Correction-Exercice

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Correction-Exercice
Exercice – dans l’extrait suivant du début d’une émission diffusée sur la station Europe 1, et sur la base
de la rencontre entre le journaliste-animateur Frédéric Taddéi et l’humoriste Florence Foresti, on
s’efforcera de dégager :
(a) les marques de prise en compte du public (comme tiers symbolisant) dans l’entretien et
l’installation de l’interaction ;
(b) les indices de construction du cadre proprement interactionnel de l’échange sur le plateau ;
(c) la sous-catégorie d’entretien public dont relève l’échange radiodiffusé.
Europe 1 – Regarde les hommes changer – 30 août 2008 – Animateur F. Taddéi – invitée : F. Foresti
vm
vf
FT
FF
FT
FT
FF
FT
FF
FT
FF
FF
FT
Jingle chanté « europe 1 »
parlons-nous
parlons-nous
jingle musical de l’émission
Frédéric Taddéi
Florence Foresti
regarde les hommes changer
Jingle
bonjour Florence Foresti:
vous êtes humoriste vous êtes ma première invitée de la
saison
bonjour
ah
une nouvelle saison donc le samedi mati::n=vous avez débuté à Lyon en 1998 avec les
Taupes-models 5 ans plus tard vous / étiez au Point virgule et puis encore 5 ans plus tard
vous voilà au Palais des Sports de Paris pour quatre soirs du 24 au 27 septembre alors euh
je sais > qu’on a l’habitude de vous dire que vous avez fait une carrière fulgurante < moi
j’ai envie de vous demander si vous_avez pas trouvé ça long
(rire) ben presque (rire)
c’est vrai ? dix ans pour passer du cabaret du café théâtre
lyonnais au Palais des Sports de Paris c’est long ?
mais oui:
c’est raisonnable c’est raisonnable c’est le cours naturel des
choses c’est vrai que pour les gens ça peut sembler fulgurant parce qu’évidemment pour eux
on débarque dans leur salon euh à la télé comme ça du jour au lendemain
parce que vous êtes vraiment devenue célèbre au bout de cinq ans en fait
Légende jingle musical de l’émission
Correction de lʼexercice
Les indications sur lesquelles portent les questions de l’exercice relèvent en fait des observations de
base qu’ont développées les procédures d’analyse du discours (cf. cours de l’an dernier sur
l’énonciation). Je ferai référence également à la terminologie et à certains aspects des outils de
l’analyse de conversation. Ainsi utiliserai-je la notion de tour de parole.
a) Les marques de prise en compte du public comme tiers symbolisant
La cohérence textuelle de l’extrait : on commencera par examiner les clôtures liminaires d’un
document dont on ne trouve ici qu’un court extrait transcrit. Ce dernier se termine (par choix arbitraire
de l’analyste) à la fin d’un mouvement d’entrée en matière au terme duquel on vient de présenter
l’invitée et lui poser une première question sur son parcours professionnel. Par ailleurs, il commence
avec une série d’éléments introducteurs, en amont de l’émission elle-même, qui lui sert à la fois
d’annonce et de préface globale. Ce point nous importe donc plus directement pour rendre compte de
la construction du lien à l’auditoire. Les dimensions musicales (jingle) et vocales (sous des formes
chantées, chantonnées, sussurées, parlées…) se mêlent dès cette phase. Après le jingle chanté de la
chaîne (« Europe 1 »), la reprise en écho : « parlons-nous » trace un premier programme global d’une
émission vouée à la parole, à l’écoute et au dialogue, à travers une injonction participative (usage de
l’impératif de première personne du pluriel). Puis, faisant suite aux premières mesures du jingle
musical de l’émission elle-même, on entend la voix des deux participants qui déclinent leur identité
patronymique. Le présentateur-animateur divulgue ensuite le titre de l’émission, tandis que le
générique musical se prolonge.
On dissociera, pour rendre compte des fonctionnements internes les macro et les micro-structures sur
lesquelles repose l’ensemble de l’émission et plus spécifiquement l’extrait à étudier.
- macro structure = un acte de langage : quelle est la retombée illocutoire de l’interview ?
- micro-structures : un certain nombre d’énoncés organisent le passage
Nous reviendrons en b) sur les caractéristiques interactionnelles de l’échange Florence Foresti et
Frédéric Taddéi (respectivement FF et FT).
En réalité, il faut les déterminer comme autant de tours de parole, eux-mêmes construits sur la base
d’unités de construction de tour. Ils fonctionnent comme des appariements séquentiels :
FT
bonjour Florence Foresti:
FF
bonjour
On a l’habitude de traiter comme rituels sociaux ces enchaînements (cf. en particulier les travaux de C.
Kerbrat-Orecchioni) mais cette catégorisation peut induire en erreur si l’on y voit des produits un peu
figés dont on aurait bien du mal à trouver l’application systématiquement stéréotypée. Il s’agit bien en
fait de mouvements de production des formats énonciatifs, c’est-à-dire qui se rapportent à des strates
de subjectivité (les différents moyens et degrés par lesquels on assume ou on met à distance le contenu
de l’énoncé proféré) et de position interactionnelle (type d’inscription dans la relation à autrui). Cette
dimension conversationnelle souligne cependant les données qui relèvent plus directement aux
fonctionnements des échanges ordinaires en les contrastant avec les indices de l’adaptation aux
interactions en public et proprement médiatiques. Par exemple, le fait que le présentateur salue son
invitée en ajoutant son patronyme, donne ainsi à entendre une relation qu’on ne définirait
probablement pas de la même façon. Ainsi, les énoncés suivants relèvent-ils de catégorisations
particulières généralement absentes de toute conversation (et qui y paraîtraient même saugrenues) mais
qui pourraient par exemple (au moins du point de vue de leur morphosyntaxe : résumons, vous êtes
ceci, vous avez fait cela et vous prétendez à tel emploi…), prendre place au cœur d’un entretien de
recrutement :
vous êtes humoriste
vous êtes ma première invitée de la saison
L’effet de listage annonce une progression thématique dans cette phase de bilan biographique que
souligne la suite de l’entretien :
=vous avez débuté à Lyon en 1998 avec les Taupes-models
5 ans plus tard vous / étiez au Point virgule
et puis encore 5 ans plus tard vous voilà au Palais des Sports de Paris pour quatre soirs du 24 au 27
septembre
La série de propositions se construit en unités de construction de tour. Comme telles, celles-ci se
laissent définir en autant de micro-structures énonciatives : leur enchaînement se coule dans le passé,
ce qui correspond à un séquence narrative traditionnelle, cadrée par l’assomption biographique.
Cependant, l’exposé se déploie par ellipses temporelles successives livrées par des formules :
– la première : « 5 ans plus tard » est supportée par l’imparfait qui marque un état intermédiaire
(un point de chute en quelque sorte) avant le saut à l’épisode biographique suivant ;
– le point d’aboutissement à l’étape actuelle qu’annoncent les connecteurs : « et puis encore » et
le syntagme de datation (« cinq ans plus tard ») avant délivrance de l’expression déictique :
« vous voilà » ;
L’emploi des connecteurs est ici intéressant à dégager : et puis encore, cinq ans plus tard marquent la
séquence narrative de la biographie quand donc et alors assurent le redémarrage au présent d’actualité.
La première unité donne à lire une reformulation de reprise cataphorique (de la saison, une nouvelle
saison)
Une réorientation survient toutefois, avec l’incise qui permet de métacommuniquer sur l’émission ellemême. Il est intéressant de noter que la réaction de l’invitée (interjection : ah) accuse réception d’une
information qui lui est apportée et non déjà connue d’elle (ce que, par son silence ou des signes de
régulation, elle peut valider). La stratégie discursive du présentateur permet de la sorte de mettre au
jour des informations nouvelles pour le public – ou supposées telles –, pour l’invitée – ou du moins
données à lire ainsi par la réaction verbale. Par ailleurs, il est notable de constater que la concaténation
associe formellement et séquentiellement un niveau d’information destiné à l’invitée et un niveau
associé à l’émission, à caractère autopromotionnel.
FT
vous êtes ma première invitée de la saison
FF
ah
FT
une nouvelle saison donc le samedi mati::n
Cette indication situe le cadre de l’échange, en rappelant indirectement (et implicitement) la présence
des auditeurs. On notera que l’animateur divulgue aussi des informations qui peuvent aller de soi au
moment où elles sont émises mais qui apparaissent a posteriori comme autant d’expressions du
paramétrage temporel :
-
première invitée de la saison, s’explicite par : « le cadre de l’échange est celui d’une
émission radiophonique qui débute ce jour là une nouvelle saison » (ce qui excède d’ailleurs le
cadre temporel pour donner le site d’accueil) ;
-
une nouvelle saison donc le samedi matin : après l’expression de la redondance, on
précise la plage hebdomadaire et temporelle de l’émission.
Ces énoncés renvoient à l’espace médiatique lui-même, du moins dans sa dimension symbolique (il
n’est pas fait référence à la réalité physique du studio, de la régie, etc.). En dépit de la réaction
d’enregistrement (et de régulation) de FF, ces informations sont donc clairement destinées au public :
c’est sa fidélisation qui est recherchée à travers le rappel du rendez-vous hebdomadaire.
Dans le passage suivant, enfin, la position du présentateur peut-être vue comme « habitée » par
l’opinion publique (et donc au moins une partie de l’auditoire) sous la forme : on a l’habitude de vous
dire. Le verbe introducteur je sais atteste de cette prise en compte, tout en maintenant la posture d’une
mise à distance.
alors euh je sais > qu’on a l’habitude de vous dire que vous avez fait une carrière fulgurante < moi
j’ai envie de vous demander si vous_avez pas trouvé ça long
FF
(rire) ben presque (rire)
FT
c’est vrai ? dix ans pour passer du cabaret du café théâtre lyonnais au Palais des Sports
de Paris c’est long ?
FF
mais oui: / c’est raisonnable c’est raisonnable c’est le cours naturel des choses c’est
vrai que pour les gens ça peut sembler fulgurant parce qu’évidemment pour eux on débarque dans leur
salon euh à la télé comme ça du jour au lendemain
FT
parce que vous êtes vraiment devenue célèbre au bout de cinq ans en fait
On notera qu’en retour, FF, répond en intégrant l’allusion au on comme référence à son propre public
(les gens, pour eux). Nous allons développer le traitement interactionnel de ce point dans le paragraphe
suivant.
a) les indices de construction du cadre interactionnel (en studio)
Les déictiques
L’extrait présente un certain nombre de déictiques, c’est-à-dire d’éléments linguistiques verbaux qui
embrayent sur le réel en indiquant les propriétés de la situation de communication (l’interlocution,
l’espace, le temps). Ils tracent le cadre même de l’interlocution et doivent à ce titre être relevés.
On relève d’abord les termes appellatifs : les premiers sont utilisés en auto-désignation, avant le
premier échange de l’émission, alors que le jingle du générique défile :
FT FF
Frédéric Taddéi
Florence Foresti
Les marques de salutations (bonjour Florence Forresti / bonjour) constitue en elles-mêmes des
indices évidents d’ouverture de l’interaction.
Viennent ensuite les indices personnels qui réfèrent directement aux interlocuteurs : dans ce court
extrait, le pronom vous est employé à neuf reprises par Frédéric Taddéi, le journaliste-animateur et
désigne Florence Foresti, qui, de son côté, ne fait pas recours au pronom personnel ici. Ajoutons que le
je n’est utilisé que par le journaliste (du moins dans ce début d’émission). Sans tirer de conclusions
trop rapides, on peut toutefois noter que le déséquilibre est bien dû à la place interactionnelle de
chacun :
-
FT est l’animateur en titre et s’adresse à FF pour la questionner sur son actualité artistique et
commence par présenter son parcours professionnel. La mise en scène des informations passe
par le jeu de l’interlocution dans la mesure où les mêmes données biographiques auraient très
bien pu être divulguées à la troisième personne, comme dans le cas d’un reportage ou de
l’introduction en studio à une interview réalisée précédemment (et / ou ailleurs). Mais ce serait
bien évidemment en l’occurrence faire peu de cas de l’invitée, présente face à l’interviewer. Il
s’agit d’un choix radiophonique assez fréquent qui s’oppose à une démarche du genre : « je
vais vous (= le public) présenter mon invitée. Il s’agit de Florence Foresti qui, etc. ». Dans ce
cas, au lieu d’être allocutée, l’invitée serait délocutée, du moins avant la série de questions
directement adressée. Au contraire, dans le dispositif qui nous occupe, c’est le public qui
disparaît de l’espace de parole : tout se passe comme si on effaçait le lien interactionnel avec
lui mais dans une visée inverse de la situation de délocution évoquée précédemment. En fait, en
permettant au public d’être épieur, on le place derrière (ou aux côtés) de l’intervieweur, pour
faire corps avec lui en quelque sorte, ce qui permet d’opérer un rapprochement avec
l’animateur. Du coup, la distance avec l’invitée s’amenuise d’autant.
-
FF répond sans recourir au pronom ni aux marques d’allocution. Elle assume d’abord le rôle de
l’interviewée dans un cadre conversationnel ordinaire. Toutefois, bien qu’elle formule un avis
personnel à travers diverses marques d’évaluation, ses prises de position personnelle se font
hors des marques pronominales habituelles de subjectivité. Ainsi, l’emploi de l’impersonnel :
« c’est raisonnable » (à deux reprises), « c’est le cours naturel des choses », « c’est vrai que
pour les gens »… marque une distanciation, une recherche d’objectivité. D’un autre côté, la
référence au public se fait de façon plus éloignée encore à travers « pour les gens », « pour
eux », « dans leur salon », « à la télé »… Par ce format délocutoire, FF assume clairement la
position interactionnelle d’interlocutrice du seul FT, à l’exclusion du tiers absent : les auditeurs.
Ceux-ci sont toutefois clairement représentés selon une orientation bienveillante puisqu’une
concession à leur ressenti supposé est émise dans les propos de l’invitée (pour les gens ça peut
sembler fulgurant parce qu’évidemment pour eux on débarque dans leur salon […] comme ça
du jour au lendemain)
On remarquera sur ce dernier point que l’absence du pronom je va de pair avec une certain façon
d’assumer l’image de soi (l’ethos) sous une loi conversationnelle dite de modestie. Le on (dans « on
débarque dans leur salon ») recouvre en effet la figure spécifique de l’invitée mais prise dans un
vedettariat plus large qui tend à banaliser son cas particulier.
D’un autre côté, l’indice de subjectivité de FT donne la tonalité globale de l’émission : l’animateur
assume son rôle de responsable, au sens médiatique de l’échange et donne le « la ». Son occupation
professionnelle de l’espace médiatique est d’ailleurs notifiée assez rapidement à travers l’expression
symbolique du possessif (vous êtes ma première invitée de la saison). Par la suite, le pronom personnel
accentué moi, immédiatement suivi de l’indice pronominal de première personne je exprime un point
de vue assumé comme dissocié. La dissociation qui intervient entre on (« on a l’habitude de vous
dire ») et la forme accentuée moi je (« moi j’ai envie de vous demander ») est au fond exactement
inverse de l’usage trouvée chez FF. Au passage, notons que l’animateur évoque plus probablement ses
collègues intervieweurs que le public dans son ensemble (sauf peut-être au titre de la médiation
journalistique de l’opinion) alors que l’invitée y fait préférentiellement référence dans sa réponse (« les
gens », « pour eux »).
Les termes de localisation spatiale et temporelle
L’utilisation de l’indicatif présent permet d’embrayer sur la situation en studio, par opposition par
exemple à la carrière passée de l’invitée (au passé composé : vous avez débuté, vous avez fait, vous
avez pas trouvé ça long ou à l’imparfait : vous étiez)
On peut considérer que ce qui se passe sur la scène médiatique (du studio) est donné à entendre ce qui
revient à en assurer la publicisation (donc relève globalement du point traité en a)). Il faut cependant
en distinguer les marques de captation qui seraient directement adressées au public.
Observons maintenant de façon plus détaillée ce qu’il advient de la première question posée. On
relevera d’abord qu’elle est préfacée par une forme concessive : alors euh je sais > qu’on a l’habitude
de vous dire que vous avez fait une carrière fulgurante
Le présentateur recourt ici à l’indéfini on, qui fait lui-même référence de façon relativement vague à la
fois aux autres journalistes/ interviewer et peut-être au public. L’énoncé formé par cette proposition est
prononcé selon un rythme plus rapide (phénomène noté dans la transcription par des chevrons) que ce
qui précède et que ce qui suit. L’assertion, introduite par le verbe de connaissance est donc clairement
traitée comme une donnée allant de soi. L’énoncé suivant est en revanche donné à lire, on l’a vu,
comme un point de vue dissocié :
moi j’ai envie de vous demander si vous_avez pas trouvé ça long
Le tour du présentateur se termine donc par une question, qui revêt la forme d’une interrogative
indirecte (subordonnée introduite par si). Une question relève des actes conatifs (au sens de Jakobson)
puisqu’elle implique un comportement subséquent de l’allocutaire en le transformant en locuteur. Il
s’agit de plus d’une formule interro-négative qui peut donner lieu préférentiellement à deux types de
réponse :
- une réponse de confirmation introduite par si ;
- une réponse d’infirmation introduite par non.
D’autres réactions sont évidemment possibles mais pas nécessairement prioritairement attendues dans
le cadre du format de tour et de contenu induits : réponse différée, évasive, hors sujet, mais aussi refus,
absence de réponse, demande de reformulation, d’explicitation…
Or FF répond par une formule évasive et d’évaluation ben presque dont la portée ironique, soulignée
par le rire renvoie à la fois l’ethos1 de l’invitée (comme humoriste professionnelle) et aux deux parties
du tour-question. En effet, à l’aune du tour ironique, on peut attacher une valeur positive à cette
réponse mais le caractère modulé par le choix d’un double évaluatif renverrait plutôt à la première
partie. Ce qui permet d’opter pour une telle interprétation réside, non dans les pensées (l’« intention de
communication ») de la locutrice en exercice mais dans les indices de réaction à sa propre intervention
(qui en sont, donc, les effets immédiats). Ainsi, la demande de confirmation de FT (c’est vrai, dix ans
pour […] c’est long ?) en elle-même atteste du fait que la réponse qui précède ne va pas de soi. Ici on
peut considérer que tel est le cas pour le présentateur/interviewer mais que c’est également vrai du
public … au moins aux yeux du précédent, à ce qu’il semble. On aura compris qu’il s’agit bien de
relever des indices qui manifestent des formats et des contenus attitudinaux, plutôt qu’il ne les
1
On entend par cette notion rhétorique là l’image de soi (à travers sa manière d’être, de parler, de se comporter), donnée en
public. Elle peut-être plus ou moins maîtrisée, plus ou moins feinte.
expriment, plus ou moins directement. À ce titre, donc, il apparaît que l’enchaînement avec la réplique
suivante de FF (mais oui : / c’est raisonnable […]) indique que le tour question de FT (c’est long ?)
peut être relu comme un recadrage, ce que la reformulation générique (du cabaret, du café théâtre
lyonnais au lieu de : à Lyon, avec les Tops modèles) et le rappel du point d’arrivée dans des termes
inchangés (Palais des sports de Paris) confirment, en soulignant le fossé scène de province / scène
nationale (de la Capitale).
c) La sous-catégorie dʼentretien public dont relève lʼéchange radiodiffusé
Cet entretien public radiodiffusé ressemble au « news interview » (généralement liée à un entretien
avec une personnalité politique ou sociale en rapport avec l’actualité) mais sait aussi s’en distinguer.
En effet,
- Il y a un format d’échange comparable : l’interviewer pose des questions, l’interviewée y répond ;
parfois le premier propose une assertion avant de formuler sa question ;
- chacun doit respecter le programme (l’agenda) prévu par le questionneur ;
- l’ouverture, la clôture, la gestion des tours est assurée par le questionneur ;
- chaque tour question se termine par une forme interrogative directe ou indirecte (distinction entre
oral et écrit) ;
- l’interviewée ne se précipite pas pour répondre dès le premier espace de transition repéré ;
Il y a peut-être des différences dans le sens où même si, dans les deux cas, le public est le véritable
destinataire (au-delà de l’intervieweur), contrairement à l’entretien politique, le portrait permet
davantage de prises de position du journaliste. Cela reste toutefois relatif et le plus souvent destiné à
susciter une réaction de l’invité.
- on note généralement un peu plus de régulateurs2 (du type : ah oui, mh mh…) dans les entretiens de
ce type que dans les interviews d’actualité politique. Dans ces dernières, il s’agirait davantage de
marquer que le public est le véritable destinataire. En revanche, le format intimiste de l’entretien
exhibe davantage de continueurs, dans la mesure où il n’est pas gênant que le public soit saisi comme
épieur.
En résumé, l’échange auquel se livrent les participants pourrait assez aisément être assimilé à une
conversation ordinaire, si l’on s’en tenait au caractère relativement frivole du ton, détendu et agréable
et de l’apparente improvisation des thèmes traités. Or, à y bien regarder, cette interaction est en fait
« recadrée » par diverses manifestations du rôle médiatique de l’interviewer, en particulier, et ce –
comme nous l’avons vu – dès le début de l’émission. Il s’agit donc clairement d’une interview
l'interview portrait (parfois dite culturelle), (cf. le modèle historique du genre à la radio : radioscopie
de J. Chancel) ou encore dite « vedettariat »,
« dont le propos concerne la vie des personnalités du monde du spectacle (acteurs, chanteurs, etc.). L’invité
plus ou moins « starisé » est contraint d’apparaître dans les médias et de faire bonne figure pour entretenir sa
notoriété ; il se prête avec plus ou moins de bonne grâce aux questions de l’interviewer qui cherche à le faire
parler de sa vie privée. Ce dernier, en effet, s’appuyant sur sa connaissance et fréquentation de ce même
milieu, utilise des stratégies discursives tantôt de connivence et de séduction (avec des animateurs type
Michel Drucker ou José Artur), tantôt de provocation, voire d’insolence ou de désinvolture (type José Artur,
Pierre Bouteiller, Guillaume Durand, Jean-Pierre Elkabach ou Gilbert Denoyan…) pour essayer de pénétrer
dans l’espace privé et l’univers d’intimité de l’invité3. On peut dire que ce genre livre à l’opinion publique un
2 Aussi
appelés « continueurs ». On le voit même dans les interviews faites dans le cours des journaux télévisés (exemple mémorable de dérapage lors
d’une interview de la comédienne Béatrice Dalle par Patrick Poivre d’Arvor).
3
ensemble d’appréciations à visée émotionnelle, apportant la preuve de son bien-fondé par « le plaisir
coupable »4 (Charaudeau 1997 : 204)
Dans le passage étudié, la mise au jour de la vie privée de l’invitée se limite certes à un aspect de sa
biographie, confiné à l’exposé – elliptique – de son parcours professionnel. La publicisation des affects
ou du ressenti de l’interviewée (par rapport à « l’opinion ») est donc contraint par les options du
présentateur-intervieweur (son « agenda »). Nous avons observé à ce titre un caractère un peu
provocateur de FT qui marque sa différence avec un choix donné comme circulant (celui de ses
« collègues » ?, d’une frange du public ?) et cherche à susciter un échange moins convenu. Il met en
avant .
Exercice complémentaire
Analysez la première minute d’une émission de votre choix en vous efforçant de dégager les diverses
marques qui signalent le genre discursif et les formats de positions.
4
« Coupable » parce que le contrat médiatique d’information est censé ne concerner que l’espace public. En lui faisant
découvrir l’espace privé des individus, les médias mettent le récepteur en position de « voyeur ».

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