Nanook of the North et le cinéma ethnographique

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Nanook of the North et le cinéma ethnographique
NICHOLAS SERRUYS
NAN O O K O F TH E N O RTH ET LE C I NÉMA
ETH N O G R AP H I Q U E : C I NÉD O C O U SYN EC D O Q U E ?
Résumé: Robert Flaherty produced the first documentary with a view to exalting the
survival of the fittest among the Inuit. Like many discourses on the other, this film is
at once celebratory and condescending. The director worked within a socio-historical
context that had faith in the ability of anthropology and cinema to document the other
in an objective fashion. But his perspective is romanticized through the lens of preestablished ideologies. This tension between reality and fiction generates both admiration for the film and denunciation of its preconceptions, of documentary practices
in general and of ethnographic discourse as a whole. However, to appreciate the
scope of Flaherty’s work, one must take into consideration his aesthetic intentions
and the limitations of the medium. Because of its inherently fragmentary character,
the cinematic apparatus always substitutes the part for the whole: the synecdoche
is integral to the “cine-doc”. Having carefully chosen to suspend a postcolonial critique, the author considers the narrative forms of myth and allegory as a means not
to apologize for the film, but rather to acknowledge its transcultural potential.
R
obert J. Flaherty, explorateur et ethno-cinéaste par excellence, conçut Nanook
of the North (Canada, 1922) dans l’intention d’exalter la lutte universelle et
incessante des êtres humains contre la nature tenace. Plus particulièrement, il
s’agissait de mettre en scène les épreuves que les autochtones (et encore plus précisément le héros Nanook et sa famille itivimuit) doivent endurer pour assurer
leur survie dans les conditions extrêmes du Grand Nord canadien. Dans l’histoire
du cinéma, ce projet ambitieux est considéré comme précurseur exemplaire du
genre qu’est le documentaire ethnographique.1 Mais, comme tout discours qui
s’occupe de la question de l’autre, l’œuvre de Flaherty n’est pas dépourvue d’une
« herméneutique » à la fois glorificatrice et condescendante. Dans ce type de
milieu sociohistorique, les disciplines de l’anthropologie et de la cinématographie
prétendent affirmer la capacité de documenter et d’interpeller l’autre de façon
respectueuse et objective. Toutefois, à l’image des récits de voyage des conquistadors de l’époque de Christophe Colomb, l’analyse de Flaherty est souvent
romancée. La tension entre la réalité et la fiction reste au centre de l’appréciation
et de la dénonciation de ce film en particulier comme elle l’est du genre documentaire en général, voire de tout discours ethnographique.
CANADIAN JOURNAL OF FILM STUDIES • REVUE CANADIENNE D’ÉTUDES CINÉMATOGRAPHIQUES
VOLUME 17 NO. 2 • FALL • AUTOMNE 2008 • pp 59-76
Il ne faut pas oublier que l’appareil cinématographique possède aussi bien
la capacité d’inventer par omission (et ainsi, éventuellement, de mentir) que
celle de représenter la réalité. Il est vrai que les procédés techniques du cinéma
sont réducteurs et ne permettent que de construire une interprétation et non de
documenter la réalité. Mais, il faut aussi tenir compte du contexte et des intentions de Flaherty, ainsi que des contraintes de réalisation, choisies ou imposées,
afin d’apprécier l’envergure du projet. En nous écartant prudemment du concept
postcolonial d’exotisme, c’est selon une comparaison entre le récit mythique et
le récit allégorique que nous voulons entreprendre non pas une apologie du projet
de Flaherty, mais plutôt une reconnaissance du potentiel transculturel qu’aurait
pu engendrer son œuvre.
En principe, ces deux approches narratives, c’est-à-dire le mythe et l’allégorie
– deux concepts qui concernent aussi bien la mise en œuvre de certains récits
en général que la production et la réception critique de Nanook of the North –,
se distinguent respectivement par la permanence et le provisoire. Comme le
remarque Darko Suvin: « le mythe se propose comme l’explication définitive de
l’essence des phénomènes ».2 L’allégorie, pour sa part, est didactique puisqu’elle
sert le plus souvent de présentation d’idées et de trame d’idées analogues à la
réalité empirique de l’audience ciblée. C’est en tenant compte de ces distinctions
terminologiques que nous croyons que la vie itivimuit est présentée comme une
prétendue vérité permanente et universelle alors qu’elle n’est que captée provisoirement par un médium mystificateur. La caméra fait preuve d’une perspective
limitée qui fige Nanook dans un « présent ethnographique » dépourvu de toute
notion d’historicité.3
Le mythe est un mode de représentation qui se veut universel et qui se prétend véridique. Sa trame narrative est censée relever – et révéler – des valeurs et
des mœurs propres à la communauté pour et par laquelle il est créé. Le mythe, que
ce soit dans le cadre d’une tradition orale ou écrite, sera tantôt mimétique, tantôt
symbolique. En littérature, il empruntera volontiers les voies de l’imaginaire.
L’allégorie, à la différence du mythe – spécifions-le afin de bien saisir le
principe du parallélisme fiction/réel qu’elle cherche à mettre en œuvre –, exige
toujours de la part du récepteur idéal une appréciation à deux niveaux d’interprétation. Le premier concerne le développement des personnages et le déroulement
des événements du récit. Le second demande que l’on constate un rapport direct
entre l’histoire esthétisée et la réalité empirique. Bien évidemment, ce rapport change
de valeur selon l’époque dans laquelle le texte est reçu. Si le texte est invariant, les
différents contextes dans lesquels il peut désormais s’inscrire varient. Ainsi, la
valeur allégorique est provisoire parce que l’interprétation de la signification du
récit est soumise aux transformations historiques. Il y a deux types d’allégorie.
L’allégorie explicite marque clairement, par le biais de marqueurs ou d’« embrayeurs rhétoriques, »4 le lien direct entre les deux registres en jeu (celui de la fiction
et celui de la réalité). L’allégorie implicite, pour sa part, rejoint en quelque sorte
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le mythe en ce que la valeur du constat – ou de la leçon, car, répétons-le, il s’agit
souvent de récits didactiques – est sujette à l’interprétation d’un récepteur idéal,
juge potentiel de la pertinence de la « morale », selon une époque définie.
L’allégorie ethnographique pose problème lorsqu’elle met explicitement en
scène une communauté qui est considérée comme primitive par rapport à la
communauté dite civilisée qui fait alors de l’autre une fabulation, en l’occurrence
selon le paradigme d’où provient et que promeut le regard cinématographique.
Certes, il y a d’importantes conséquences sur la réalité lorsque l’allégorie relève non
plus d’un fond inventé (tel celui des bêtes qui parlent dans La Ferme des animaux
d’Orwell) mais d’une culture existante exposée dans les limites de l’optique
ethnographique, optique qui présente un décalage foncier entre l’ethnographe et
l’ethnographié. Ce décalage se caractérise notamment (contrairement à la réalité
de celui qui documente) par l’incapacité du spectateur à poser des repères historiques. Ainsi, en figeant la temporalité de l’autre sous prétexte d’en donner un
aperçu totalisant, l’ethnographe compartimente l’identité de l’ethnographié en la
réduisant arbitrairement à quelques traits de caractère clés. D’où le titre de la
présente étude, qui cherche à comprendre l’ethno-cinématographie comme discours qui a nécessairement recours à la substitution d’une partie de la réalité
qu’il traite pour le tout : Le « cinédoc » envisagé comme une synecdoque.
Le point principal de notre étude sur le phénomène Nanook demeure la
notion d’authenticité dans la représentation culturelle, notion qui reste la problématique principale du domaine ethnographique. Interviendront dans un
second temps les enjeux théoriques et thématiques, qui relèvent de la rhétorique,
de l’esthétique et du postcolonialisme.
Avant d’aborder les grands thèmes de l’herméneutique et de l’interpellation
de l’autre, considérons premièrement les conditions dans lesquelles l’inspiration
de l’excursion de Flaherty se manifeste. Délégué par Sir William MacKenzie, le
gérant du projet de chemin de fer transcontinental The Canadian Northern,
Flaherty était habitué au climat nordique. Cherchant des dépôts de fer, il avait
fait, sur une durée de six ans, quatre déplacements dans les environs de la côte
de la Baie d’Hudson, de l’île Baffin et des îles Belcher.5
L’équipement cinématographique avec lequel il a été pourvu n’était qu’accessoire, simple ressource pour observer les territoires et ses habitants afin de se
procurer des fonds pour pouvoir continuer ses expéditions. Entre 1913 et 1914,
Flaherty tourne quelques 9000 mètres de métrage mais il perdra la documentation
dans un incendie à Toronto. Pourtant, à l’époque, ce n’était que de la documentation disparate, sans utilité narrative en vue. Flaherty admet même que l’incendie
lui a peut-être porté chance, en le motivant à retourner dans le Nord pour recréer
ce qu’auparavant il n’avait que documenté.6 Cette occasion de révision lui a permis
de réévaluer la manière dont il voulait présenter « ses Eskimos ». Les documents
filmiques sont ainsi devenus une priorité lorsqu’il s’est avéré qu’il n’y avait
qu’une quantité infime de fer dans le territoire exploré. Son énergie sera désormais
NANOOK OF THE NORTH ET LE CINÉMA ETHNOGRAPHIQUE 61
consacrée à la promotion de la culture inuit. Flaherty reçu, pour son film, le
financement enthousiaste de la compagnie Revillon Frères qui pratiquait déjà
le troc avec les Inuits. La distribution du film fut assurée grâce au soutien financier
de Pathé car les maisons américaines avaient refusé de financer le projet.
Le cinéma documentaire, tel que l’exploitait Flaherty, constitue une entreprise sémiotique tout à fait révolutionnaire. La conviction que ce moyen ne pourrait
jamais mentir ou être manipulé était fort présente. À cette époque, la photographie et le cinéma étaient considérés comme des « inscriptions scientifiques. »7 Ces
moyens servaient moins à représenter la rencontre de « nouvelles » cultures qu’à
régler les disputes territoriales qui existaient, de 1900 à 1910, entre les États-Unis
et le Canada.8
Ainsi, lorsqu’on tente de cerner le genre documentaire, la distinction entre
représentation et transformation demeure souvent floue. C’est pour cette raison
que Maya Deren reprend l’idée de la « technonature » chez Philippe Roqueplo:
« La réalité dont l’homme tire son savoir [...] a été amplifié[e] non seulement par
le développement d’instruments analytiques; elle est, de plus en plus devenue ellemême une réalité créée par les manipulations des instruments. »9
L’invention de Nanook se trouverait donc à mi-chemin entre la découverte
(l’observation et l’analyse) et la production (la synthèse).10 Les choix formel et
thématique de l’œuvre étant préétablis par diverses influences (dont la soutenance financière du projet et les attentes de Flaherty), il fallait aussi tenir compte
du plaisir du public à qui le film était destiné. Cette dernière obligation est un
élément décisif en ce qui concerne la manière dont l’Inuit est reçu et conçu par
le spectateur dit civilisé. L’accord établi implicitement entre le public et l’autorité
de l’anthropologue (ici Flaherty) oblige ce dernier à fournir une représentation
se conformant aux attentes du public. Autrement dit, il faut que la découverte
ou la production du réalisateur rencontre les notions préconçues du spectateur à
l’égard de l’ « Eskimo ».
Quoique le film de Flaherty ne représente pas une découverte spontanée,
car la production est prévue avant le tournage (le film est, rappelons-le, le résultat
d’un deuxième filmage), il est perçu par le public comme une seule et unique
expérience. De plus, certaines informations par rapport aux Inuits n’étaient pas
tout à fait nouvelles pour l’audience ciblée, car l’Inuit, comme on le conçoit à la
fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, est déjà connu dans le contexte de
l’exposition dans les cirques et les musées. Le contexte de réception du film à
l’étranger est déjà suffisamment documenté pour qu’il soit besoin de le commenter, ici, davantage.
L’image de l’Inuit, telle que la présente Flaherty, n’est donc pas une interpellation identitaire relative à la vie itivimuit, mais plutôt un renforcement
herméneutique de l’altérité qui convient aux attentes d’ailleurs. Pour Flaherty,
les Inuits représentaient un échantillon de notre passé, voire un mode de vie non
abîmé par l’empiètement de la civilisation. Mais, on se demande si son intervention
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Nanook of the North
(Robert Flaherty, 1922)
constitue elle-même un exemple de cet empiètement. L’ethnographie se veut-elle
salvatrice, c’est-à-dire rédemptrice, là où, paradoxalement, elle risque de s’imposer
négativement? Développons maintenant quelques éléments clefs de la dynamique
en jeu.
Du point de vue de l’authenticité ethnographique, la rencontre entre l’ethnographe et l’ethnographié reste problématique. Fatima Tobing Rony constate qu’il
y aurait un esprit de conquête et de possession qui accompagne l’exploitation du
médium. La caméra véhiculerait les idéaux coloniaux en imposant sa présence
et en clamant que tout ce qui frappe son objectif lui appartient. Dans l’optique
d’une critique postcoloniale, le film de Flaherty ne relève que les points positifs
d’une telle rencontre colonisatrice et les images que le film met en scène témoignent de cette approche bienveillante. Par contre, selon Siegfried Kracauer, qui cite
le journal tenu par le réalisateur et publié ultérieurement, l’intention de Flaherty
n’échappe aucunement à l’exotisme puisqu’il voulait rendre hommage à ce peuple
majestueux avant que la présence des étrangers (à part la sienne, bien sûr) ne le
fasse s’écrouler.11 Il reste encore à juger si la présence de Flaherty contribue à cet
écroulement. Pourtant, du point de vue esthétique et éthique, son document
dépasse largement les récits de voyage qu’ont produit ses prédécesseurs.
Du point de vue d’une critique postcoloniale, le film sert plutôt au renforcement candide des préjugés qu’à une révélation du méconnu. Ainsi se propage
la dichotomie « sauvage/civilisé » qui se manifeste dans le regard porté sur un
peuple dit primitif. Cette distinction s’appuie sur une pulsion de dissection figurative de l’autre, ce que Rony appelle la « taxidermie ». Pour pouvoir bien déceler
la nature du «specimen» qu’on cherche à reconstruire (par le biais des documents
employés pour sa désignation), il faut qu’on accepte sa mort.12 C’est seulement
à partir de cette perspective d’objectification qu’on pourrait le faire revivre. Pour
cette raison, s’impose à l’autre un présent constant qui prend la forme d’une vie
dépourvue de progrès technoculturel, ce qui signifie la mort pour ledit civilisé.13
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Rony emploie alors le mot taxidermie pour illustrer la tentative de réanimer le
corps du « sauvage » et pour analyser ce que, selon le réalisateur et son audience,
la société contemporaine a dépassé.14
On perçoit l’arrêt temporel de l’évolution de l’ethnographié – marqué
comme mode historique diamétralement opposé au développement progressif de
la culture dont la caméra est issue – comme la découverte ou la figuration d’une
mort subite imminente (non seulement celle du protagoniste lui-même dans le
film en question, mais, par là, de sa communauté). C’est au mérite du film de
réanimer ce corps en montant une séquence de nombreuses images fixes qui
redonnent vie à l’objet inanimé, le sauvant ainsi en quelque sorte. Certes la
réanimation est sélective, car l’action même de faire un montage d’images
disparates implique aussi un découpage, donc une interprétation de la part du
réalisateur. On pourrait ainsi rajouter à la notion de taxidermie chez Rony celle
de charcuterie.15
On retrouve une allusion parallèle à celle de la taxidermie dans la pensée
de James Clifford lorsqu’il aborde l’allégorie ethnographique, un projet anthropologique conçu en tant qu’exploration de la culture moribonde de l’autre afin
de révéler la nature vivante de la sienne. Dans le passage de l’oral à l’écrit, le
texte embaume l’événement, ou le témoignage, en supposant étendre et enrichir
sa signification.16 Cette approche se justifie en se présentant comme une ethnographie rédemptrice ou salvatrice, documentant et ainsi conservant une culture
qui est à la veille de sa chute.17
À partir de la supposition allégorique, on induirait que le témoignage d’une
société dite primitive illuminera la structure des modèles de la culture contemporaine.18 Encore une fois, c’est ainsi que l’ethnographie rédemptrice ou salvatrice se justifie et se félicite du progrès de son cheminement dans l’histoire: elle
conserve les qualités perdues d’une société en les redécouvrant par le texte, ou
dans ce cas, par le film. Cependant, l’importance du document finit souvent par
surplomber le contenu de son analyse. Comme l’a très justement remarqué
Andreas Motsch, c’est la division ou le déphasage historique qui sert à illustrer
la dynamique d’altérité entre l’ethnographe et son objet d’étude:
Dans la mesure où le monde dans lequel s’inscrit le texte ethnographique
est conçu comme profondément historicisé, alors que celui de l’autre est
considéré comme anhistorique, il est logique que ce discours présente
fréquemment le moment de la découverte de l’autre comme le plus
important dans l’histoire de celui-ci.19
Flaherty maintient que son film se prête à un traitement dialogique, en raison
de la collaboration avec les Inuits. Cette méthode de présentation est justement
l’élément qui lui a conféré la reconnaissance anthropologique et cinématographique. De surcroît, il compte parmi les pionniers du « cinéma de participation. »20
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Paradoxalement, c’est en employant l’artifice que le réalisateur croit réussir à
communiquer la vérité, par exemple en invitant les indigènes à feindre leur
propre vie quotidienne dans l’objectif de créer une narration « naturelle » et assez
concise pour répondre à ses besoins. La méthode était considérée « ethnographiquement juste » car les Inuits ont joué les rôles volontairement.21 Pour
justifier la manipulation de la réalité (ou, du moins, de la vraisemblance) à des
fins cinématographiques, Flaherty réclama « One often has to distort things to
catch its true spirit. »22 On revient bel et bien à la « technonature » de Roqueplo.
Pourtant, la présentation de Flaherty ne doit pas forcément se réduire à un pur
mensonge. Elle pourrait plutôt, par le biais de la collaboration, s’élever à une
nouvelle conception transculturelle du mythe chez l’Inuit.
Selon une critique postcoloniale, la nature monologique, et non dialogique
du film s’avère plus évidente car le médium recourt à une « scientificité » incontestable et ainsi à une seule évidence. L’évidence de la vérifiabilité du projet sert
non seulement à convaincre le spectateur étranger, mais aussi à persuader les
Inuits lorsqu’ils témoignent les résultats impressionnants. La caméra fait preuve
de l’interaction plaisante entre les deux parties impliquées, mais affirme-t-elle un
rapport entre égaux ou plutôt une tentative d’assimilation de l’une par l’autre?
Le journal de Flaherty pourrait bien élaborer un esprit colonial. En employant
fréquemment des adjectifs possessifs et des allusions aux animaux pour les interpeller, et en se qualifiant de « découvreur » de l’île qu’ils habitent, Flaherty révèle
sa propre tendance de condescendance envers les Inuits. Il ose même suggérer que
son identification comme membre d’un rang supérieur se trouve confirmer dans
l’estime qu’éprouvent ces derniers à son endroit, en écrivant qu’on l’appelait
« Angarooka » : le maître blanc.23 Par contre, selon une interview récemment entreprise avec un contemporain de Nanook, le nom par lequel on interpellait Flaherty
signifiait plutôt « le grand homme gaucher, »24 ce qui change la perception du
réalisateur par les Inuits.
L’esprit de cette réalité à laquelle recourt Flaherty serait légitime grâce à la
participation créative des Inuits. Le tournage des scènes de paysages est même
attribué à la sensibilité des habitants de l’île. Les prises de l’horizon sont aussi
à considérer comme des qualités redevables à la perspective de l’Inuit.25 Une
telle collaboration, comme la documentation écrite de Flaherty en témoigne, est
idéale pour l’intention anthropologique, mais il reste à interpréter la vérifiabilité
de ce qui est documenté. La conception qu’à l’Inuit de sa réalité est-elle véritablement conforme à la représentation qu’en fait le réalisateur? Est-elle aussi
simple et linéaire que le prétend Flaherty en y traçant des limites idéologiquement
marquées? À cet égard, Maya Deren, à la différence de ce que suggère Rony, relève
l’idée qu’il est impossible de capter la réalité surnaturelle que vivent les peuples
dits primitifs dans le cinéma documentaire; encore une fois le mythe et l’allégorie
ethnographique par laquelle on tente de le cerner sont incompatibles, voire
diamétralement opposés: l’un relève d’une vision généralisante tandis que l’autre
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a nécessairement recours à une corrélation métaphorique, à une remise en
contexte définie afin que le sens essentiel du message soit recevable pour
l’audience idéale à qui il est spécifiquement destiné.
Pour revenir à la question de la légitimité de l’interpellation, la défense de
Flaherty demeure dans la conviction que son invitation à laisser les Inuits
critiquer le film au fur et à mesure qu’on tournait les scènes était un moyen équitable de rendre juste son interprétation et sa représentation de leur identité. Il
semble vouloir suggérer que c’est pour le bénéfice de l’authenticité du film qu’il
cherche les conseils des Inuits, mais il est aussi possible qu’il ne cherchait qu’à
signaler à ses sujets – ses interprètes – leurs fautes dramatiques. Il est vrai que
la participation des sujets du documentaire renforce la méthode dite authentique
de Flaherty, mais il ne faut pas non plus prendre pour acquis que l’enthousiasme
à suivre telle ou telle directive signifie que l’interprétation de l’autre conçue par
le film est une représentation plausible de son identité. Autrement dit, l’idée que
le film représente autant la conception de soi itivimuit que la conception de
l’ethno-cinéaste à l’endroit de cet autre ne provient que des souvenirs idylliques
de Flaherty et de la critique anthropologique qui n’a que les souvenirs de
Flaherty comme sources.
En revanche, le réalisateur ne manque pas l’occasion de faire remarquer une
certaine contre-critique de la part des Inuits, ceux-ci se moquant du spectacle
comique que Flaherty produit avec tout son équipement cinématographique. Par
contre, il décrit que leur moquerie a été rapidement dépassée par la prise en
compte des effets éblouissants de la technologie, qui possèderait une puissance
étonnante, dépassant les savoirs et les compétences des Inuits.26 L’infériorité de
ces derniers en matière de connaissances et d’habiletés technologiques risque
alors de produire l’impression d’une certaine infériorité civile par rapport à la
société d’où la technologie provient. Il faut se demander si Flaherty essaie bel et
bien de promouvoir et de justifier la représentation d’une dynamique supérieure/
inférieure entre lui et « ses Eskimos » en posant ce complexe comme étant celui
des Inuits, ou s’il illustre tout simplement en anecdote l’étonnement de la nouveauté dans la rencontre avec autrui. Dans le premier cas, d’un point de vue
sémiotique, le savoir et le pouvoir du progrès scientifique viennent ainsi contraster
avec la stase fabulée de l’autre. Dans le second cas, Flaherty cherche tout simplement à mettre en lumière, de façon candide, la différence culturelle.
Il est toutefois important de signaler les distinctions marquantes et marquées entre les « Eskimos » (les sous-civilisés) et les troqueurs du Sud (avec qui
le spectateur est censé s’identifier). Ainsi, on peut bien circonscrire la rencontre
avec autrui, du moins telle qu’elle est scénarisée. La domination du « sauvage »
par le « civilisé » est non seulement relevée par la mise en scène des lacunes
technologiques, mais aussi par le portrait explicite de l’interaction entre les deux
parties. Il y a une séquence particulière qui démontre la supériorité de la société
de l’ethnographe dans le domaine des soins. Après avoir filmé deux enfants lors
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d’un repas consistant en graisse, il est signalé que l’un d’entre eux (qui s’est
délecté à excès) nécessite une guérison que seul le troqueur peut fournir. Les
étrangers sont alors plus aptes à soigner les maux qu’éprouvent les Inuits lorsqu’ils se servent mal de leurs dons. Il faut alors les surveiller comme des animaux
domestiques qui surconsommeraient instinctivement n’importe quel aliment qui
leur serait offert. D’ailleurs, un des outils que Flaherty emploie pour signaler le
clivage entre les sociétés en question est justement le rapprochement des Inuits
aux bêtes: ce n’est pas un hasard s’il existe de nombreuses occasions dans le film
où l’on juxtapose la famille en train de manger avec des gros plans de leurs
chiens qui grognent en souhaitant partager le repas de chair crue.
Mais, pour reprendre cette idée d’ignorance technologique – et éventuellement
culturelle – comme paradigme diviseur, on peut ajouter que le concept même est
inventé et propagé par Flaherty: l’époque dans laquelle le film est tourné témoigne
de l’introduction à une économie monétaire parmi les Inuits du Québec, car le
prix des fourrures augmente à leur point culminant. Ils étaient en fait bien habitués
à la présence d’objets technologiques comme des fusils, des gramophones et des
vêtements du Sud.27 Le fait qu’on montre Nanook mâchant un disque audio avec
la capacité analytique d’une bête atteste de la position condescendante de
Flaherty d’autant que c’est lui qui organise de telles scènes. En fait, les
séquences en question ont été formulées comme des annonces propagandistes
de la part de Revillon Frères, qui était concurrent de la compagnie de la Baie
d’Hudson.28 Leur thématique porte sur la notion de la rencontre harmonieuse
entre la sauvagerie et la civilisation à travers le troc, mais propose un ordre encore
plus raffiné: l’échange monétaire. En considérant le message dans cette perspective,
ce que l’on signifie par la civilisation est, en effet, la commercialisation–
paradigme qui, en l’occurrence, veut distinguer les effets de modernité méridionale
des coutumes indigènes septentrionales. Ce paradigme sert d’élément clef de
l’écart qui les distingue, non seulement sur le plan spatial, mais surtout temporel:
il est question de la commodification progressive de la société moderne par rapport au manque de ce phénomène chez l’autre; de la vision de l’autre comme
spécimen de son propre passé, fabulé comme antécédent universel, ethnographiquement allégoricisé.
Tenant compte des décalages fantasmés qui séparent les actants d’une
manifestation ethnographique, Catherine Russell propose une troisième voie historiographique pour concilier les deux extrémités diamétralement opposées de
l’appréciation des développements culturels répandus dans l’anthropologie.
Rappelons que le premier pôle, plutôt moderne, conçoit l’histoire dans son
ensemble comme étant linéaire, téléologique, inéluctablement sujette à un certain
mode de progrès que devrait suivre toute société, au rythme relatif de la société
donnée;29 deuxièmement, il y a celui, plutôt postmoderne, qui voit l’histoire (ou
plutôt les histoires) comme fragmentée(s), non téléologique(s), en perpétuelles
mutations et régie(s) par les caprices d’événements particuliers. Russell attribue
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le premier pôle, le moderne, à la vision de Baudrillard – vision éventuellement
dystopique car une certaine destinée historique la rend insurmontable –, tandis
que le deuxième, le postmoderne, serait conforme à la pensée de Benjamin – pensée
éventuellement utopique car munie d’un certain espoir de changement, voire de
survie par l’amélioration de la condition socioculturelle. En bref, il s’agit de mettre
en contraste la stase et la transformabilité dans la conception de l’histoire.
Tenant aussi compte de la notion des différences de perspectives sur l’histoire
empirique, ainsi que de leurs interrelations inéluctables–organisées selon la
conception de la réalité de l’observateur donné30 – Russell conçoit la multiplicité
de perspectives possibles comme autant de preuve d’un fond infiniment vaste, et
donc incernable dans son ensemble par une forme qui est limitée de façon inhérente. Ceci dans plusieurs sens: au niveau de l’appareil, le cadre s’impose, transformant
le paysage selon les limites prescrites par l’entremise du médium, c’est-à-dire
selon l’optique cinématographique. Sur le plan du contenu, les actants ne sauraient représenter un échantillon culturel complet et authentique en raison du
nombre inéluctablement restreint des participants et des événements documentés.
Ce qui est considéré digne d’inclusion dans le produit final l’est alors selon des
critères qui font abstraction de la rigueur d’une représentation culturelle exacte,
pour adhérer plutôt aux désirs scopophiliques d’une audience ciblée à cet effet.
Tout document historique, par les limites de sa forme et de son contenu privilégié,
ne saurait qu’être partitif.
Sur le plan du contenu, lorsque l’on procède par synecdoque, la représentation
d’une culture dans son ensemble par l’intermédiaire d’un ou de quelques-uns de
ses membres est réductrice, sinon expressément falsificatrice, voire même une
supercherie, du moins pour ce qui est d’un texte qui se veut exemplaire de
l’ethnographie proprement dite.31 Lorsqu’on fait du membre le plus héroïque de
la communauté le héros du film, le produit final ne saurait être qu’un aperçu
faussement emblématique de la lutte éprouvante pour la survie dans le Nord.
Nanook est censé exemplifier l’épreuve de sa communauté dans son ensemble,
mais ses exploits individuels, surtout tels qu’ils sont dramatisés selon la vision
qu’en avait Flaherty, ne peuvent que représenter une fraction infime de la réalité
quotidienne itivimuit et ce dans un registre foncièrement romancé. Certes,
l’exception – ou bien l’hyperbole – ne fait pas la règle. Par contre, en représentant
cet échantillon culturel d’une manière peu banalisée, sinon de façon exagérément passionnée, on voit malgré tout la pertinence – ou du moins l’intention –
de l’allégorie ethnographique: on fait aisément le lien entre cet acharnement
primordial de s’affirmer dans le monde (celui de l’ethnographié) et celui de
s’imposer dans l’esprit colonial (celui de l’ethnographe). Pourtant, s’il avait été
question de mettre en avant un sens d’authenticité, il aurait fallu aller au-delà de
la mise en parallèle binaire des singularités culturelles dont il est question (celle
de l’observateur et celle de l’observé). Pour ce faire, il faut reconnaître le bagage
idéologique et esthétique qui précède la rencontre interculturelle, ce qui risque
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de réduire toute tentative de représentation à un portrait caricatural, non pas
conforme à la société qui fait l’objet du document ethnographique, mais à la
vision déformée qu’en aurait la société qui l’observe.
Nous préférons donc proposer le mythe comme moyen de surmonter le
piège allégorique. Ce dernier risque de faire de la trame fabulée – celle qui représente la réalité de l’ethnographié dépassé – un miroir déformant, sinon magique,
pour la société avancée qui l’observe saine et sauve depuis la salle de cinéma.
L’autre reflète pour cette dernière des origines pour lesquelles on peut ressentir
de la nostalgie ou bien envers lesquelles on peut éprouver une arrogance: il s’agirait
d’une version insuffisante de soi; incomplète, dépourvue de progrès et donc
vouée à la mort. Mais au delà de cette perspective condescendante qu’on peut
reprocher à certaines approches ethnographiques, l’objectif réel de Flaherty était
moins de faire un témoignage anthropologique que de mettre en scène un drame
métaphysique, vraisemblablement (quoique partiellement) tiré de son expérience
réelle. Une poétique documentaire (dans le sens d’une représentation censément
objective et donc fidèle à la réalité devant laquelle on tourne son film) ne
convient tout simplement pas à son projet.
Certes, le réalisme narratif reste valable malgré tout, surtout en regard de
l’époque où les conventions cinématographiques restaient à inventer. C’est justement ce film qui a inauguré une phase historique de participation véridique dans
le cinéma dit documentaire. Toutefois, pour la sensibilité contemporaine – qui
bénéficie de l’expérience d’un siècle de cinéma – le film demande une indispensable remise en question. Pourtant, malgré les intentions foncièrement douteuses
qu’on peut reprocher à Flaherty en ce qui a trait à l’authenticité du récit, Russell
souligne le fait que le film persiste dans la culture inuit en tant qu’artefact de
valeur historique: il s’agit d’une représentation de la mémoire collective qui
transcende pour la première fois la tradition orale. Ce n’est pas pour autant dire que
l’on estime son contenu comme un témoignage clair et net, sans ambiguïté. Au
contraire, il s’agit tout simplement d’apprécier la teneur nostalgique et utopique
de l’œuvre tout en gardant à l’esprit un jugement critique qui tranche sur les
questions de l’esthétisation et du contexte réel de l’histoire empirique. Pour le
peuple itivimuit, le film devient ainsi, par le re-visionnage, la relecture et même la
recréation, un autre moyen de se reconstituer dans la représentation mimétique,
de se raconter en s’appropriant une perspective à la fois étrangère et familière.32
Laissons provisoirement de côté la problématique rhétorico-historicoidéologique du contenu du film et abordons sa forme. À plusieurs reprises,
Flaherty reconnaît qu’il favorise la création du film aux dépens de la représentation de la réalité inuit. Par exemple, les chasses, sur lesquelles nous reviendrons
sous peu, sont abandonnées et poursuivies pour des raisons techniques, dans le
but de les documenter ou de les dramatiser. C’est justement la raison pour
laquelle il faut revenir à la possibilité d’une apologie du projet, car au fond, ce
qu’on ignore souvent, c’est que c’était une entreprise de fiction, quoique plutôt
NANOOK OF THE NORTH ET LE CINÉMA ETHNOGRAPHIQUE 69
dissimulée. Reprenons un extrait du journal de Flaherty qu’omettent les critiques
parmi lesquels compte Rony. Il s’agit d’un accord établi entre le réalisateur et
Nanook au sujet de la chasse au morse, selon ce premier:
« Suppose we go, » said I in conclusion, « do you know that you and your
men may have to give up making a kill, if it interferes with my film?
Will you remember that it is the picture of you hunting the iviuk
[morse] that I want, and not their meat? » « Yes, yes, the aggie [film]
will come first, » earnestly he assured me. « Not a man will stir, not a
harpoon will be thrown until you give the sign. It is my word. »
We shook hands and agreed to start the next day.33
Certes ils ont réalisé un film narratif ensemble, mais qu’il s’agisse d’une
documentation légitime de la vie de ses personnages en général et de son héros
en particulier est autre chose. Dès qu’on cherchait à signaler ce défaut de la part
de l’explorateur, il fallait tout simplement qu’il recourût à son identité de salvateur
ethnographique; d’artiste; de tordeur et ainsi de révélateur d’une vérité inaccessible par les moyens conventionnels. La vraisemblance est effectivement un élément du projet dont il était tout à fait conscient et qu’il voulait exploiter.
D’ailleurs, en ce qui concerne la première épreuve, il constate, « I had learned to
explore, I had not learned how to reveal. »34 Nous voilà encore une fois au carrefour de la découverte et de l’invention. Cependant, en dépit de la crédibilité
éventuellement douteuse du film (et malgré le fait qu’il soit consciemment garni
de biais), il est certain que l’œuvre dépasse, sur le plan esthétique, tout document qui la précède.
Pourtant la position du réalisateur en tant qu’observateur est assez candide.
Flaherty se situe paradoxalement comme un membre intérieur de la communauté, mais aussi comme un étranger objectif.35 Quoiqu’il se reconnaisse comme
impliqué dans les procédés qu’il documente, il faut aussi que Flaherty nie son
rôle affectif dans la vie des Inuits en abandonnant l’idée qu’il existe une suite
historique pour le peuple du Nord.36 Cette non-reconnaissance de l’historicité de
l’autre nous ramène à la problématique du déphasage ou de l’allochronisme,
c’est-à-dire la négation du temps coéval37, ce qui distingue, répétons-le, le mythe
de l’allégorie, la permanence du provisoire, l’universel du particulier. La fabrication
de cette perspective de différenciation totale est évidente dans les séquences
d’excursion, lorsque Flaherty et « ses Eskimos » s’abordent à documenter le quotidien itivimuit. Par le truchement de sa propre distanciation, il crée pour les
Inuits un mode de vie qui lui convient, qui serait plus divertissant et apaiserait
plus facilement les attentes des spectateurs que s’il ne représenterait justement
le quotidien des Inuits.
Parmi les plus fameuses séquences de Nanook of the North, le tournage de
la chasse au morse, est le point culminant de la lutte pour la survie des plus
70 NICHOLAS SERRUYS
aptes que Flaherty cherche à glorifier. Mais c’est une lutte complètement fabriquée lorsqu’on la compare aux moyens réels que possédaient les Inuits pour
poursuivre une telle chasse. Le réalisateur évite délibérément de les aider dans
l’intérêt de documenter une lutte dite authentique: « ...the greatest fight I have
ever seen. For a long time it was nip and tuck — repeatedly the crew called for
me to use the gun — but the camera crank was my only interest then and I pretended not to understand. »38
Flaherty veut convaincre les spectateurs qu’ils sont témoins de la vie quotidienne des Inuits, mais c’est une pure mystification, voire une fabulation
allégorique explicite qui cherche inauthentiquement à évoquer une nostalgie des
origines. Depuis des années ces gens utilisaient des fusils, et non uniquement
des harpons, pour se procurer de la nourriture. Selon une critique postcoloniale,
le refus du réalisateur de fournir aux autres chasseurs l’arme requise est un double
mensonge: non seulement néglige-t-il sa responsabilité de faire sa part comme
membre inextricable de la bande de chasseurs mais, sous prétexte de rester observateur objectif et passif, il cache activement une de leurs ressources de survie
dans l’intérêt de sa propre fabrication de leur mode de vie. Son aveu de feindre
de ne pas comprendre mettrait en doute toute son interprétation de l’Inuit. La
présence de Flaherty est justifiée s’il demeure simplement « observateur », mais dès
qu’il admet le rôle qu’il joue en tant qu’agent qui contribue aux changements
dans leur vie, son influence enlève de la crédibilité à la supposée « pureté » de
ce qu’il documente. Cela est fort probablement la raison pour laquelle il insiste
pour exploiter l’ignorance technologique des Inuits, pour tenter de s’écarter de leur
niveau de vie dit primitif. En gardant l’autre dans le « présent ethnographique »
dont parle Fabian, il pense réussir à l’interpeller fixement, car l’autre ne pourrait
jamais transcender son sort.
La chasse au morse n’est pas la seule séquence consciemment falsifiée. La
pêche au phoque, quant à elle, n’est même pas une véritable chasse: on a créé
l’illusion d’une lutte, simultanément féroce et comique, entre Nanook et sa « proie »
en installant de l’autre bout de la corde à pêche, hors du cadre, un groupe
d’hommes qui tiraient périodiquement sur celle-là.
Mais, encore une fois, cette critique de l’inauthenticité des scènes ne tient
pas compte de l’intention créatrice de Flaherty. Il s’agit d’un malentendu qui
concerne la problématique de la découverte et de la production. Qui plus est, à
l’époque, la notion de documentaire n’était pas régie selon les règlements
actuels. Le film de Flaherty a servi de tremplin au genre avant que les conventions soient établies. Ces reproches rétrospectifs manquent donc de rigueur. Il
faut se rappeler de l’intention première du réalisateur: l’image de la chasse, et
non la viande de la proie (une intention dont tous ceux qui furent impliqués
étaient, semble-t-il, conscients).
En guise de synthèse, nous nous interrogerons toujours à plusieurs niveaux.
Le projet d’interpréter l’autre est-il futile en soi? Peut-on prêter la voix à l’autre
NANOOK OF THE NORTH ET LE CINÉMA ETHNOGRAPHIQUE 71
de façon objective, sans le réifier? L’objectif d’un récit d’altérité est-il tout simplement d’interpeller l’autre pour s’identifier en contraste? Certes, ce qu’un tel
exemple nous révèle, c’est l’impossibilité de définir ce que l’on n’est pas et l’inévitabilité d’admettre certaines qualités qui contribuent à faire de nous ce que l’on
est. C’est-à-dire que, en essayant de qualifier l’autre par rapport à nous-mêmes,
nous ne réussissons qu’à découvrir notre propre méconnaissance au lieu d’une
connaissance qui peut être assimilée à un autre. Les moyens qui sont censés faciliter l’entreprise de tels projets ne servent souvent qu’à la desservir. Le médium,
que ce soit un texte ou un film, ne réussit qu’à réduire toute « vérité ». Ainsi,
ce qu’il révèle ne peut être que fragmentaire, substituant inéluctablement la
valeur d’une composante par et pour la valeur du tout. Le « cinédoc » est donc
une synecdoque. De surcroît, la communication serait aussi gouvernée par un
biais favorisant une idéologie. Flaherty, malgré ses prétentions d’objectivité, ne
réussit pas à identifier justement son objet, mais révèle en revanche une interprétation et une interpellation fabriquées et parfois condescendantes. Il invente
une réalité pour le peuple itivimuit. L’idée que Nanook of the North soit une œuvre
documentaire, au sens où on l’entend aujourd’hui, est donc une supercherie.
Par le truchement de conventions propres au chronotope dans lequel il
s’inscrit, le cinéma documentaire d’ordre ethnographique se proposerait comme
un lieu privilégié où l’on puisse se représenter authentiquement une autre réalité
spatio-temporelle, même dépassée. La société à découvrir grâce à l’intervention
cinématographique sera dépourvue de la capacité d’autodétermination dont les
communautés dites civilisées bénéficient, d’où l’espoir ou le désespoir (déplacé
ou non) de cette première. Elle sera ostensiblement régie par une force téléologique que la société contemporaine, qui prétend guetter l’autre depuis un poste
d’observation lointain, aura surmontée en raison de sa logique entropique.39 Par
la liberté individuelle et la maîtrise de l’environnement, elle aura exercé des
choix effectués dans l’histoire, principalement en fonction des progrès scientifiques. Éventuellement, cette fenêtre sur un univers jusqu’alors inconnu donnera
tantôt lieu à la nostalgie d’un paradis perdu, tantôt à la pitié, à la honte ou au
mépris des origines dites primitives, sauvages.
La prétendue revivification du passé par l’appareil fonctionne à partir de la
supposition que l’objet qu’il capte est figé, voire mort. Cette insistance sur son
immuabilité est censée servir à crédibiliser l’envergure totalisante de l’outil
employé pour mener la représentation, et par là le contenu de l’enquête. Par
contre, dans l’œuvre qui nous concerne, nous postulons que la vraisemblance se
heurte aux limites de la poétique dans laquelle elle s’inscrit. Là où le mythe se
raconte en paroles qui se veulent globalisantes sans faire directement appel à la
réalité de son audience, l’allégorie explicite se tourne inéluctablement en images
partitives, prétendant capter l’essentiel du paradigme esthétisé dans l’intérêt
d’en superposer certains éléments sur le monde empirique, et vice-versa. Par
rapport à l’objet de son observation, partant de l’universel et aboutissant au
72 NICHOLAS SERRUYS
particulier, le cinéma documentaire ethnographique ne saurait que se livrer à un
traitement synecdoqual. Remaniant des fragments d’une sorte de témoignage, il
tente de restituer un tout malgré l’insuffisance des composantes à sa disposition.
Ainsi, il s’efforce de donner un aperçu total en faisant en sorte qu’un élément
choisi l’emporte comme point principal, comme fil conducteur qui prétend permettre une appréciation englobante de l’objet de l’œuvre.
On pourrait pardonner à Flaherty la naïveté de son projet, c’est-à-dire la
supposition candide qu’il se livra, par son témoignage, à une représentation parfaitement englobante et non partitive de la culture itivimuit. S’il avait suivi un
autre genre d’approche – en l’occurrence celle de l’allégorie implicite ou du mythe
– ou s’il s’était tout simplement contenté de conter l’histoire d’un héros dans
lequel on reconnaîtrait les mœurs et les valeurs du peuple dont il est membre,
l’œuvre aurait le mérite d’avoir exploité de manière innovatrice un terrain riche en
symbolisme. Le film aurait gagné en vraisemblance et la question de l’exactitude
ne figurerait pas au premier plan. De ce point de vue, la synecdoque serait moins
une faiblesse, voire une lacune dans la quête totalisante de véracité et d’authenticité, qu’une figure de style qui témoignerait, dans le cadre de la fiction et de
manière substitutive, de la façon dont une certaine culture se conçoit et peut être
conçue. Le film pourrait actuellement donner lieu à une réception ambivalente
en raison de la voie choisie.
C’est justement (et paradoxalement) les marqueurs de la rencontre qui
étaient censés légitimer la vraisemblance de la chose pour l’audience de l’époque.
Par exemple, on présentait l’Inuit, autrement dépourvu de matériaux et de technologies modernes ou même d’objets quotidiens reconnaissables par les spectateurs, confronté à ceux-là et manifestement étonné. Son enchantement devant
les merveilles du Sud sert à le différencier foncièrement des citoyens provenant
de ce lieu véritablement autre. Ainsi s’explicite la poétique de l’allégorie ethnographique. Mais, ces éléments déstabilisent son authenticité pour l’audience
contemporaine, cette dernière étant en principe plutôt instruite par rapport à la
critique de l’esthétique exploitée. Sa « documentation » se prête ainsi assez facilement à une interprétation post-exotique qui rangerait le film avec ceux relevant
d’un primitivisme quelque peu gratuit. En tant que document anthropologique,
exploitant inéluctablement l’allégorie ethnographique explicite (mettant en scène
l’interaction de l’ethnographe et de l’ethnographié), le film se présente orné d’un
certain biais dialectique qui prétend contrebalancer les mœurs dites primitives
des Inuits et celles de la civilisation du Sud qui leur est contemporaine au
moment de la parution de l’œuvre, tout en livrant un discours condescendant.40
Toutefois, un récit foncièrement fictionnel aurait pu faire de l’entreprise une
nouvelle forme de mythe, cinématographié, mettant en scène une histoire d’héroïsme exemplaire, éventuellement vraisemblable mais jouant plutôt sur le
registre symbolique. Ainsi, la lutte de l’être contre les conditions environnantes
imposées par la force de la nature – l’image dont Flaherty voulait justement que
NANOOK OF THE NORTH ET LE CINÉMA ETHNOGRAPHIQUE 73
sa caméra serve de témoin –, aurait pu tenir le coup. Elle aurait suscité moins de
questions sur la fiabilité du contenu, travaillant hors du contexte d’une poétique
qui prend souvent, et imprudemment, l’inscription du réel pour acquise. Une
approche mythique aurait permis au spectateur de suspendre volontairement son
incrédulité pour apprécier l’œuvre à un niveau fictionnel, qui contiendrait en
quelque sorte un élément de véracité. Mais une fois que les embrayeurs rhétoriques de l’allégorie ethnographique interviennent, des questions « métaévaluatives » (éventuellement inattendues), d’intentionnalité, d’interpellation, et de
représentabilité, apparaissent. Selon la sensibilité du spectateur, les questions
qui s’imposent à l’endroit des intentions derrière l’intervention explicite dans le
monde de l’autre peuvent bel et bien nuire à l’effet de réel, sinon décrédibiliser
ou délégitimer l’entreprise dans son ensemble en raison du déséquilibre ou de la
tension créée par la nette rupture entre les deux cultures en contact.
Pourtant, sans tomber dans un positivisme naïf, répétons qu’il ne faut pas
nier complètement la valeur du film. En tenant compte de son intention, telle
qu’explicitée dans le journal du réalisateur, nous pourrions nous demander si,
dans l’ensemble, Flaherty aurait été injuste malgré lui. S’il s’était tout simplement contenté de tourner les scènes artificielles, sans recourir à la mise en scène
de la rencontre (sinon la rupture) entre cette civilisation mystifié et la sienne, il
suffirait alors de classer l’œuvre parmi les mythes afin d’apprécier sa pertinence
esthétique. Par le biais de ce genre d’approche, Flaherty aurait peut-être évité de
poser un déterminisme allégorique et allochronique sur la société itivimuit, jugement que le spectateur critique d’aujourd’hui risque toujours de lui reprocher.
NOTES
Une esquisse du présent article a été présentée au 20ème congrès mondial du
Conseil International d’Études Francophones, « Francophonies et dialogues interculturels », à Sinaïa, Roumanie, le 25 juin 2006. À Caroline Lebrec, Andreas
Motsch, Daniel Vaillancourt et Michael Zryd, je tiens à exprimer ma reconnaissance pour leurs observations critiques et leurs conseils incontournables grâce
auxquels ma réflexion sur Nanook s’est enrichie au cours des années menant à
l’achèvement de cet article.
1.
Fatimah Tobing Rony répartit le genre en trois phases chevauchantes, que Russell résume
ainsi: le mode positiviste de la recherche scientifique (l’idée d’archiver les cultures en
disparition avant qu’il ne soit trop tard) ; le mode taxidermique ou revivificateur institué
et canonisé par le film de Flaherty en 1922 ; et le mode de l’exploitation commerciale.
Catherine Russell, Experimental Ethnography: The Work of Film in the Age of Video
(Durham and London: Duke University Press, 1999), 12. En réclamant la « maîtrise » de
l’appareil et en exploitant le réalisme narratif, le mode taxidermique prétend pouvoir
représenter de façon authentique les cultures d’ailleurs, les réalités autres.
2.
Darko Suvin, Pour une poétique de la science-fiction : Études en théorie et en histoire
d’un genre littéraire (Montréal: Les Presses de l’Université du Québec, 1977), 15.
3.
James Clifford, “On Ethnographic Allegory,” in Writing Culture: The Poetics and Politics of
Ethnography (Berkley, Los Angeles, London: University of California Press, 1986).
74 NICHOLAS SERRUYS
4.
Henri Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique (Paris: Presses Universitaires de
France, 1998), 412.
5.
Robert J. Flaherty, “How I Filmed Nanook of the North,” in Filmmakers on Filmmaking,
Harry M. Geduld, ed. (Bloomington: Indiana University Press, 1967), 56-57.
6.
Ibid., 57.
7.
Brian Winston, “The Documentary Film as Scientific Inscription,” in Theorizing
Documentary, Michael Renov, ed. (New York: Routledge, 1993), 37-57.
8.
Fatimah Tobing Rony, “Taxidermy and Romantic Ethnography: Robert Flaherty’s Nanook
of the North,” in The Third Eye: Race, Cinema, and Ethnographic Spectacle (Durham,
NC: Duke University Press, 1996), 110.
9.
Alain-Alcide Sudre, Dialogues théoriques avec Maya Deren : du cinéma expérimental au
cinéma ethnographique (Paris: Éditions l’Harmattan, 1996), 238.
10.
La présente étude n’abordera pas la problématique de “l’invention,” telle que l’entend
Derrida, mais nous reconnaissons toutefois son apport : “Inventer, c’est produire l’itérabilité et la machine à reproduire, la simulation et le simulacre.” Jacques Derrida, “Psyché,
invention de l’autre,” in Psyché, inventions de l’autre (Paris: Éditions Galilée, 1987), 47.
11.
Siegfried Kracauer, Theory of Film: The Redemption of Physical Reality (New York: Oxford
University Press, 1960), 273-274.
12.
Rony, 101.
13.
Élément qui implique la supériorité du possédant selon le paradigme dont l’ethnographe
est originaire.
14.
Rony, 101.
15.
Par ailleurs, c’est une image qui relève aussi pertinemment de la critique iconographique
de la pornographie. Voir plus loin la pertinence qu’y donne Catherine Russell en parlant
de son rapport à la zoologie dans le cadre de l’ethnographie, 119-156.
16.
Clifford, 115-116.
17.
Ibid., 112.
18.
Ibid., 110.
19.
Andreas Motsch, Lafitau et l’émergence du discours ethnographique (Paris: Septentrion,
Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2001), 139.
20.
Cette approche, ainsi nommée rétroactivement par David MacDougall, désigne la
collaboration entre l’observateur et l’observé. À la différence du cinéma d’observation,
qui – en guise d’authentification – cherche à dissimuler la présence de la caméra (et
donc d’un créateur), il s’agit de reconnaître consciencieusement le rôle du médium par
l’intermédiaire duquel l’œuvre existe, ainsi que l’interaction collaborative entre le réalisateur
et l’objet de son film. David MacDougall, “Beyond Observational Cinema,” in Principles of
Visual Anthropology (Hockings, Paul, ed. New York: Mouton de Gruyter, 1995), 115-132.
21.
Rony, 116.
22.
Cité dans ibid., 116.
23.
Ibid., 120.
24.
Nanook Revisited (Canada, 1988, Claude Massot).
25.
Rony, 115.
26.
Flaherty, “How I filmed Nanook of the North,” 60.
27.
Rony, 109.
28.
Ibid., 113.
29.
Par contre, comme nous le voyons chez Clifford, Fabian et Motsch, ce décalage temporel
entre certaines sociétés se révèle encore plus déstabilisé par l’idée d’un déphasage temporel total entre l’ethnographe et l’ethnographié, la société du premier est en perpétuelle
évolution tandis que celle du second stagne, sans la possibilité de se rattraper. Du point
de vue du premier, la réalité du second, sans progrès, est en chute inéluctable.
NANOOK OF THE NORTH ET LE CINÉMA ETHNOGRAPHIQUE 75
30.
Notion chère à Clifford.
31.
Quelles que soient les intentions du projet ethnographique, représenter une communauté
(celle d’un autre ou bien la sienne) de façon réellement complète et objective est a priori
une tâche inachevable, voire impossible. Pourtant, la reconnaissance de ce fait est une
importante étape préalable à de tentatives esthétiques plus rigoureuses. À ce titre,
Russell propose, sans pour autant régler la chose définitivement, l’ethnographie
expérientielle ou expérimentale. Cette dernière serait un moyen de combler (en partie)
le vide laissé par le genre de projet issu de l’ethnographie classique (projet trop ambitieux
en raison de son aperçu rétréci, qualité dont il veut justement faire abstraction pour promouvoir l’idée d’une vision englobante, sans qu’on se rende compte de sa construction).
À la différence de cette approche rusée, les deux approches que juxtapose Russell, celles
de l’ethnographie et de l’expérimentation, se complémentent, l’une par souci d’évaluer le
discours même de la représentation culturelle et l’autre en fournissant un mode de discours
non conventionnel et donc apte à révéler, et à relever de, ce genre de méta-évaluation
(Russell, xii).
32.
Ibid., 113.
33.
Robert J. Flaherty, My Eskimo Friends: Nanook of the North (New York: Doubleday, Page,
1924), 134.
34.
Flaherty, “How I filmed Nanook of the North,” 57.
35.
Rony, 118.
36.
Ibid., 110.
37.
Johannes Fabian, Time and the Other: How Anthropology Makes Its Object (New York:
Columbia University Press, 2002 [1983]).
38.
À ce moment-là, on avait quasiment immobilisé la bête à coups d’harpon. Il ne restait
qu’à la tuer à coups de balles–la méthode choisie des Inuits de l’époque–, malgré ce
que prétend le film en leur ôtant cet outil moderne. Flaherty, “How I filmed Nanook of
the North,” 59.
39.
Pour un approfondissement des notions de temps narratologiques, voir Hayden White,
Metahistory: The Historical Imagination in Nineteenth-Century Europe (Baltimore: John
Hopkins University Press, 1973).
40.
Encore, nous considérons ce discours comme étant condescendant en raison des scènes
absurdes qui prétendent présenter l’étonnement et l’émerveillement chez les Inuits visà-vis de la technologie qui les dépasse ; en raison de la mise en parallèle de ces êtres
humains avec d’autres espèces animales, etc.
NICHOLAS SERRUYS est doctorant en littérature dans le Département d’Études
françaises à l’Université de Toronto. Sa thèse s’intitule « L’art de la dissuasion :
la métamorphose idéologique dans la science-fiction québécoise contemporaine ».
Un de ses articles sur la SFQ a été publié en 2007, sous les auspices du Centre
d’Études et de Recherches sur les Littératures de l’Imaginaire (CERLI, Université
de Paris XII), et un autre est à paraître dans un proche avenir, dans la revue Voix
plurielles (Université Brock). Il est membre du CERLI, de la Society for Utopian
Studies et de L’Association des littératures canadiennes et québécoise. Il participe
également à la revue Solaris en tant que chroniqueur.
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