Christian RIETSCH - Logo du Laboratoire d`Économie d`Orléans
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La viabilité des systèmes de microassurance santé Christian Rietsch* Quand on a commencé à parler de micro-finance, le sujet a d’abord concerné la finance personnelle dans un monde sous-bancarisé. Les économistes ont ainsi découvert la manière ordinaire de gérer la vie quotidienne de populations innombrables, que la sociologie connaissait depuis longtemps (tontines, gardes monnaie, voire prêteurs d’argent et usuriers). De la microfinance à la micro-assurance A la suite de l’application réussie de nouveaux principes d’organisation des crédits à des couches sociales pauvres, l’attention a glissé vers le micro-crédit et les institutions gérant le micro-crédit. La recherche et la pratique se sont développées en même temps dans plusieurs directions. D’abord, on a tenté de comprendre pourquoi l’expérience du micro-crédit à des couches sociales pauvres, qui avait échoué jusque-là systématiquement lorsqu’elle avait été mise en place par des banques, était susceptible de fonctionner et à quelles conditions. Ensuite on s’est penché sur les institutions de micro-crédit et l’on a analysé leurs multiples formes et les succès variés qu’elles pouvaient avoir, afin d’en tirer les conditions d’un fonctionnement viable. Enfin on s’est tourné vers les bénéficiaires des crédits afin d’évaluer l’intérêt d’une politique plus large de micro-crédit et son impact en matière de développement. A ce stade, on s’est rendu compte d’une réalité assez diversifiée entre les individus qui avaient utilisé le micro-crédit pour améliorer les conditions de leur vie, ceux pour lesquels la fongibilité de la monnaie avait permis de poursuivre d’autres buts et enfin les individus pour lesquels le micro-crédit ne constituait qu’une modalité de gestion de la trésorerie. Ces observations ont montré qu’il convenait d’envisager les questions financières, en particulier chez les pauvres, d’une façon plus large et qu’il fallait prévoir une gamme de services financiers plutôt que de s’occuper seulement du volet crédit. Cette gamme de services comprend notamment l’épargne (en place depuis un certain temps dans beaucoup d’institutions), de transferts de fonds et de couverture de risques. C’est pour prendre en compte l’ensemble de ces thématiques que l’on commence à parler de micro-intermédiation, réalité qui englobe et dépasse la finance personnelle et la micro-finance. L’idée qui sous-tend le passage du concept de micro-finance à celui de micro-intermédiation est que l’on connaîtra la même évolution pour les nouveaux domaines de la micro-intermédiation que celle que l’on a connue pour la micro-finance : d’un intérêt académique, on est passé à des réalisations concrètes qui se chiffrent par milliers et qui touchent des millions de personnes, donnant à ces dernières les perspectives d’un avenir meilleur. * LEO - UMR 6221, Faculté de Droit d’Economie et de Gestion, BP 6739, 45067 ORLEANS cedex 2 [email protected] La viabilité des systèmes de micro-assurance santé – Christian RIETSCH Or, dans le cas de la couverture des risques les premiers éléments du développement de ce secteur semblent passer par le même chemin : l’étude de la micro-assurance constitue le domaine de micro-finance donnant lieu à un énorme et tout nouveau courant de publications ; qui fait l’objet de nombreux séminaires ; qui suscite beaucoup d’attentions et d’actions pratiques des gouvernants ; qui est suivi avec beaucoup de soin par divers groupes d’études du monde en développement (BIT, CGAP, Cirad, …). La pratique de la micro-assurance progresse parallèlement : de même que la microfinance constitue une extension du marché des services de banque et de finance à des catégories nouvelles, la micro-assurance pourrait constituer un potentiel nouveau pour le marché de l’assurance. Et l’expérience semble conforter les espoirs, puisqu’il n’est pas de pays en voie de développement où la microassurance ne fait pas l’objet d’une demi-douzaine d’expériences (tous les pays de l’Afrique sub-saharienne), voire fonctionne avec quelques milliers, voire dizaines de milliers de clients (Bangladesh, Inde, Afrique de l’Est). D’abord il convient d’appréhender ce qu’est la micro-assurance. Le BIT le précise dans sa définition : « La micro-assurance est un mécanisme de protection des personnes à faibles revenus contre les risques (accident, maladie, décès dans la famille, catastrophe naturelle…) en échange du paiement de primes d’assurance adaptées à leur besoin et niveau de risque. Elle cible principalement les travailleurs à faibles revenus des pays en voix de développement, particulièrement ceux travaillant dans le secteur informel qui sont souvent mal desservis par les assureurs commerciaux et les système d’assurance sociale »1 Cette définition conduit à donner plusieurs précisions : d’abord la micro-assurance s’adresse aux pauvres, aux personnes à faibles revenus et notamment les individus laissés de côté par les systèmes d’assurance commerciaux ou étatique ; ensuite, la couverture de risque concerne une série d’événements aléatoires qui peuvent frapper une personne ou une famille, soit dans leur intégrité physique, soit dans leur activité ; la couverture des risques implique de la part de l’individu une cotisation (appelée prime d’assurance) destinée à couvrir le risque ; cette prime, levée sur une population à faibles revenus, ne peut conduire (compte tenu des probabilités d’occurrences) qu’à des indemnisations modestes (mais en relation avec les niveaux de revenus et d’activité). La micro-assurance assurance se décline sous des formes multiples destinées à couvrir divers risques, sélectionnables à la carte et permettant de répondre aux différents besoins exprimés par les individus. Les produits de micro-assurance les plus répandus sont les suivants : 1 • Micro-assurance vie (plans d’épargne retraite, couplage avec micro-crédit, etc.) • Micro-assurance incapacité / invalidité • Micro-assurance sur la propriété (biens mobiliers, bétail, biens immobiliers) assurance incendie pour les maisons (même les cases les plus modestes), assurance accident pour les possesseurs de vélos, de charrettes, d’animaux de trait, etc.) • Micro-assurance récolte • Micro-assurance santé (hospitalisation, soins de santé primaires, maternité…) BIT, Fonds pour l’Innovation en micro-assurance (2008) 2 La viabilité des systèmes de micro-assurance santé – Christian RIETSCH De la micro-assurance à la micro-assurance santé Le domaine particulier qui nous intéresse ici est la micro-assurance santé, l’une des branches d’activité de la micro-assurance ; or cette branche d’activité est née et a été promue dans un cadre historique tout à fait particulier. Dans la plupart des pays africains, après les Indépendances, l’idée généreuse est de financer directement les formations de santé et de ne pas faire payer les malades. En fait cette politique n’est jamais véritablement opérationnelle et d’autres modes de financement coexistent avec le financement budgétaire public : paiement direct des patients dans les formations privées ; régimes de Sécurité sociale pour les travailleurs salariés, héritage du passé colonial… Progressivement, l’idée d’une tarification partielle des services fait son chemin et des tarifs officiels apparaissent dans les centres de santé et les hôpitaux, tout en coexistant avec les autres formes de financement ; en parallèle on assiste au développement de l’assurance maladie au sein de l’économie formelle (mutuelles d’entreprise, contrats privés), alors même qu’il peut arriver que l’État lance un régime obligatoire (Instituts de prévoyance maladie au Sénégal) ou qu’il crée, pour les fonctionnaires, un régime d’assurance maladie couvrant uniquement le gros risque, en laissant un ticket modérateur de l’ordre de 20% aux malades (Mali, Sénégal, Burkina, Bénin). Dans certains cas, des mutuelles à adhésion obligatoire sont créées (Côte d’Ivoire). Des procédures de tarification, puis de surtarification, sont mises en place sans que la qualité des soins s’améliore. La micro-assurance santé naît dans le cadre de la réorganisation du système de santé national. Dans les pays en voie de développement ceci se produit dans les conditions suivantes : dans le contexte d’une détérioration progressive des systèmes de santé, à la suite d’une importante réunion à Alma Ata 2 le principe du recouvrement (partiel) des coûts, la prise en compte de sous-populations à risques spécifiques (femmes enceintes, enfants en bas âge, …) et une gestion plus démocratique de la santé sont actés. En Afrique, ce qui est retenu de la conférence d’Alma Ata est connu sous nom d’ « Initiative de Bamako », dont les principes sont adopté à la suite d'une réunion de ministres de la santé africains à Bamako (Mali) en 1987 (37e comité régional de l'OMS). L’ensemble des décisions qui en découlent conduisent au démantèlement du système de santé et officialisent le partage du financement du secteur public des soins entre les ménages et l’État. L’ensemble des orientations de la politique de santé est redéfini avec pour objectif la « santé pour tous d’ici à l’an 2000. 2 • Dans un contexte de pénurie, il prévoit un certain niveau de recouvrement des coûts (fixation de tarifs des prestations) et une participation communautaire avec création de comités de gestion. Dans plusieurs pays, il aboutit à la mise en place d'activités de soins (paquet minimum de soins) visant notamment à l'amélioration des soins de la mère et de l'enfant et le contrôle des endémies. La gratuité de certaines prestations est prévue (vaccination des enfants via le PEV -plan élargi de vaccination- ou dans le domaine de la protection maternelle et infantile), de même que la vente de médicaments génériques (politique de médicaments essentiels, visant à en faciliter l'accès). • Cette évolution passe par la décentralisation et la rationalisation de l’organisation, et dans certains cas la participation des représentants des usagers à la gestion. Elle traduit une volonté de décentralisation de la Conférence internationale sur les soins de santé primaires, déclaration du 12 septembre 1978. 3 La viabilité des systèmes de micro-assurance santé – Christian RIETSCH gestion des systèmes de santé publique et d'amélioration de la transparence. L'éducation pour la santé joue un rôle important. Dans certains pays (Mali, Sénégal), l’État appuie ce mouvement. Dans d’autres, des ONG ou des organismes extérieurs fournissent un appui et l’État se désengage plus ou moins rapidement (Burkina, Bénin, Guinée). Plus récemment, en 2000, l'Assemblée Générale des Nations Unies adopte d'ambitieux « Objectifs du Millénaire pour le Développement » dont plusieurs concernent la santé publique et qui recoupent ou confortent les éléments précédents. Ainsi, l’Initiative de Bamako conduit à la mise en place sous des formes diverses (microassurance santé, mutuelles, régimes obligatoires) d’une assurance maladie partielle. Dans ces conditions, l’assurance santé, sous de multiples formes, apparaît comme l’élément incontournable du système de santé qui se met en place. Or cette assurance naît dans un terrain particulier, à savoir dans un espace neuf et sous une forme forcée. • Un espace neuf, dans la mesure où l’interprétation de l’Initiative de Bamako est que l’État est partiellement déchargé de ses obligations d’assistance. D’innombrables acteurs émergent alors pour combler le vide provoqué par le retrait de l’Etat et fournir le service de santé à la population. Ce peuvent être des dispensaires villageois partiellement sous le contrôle de la population et partiellement sous celle de l’Etat ou d’une collectivité locale ; ce peuvent être des ONG étrangères, parfois à forte connotation religieuse (avec tout ce que cela suppose de prosélytisme manifeste ou non), ce peuvent être des dispensaires liés à une activité (sectorielle) ou à une entreprise. Il peut aussi s’agir de centres de soins privés liés par contrat à tel ministère ou à telle entreprise. Parallèlement, l’Etat injecte des fonds dans les nombreuses ONG, les dispensaires et les centres de soins qui interviennent en matière de santé et qui font aussi passer le mot d’ordre de la rentabilité. • Une pratique forcée, car l’État se désengage massivement du domaine de la santé. En conséquence, sans que la population en ait vraiment conscience, elle se trouve livrée à un autre système qu’elle met un certain temps à comprendre. Dans un certain nombre de cas, il s’agit d’un marché que l’on peut qualifier de « captif », car celui qui y participe n’est pas libre de l’accepter ou de le refuser : ce peut être le marché de l’assurance-santé, lorsque le système de santé préexistant est démantelé au profit d’un système d’abonnement et de franchise auquel on adhère par obligation (par exemple au sein d’un ministère, d’un syndicat ou d’une entreprise) ; ce peut être un système d’assurance–décès lié à un micro-crédit, formule dans laquelle le micro-crédit obtenu est lié à une assurance concernant le solde restant dû. Le fait d’introduire une participation financière des utilisateurs aux coûts des services offerts par les structures sanitaires publiques, entraîne une plus grande exigence quant à leur qualité de la part des utilisateurs ; or au moment où le recouvrement des coûts commence dans le système de santé public, la qualité des services publics de santé est généralement considérée comme mauvaise, voire inacceptable. Dans ces conditions, l’assurance-santé se met en place rapidement et spontanément, mais en même temps et parallèlement, il se produit une croissance de l’offre privée de soins de santé, considérée comme d’une meilleure qualité. Les mutuelles de santé en Afrique se constituent souvent à partir d’organisations d’entraide créées au départ pour fournir une gamme de prestations sociales comme les allocations pour les funérailles, les mariages, les naissances ou les retraites. Pour de telles organisations, les prestations maladie répondent à des besoins additionnels. Cependant le recours à l’assurance 4 La viabilité des systèmes de micro-assurance santé – Christian RIETSCH comme mode de financement, exige l’acquisition de nouvelles compétences. Les mécanismes mis en jeu pour couvrir les premiers types de prestation sont en effet plus proches des plans d’épargne que de l’assurance, car les événements couverts sont relativement prévisibles. Depuis environ une décennie, la micro-assurance santé fait l’objet d’une attention soutenue et bénéficie aujourd’hui du soutien actif des gouvernements des pays à faible revenu ainsi que des partenaires du développement. De grands espoirs sont placés dans la microassurance santé et les partenaires du développement diffusent l’idée que la micro-assurance est adaptée à toutes les catégories et notamment au secteur de l’économie informelle : • d’une part l’assurance-santé autorise l’accès aux soins de la population pauvre, jusquelà écartée ; • d’autre part, la micro-assurance santé vient en complément ou en remplacement des lourds efforts de financement de la santé ; • de plus, le fait de disposer d’une assurance santé est censé permettre la lutte contre la pauvreté et l’on tire de cette proposition que la micro-assurance représente également le nouveau « front » dans la lutte contre la pauvreté et contre les éléments susceptibles d’entraver l’émergence d’une classe moyenne stable ; • en outre, l’élargissement du marché de l’assurance est considéré comme un progrès en soi (avec l’espoir pour certains que la micro-assurance santé deviendra bientôt un marché solvable, générateur de profits) • enfin la micro-assurance santé a pour bénéfice annexe de favoriser l’essor de la démocratie dans les pays en développement, notamment via l’implication des bénéficiaires ou des adhérents dans la gestion. Cette dernière caractéristique différencie les mutuelles de santé des systèmes privés d’assurance. Il existe donc un espoir, à la fois dans les milieux académiques et chez les praticiens, que la couverture des risques chez les pauvres, est susceptible de générer d’abord une activité marchande et ensuite que celle-ci sera rentable, répliquant le succès que l’on a connu dans la micro-finance. Le but de notre intervention est de montrer les limites du marché de la couverture du risque et de l’assurance santé et ceci notamment pour quatre raisons : la taille de la population couverte est trop réduite, sauf si l’on abandonne l’adhésion volontaire, des problèmes d’aléa moral et d’anti-sélection sont communs sauf encore une fois si l’on passe par une adhésion obligatoire, le problème économique posé par l’assistance aux plus pauvres est redoutable. La taille de la population couverte L’assurance implique la répartition du risque sur un grand nombre d’individus, de façon à faire jouer les compensations de risques et la loi des grands nombres. Une assurance dans le sens étroit fait du pooling de risques. Toutefois, à cet égard, on peut noter le problème, celui des petits effectifs touchés par l’assurance santé. Nous en donnons ici quelques exemples : La Mutuelle Famille Babouantou de Yaoundé illustre ce cas. Le nombre d’affiliés ne parvient pas à dépasser le seuil des 25 % de la population cible, soit aux environs de 250 personnes. La Mugrace (Résidents de la commune d’Abobo à Abidjan Côte d’Ivoire) compte 40 adhérents (et tous les membres du ménage sont bénéficiaires) ; MC 36, femmes du secteur formel et informel de la zone du Canal 36 à Abidjan compte aussi 40 membres (et leur 5 La viabilité des systèmes de micro-assurance santé – Christian RIETSCH famille) ; les Intimes, résidents d’Abidjan, comptent 126 membres et les bénéficiaires incluent un cercle large de parenté. La garantie santé de l’Association por Salud de Barillas au Guatemala ne couvre que 40 familles affiliées au régime par rapport à une population cible de 200. De même, l’expérience popularisée par le GRET au Cambodge ne concerne qu’un peu plus de 2000 familles. Inversement, en Inde, la première assurance de SEWA (Self Employed Women’s Association) en 1992 affilie obligatoirement 50 000 membres de la coopérative. C’est à cette condition que la Life Insurance Corporation of India (LIC) accepte de gérer la composante assurance-vie du panier d’assurances proposé par SEWA. Jusqu’en 1994, l’assurance est donc obligatoire. Face aux réticences de ses membres, l’assurance devient volontaire à partir de 1994 et SEWA constate une chute brutale du nombre de ses assurés (10 000 assurés en 1994). Les effectifs n’ont pas encore retrouvé le niveau de départ et tournent autour de 30.000. Le bilan quantitatif du nombre de personnes couvertes par la micro-assurance santé demeure assez modeste. Quant à la pénétration de la micro-assurance, c’est-à-dire l’adhésion des populations sensibilisées, les résultats semblent meilleurs en Asie qu’en Afrique. Deux facteurs favorables à la sensibilisation en Asie sont mis en avant : la relation de proximité avec la population établie par les organismes qui assurent la promotion de la micro-assurance et les expériences antérieures de gestion d’activités collectives. Le souci en Afrique d’adapter la sensibilisation au contexte amène à privilégier des cibles minimes. Les mutuelles de santé constituent un phénomène émergent en Afrique et si elles sont très nombreuses, elles sont très récentes. La majorité des mutuelles créées sont des organismes de petite taille dont la viabilité se révèle fragile. Le jeu interactif de l’assurance santé et les risques L’assurance-santé est d’abord fondée sur le principe de l’assurance, par lequel des souscripteurs, en contrepartie du versement d’une cotisation (ou prime), obtiennent une garantie de réparation financière (ou de prise en charge) en cas de réalisation d’un risque de maladie. Les bénéficiaires (ou les adhérents) au système d’assurance-santé apportent les contributions nécessaire (au moins partiellement dans un premier temps) au financement des prestations. Ces cotisations sont payées à l’avance (avant la survenue des risques) et sont mises en commun. Les adhérents renoncent à la propriété des cotisations qu’ils versent. Les cotisations mises en commun sont utilisées pour verser une compensation monétaire aux personnes qui sont touchées par les risques couverts par le système ; les personnes qui ne sont pas touchées par ces risques ne récupèrent pas leurs cotisations. Ces éléments de base sont complétés dans les mutuelles par le principe de solidarité qui en constitue un pilier essentiel et qui se manifeste par deux traits : • La cotisation que paie chaque membre est indépendante de son risque personnel de tomber malade ; en particulier, le montant de la cotisation n’est pas déterminé par l’âge, le sexe ou l’état de santé du membre 3. 3 Ce principe mutualiste essentiel est aujourd’hui remis en cause par certaines mutuelles au nom d’une gestion équitable. 6 La viabilité des systèmes de micro-assurance santé – Christian RIETSCH • Chacun bénéficie des mêmes services en cas de maladie pour un même niveau de cotisation. Cela différencie substantiellement les mutuelles des compagnies privées d’assurance qui cherchent à faire du bénéfice et pour cela tarifient différemment les divers risques : la prime à payer par les personnes âgées et malades chroniques est sensiblement supérieure à celle des jeunes et des personnes en bonne santé. Mais ces idées de base se heurtent aussi à la nature humaine qui essaie éventuellement de profiter de la situation, ce qui demande une réponse adéquate, à défaut de laquelle la dérive des coûts est inéluctable. L’aléa de moralité et la sélection adverse dans les assurances de santé Pour ce qui concerne l'assurance-santé, il est utile de distinguer plusieurs significations possibles de l’aléa de moralité. • Une forme forte de l’aléa de moralité consiste dans l’affirmation qu'une personne assurée tend à prendre moins de précautions contre le risque de maladie qu'elle n’en prendrait en l’absence de cette assurance. On peut penser que cette argumentation est difficile à soutenir – et donc fausse dans son essence : en effet et a contrario, cette approche revient à dire qu’un individu qui n’est pas assuré fait l’effort de rester en bonne santé pour éviter la dépense associée à la maladie et non pour éviter la maladie elle-même ! Au contraire, on peut penser que de nombreuses maladies ont un rapport avec l'ignorance ou la myopie à l’égard du risque de santé et ceci indépendamment du fait d’être assuré ou non. Accessoirement, et ceci depuis le 19e siècle, des incitations (sous forme de réduction de primes) visent à maintenir en bonne santé des adhérents, mais l’interprétation habituelle est plutôt une gestion habile des risques covariants plutôt que la lutte contre la forme forte de l’aléa de moralité. • La forme faible de l’aléa de moralité affirme qu’une fois malade, l’individu assuré a tendance à être moins concernée par le coût du traitement qu'une personne sans assurance. Il s’agit de l’interprétation de l’observation courante que la consommation en soins de santé des personnes couvertes est toujours plus forte que celle des non-assurés. L’explication habituelle de ce comportement débute par une hypothèse concernant la psychologie supposée d’un individu qui a déjà payé un certain nombre de coûts dans le passé (les cotisations ou primes versées) et qui est alors frappé par maladie : il considère que ces paiements passés constituent le droit à des soins et il veut en avoir pour son argent sans que l’on considère le coût de ces soins, ce qui, à son échelle correspond à une sorte de récupération des coûts passés – naturellement, l’individu essaye d’en récupérer le plus possible. Cette insensibilité aux dépenses de traitement (voire à la considération que des dépenses plus importantes sont d’autant meilleures) conduit à un risque de dérive vers le haut des coûts des soins. Mais contre cette forme faible de l’aléa de moralité, tous les systèmes d’assurancesanté disposent de techniques, faciles à mettre en œuvre, destinées soit à rendre l’assuré conscient des coûts engendrés, soit à limiter, sans qu’il en ait forcément conscience, sa tendance à consommer des soins auxquels ses cotisations passées lui ont donné droit –telle est du moins l’explication courante. • La manière la plus rudimentaire de rendre les individus conscients des coûts est d’organiser la prise en charge forfaitaire des coûts (par exemple, un forfait d’hospitalisation) avec une transparence du comportement de chaque membre 7 La viabilité des systèmes de micro-assurance santé – Christian RIETSCH par rapport à tous les autres membres, c’est-à-dire de mettre en place l’organisation d’un « contrôle social » des uns par les autres. Le but est d’arriver à éviter des dépenses injustifiées via le contrôle par des pairs (visite au malade hospitalisé permettant de témoigner de la solidarité, mais aussi de constater qu’il n’y a pas de fraude par une usurpation d’identité). Il s’agit de la transposition à l’assurance santé des dispositions qui ont prouvé leur efficacité en matière de micro-crédit. Observons qu’il est douteux que ce type de contrôle produise son plein effet : si les pairs craignent pour leur santé, ils auront tendance à surveiller les dépenses d’un œil peu scrupuleux. Atim (2000) note que ce type d’approche constitue surtout la pratique des mutuelles les plus petites, celles qui ont leur origine dans la tradition de solidarité , celles où le contrôle est une affaire inter-personnelle, celles qui sont fréquemment fondées sur des liens ethniques. • Les mutuelles les plus importantes ont plutôt tendance à mettre en place des dispositifs qui obtiennent automatiquement et de façon impersonnelle comme résultat de réduire considérablement l’aléa de moralité. La technique de base est le co-paiement (appelé aussi ticket modérateur) de la dépense de soin par l’assuré ; une autre technique connue est la franchise. Le co-paiement est la part de la facture de soins qui reste à la charge des assurés, l’autre part, généralement plus importante, étant assumée par le système d’assurance. Ce co-paiement est habituellement différencié selon le type de dépense de santé. Par exemple, la mutuelle de Kolokani (Mali) demande à ses membres de supporter 25 pour cent des frais quand ils se rendent à l’hôpital. La mutuelle Les Intimes (Côte d’Ivoire) ne prend en charge que 25 pour cent des dépenses médicales des membres, ces derniers payant les 75 pour cent restants. La franchise est un montant fixe que l’assuré doit payer pour bénéficier des soins, le système d’assurance ou la mutuelle prenant en charge le reste. A titre d’exemple, une mutuelle peut demander à ses membres de payer les premiers 1000 FCFA pour toutes les factures de soins. Si le montant total s’élève à 10000 FCFA, la mutuelle prend alors en charge 9000 FCFA. Si la facture est de 950 FCFA, la mutuelle ne paie rien. Les franchises peuvent être appliquées sur chaque consultation ou sur une base annuelle. La mutuelle de Babouantou (Cameroun) met en œuvre un principe similaire, en demandant à ses membres d’acquitter le coût des sept premiers jours d’hospitalisation, alors que la mutuelle couvre les frais relatifs à la période postérieure 4. Ce type d’approche (dont les détails varient d’une institution à une autre), est extrêmement habile, car il ne décourage pas les consultations - ce qui fournit une base saine afin de choisir le soin ou le traitement approprié - mais décourage progressivement l'utilisation de médicaments ou de soins, et ceci d’autant plus que ces médicaments ou ces soins pourraient être consommés en excès. Ce type d'approche différentielle avec co-paiements et franchises, quoique simple, apparaît très bien conçu pour résister à la forme faible de l’aléa de moralité. 4 C’est donc dans cette période postérieure que l’excès de dépenses doit être craint ; or une hospitalisation de plus de 7 jours est peu fréquente et signifie généralement une pathologie lourde : la crainte initiale est donc en grande partie infondée. 8 La viabilité des systèmes de micro-assurance santé – Christian RIETSCH • Un autre type d’arrangement a été proposé, à savoir un plafond annuel de soins, soit par individu, soit par famille. Au delà du plafond, les médicaments et les soins ne sont plus du tout pris en charge par l’assurance-santé. Habituellement, cette méthode est utilisée pour enrayer l’escalade des coûts et pour assurer la viabilité financière du système. Par exemple, la mutuelle de Lalane Diassap (Sénégal) et d’autres mutuelles de la région de Thiès limitent leur couverture aux 15 premiers jours d’hospitalisation. L’individu concerné doit supporter toutes les dépenses excédant cette période. Comme il existe un plafond, l’assureur sait le montant de son engagement et connaît la limite de ce qu’il aura à dépenser. Par contre, ce type d’arrangement risque de conduire l’individu assuré à un rationnement pervers des soins, en ce sens qu’il se l’impose lui-même : en effet, de peur que le plafond du ménage soit dépassé pour des problèmes de santé mineurs, ce qui laisserait le ménage exposé si des problèmes de santé plus sérieux devaient arriver avant la fin de l'année, ceux-ci ne sont pas déclarés, ne sont pas pris en charge et ne sont éventuellement pas soignés. • Le référencement à la structure de degré plus élevé. Un individu assuré ne peut se présenter de son propre chef à l’hôpital et demander le bénéfice de la couverture des soins s’il n’a pas été examiné par un agent du service de santé du premier échelon. Cette mesure permet d’éviter les recours inopportuns aux structures sanitaires d’un échelon supérieur et leur encombrement. La sélection adverse ou anti-sélection est un phénomène par lequel on obtient des résultats inverses de ceux souhaités, à cause d'asymétries d'information. Les assurances santé emploient deux mécanismes afin de les minimiser : La mise en place d’un temps d’attente, durant lequel les primes sont collectées, mais pendant lequel l’individu assuré ne peut prétendre à un remboursement des frais de santé encourus, est destiné à révéler l’information que l’assuré ne voudrait pas que l’assureur connaisse. Les assureurs qualifient ce délai de période d’observation, de temps qu’il leur faut pour mieux connaître le nouvel assuré, etc. Les délais sont extrêmement variables : dans certains cas, il n’existe aucun délai, mais une fenêtre temporelle (après la récolte) où l’on peut s’inscrire, comme dans la mutuelle du Gonja Ouest (Ghana) (et les problèmes de sélection adverse sont occultés) et dans d’autres cas le délai peut aller jusqu’à 6 mois. Notre expérience nous montre surtout des délais de trois à quatre mois. Remarquons que la mise en place de ce type de délai a des chances de conduire très précisément au risque que l’on cherche à éviter : un individu, se sentant malade et craignant une aggravation de son mal, peut se présenter pour s’assurer, quitte à attendre quelque temps pour les soins et en mettant entre parenthèse l’évolution de la maladie durant ce laps de temps (et durant le temps d’attente la maladie risque de s’être aggravée, augmentant d’autant les coûts de traitement). L’assurance de groupe et non pas l’assurance individuelle constitue le second mécanisme de lutte contre l’anti-sélection. Il est évident que l’assureur préfère couvrir l’ensemble d’une famille (ou un certain niveau d’adhésion obligatoire au sein de la famille) plutôt que des individus. Le fait d’élargir la base assurée conduit à une espèce d’effet de « retour vers la moyenne » du risque parmi les membres de la famille. Ainsi, des chefs de famille en bonne santé qui n'avaient pas envisagé de se joindre à une assurance pour leur propre santé, comprennent l’intérêt de la souscription si la famille entière est couverte. L’expérience de la MUFEDE nous montre exactement ce phénomène : lorsque l’institution propose une assurance-maladie au chef de famille, elle observe une grande réticence de ceuxci à s’assurer ; par contre, lorsque l’arrangement concerne l’ensemble de la famille, le succès 9 La viabilité des systèmes de micro-assurance santé – Christian RIETSCH est au rendez-vous. Dans la pratique, il convient de satisfaire à l’ensemble de ces contraintes et de ne pas être sujet à l’aléa moral ou à l’anti-sélection. Pour ce faire, il convient de proposer un contrat, un arrangement qui évite ces écueils conjoints. Une des formes qui a fait ses preuves, qui est susceptible de ne pas heurter la population et de trouver l’agrément des autorités est constituée par un système à trois étages : • En cas de problème de santé très léger, c’est l’assuré qui prend tout à sa charge ; • En cas de problèmes de santé de moyenne importance, une structure médicale (organisée par une communauté villageoise, une ONG, une église, une entreprise, un service d’un ministère, …) prend en charge l’adhérent, qui contribue par un ticket modérateur (éventuellement différencié selon la consultation médicale, les examens de laboratoire, l’hospitalisation et la délivrance des médicaments) et de multiples exclusions ou délais d’entrée 5 à ce qu’il n’y ait pas de dérive des coûts ; • Enfin, si la pathologie est très lourde, l’État, via le système hospitalier, prend en charge le malade qui ne paye que des frais journaliers et/ou un certain nombre de médicaments. Affiliation volontaire ou obligatoire L’ensemble des définitions qui évoquent la micro-assurance santé insiste sur l’adhésion volontaire, en particulier dans le cadre des mutuelles de santé ; certaines en font même un élément crucial de leur définition. Mais les schémas qui reposent sur l’adhésion volontaire subissent un terrible handicap : tant que la base assurée n’est pas large (et elle ne peut pas l’être aux débuts d’une activité), les fluctuations aléatoires des maladies et des sinistres qui frappent la population font qu’il est illusoire d’avoir une politique tarifaire et que toute décision de hausse, de baisse ou de stabilité des cotisations est « forcément » inadéquate. De plus, un comportement opportuniste est à craindre, dans lequel l’individu qui sent sa fragilité va s’assurer, et pour cette seule raison. La conséquence en est un portefeuille d’assurés constitué majoritairement de « mauvais risques » (et il n’est pas sûr que les délais d’attente et d’observation puissent éradiquer ce phénomène). Enfin, l’adhésion volontaire suppose, chez l’assuré, des moyens financiers relativement importants, qui seuls permettent de songer à la protection de la santé et non plus seulement à la couverture des besoins de base, le manger, l’habillement, le logement, … A l’inverse, les tenants de l’adhésion obligatoire soutiennent que le fait de rendre l’assurance obligatoire conduit directement à une large base assurée, d’où un certain nombre d’avantages : 5 La période d'observation est souvent de trois ou quatre mois avant qu’une revendication à l’égard du fonds d'assurance puisse être prise en compte. Paradoxalement, cela incite les individus déjà malades à vouloir faire partie du mécanisme d’assurance afin d’en bénéficier au moment où leur maladie risque de s’aggraver. Ce type de comportement est particulièrement documenté en Afrique du Sud pour des individus qui découvrent leur séropositivité et qui se précipitent alors sur une assurance (pour les assurances, il s’agit d’un phénomène de sélection adverse). 10 La viabilité des systèmes de micro-assurance santé – Christian RIETSCH • Les fluctuations aléatoires des maladies ont une importance à court terme mais pas à long terme ; la tarification est automatiquement plus précise et ceci très rapidement. • Quand l’adhésion n’est pas dépendante du choix de l’individu, l’imposition d’une période d’observation pour décourager la sélection adverse est inutile. Lorsque l’adhésion est obligatoire ou que la population cible est atteinte dans sa quasi totalité, il n’y a pas de biais de sélection à l’entrée. Tel est par exemple le cas de la mutuelle de Lalane Diassap (Sénégal) qui arrive presque à écarter la sélection adverse en atteignant un taux de pénétration du groupe cible de 82 % en raison du petit effectif des communautés villageoises concernées et de la forte cohésion sociale de ces villages. • La tarification sera vraisemblablement plus basse, car elle ne doit couvrir que le « risque moyen » et non plus l’ensemble des « mauvais risques » qui se sont auto-sélectionnés. D’autre part, lorsqu’une organisation « tierce » dispose d’une assurance santé pour une catégorie bien précise de personnes, le fait de s’affilier à l’organisation conduit directement à l’affiliation à l’assurance-santé (les mutuelles de l’éducation nationale de divers pays, certains syndicats, un grand nombre d’entreprises qui couvrent automatiquement leurs travailleurs et/ou leur famille, …). L’obligation d’adhésion pour les membres du groupe cible, ne correspond pas à la définition proposée, mais contribue néanmoins à accroître l’efficacité de l’assurance-santé. Le problème économique de l’assurance-santé Les risques couverts sont extrêmement hétérogènes ; fréquemment, il s’agit d’un package de services de santé incluant l’hospitalisation, l’accouchement, les petites interventions, la chirurgie et les morsures de serpent et dans de tels cas, la couverture est de 100% ; dans d’autres cas, l’assurance-santé couvre les services de soins de santé primaire, les consultations, la pharmacie et les analyses de laboratoire ; dans d’autres cas encore, les prothèses dentaires, les verres et montures (sur prescription) pour la mutuelle des fonctionnaires de Côte d’Ivoire ; il existe même des cas où l’évacuation sanitaire d’urgence est prévue. Les primes collectées doivent couvrir les risques (sans parler de l’administration du système) ; or compte tenu des coûts, on arrive vite à des chiffres de primes à verser importants et souvent hors de portée des plus pauvres. Le succès espéré de la micro-assurance de santé implique de lever la barrière financière d’accès aux soins et ceci à l’intérieur d’une politique visant à recouvrer les coûts, correspondant aux politiques instaurées dans la majeure partie des pays en développement. Par exemple, supposons un système de couverture de trois risques : hospitalisation, accouchements et soins ambulatoires dont les coûts de revient, négociés avec la structure médicale correspondante, sont respectivement de 40.000 FCFA par jour d’hospitalisation, 50.000 FCFA par accouchement et 5000 FCFA pour les soins ambulatoires ; si l’on suppose en outre, pour 100 personnes assurées et pour un an, 40 jours d’hospitalisation, 4 accouchements et 200 soins ambulatoires, nous obtenons un coût de couverture de ces seuls éléments de risque de 28000 FCFA par assuré et par an. Compte tenu des frais d’administration et de la vraisemblable existence de retards/absence de paiement de primes par un certain nombre d’adhérents, cela nous donne une cotisation trimestrielle de 8 à 10000 11 La viabilité des systèmes de micro-assurance santé – Christian RIETSCH FCFA par assuré. On conviendra avec nous que de nombreuses familles n’ont pas cette somme pour cotiser dans un système de santé, ou bien comptent sur la chance et l’absence de problèmes de santé, ou encore n’ont jamais effectué de calcul leur montrant le coût du risque de santé. Ce montant élevé explique aussi la fréquence et l’importance des retards de paiements. En même temps, ces chiffres indiquent que les responsables doivent suivre chaque élément de coût, et cela à tout moment, afin de garder les primes demandées sous contrôle. Ainsi, il convient de surveiller le taux d’incidence des risques couverts et plus généralement la sinistrabilité : il faut vérifier la pertinence du nombre de jours d’hospitalisation, la moyenne du nombre annuel d’accouchements et la quantité de soins ambulatoires délivrés (et notamment aux bonnes personnes) : qu’il s’agisse de 150 ou de 200 soins ambulatoires par an pour 100 adhérents est important, car cela signifie éventuellement que 50 soins auraient du être effectués à titre personnel, économisant autant de frais au système collectif de santé ou bien auraient mérité une hospitalisation, car ils sont graves et vont grever d’autant les coûts, ou enfin étaient tellement graves qu’ils auraient du être pris en charge gratuitement par l’Etat. Ensuite, il n’est pas indifférent que le coût des soins ambulatoires sont imputés à raison de 5000 FCFA ou à 2000 FCFA, … Chaque élément, et ceci risque par risque, doit faire l’objet d’une âpre négociation entre l’assurance-santé et la structure qui délivre les soins. Si nous prenons le problème de l’autre côté, en commençant avec les capacités de paiement de la population pauvre, (supposons 4000 FCFA par trimestre), si l‘on conserve la couverture des trois risques, il faut négocier d’autres tarifs, ou mettre en place des franchises à la charge des assurés ou bloquer le remboursement de certains risques (par exemple, on prévoit des forfaits hospitaliers) : évidemment, tout ceci rend l’assurance-santé moins attrayante et c’est ce qui permet d’expliquer pourquoi un aussi petit nombre de personnes a tendance à s’y affilier spontanément. Observons enfin que les pauvres trouvent extrêmement coûteux l’adhésion à un système d’assurance-santé et pendant ce temps, continuent à effectuer des dépenses importantes pour leur santé à travers des paiements « parallèles » dans les structures sanitaires publiques, le paiement direct de soins, la consultation de tradipraticiens, l’achat de médicaments, etc. Si le montant des cotisations est faible, le risque couvert ne peut être que réduit ; par contre, les populations pauvres peuvent accéder à cette couverture-santé. Mais quel est l’intérêt des plus pauvres dans cette opération ? D’abord, ils peuvent, individuellement et par ignorance de la véritable incidence d’une pathologie, espérer échapper au sinistre ; en cas de survenance de l’aléa, ils vont y faire face à ce moment-là sulement. Le point important pour eux est leur taux d’actualisation implicite, qui met en balance d’une part la certitude d’une série de paiements échelonnés dans le temps (les primes ou cotisations) avec un accès aux soins à prix réduit en cas de sinistre et d’autre part le fait de subir éventuellement le sinistre, mais seulement de façon éventuelle, sans avoir d’assurance-santé, ce qui à un coût beaucoup plus élevé, mais dans un futur plus ou moins éloigné. Si la cotisation est plus élevée, les risques couverts sont plus nombreux, mais la population susceptible de pouvoir cotiser est bien plus étroite, et les plus pauvres n’en font plus partie. Le risque implique une gestion très fine et attentive, car les comportements sont réactifs aussi bien aux co-paiements trop élevés qu’à des garanties trop généreuses. Enfin, si l’on veut toucher les pauvres, à force de négocier les prix auprès de la structure de santé et de multiplier les pathologies exclues de l’assurance, il est probable que 12 La viabilité des systèmes de micro-assurance santé – Christian RIETSCH d’une part, la production de santé ne soit plus une « bonne affaire » pour la structure de santé et que celle-ci ne fournit plus alors qu’une prestation dégradée, et d’autre part, pour l’individu assuré qui se focalise sur les exclusions et les primes versées, qui n’y trouve plus son compte : dans les deux cas, le système d’assurance-santé « explose ». En zone rurale, il convient de faire attention à la saisonnalité des revenus alors que dans le secteur informel c’est à l’irrégularité des revenus qu’il convient de porter attention, car on note un manque de synchronisation entre les périodes de versement des cotisations et celles de rentrée des revenus. 13 La viabilité des systèmes de micro-assurance santé – Christian RIETSCH Conclusion La micro-assurance cible effectivement les exclus de la protection sociale, plutôt que les populations pauvres. Dans la plupart des régimes d’adhésion volontaire, la capacité financière effective de la population joue un rôle déterminant : ce sont les plus solvables des exclus qui sont susceptibles d’adhérer. Les problèmes posés sont multiples : • D’abord, le système ne saurait fonctionner que là où il existe une structure médicale organisée, ce qui continue de laisser de côté de nombreuses zones rurales qui en sont dépourvues, et ceci même si les structures sont prévues (et non fonctionnelles) et que l’adhésion est obligatoire (mais non réalisée). • On peut ensuite observer que les ONG et les structures religieuses qui sont à l’arrière-plan de la structure médicale ne sont pas toujours neutres. • En outre, on peut remarquer qu’il existe beaucoup d’éléments non remboursés (petites maladies, tickets modérateurs divers sans compter les paiements divers qu’il faut faire), ce qui diminue aux yeux de l’assuré l’intérêt de l’adhésion. • Enfin, comme les individus n’ont plus d’autre choix dans leur entreprise ou dans leur zone d’habitation, ils sont bien obligés d’en passer par là où le veut leur gouvernement et là où les attire ou les oblige à se présenter la structure de santé à laquelle ils sont affiliés. Un dernier point est à noter, qui à nos yeux, constitue le plus lourd défaut de ce type d’approche : le système d’assurance–santé, tel qu’il est organisé, connaît à la fois des chevauchements et des zones vides : des chevauchements, car un individu peut potentiellement être couvert par son entreprise ou son ministère et via, son église, être couvert une deuxième fois, voire une troisième par la collectivité villageoise dans laquelle il réside 6 ; des oublis, car les centres de soins sont absents de certaines zones géographiques rurales peu denses. 6 On observe le mélange des regroupements par quartier, par classe d’âge, par sexe, par activité, par clan ou groupe ethnique, par entreprise … Par exemple, en Côte d’Ivoire,: MUGRACE (La Mutuelle générale des résidents d'Abobo centre - Commune d'Abobo), CARD (Le Cercle des amis de la rue de Dimbokro - Commune de Marcory), AMIBA (L'Amicale de la Bagoué-Commune de Koumassi), MC 36 (L'Amicale des mamans du Canal 36 - commune de Yopougon), Les Intimes (Les Intimes du nouveau quartier)… Au Burkina, il en est de même : Dakwena MHO (Mutuelle Dakwena), Famille Tounouma (Mutuelle pharmaceutique de la sainte famille Tounouma), MUATB (Mutuelle des agents du Trésor du Burkina) ou bien pour le Cameroun : AFFERAZY (Association des filles et femmes ressortissantes de l'arrondissement de Zoétélé à Yaoundé), Babouantou (Caisse de solidarité Babouantou de Yaoundé), BACUDA (Batibo Cultural and Development Association), MNE (Mutuelle nationale de l'Education) MPOUAKONE, MUPEHOPROMA, Les Amis (Association des amis clan d'âge n°13), NSO-NGON, POOMA (Yaoundé), SAWA (Association des ressortissants Sawa de Yaoundé), ou encore au Sénégal : Mutuelle des volontaires de l'éducation, FAGGU (Mutuelle FAGGU), Lalane Diassap (Mutuelle de Lalane Diassap) Dimeli Yof, Multi Assistance de l'Education, Mutuelle Sococim Entreprise, Fandene, FISSEL, KOUDIADIENE, Ménagères de Grand Thiès, Mont Rolland, Ngaye Ngaye, Saint JeanBaptiste, Sanghe Darou Salam, Mboro, Pamdienou Lehar, Nimzatt-Kaolack, RJOK (Regroupement de jeunes ouvriers de Kaolack), Bok Jef, Keur Maloum, Koundam, Mutuelles des enfants de la rue… 14 La viabilité des systèmes de micro-assurance santé – Christian RIETSCH Bibliographie Aliber M. & Ido A., (2002) Microinsurance, Case study for Burkina Faso, Working paper n°29, BIT (ILO), Genève Aghion B.A. de et Morduch J., (2005), The Economics of Microfinance, MIT Press Atim, C., (mars 2000), « Contribution des mutuelles de santé au financement, à la fourniture et à l’accès aux soins de santé : synthèse de travaux de recherche menés dans neuf pays d’Afrique de l’ouest et du centre », USAID, BIT, WSM, ANMC Belgique, Bruxelles Bennett, S., Creese A., and Monasch R., 1998. 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