire. Ici, affirme Sheila, la policière, la
criminalité ne dépasse pas«les petits délits». A moins d’un mois de l’ouverture de la compétition, le 27juillet,
les trois tours noires détonnent un peu, face au stade et au bassinolympiques ultramodernes, flanqués de
l’Orbital Tower - une tour panoramiquequi ressemble à un manège de Luna Park - qui bordent désormais le
quartier.
Au pied des tours,Carpenters Road est en pleine rénovation. Nouveaux pavés blancs et lisses,bouquets de trois
bouleaux plantés à intervalles réguliers, la rue grouilled’ouvriers en vestes fluorescentes et casques de
chantier. Au bout de cetterue, une grande grille ouvre sur l’une des entrées du parc olympique. Rudy, lepatron
du pub local, à moins de vingt mètres de là, vient de réaliser que desmillions de touristes s’apprêtent à fouler
le trottoir d’ordinaire peufréquenté devant son échoppe.
Le Carpenters Arms qui, il ya encore quelques jours, était si décrépit qu’il semblait presque abandonné,fait
soudain l’objet d’une vive attention. «Il serait temps», ricanent enpassant les habitués du coin. Peintres et
maçons s’activent, badigeonnent deblanc les murs noirs, un nouveau billard a été posé, et Rudy promet que,
dans«quinze jours, des paniers de fleurs pendront aux fenêtres, comme pour toutvrai pub anglais». Mais cette
débauche cosmétique pourrait être éphémère. Déjà,les fenêtres de plusieurs maisonnettes voisines sont
barrées de grands panneauxde bois ou de fer. Les habitants sont partis. Quant aux trois tours, l’une
estpratiquement vide, l’autre n’abrite plus qu’une cinquantaine d’habitants. «C’estun peu des tours
fantômes, c’est glauque, », confie un agent de sécurité,embauché par le Council pour empêcher «les gens de
risquer leur vie en montantdans les couloirs désaffectés». Les habitants en ont été «décantés», termeofficiel
pour dire qu’ils ont été relogés ailleurs.
La réhabilitation duquartier date de 2005, dans la foulée de l’attribution des JO et de ce queBoris Johnson, le
maire de Londres, a qualifié de «plus important projet derénovation pour les vingt-cinq prochaines années».
Depuis, la population localedisparaît peu à peu, en vertu d’une «charte des résidents», élaborée entre
leCouncil et l’association des habitants, qui prévoit l’obligation pour la mairied’aider au relogement dans un
lieu équivalent. Seules quelque 250 personnesvivent encore sur le Carpenters Estate.
Parallèlement, un accord aété signé en novembre, entre la prestigieuse université londonienne d’UCL
etNewham Council, pour «réfléchir à un projet de campus universitaire de hautetechnologie», construit sur les
9 hectares du quartier, capable «d’attirer deschercheurs, des entreprises high-tech, et de créer des emplois,
la clé pourrestaurer Stratford», explique un porte-parole du Newham Council.
«Rénover Stratford, oui,mais pour qui ? Pour des habitants extérieurs au quartier qui viendraients’installer ici,
et puis pourquoi tout raser ?» s’indigne Joe Alexander,vice-président du Carp (Carpenter Against Regeneration
Plan), fondé pour luttercontre la disparition du quartier. Il cite le cas de cette dame d’originesri-lankaise, qui
habite le dernier étage de l’une des tours : «Le penthouse,comme elle a surnommé son appartement. Elle a
utilisé toutes ses économies pourembaucher un avocat et empêcher son expulsion. Depuis, elle vit presque
seuledans la tour» , raconte Joe. Manu, c’est le nom de la dame, refuse lesinterviews. «Mais elle est allée bien
plus loin que beaucoup d’entre nous», ditJoe Alexander.
En 2004, les trois tours ontété décrétées «impropres à l’habitation humaine» et, explique la mairie,
«rénovercoûterait bien trop cher, notamment en raison de la présence d’amiante dans lesbâtiments».
page 1 / 3
Habitat International Coalition
- 2017-02-16 07:27
Conclusion logique : la destruction prochaine de ces tours. Saufqu’entre-temps, les cinq derniers étages de
l’une d’elles ont été loués pendantla période des JO à la BBC et à Al-Jezira, pour y installer des studios
detélévision. «A croire que le personnel de la BBC n’est pas humain» , ricane JoeAlexander, qui multiplie les
meetings et actions pour dénoncer ce qu’ilsurnomme «un nettoyage social».
Sir Robin Wales, le mairetravailliste de l’arrondissement de Newham, «essaye de virer des
communautésentières pour en faire venir de nouvelles, totalement différentes. Il veutfaire un maximum
d’argent en vendant les terrains» , accuse Joe. Le Council deNewham a effectivement été accusé de pratiquer
du «nettoyage social» : enavril, on a appris que le maire avait écrit à 1 200 organisations de logementsdans
tout le pays, pour leur demander s’ils avaient la possibilité de reloger500 habitants de Newham. La lettre,
reçue par l’une de ces organisations et quia été envoyée aux médias, est on ne peut plus claire : elle explique
notammentnoir sur blanc que le marché de la location privée à Stratford «a flambé enraison de l’arrivée des
Jeux olympiques et de l’afflux de jeunes professionnelsdynamiques».
L’organisation qui acontacté la presse, Brighter Futures Housing Association, se trouve àStoke-on-Trent… à
180 kilomètres au nord de Londres, dans une région sinistréeéconomiquement. «A Stoke-on-Trent, il y a 73
personnes qui se battent pour unboulot disponible, donc ce n’est pas ici qu’on peut reloger qui que ce soit»,
aexpliqué la porte-parole.
Liste d’attente avec 28 000noms
Sir Robin Wales s’estdéfendu, arguant que la proximité des Jeux avait fait doubler, voire quadruplerles loyers
des logements disponibles et qu’il y avait «une liste d’attente dedix ans, avec 28 000 noms dessus» pour un
logement social dansl’arrondissement. Le maire en a profité pour accuser le gouvernement decoalition
conservateur-libéral-démocrate d’avoir, avec une mesure inepte,contribué à créer une situation
catastrophique dans la politique du logement auRoyaume-Uni. Sous prétexte de lutter contre les fraudeurs, le
gouvernement a,en 2010, dans un contexte d’austérité maximale, imposé un nouveau plafond pourles
allocations de logement. Résultat ? Une augmentation phénoménale du nombredes personnes forcées de
quitter leur domicile, faute de pouvoir payer le loyerréclamé par les propriétaires.
Mauvaises excuses
Or, au Royaume-Uni, leslocataires ont très peu de droits, les baux sont signés en général pour sixmois ou un
an, et un préavis d’un ou deux mois est suffisant pour expulserquelqu’un. «Nous n’essayons pas de pousser
les gens loin d’ici, nous tentons detrouver pour eux la meilleure solution», s’est défendu le maire, en
soulignantle manque chronique de logements disponibles à Londres. Réponse du gouvernement: le ministre du
Logement, Grant Shapps, a prétendu que le maire travaillisteavançait de mauvaises excuses. Tenter de
reloger des habitants à plusieurscentaines de kilomètres est «injuste et mal» et les conseils municipaux ont
été«prévenus de ne pas faire cela», a déclaré le ministre qui estime que lesallocations logement sont «encore
extrêmement généreuses».
A l’annonce du changementdans le plafond des allocations, il y a deux ans, le maire de Londres avaitaffirmé
qu’il «n’accepterait pas de nettoyage social du style Kosovo à Londres.La dernière chose que nous
souhaitons, c’est avoir dans notre ville une situationcomme celle de Paris, où les moins avantagés sont
poussés vers les banlieues»,avait-il ajouté.
La mairie de CarpentersEstate, reconnaît qu’elle se trouve devant «un choix difficile». «Le maire estconscient
qu’il y a plein de gens bien à Carpenters Estate et il a à cœur deservir leurs intérêts» , se défend un
porte-parole, mais «il faut voir lesintérêts du plus grand nombre, de l’ensemble de Stratford et il s’agit
d’uneopportunité unique». Et puis, ajoute-t-il, «on aurait pu augmenter les loyerset obliger les gens à partir,
on a préféré discuter». Même la transformationd’ici à l’été 2014 d’une partie du village voisin des athlètes
olympiques enenviron 1 400 logements à loyer modéré, dont 675 seront des logements sociaux,selon les
accords signés sur «l’héritage des JO», ne résoudra pas le problèmedu manque chronique de logements. Avec
un réseau de transports extrêmementdéveloppé - dix lignes de trains et de métro, une station pour
l’Eurostar,Stratford International, à deux pas, et la proximité de City Airport -, lesautorités locales ne cachent
page 2 / 3
Habitat International Coalition
- 2017-02-16 07:27
pas leur désir d’attirer ici les entreprises pourcréer des emplois. Siemens a d’ailleurs déjà signé un contrat de
30 millions delivres pour s’installer dans l’arrondissement.
Quant au centre commercialde Westfield, le plus grand d’Europe, et que tout visiteur pendant les
Jeuxolympiques sera obligé de traverser avant d’entrer dans le parc pour assisteraux compétitions, «c’est un
immense succès», affirme la mairie. Pas pour leshabitants «historiques» de Stratford, les résidents de
Carpenters Estate, quine peuvent y faire le shoppping. «C’est bien trop cher ! dit Clara. Moi, jevais à Stratford
Center, à Poundland», un magasin qui vend tout et n’importequoi pour 1 livre sterling, le paradis des petits
revenus. Si on peut s’offrirdu Prada et du Gucci, Westfield est parfait.
C’est bien simple, le tri sefait à la sortie du métro, à la station Stratford : à gauche, des escaliersmajestueux
mènent à une passerelle de verre, d’où l’on aperçoit le stadeolympique - et les vilaines tours du Carpenters
Estate -, et au paradis dushopping, Westfield. Hôtels, restaurants, boutiques de luxe, grands magasins,tout est
là pour transformer les JO en un succès commercial juteux. Une foule bigarrée,chargée de paquets siglés des
marques les plus populaires du moment, arpentesans fin les allées aérées du centre. Quelques touristes venus
en repérage sefont photographier devant les deux mascottes des JO. Des transats de plage ontété installés çà
et là pour permettre une pause classe, entre deux achats. Detemps en temps, passe un homme ou une
femme, une broche à l’effigie des JOaccrochée au revers. Vous voilà au parc olympique.
Saris indiens et produitsghanéens
Retour à la sortie du métro: une immonde sculpture, le Stratford Shoal («banc de poissons»). Elledissimule, sur
quelque 250 mètres, l’entrée peu riante du Stratford ShoppingCenter, construit dans les années 70. La
sculpture a été érigée dans le butavoué de cacher le centre commercial et le vilain parking qui le surplombe.
Al’intérieur, des magasins bon marché, des étals de fruits exotiques, desagences de voyages lituaniennes et
polonaises pour la forte populationoriginaire de ces pays qui vit dans le coin, ici un vendeur de saris indiens,là
une boutique de produits ghanéens. «C’est un peu le bordel, mais j’aimebien, c’est chez moi. Ils ont quand
même repeint pour les JO», rigole Clara.
A Stratford, l’atmosphèreest pénible. A l’approche des JO, des hordes de journalistes commencent àhanter les
lieux. A l’association des résidents de quartier, ordre a été donnéde refuser toute interview. La paranoïa
s’installe. Devant l’école primaire,deux employées en pause-cigarette expliquent qu’elles «n’ont pas le droit
deparler». «Il y a eu toutes sortes d’intimidations, des menaces d’augmenter lesloyers dans le quartier» ,
accuse Joe.
De l’autre côté du StratfordShopping Center, un joli café affiche sa devanture rouge. C’est le Lympic
Café,mais la trace du «o» qui formait initialement le mot Olympic est encorevisible. Ouvert en 2005, le café a
été menacé d’amendes par le Locog, le comitéorganisateur des JO, pour des questions de protection
commerciale du nom. Lepropriétaire a expliqué dans la presse britannique que, pour éviter lesproblèmes, il
avait retiré la première lettre. Aujourd’hui, il préfère direqu’il a changé le nom de son café pour ne pas être
embêté par les touristes etles journalistes. Un serveur rectifie : «On paye un loyer ici, ça peutaugmenter.»
Mieux vaut donc ne pas faire de vagues et expliquer que les JO,c’est forcément ce qui pouvait arriver de
mieux au quartier.
Devant sa maison, Clara estsongeuse. «Quand l’annonce des JO est arrivée, j’étais contente, je pensais
çaallait faire de l’animation. Je n’avais aucune idée que je risquais de perdrema maison. Je vis ici depuis
quarante-deux ans. Où voulez-vous que j’aille ?»
page 3 / 3

Documents pareils