Le vécu des soins précoces par les familles d`enfants autistes
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Le vécu des soins précoces par les familles d`enfants autistes
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 61 (2013) 280–287 Article original Le vécu des soins précoces par les familles d’enfants autistes How families of autistic children experience early care A. Gaillard a , R. Charles a,∗ , Y.-C. Blanchon b , V. Rousselon b a Département de médecine générale, faculté de médecine Jacques-Lisfranc, 15, rue Ambroise-Paré, 42023 Saint-Étienne cedex 2, France Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, centre Léo-Kanner, CHU hôpital-Nord, 42055 Saint-Étienne cedex, France b Résumé Le « projet médical » du jardin d’enfants thérapeutique (JET) du CHU de Saint-Étienne propose des soins précoces aux enfants de trois à six ans souffrant de troubles envahissants du développement, jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge d’une orientation spécialisée (IME, CLIS. . .) associée à des structures de soins sectorielles. Cette prise en charge institutionnelle et pluridisciplinaire s’intègre dans une offre de soins variée et parfois conflictuelle, laissant les professionnels dans l’expectative. Une étude qualitative a été réalisée de juin 2011 à avril 2012 sur un échantillon raisonné de 15 familles d’enfants présentant un trouble envahissant du développement parmi les 91 ayant fréquenté le JET entre 1994 et 2010. L’objectif de ce travail consistait à évaluer le vécu parental des soins précoces et l’itinéraire thérapeutique des familles. L’entrée au JET a été décrite par les parents comme inquiétante face à ce lieu inconnu, accueillant des enfants à la symptomatologie hétérogène, et dans une période marquée par la confirmation récente du diagnostic, l’isolement familial et social au moment de l’admission. La confiance dans le JET s’est installée souvent rapidement, grâce à un espace unanimement qualifié par les parents de « sécuritaire et protecteur ». D’autres recours ont été décrits dans les différents secteurs du soin (biomédical, populaire ou traditionnel) plus ou moins initiés et contrôlés par l’institution ou au contraire absolument parallèles ou occultes. L’ensemble permettant aux familles de construire un savoir hybride de « parents-experts ». Un sentiment d’abandon a souvent été observé lors de la sortie du JET car les relais sont difficiles à mettre en œuvre du fait d’une pénurie des services médico-sociaux et de la faible mobilisation de professionnels-ressources dans le secteur libéral. Une organisation en réseau ville-hôpital pourrait permettre d’homogénéiser les recours et de prolonger l’accompagnement. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Autisme ; Troubles envahissants du développement ; Médecine générale ; Famille ; Satisfaction Abstract Background. – The medical program of the JET (jardin d’enfants thérapeutique or Therapeutic Kindergarten) located in the University Hospital of Saint-Étienne offers early care to children suffering from pervasive development disorders, aged from three to six until they reach the age of a specialized orientation (medico-educational institute, class for scholar inclusion) in sector-specific healthcare structures. This institutional and multidisciplinary medical care is part of a varied and sometimes controversial healthcare supply, leaving professional caregivers in a state of uncertainty. Objective. – The aim of this work was to evaluate how parents experienced early care and which therapeutic path they chose. Method. – A qualitative study was lead from June 2011 to April 2012 on a judgmental sample of 15 families of children presenting a pervasive development disorder amongst the 91 who attended the JET between 1994 and 2010. Results. – The arrival at the JET was described by parents as a scary experience: affected by the recent confirmation of their child’s disorder diagnosis, and also by family and social isolation (at the moment of the admission of the child), they were entering an unknown place-receiving children with heterogeneous symptomatology. Trust in the JET was usually established quickly, thanks to an area unanimously referred to as « safe and protective ». Other resorts were described in the different fields of healthcare (biomedical, popular or traditional) more or less initiated and controlled by the institution or, on the contrary, completely alternative or occult. All together, they helped families to build hybrid knowledge ∗ Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected], [email protected] (R. Charles), [email protected] (V. Rousselon). 0222-9617/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.04.009 A. Gaillard et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 61 (2013) 280–287 281 of « expert-parents ». A feeling of abandon was often observed when the children left the JET since the handover is constrained by a lack of medico-social services and because of the low engagement of professional resources within liberal practitioners. Perspective. – A networking organization between primary care and hospital could help homogenize resorts and extend support. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Autism; Pervasive developmental disorders; General practice; Family; Satisfaction 1. Introduction Depuis une trentaine d’années, les représentations de l’autisme ont connu de nombreuses transformations, sur le plan nosographique, social, thérapeutique et diagnostique et de vives polémiques opposent toujours les tenants d’une vision psychodynamique et ceux défendant la thèse neuro-développementale [1]. Dans ce contexte mouvant et conflictuel, les cliniciens doivent concilier leurs expériences cliniques et leurs références théoriques avec les données scientifiques et les recommandations d’experts [2,3], tout en tenant compte des évolutions sociales [4]. Cette prise de position est complexe et contribue à un sentiment d’épuisement, de doute et de découragement des professionnels. Ces vécus risquent d’altérer la prise en charge des patients si les soignants n’adoptent pas une position distanciée vis-à-vis des attaques dont ils sont l’objet. Deux démarches peuvent aider les professionnels à comprendre la complexité des enjeux. La première consiste à réfléchir sur leurs pratiques, pour en discerner les points satisfaisants et les dysfonctionnements. Pour la seconde, il s’agit d’adopter une lecture critique des polémiques sur l’autisme pour discerner ce qui relève d’une évolution sociale globale de ce qui se rattache à des pratiques institutionnelles locales. C’est dans cette dynamique de validation sociale des pratiques [5] que s’inscrit le travail entrepris par l’équipe du centre Léo Kanner (CLK) de Saint-Étienne, à travers une enquête rétrospective évaluant le vécu parental des soins précoces et le rôle des différents acteurs du système de santé dans la prise en charge de l’autisme. Le jardin d’enfants thérapeutique (JET), créé en 1994, prend en charge de jeunes enfants autistes âgés de trois à six ans. Des soins pluridisciplinaires s’organisent selon la description de Baghdadli et al. [2] : les projets de soins tiennent compte des besoins communs aux enfants autistes par leur accueil dans un environnement structuré et sont basés sur un travail institutionnel psychodynamique. Des accompagnements thérapeutiques sont proposés en fonction de l’évaluation des besoins de l’enfant (ADI-R1 , Vineland, PEP2 . . .) et compte tenu de son âge, inspirés du modèle de Denver [6] d’accompagnement précoce des jeunes enfants atteints d’autisme. La prise en charge conjugue aussi bien des aides à la communication par le biais de photos, des signes de la LSF3 , des emplois du temps visuels. . . que des soins spécialisés auprès des différents professionnels de l’équipe4 selon les besoins des enfants. Le service a 1 Autism diagnostic interview-revised. Psycho-educational profile. 3 Langue des signes française. 4 Composée pour la majorité d’infirmières et une éducatrice qui ont la référence de deux enfants par demi-journées, avec une mission allant des soins 2 évolué au cours de son histoire, d’une prise en charge continue en hôpital de jour vers un accueil séquentiel trois demi-journées par semaine en collaboration étroite avec le réseau scolaire (intégration en maternelle avec le soutien d’AVS5 . . .) et médico-social (CAMSP6 , SESSAD7 jeunes enfants TED8 ) existant. L’équipe se soucie constamment d’accompagner les familles par différents dispositifs : consultations avec les pédopsychiatres, prise en charge spécifique parents/enfants, liens réguliers avec l’infirmière ou l’éducatrice « référente ». Le service travaille en réseau avec les partenaires connus de la spécialité et les orthophonistes libéraux. Les chercheurs en sciences sociales nous encouragent à recourir à une lecture globale du système de soins dans lequel évoluent les patients, pourtant la collaboration du JET avec les autres professionnels (médecins généralistes, pédiatres. . .) reste rare. Le recours des familles à une multiplicité d’acteurs est largement décrit par les anthropologues [7,8] et la connaissance de ces itinéraires dans les différents secteurs de soins (biomédicaux, populaires ou traditionnels) permet de comprendre la place et le rôle de chacun [9]. L’objectif principal de ce travail consiste dans l’analyse, a posteriori, du vécu de la prise en charge précoce au JET par les familles, depuis sa création. Les objectifs secondaires visent à étudier l’itinéraire de soins des familles et leur recours aux différents intervenants (centre hospitalier, pédiatre, médecin généraliste, orthophoniste, psychologue, psychomotricien. . .) pour situer le JET dans le système de santé. 2. Matériel et méthode 2.1. Population Les enquêtés ont été sélectionnés parmi les familles des enfants présentant un TED ayant fréquenté le JET entre 1994, date de sa création, et juillet 2010 (pour au moins un an de soins). 2.2. Type d’étude Ce travail s’inscrit au sein d’une étude double : quantitative et qualitative, réalisée entre juin 2011 et avril 2012. Une première élémentaires de nursing à l’animation de médiations thérapeutiques, et de collaboration avec les psychomotriciennes, orthophoniste, neuropsychologue et psychologue clinicienne qui interviennent pour des prises en charge spécifiques sur proposition médicale. 5 Auxiliaire de vie scolaire. 6 Centre d’action médico-sociale précoce. 7 Service d’éducation spécialisée et de soins à domicile. 8 Troubles envahissants du développement. 282 A. Gaillard et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 61 (2013) 280–287 Tableau 1 Grille d’entretien. Présentation de l’enquêteur et de l’enquête Présentation de l’enfant Les premiers troubles de l’enfant ayant interpellé l’entourage (médical ou familial) ou ayant motivé une orientation vers le JET Le vécu, les souvenirs du temps passé au JET, les attentes des parents à l’entrée et leur ressenti global La fin des soins au JET et les orientations prévues Les différents types de prise en charge pour les soins avant, pendant et après le passage au JET Dans le secteur professionnel (pédiatres, psychomotriciens, ergothérapeutes, médecins généralistes, orthophonistes, psychiatres, psychologues. . .) Dans le secteur traditionnel (homéopathies, associations, groupes de parents, tradipraticiens. . .) Dans le secteur populaire (famille. . .) Le devenir de l’enfant depuis sa sortie du JET étude mixte analysait le dispositif et l’historique des aménagements institutionnels, proposait une épidémiologie exhaustive et descriptive des enfants ayant reçu des soins (diagnostic à l’admission, soins, devenir et vécu des familles) depuis la création du JET. Une deuxième enquête qualitative devait préciser le vécu des familles et la place du dispositif au sein de l’itinéraire thérapeutique. Les entretiens ont été conduits avec un questionnaire semi-directif. Il comprenait six axes (Tableau 1). Cet article reprend les résultats principaux de cette dernière enquête. 2.3. Échantillon, exclusion Au sein de la cohorte des 91 enfants ayant fréquenté le JET (après exclusion de deux familles aux antécédents psychiatriques trop sévères pour permettre une enquête dans de bonnes conditions et d’une famille dont le dossier avait été égaré), l’échantillonnage était raisonné, par recherche de variation maximale selon les critères : type de pathologie à l’admission (autisme de Kanner, syndrome d’Asperger, autre), position dans la fratrie, genre, lieu de naissance (France ou autre), parents en couple ou séparés, retard mental sévère, modéré ou absent, pathologies associées, diverses orientations pédagogiques et directions de soins, période de fréquentation du JET9 . 2.4. Recueil, analyse, triangulation La collecte des données a été effectuée par un seul enquêteur chercheur, en thèse d’exercice au département de médecine générale de la faculté de médecine de Saint-Étienne. Après quelques lectures sur l’autisme et les TED, elle a effectué une immersion d’une quinzaine de demi-journées au JET afin de participer aux différentes médiations thérapeutiques, à l’activité de consultation et à l’unité d’évaluation diagnostique. Elle a sollicité les familles en leur laissant le choix de les recevoir au JET ou de venir à leur domicile. Les entretiens, recueillis sur dictaphone, ont été retranscrits verbatim par le secrétariat du service. L’anonymat a été respecté. Une déclaration simplifiée à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a été effectuée le 25 février 2011 sous le numéro 1487928v0. Les entretiens ont été stoppés à saturation des données. Le codage a été effectué en insu par une équipe de trois chercheurs 9 Soins continus de 1994 à 2004 et séquentiels de 1998 à 2012 (une période de chevauchement comporte les deux types de soins). (l’enquêteur, un chercheur en médecine générale, un pédopsychiatre du centre de ressources autisme stéphanois) avec une posture ethnographique teintée si besoin de quelques interprétations. Après codage manuel sur les verbatims a été rajouté un certain nombre de codages avec le logiciel NVivo® . Diverses triangulations ont été proposées. Les premiers entretiens ont été travaillés un par un en équipe de supervision pour améliorer la qualité de la grille et entraîner l’enquêteur, homogénéiser les codages. Une réunion intermédiaire avec des cliniciens a établi des hypothèses à vérifier, transformé certaines postures d’entretien, et permis de réviser l’échantillonnage. Les résultats définitifs ont été validés en équipe après relecture par quelques familles (validité de signifiance des interprétations). 3. Résultats Les 15 familles contactées ont participé activement à l’étude, l’enquêtrice a été chaleureusement reçue pour une durée moyenne d’une heure. Les entretiens se sont déroulés dans les conditions les plus satisfaisantes pour les familles et selon leur disponibilité. Dans trois situations, l’entretien s’est effectué en présence des deux parents, quatre avec celle de l’enfant dont un a participé pleinement à l’entretien. Le Tableau 2 résume « la table des cas ». Compte tenu de la richesse des entretiens, l’ensemble des résultats ne pourra pas être présenté dans cet écrit, d’autant plus que ceux concernant la qualité de vie rejoignent les descriptions de la littérature [10]. 3.1. Vécu des soins au JET Tous les parents ont retrouvé des souvenirs liés à cette période, les deux familles des enfants les plus âgés restant moins précis (Encadré 1). Le JET a été d’abord décrit comme un lieu inconnu avant l’admission de l’enfant, même si 12 enfants étaient déjà suivis pour un retard de développement dans d’autres structures (CMP10 , CAMSP ou ITP11 ) ou par des professionnels libéraux (orthophoniste, psychologue, psychiatre). L’entrée au JET marque la gravité de la pathologie, et elle est associée avec le diagnostic formel effectué au CLK. Pourtant, les parents ont décrit le service comme un lieu rassurant 10 11 Centre médico-psychologique. Institut thérapeutique précoce. A. Gaillard et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 61 (2013) 280–287 283 Tableau 2 Table des cas. A B C D E F G H I J K L M N O Familles Durée Lieu Entrée Diagnostic Retard mental Troubles associés Âge Orientation thérapeutique Orientation éducative M M PE M* PE 2E M 2E 2* M* ME M* M* M ME JET Domicile Domicile JET Domicile Domicile Domicile Domicile Domicile Domicile Domicile Domicile Domicile JET Domicile 2004 2001 2003 1994 2002 2008 2001 1996 2002 2007 2006 2005 2004 2005 2000 Scolarisation normale IME CLIS CLIS IME Scolarisation normale IME CLIS Scolarisation normale CLIS Scolarisation normale IME CLIS IME Scolarisation normale 1 h 30 1 h 04 39 min 1 h 22 44 min 48 min 1 h 02 58 min 45 min 1 h 05 1 h 14 1 h 35 1 h 35 1 h 32 35 min Kanner Kanner Kanner Asperger Kanner Kanner Kanner Asperger Asperger Kanner Kanner Kanner Kanner Kanner Asperger N O O N O N O N N O O O O O N Épilepsie Tr psychotique N Épilepsie N N Sd Rett N N N N N N N N 10 14 11 21 13 7 14 20 13 8 9 10 12 10 16 Soins transversaux JET Psychomotricité libérale SESSAD SESSAD Rien Orthophonie libérale Orthophonie libérale Soins transversaux JET Soins transversaux + orthophonie libérale Soins transversaux + orthophonie libérale Soins transversaux + orthophonie libérale Rien SESSAD Rien Soins transversaux + orthophonie libérale Familles : 2 : présence des deux parents ; M : présence de la mère ; P : du père ; E : de l’enfant ; * : parents séparés ; Durée de l’entretien ; Lieu de l’entretien ; Entrée au JET ; Diagnostic Kanner : autisme de Kanner ; Asperger : syndrome d’Asperger ; Retard mental O : oui, N : non ; Troubles associés : âge : âge au jour de l’entretien ; Orientation thérapeutique et éducative choisies à la sortie du JET. qui leur a procuré un soulagement. De leur première rencontre, ils ont retenu l’ambiance chaleureuse et éprouvé un sentiment de confiance. Une faible minorité s’est souvenue du choc lié à l’hétérogénéité clinique de la pathologie, ils avaient appréhendé de laisser leur enfant seul : certains jeunes patients accueillis présentant de graves troubles du comportement. De la prise en charge et des soins, les familles ont conservé le souvenir principal des rapports privilégiés avec l’infirmière « référente » et l’importance des consultations régulières avec le pédopsychiatre. Alors que la période couverte par l’étude est longue et correspond à des changements de fonctionnement assez marquants (passage d’un hôpital de jour avec des prises en charge à temps plein comprenant les repas, à des soins ambulatoires séquentiels), il est impossible de repérer de différences notables dans le vécu parental. Les réponses n’étaient pas homogènes sur le thème des améliorations envisagées pour le JET : des familles disent regretter que les parents n’aient pas une participation active à l’intérieur du service, une minorité dénonce un dysfonctionnement avec l’infirmière « référente », et certains parents auraient préféré une prise en charge globale comprenant l’orthophonie. Une famille critique la trop grande disparité des formes cliniques prises en charge au sein de l’unité. 3.2.1. Professionnels spécialisés dans les troubles du développement La rééducation orthophonique constitue le premier recours. Tous les enfants en ont bénéficié, pour moitié en libéral et pour l’autre moitié au travers des structures (SESSAD ou IME). Une part des familles dit n’avoir jamais consulté pour des troubles associés à l’autisme (troubles anxieux, troubles du comportement. . .), gérant seules les situations de crise. Les autres ont rencontré les pédopsychiatres du service, mais jamais dans l’urgence. Des parents, d’origine chinoise, ont organisé un « double suivi » par un pédopsychiatre en Chine. La moitié des enfants ont été pris en charge par des psychomotriciens et/ou des psychologues dans des dispositifs institutionnels (IME, SESSAD. . .), une minorité en ambulatoire. Quelques-uns ont bénéficié d’un suivi par un ergothérapeute ou un kinésithérapeute libéral. 3.2.2. Professionnels non spécialisés Les parents ont tous admis ne consulter leur médecin généraliste et leur pédiatre que pour des pathologies intercurrentes. Une seule famille a relaté une véritable coordination des soins. Une mère s’est souvenue d’une proposition de soutien psychologique. Les urgences hospitalières n’ont jamais été sollicitées, notamment pour des troubles du comportement. 3.2. Parcours de soins Les différents recours n’ont pas été retracés par les parents dans un ordre chronologique, mais plutôt comme un ensemble d’aides ponctuant les soins de leurs enfants (Encadré 2). Ils ont été décrits dans les différents secteurs du soin12 (biomédical, populaire ou traditionnel), ils ont parfois été plus ou moins initiés et contrôlés par l’institution ou au contraire sont restés parallèles ou occultes. 12 Au sens du « care », terme employé en général en sociologie. 3.2.3. Recours traditionnels Une moitié des familles affirme ne jamais avoir ressenti le besoin de s’orienter vers la médecine traditionnelle. Quelques parents ont recherché des traitements homéopathiques, vite arrêtés devant l’absence d’efficacité. Certains ont entendu parler de traitements traditionnels (guérisseurs, magnétiseurs). Ils ont souvent prétendu n’avoir jamais franchi le cap, restant incrédules. Deux familles ont consulté un guérisseur. Aucun n’a contacté un ostéopathe, une famille a mentionné la consultation d’un « kinésiologue ». Deux familles ont eu recours à des pratiques magico-religieuses. 284 A. Gaillard et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 61 (2013) 280–287 Encadré 1: L’arrivée au JET, les soins, les critiques. « J’étais franchement rassurée. . . enfin avec des professionnels à qui je posais des questions par rapport à l’attitude de mon fils. . ., comment réagir, comment se comporter ? J’étais contente de voir qu’il pouvait faire des choses ». « Nous sentions qu’il serait bien entouré, on allait bien s’occuper de lui, il serait dans un petit cocon ». « J’avais l’impression chaque fois que j’y allais qu’il n’avait pas sa place parmi les autres. . . car il y avait pire ! Et cela me réconfortait finalement ». « Nous pouvions toujours téléphoner, prendre des nouvelles. Son infirmière s’est très bien occupée de lui et nous a toujours renseignés. . . ». « Avant le JET, il avait du mal à aller vers le groupe et à le quitter. Au niveau de la séparation, après le passage au JET, les choses se sont simplifiées ; au niveau de la socialisation aussi. . . » « Le JET a représenté pour nous une grosse bouffée d’oxygène, il nous a permis d’échanger avec des professionnels sur nos appréhensions, sur quoi il fallait travailler et comment. . . ». « Nous avons eu de la chance qu’il soit rentré au JET ! Oui, nous avons reçu un grand coup de pouce car je ne suis pas sûr que nous en serions là aujourd’hui. . . ». « Nous avions vraiment besoin de ce suivi avec le médecin en consultation pour toute la famille, cela nous a permis d’aller de l’avant ». « Il me semble que c’est à mitemps maintenant, je me suis dis que ça doit être dommage, on a eu de la chance ! ». « C’est quand même trop secret, le JET fonctionne comme une bulle fermée et les parents n’ont pas trop leur place à l’intérieur, dans la prise en charge, c’est dommage. . . ». 3.2.4. Appui social et familial Des parents se sentent soutenus et aidés ; d’autres souffrent de l’absence de soutien, du fait de l’incompréhension de la maladie par les proches (Encadré 3). Une partie des familles n’a pas ressenti le besoin de participer aux associations de parents ou n’ont pas été conquises après plusieurs rencontres. L’autre semble avoir trouvé un bénéfice aux activités des associations où certains se sont investis activement. D’autres soutiens plus sporadiques ont été relevés notamment autour d’aide à domicile (auxiliaire de vie à domicile et maman d’un autre enfant autiste pour une aide éducative). Plusieurs enfants ont suivi des activités en club ordinaire (judo, danse, équitation. . .) ou en centre social. 3.3. Relais des soins institutionnels après le JET Une seule famille n’a pas éprouvé de sentiment d’abandon après le JET (évolution clinique très favorable et relais simple) Encadré 2: Itinéraires. « En Chine non plus, il n’y a pas d’autres moyens ! Le médecin disait qu’il n’existe pas d’autres solution, il faut être humain avec lui. . . ». « Le généraliste, il ne suit que son rhume, il ne connaît pas mieux l’autisme que moi ». « Les guérisseurs ? Nous sommes restés terre à terre dans la prise en charge. . . Nous nous sommes dit que ça se passait dans la vie quotidienne. . . il progressait dans les limites de ses possibilités. . . ». « C’est le Bouddha, je crois, j’ai lu un article, un monsieur arrive à soigner des maladies très spéciales, ils vont le voir et ça passe. . . Je ne connais pas l’endroit, je ne sais pas si c’est vrai ou pas. . . » « On est allé voir quelqu’un, à Lyon, qui lui apaisait toute son énergie car il en avait énormément. Nous avons fait ça pendant quelques mois, mais c’était cher. C’est vrai qu’après, bizarrement, il dormait, il était apaisé ». « Je l’ai emmené en Tunisie, voir nos médecins arabes, pour savoir s’il n’était pas ensorcelé, envoûté. J’avais peur de ça. . . qu’un esprit l’ait pris. À la naissance d’un enfant, tout peut arriver chez nous. . . J’ai une partie de moi qui croit. Dans notre religion, il y a des gens de chair et il y a des gens qui vivent avec nous mais que l’on ne voit pas. . . Ils ont lu le Coran sur mon fils et puis, ils ont fait une préparation. . . Depuis plus personne ne vient perturber mes enfants. . . ». Encadré 3: Famille, amis et associations. « Nous arrivions à ce que m’avait annoncé le pédopsychiatre : « vous aurez beaucoup à souffrir du regard des autres et vous allez passer pour une mère qui a un enfant mal élevé. . . ». Ils me critiquaient tous, et aucun n’allait me dire : « je te le prends deux jours. . . »». « Au début, j’ai perdu beaucoup d’amis, enfin s’il est encore permis de parler d’amis. . . ». « Nos amis, nos parents sont tous très attachés à notre fils. Ils le prennent en vacances ». « Elle est la chouchoute. . . ». « Ils m’ont fermé les portes. . . Pour eux, c’était un garçon mal élevé, capricieux. . . ». « Ta mère a eu du mal à comprendre. . . Elle cherchait autre chose, un retard de langage. . . ». « Les associations ? C’est vrai, j’apprenais mais je n’avançais pas trop. . . J’ai compris qu’il souffrirait mais qu’il n’y avait pas de solutions. . . ». « Les participants restaient trop centrés sur leur problème, c’était enfermant finalement ». « Malgré quelques périodes dépressives, ce qui m’a permis de faire face, c’est mon investissement dans les associations ». A. Gaillard et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 61 (2013) 280–287 Encadré 4: Quitter le JET. « Quand les médecins m’ont dit qu’il devenait trop grand pour continuer le JET, je me suis dit : « mais comment on va faire ? ». « Oui, à la sortie, c’était un peu la panique ; « mais où va-t-il atterrir ? ». « La fin était brutale, comme si on vous oubliait, on vous abandonnait, tout redevenait comme avant ». « Au CMPP, après le JET, avec le groupe de parents, nous nous asseyions sur une chaise et nous nous regardions dans le blanc des yeux, nous avions l’impression d’avoir une potiche (le psychiatre), nous venions échanger, il n’y avait aucun échange avec les professionnels. . . Nous, si nous voulions nous réunir, c’était pour avoir des avis autant des professionnels que des parents ». (Encadré 4). Les autres parents ont décrit au contraire de façon plus ou moins vive une inquiétude. Pour la grande majorité des enfants, les orientations notifiées à la fin du JET par la MDPH13 ont perduré. Le changement d’établissement médico-social pour certains enfants était motivé par une insatisfaction des parents concernant la prise en charge. Les entretiens ont mis en évidence un mécontentement des soins proposés à la fin du JET : ruptures de soins, difficultés de fonctionnement des établissements, manque de soutien. . . La difficulté des relais était particulièrement nette pour le suivi pédopsychiatrique. Si les enfants ne gardaient pas de prises en charge spécifiques14 au CLK ou de consultations médicales ponctuelles, un suivi très sporadique était assuré par le pédopsychiatre de l’institution désigné aux 6 ans de l’enfant. 3.4. Les parents au centre du parcours de soins Toutes les familles s’étaient investies à part entière dans la prise en charge thérapeutique de leur enfant (Encadré 5). La plupart s’était formée par le biais de forums sur internet, de conférences, d’articles publiés. Certains ont préféré agir selon leur ressenti sans forcément suivre l’exemple de professionnels. Ils se pensaient tous comme le pivot central de la prise en charge thérapeutique et se retrouvaient en quelque sorte des parents « experts » du trouble de leur enfant. Le récit du parcours de soins a déclenché beaucoup d’émotion de la part des parents en leur faisant prendre une conscience plus aiguë des progrès de leurs enfants. Quel que soit le diagnostic initial, tous ont accompli des progrès développementaux particulièrement dans le champ de la socialisation. 13 14 Maison départementale des personnes handicapées. Groupe d’habileté sociale. . . 285 Encadré 5: Parents « experts », progrès des enfants. « Nous avons mis beaucoup de choses en place nous-mêmes ». « Nous nous débrouillions comme nous pouvions, de notre côté. Comme toutes les familles, nous étions obligés de créer notre programme personnalisé. . . ». « Comme tous les parents d’autistes, nous bricolions quelque chose pour notre enfant ». « J’ai toujours suivi toutes les informations qui circulaient dans les différents groupes de parents, dans les associations d’autistes pour me tenir informée ». « Ça a été dur mais regardez maintenant ce que ça donne. Il va bien mieux. . . ». « Maintenant, il parle, on l’a appelé longtemps l’enfant du silence ! ». « Non, maintenant cela n’a rien à voir, vous le trouveriez peut-être très agité, vous ! Mais moi qui l’ai connu avant, cela n’a rien à voir ». « Maintenant, il accepte qu’il y ait des invités, il peut gérer même si une personne vient à l’improviste ». 4. Discussion 4.1. Vécu des soins précoces Cette enquête ne retrouve pas les attaques relevées dans la presse ou dans les forums [11] contre les soins institutionnels et contre l’autorité médicale. Les entretiens valident l’impression des cliniciens du service d’une collaboration pacifiée avec les parents. L’espace de consultation se révèle ainsi un lieu d’échange où les parents ne craignent ni d’être dépossédés de leurs enfants, ni de subir des rétorsions quand ils entrent en conflit avec les soignants sur les pratiques employées dans le service, pas toujours en adéquation avec leurs propres représentations du soin. Le vécu est similaire selon la fréquence d’admission des enfants (à temps plein ou temps partiel). Depuis 2005, l’intégration scolaire devient probablement plus efficace et diminue le sentiment de solitude vécu par les parents avant cette date. Les parents nous transmettent leur intérêt pour les soins précoces en tout premier lieu au travers de leur efficacité objectivée par les progrès de leurs enfants. Mais ils insistent sur d’autres fonctions : celle d’une co-construction d’un savoir sur l’autisme et celle d’une confiance retrouvée dans leur fonction parentale. Les familles avouent ne pas disposer de savoirs préalables sur la pathologie et les soins possibles, jusqu’à l’admission de leur enfant au JET qui coïncide avec la reconnaissance de la pathologie par des professionnels. La sécurité que représente le service, indispensable au moment de l’entrée dans les soins, contraste avec le parcours bien souvent chaotique jusqu’au diagnostic et la prise en charge spécialisée. Les parents, initiés par les soignants du JET, s’approprient un vocabulaire, un savoir qu’ils combinent avec d’autres sources d’informations, des plus évidentes aux plus étranges. Ces conceptions populaires ne se limitent pas à 286 A. Gaillard et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 61 (2013) 280–287 des interprétations symboliques mais correspondent aussi à la mise en œuvre d’observations et de savoirs [12]. La construction de la connaissance des familles enquêtées s’avère hétéroclite, correspond à ce que décrivent les anthropologues d’un itinéraire thérapeutique multiple, sous-tendu par plusieurs logiques (économique, sociale, personnelle, culturelle), et rejoint un mouvement social plus global d’une expertise des patients [13]. 4.2. Les itinéraires thérapeutiques Le JET occupe une position centrale dans le parcours de soins en association avec l’orthophonie, sans éparpillement. Cet itinéraire ne varie pas à son arrêt : les soins institutionnels et spécialisés sont privilégiés et les recours aux professionnels libéraux restent rares. Les soins somatiques sont très ponctuels, aucun recours aux services d’urgence n’est repéré alors que l’on connaît pourtant la violence de certaines crises. Des études montrent que les familles d’enfants autistes sont victimes d’un stress plus important, l’intervention inadaptée de certains professionnels aggrave ce stress [14]. Il reste licite de penser que les parents se protègent en ne confiant pas aux somaticiens (mal formés à l’autisme) le soin des troubles spécifiques. Les soutiens familiaux, amicaux et les associations de parents représentent un recours parmi d’autres sans prendre une place dominante, tout comme les recours traditionnels qui ne sont pas homogènes et dépendent de l’origine socioculturelle des familles. Reste surprenant le nombre de parents qui disent avoir envisagé de consulter des tradipraticiens sans aller au bout de leur démarche. Cette ambiguïté peut relever du positionnement de l’enquêtrice, représentante du système biomédical dominant dans notre société, à qui il a peut-être été difficile de confier des représentations non conventionnelles (l’exploration de l’adhésion aux croyances des patients nécessite un savoirfaire propre aux sociologues et anthropologues). psychomotriciens, psychiatres) pourraient tenir cette mission médiatrice pour soutenir les enfants et leurs parents mais leur coût les rend inaccessibles. Les médecins généralistes, coordonateurs de soins, devraient être des personnes-ressources pour participer au relais de soins tant appréhendé par les familles. Ces dysfonctionnements relèvent d’une responsabilité de santé publique pour remédier à la pénurie de la pédopsychiatrie, pour former les médecins généralistes et pédiatres et rendre accessibles dans certaines situations des professionnels libéraux spécialisés dans les troubles du développement. La création d’un réseau ville-hôpital pourrait constituer un dispositif qui pallie ces dysfonctionnements et qui a montré son efficacité dans d’autres pathologies. 5. Conclusion Ce travail montre que les relais des soins précoces sont difficiles à mettre en œuvre, compromettant la pérennité des soins. Une organisation en réseau pourrait permettre d’homogénéiser la possibilité des recours avec une utilisation plus efficace du système de soins. Cette enquête montre l’importance pour les parents de construire un savoir hybride. Son maniement peut conduire à des impasses dans les relations parents/professionnels, mais ce mouvement d’appropriation d’un savoir rejoint un phénomène social plus général dans le champ de la santé qui n’entrave pas le travail clinique dans la mesure où les soignants en tiennent compte. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. 4.3. Les écueils Références Il serait légitime de craindre une position hégémonique du JET face aux parents, comme toute institution qui tente de rallier ses membres à sa cause [15] et qui possède une place dominante dans un parcours de soins. Cette enquête montre que les familles disposent de capacités d’analyse, conservent un regard critique sur le JET (dont elles relèvent les dysfonctionnements) mais aussi sur les associations et les autres institutions. L’écueil majeur réside dans le savoir syncrétique des parents qui n’est pas partagé avec l’ensemble des professionnels de santé. Un seul parent décrit la démarche qui pourrait être faite par les médecins : « L’autisme, mon médecin traitant ne connaissait pas, son premier cas était mon fils. . . Il a appris comme ça et après, il est venu me voir et il m’a demandé de la documentation comme j’étais dans les associations, et puis il s’est informé sur l’autisme ». Ainsi l’arrêt du JET signe la fin d’un partenariat : « En fait le JET s’arrête brusquement et il n’y a pas d’intermédiaire ». Certains intermédiaires existent pour les enfants de plus de six ans : secteurs de pédopsychiatrie, CMPP, hôpitaux de jour. . . mais la pénurie est telle qu’il s’opère souvent une rupture dans la prise en charge. Des professionnels libéraux (psychologues, [1] Hochmann J. Histoire de l’autisme. Paris: Odile Jacob; 2009. [2] Baghdadli A, Noyer M, Aussilloux C. Interventions éducatives pédagogiques et thérapeutiques proposées dans l’autisme : une revue de la littérature. CRA Languedoc Roussillon: DGAS; 2007. [3] HAS. Autisme et autres troubles envahissants du développement : état des connaissances hors mécanismes physiopathologiques, psychopathologiques et recherche fondamentale. Argumentaire. 2010. [4] Chamak B. Transformation des représentations de l’autisme et de sa prise en charge. Perspectives Psy 2007;46(3):218–27. 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