FILM: BÉJART - LE CŒUR ET LE COURAGE

Transcription

FILM: BÉJART - LE CŒUR ET LE COURAGE
Un magnifique documentaire sur la vie du Béjart-Ballet après Béjart, qui sort le 17
décembre sur les écrans zurichois
FILM: BÉJART - LE CŒUR ET LE COURAGE
par Françoise Bieri Hirlemann
DES VALEURS EN HERITAGE
« Béjart, le cœur et le courage » est un film documentaire de Arantxa Aguirre qui donne à voir et à ressentir
comment le Ballet Béjart Lausanne (BBL) continue l’œuvre de création après la mort de Maurice Béjart. Sans
Béjart, mais sous l’impulsion de Gil Roman, son fils spirituel, le légataire nommé par le Maître.
Pourquoi le titre de ce film? « Il faut le cœur pour garder la mémoire, et le courage pour travailler, créer en
cheminant vers demain ». La danse de Béjart, c’est plus qu’un style, des pas ou des expressions corporelles.
C’est aussi l'esprit qui les anime. Béjart est ce chorégraphe de génie qui a amené tant de personnes, qui n’y
étaient pas du tout préparées, à aimer la danse. Pour Gil Roman, danseur étoile, sa nouvelle mission est
importante. Entré en 1979 dans la compagnie, il a petit à petit approfondi sa relation avec Maurice Béjart. Ce
que fait Gil Roman aujourd’hui est « la continuation du travail avec Maurice, par rapport à ce qu’il voulait
transmettre, à ses idées et à ses valeurs … C’est l’esprit qui est important. C’est important pour moi de pouvoir
donner … Je suis responsable de ce passage, de cette transmission de la vie, de cet amour. Il faut que j’arrive à
donner le goût de cela».
LE CŒUR POUR GARDER LA MÉMOIRE
Dès le générique de début du film, le ton est donné par la chanson de Barbara, «ma plus belle histoire
d’amour c’est vous», l’hommage au père. Pendant tout le film, le Maître absent est très présent. Tant Gil
Roman, que les danseurs ou les autres membres de la Compagnie, tous sont unanimes : continuer, créer et
réussir sans Maurice Béjart, c’est exactement faire sa volonté, lui qui disait «Quoiqu’il arrive, continuer, ne
pas se retourner». Mais comment continuer sans trahir l’œuvre d’un chorégraphe, qu’il ne faut pas présenter,
tant il a su révolutionner l’art de la danse, la populariser au XXème siècle par son génie, sa créativité ?
Le film s’attache à montrer la réalité des relations au sein de la compagnie et du travail de création en studio.
Gil Roman nous guide: «tous les spectacles de Béjart parlent d’amour. Et l’amour est au cœur de la vie».
Béjart le disait lui-même «mes ballets sont plus que moi… j’y montre des choses que moi, je ne montrerais
jamais». La troupe BBL est d’une énergie monumentale, insufflée par Maurice Béjart, qui leur à appris la
précision, qui leur a appris à danser leur vie et leurs sentiments, qui leur a appris à retrouver le génie de leur
enfance après avoir maîtrisé leur corps grâce aux années de travail et d’apprentissage à la barre. Il insuffle le
feu aux danseurs, exigeant d’eux d’aller au bout de soi. Car «on ne peut danser sans se donner
complètement». Alors seulement, le danseur peut toucher le spectateur, et celui-ci devient «partie de la
chorégraphie».
LE COURAGE DES CORPS AU SERVICE DU CŒUR
Et ces danseurs qui se rappellent de la première fois où ils ont travaillé avec le maître, n’y croyant pas, ils
sont tous encore habités par sa voix, ses exigences, se demandant constamment ce que le maître penserait.
Tous ont donc eu à cœur de réussir le défi posé à Gil Roman et à toute la troupe, de créer des spectacles, sans
se contenter d’être les dépositaires des créations de Béjart. Pari tenu en décembre 2008, treize mois
après le décès de Maurice Béjart. Aria, le spectacle présenté à Lausanne fut un succès, et c’est la
préparation de ce spectacle qui est documentée de façon très personnelle et très artistique par la
documentariste espagnole Arantxa Aguirre.
Les répétitions y sont émaillées de témoignages de personnalités de la danse, d’interviews des danseurs
de la compagnie sur leurs sentiments, sur l’autorité de Gil Roman, sur le support financier et moraux dont ils
dépendent pour continuer. Quelques séquences montrent ces mêmes danseurs, dans des spectacles où
ils ont brillé sous la direction de Béjart. Ils sont tous si passionnés, si attachants, que le film se regarde
avec fascination tant on veut les voir réussir, tant on veut les voir s’épanouir, même après le départ de leur
Maître incontesté.
GIL ROMAN AU SERVICE DE L’ESPRIT BEJART
Depuis la mort de Maurice Béjart, le 22 novembre 2007, et après avoir été danseur et ami pendant 30 ans,
Gil Roman, est désormais directeur artistique du Ballet Béjart Lausanne. N’est-ce pas difficile pour quelqu’un
qui est resté 30 ans dans l’ombre du Maître ? « J'étais directeur adjoint de la compagnie depuis 1993, je
connais la compagnie de l'intérieur et je voulais montrer comment nous continuons le chemin, ensemble.
Continuer, ce n'est pas chercher à reproduire les pas, car un pas est mort s'il perd le sens qui le porte.
Continuer implique d'avoir la liberté de remettre en question le travail de Maurice en respectant l'idée de
départ, mais avec une nouvelle liberté». Questionné sur ses projets de chorégraphe, Gil Roman est très
clair «Pour moi, l’objectif n’est pas de me faire un nom de chorégraphe. J’ai un nom de danseur, et je suis
maintenant responsable d’une troupe. C’est cela qui est important. La création est importante pour moi, mais
pas pour me faire un «nom». J’ai eu besoin de reconnaissance en tant que danseur. Je n’en ai pas besoin en
tant que chorégraphe. On ne commence pas une carrière de chorégraphe à 48 ans !... Mais c’est important
pour moi de créer des spectacles… Mon objectif n’est pas de faire une œuvre, mais de faire un parcours. Je veux
faire des ballets pour me découvrir».
Et si on lui demande ce qu’il pense lui-même de son ballet Aria, il évoque les « standing ovations » à
Lausanne, Catane ou ailleurs, mais il préfère parler sur le processus de création. «J’ai pris le parti de
m’exprimer à travers un instrument, la danse. Mon sujet est né de la compagnie et avec la compagnie. Je vais
dans le studio avec de la musique et des danseurs. Et ce qui se développe n’est pas toujours lié à l’idée que
j’avais auparavant. Donc il y a une osmose. C’est de cela que je suis content. Ce qui est important pour moi,
c’est l’expérience d’être capable de me mettre au service des danseurs et eux à mon service, pour faire sortir
cette chose ensemble. »
UN DOCUMENTAIRE POÉTIQUE POUR QUE VIVE LE BBL
C’est précisément ce processus de création «en osmose» que Arantxa Aguirre a filmé pendant une année.
Et le résultat est un très beau film, au montage souvent très poétique, au rythme rapide et varié sans
brusquerie. Gil Roman apprécie énormément ce documentaire, d’une telle qualité, qui arrive à point nommé
pour la troupe. On pourrait croire qu’il a été commandé. Mais ce n’est pas le cas. Lors d’une tournée en
Espagne, Arantxa Aguirre, admiratrice de Béjart, a demandé à Gil Roman la permission de faire un
documentaire. Il lui a fait confiance et laissé carte blanche. Et voilà le résultat : cela ne lui a rien coûté et cela
dépasse toutes ses espérances «Le film fera sentir ce qu’est la compagnie, quel est son travail. Et c’est
important, cela montrera aux gens qu’ils peuvent nous faire confiance, que la troupe peut vivre ».
Espérons donc avec Gil Roman que la troupe pourra continuer à exister, danser et créer et que – autant que
les spectacles – ce film saura convaincre les sponsors que «même sans son créateur, la troupe BBL peut
créer et avoir du succès, tout en restant dans l’esprit unique de son créateur».