Oscar s`en va en guerre

Transcription

Oscar s`en va en guerre
Oscar s’en va en guerre
« Ce soir dans votre ville », et « Oscar » sont les seuls mots qui résonnent dans la tête
d’Anselme lorsque les médecins l’interrogent sur son passé. Ces derniers constataient à
chaque fois certaines agitations dans le comportement du vieillard. Ce dernier devenait
tourmenté à leur évocation et se montrait nerveux tout en serrant le petit nœud rouge qui
ne le quittait plus depuis son admission. Ce jour d’entrée dans une résidence inconnue
l’avait meurtri et rendu son regard vide et sans émoi.
« Fichez-moi la paix, allez au diable et puis Oscar va venir… » Hurla- t’il aux hommes en
blouses qui l’entouraient. La visite de sa femme et de ses enfants ne l’apaisait pas, en les
voyants, il se terrait dans un silence de mort et avait tendance à être agressif lorsqu’un de
ces protagonistes devenait affectueux envers lui. Il arrêtait sur le champ l’élan de l’inconnu
par des cris stridents.
Chaque hurlement faisait se précipiter l’infirmière qui le calmait et le rassurait. Comme à
chaque crise de son patient, elle interpellait l’individu et lui faisait signe de sortir rapidement
et précisait que « ce n’était pas le bon jour, que ça ira mieux demain». Une habitude pour
Gina de serrer son patient lorsqu’il était pris de panique en voyant des étrangers l’appeler
papa. Dans l’entourage d’Oscar, tout le monde savait pour sa maladie mais personne ne
voulait la nommer de peur de l’attraper à leur tour. Sa progression était lente et elle
sacrifiait peu à peu de nombreux souvenirs. Le présent n’était qu’un vaste brouillard. Dans
ses moments de lucidité il aimait conter des histoires à son infirmière qui avait su
l’apprivoiser. Elle se posait régulière à son chevet et écoutait les traits d’esprit de l’homme.
Mais ce jour- là, Anselme ne retrouva pas son calme habituel et attrapa le bras de la jeune
femme : « J’ai tué Oscar ». Gina ne réagit pas à cette annonce. Mais il réédita ses propos en
précisant :
« Nous sommes en 1945, j’ai 12 ans. C’était la période de Noël, il faisait nuit très tôt dans
ma ville de bord de mer, Guéret…non… Guérande vous connaissez ? La Bretagne est
magnifique. Je me souviens des remparts, cette impression d’être au temps des chevaliers.
L’habitude d’être pendant quelques minutes Lancelot du Lac dans les marais salants. Nous
nous battions puis nous cherchions le graal dans les dunes de notre contré mais surtout sur
la grand place. Une grande table y séjournait. Mais un jour notre paysage fut défiguré par
une tente, ils appelaient ça un chapiteau… » Le cœur d’Anselme s’emballa et le monitoring
sonna.
-« C’est surement une nouvelle crise » pensa Gina en se levant et en appliquant les soins
habituels, tel un robot. Sa vie n’était qu’une succession de gestes mécaniques qui n’avait
plus d’attraits à ses yeux. Alors lorsqu’un vieillard sénile commençait ses tribulations, elle
acquiesçait sans grande conviction. Elle voulut ajuster un branchement lorsque Anselme
l’empêcha de poursuivre son mouvement et la fit rassoir et continua son récit : « non je me
souviens… » S’écria-t- il en faisant sursauter son auditrice et poursuivit :
« Mes parents m’ont emmené dans ce grand chapiteau. Un homme s’était lancé le défi de
divertir quelques villes de France après la guerre. Saint Nazaire avait été pour nous une vraie
plaie. La guerre s’était prolongée pour nous et nous n’avions que peu de visites d’étrangers.
Mes parents avaient entendu parler du passage d’une troupe, un divertissement inattendu
pour toute la famille et qui avait pour but de nous faire oublier nos morts. J’étais torturé et
je n’avais pas trouvé ma place dans cette guerre. Comment pouvais-je aider les Français ?
Mais surtout que devenait mon frère ? Il m’envoyait des lettres du front pour me rassurer et
me donner un aperçut de ce que je manquais en me comptant les déboires de ses frères
d’armes ou encore d’un chef qui lisait à leur régiment les lettres de sa femme et de ses
maitresses. Qu’il avait de la chance mon frère ! Sa vie était plus palpitante que la mienne…
Pensais-je à l’époque. Moi, je me contentais d’imaginer et j’attendais son retour avec
impatience. Il parlait des aventures romanesques d’un cheval qui lui avait sauvé la vie à
plusieurs reprises en se couchant avec lui et en faisant le mort pour échapper à une attaque
surprise des Allemands.
Vous savez, son régiment avait disparu et mon frère pensait être le seul rescapé. Le pur sang
portait des munissions supplémentaires, il avait été dressé pour garder les munitions en lui
et il les expulsait par ses excréments, un véritable soldat avec des sabots. La moindre chute
de l’étalon pouvait être fatale au cavalier et de son compagnon de quatre pattes. Plus tard
mon frère m’indiqua la séparation de cet ami d’infortune pour cause de subordination. Le
cheval avait en effet déjecté sur les bottes du général. Mais pour service rendu à la nation il
ne fut pas abattu.
Ces récits me remplissaient de bonheur, je faisais la guerre et vivais à travers lui alors un
spectacle de forains ne me réjouissait pas. Etre un enfant en base arrière ne me contentait
pas et les nouvelles distrayantes de mon frère se faisaient de plus en plus rares. Pour faire
plaisir à ma mère terrorisée, je m’assis sous cette tente et le spectacle démarra. Des clowns
faisaient leur show, puis des jongleurs prirent place avec leurs bâtons enflammés. Mais ce
dont j’attendais avec impatience étaient bien sur les dompteurs de fauves. Ont pu voir les
lions, les chevaux se succédés. Je fus subjugué par leur volupté, leur chorégraphie. Tout me
rapprochait de mon frère.
Un cheval brun, élancé et gigantesque. Sans que je m’en rende compte, des larmes avaient
rempli mes yeux. Mes parents me regardèrent et me proposèrent d’accepter la demande du
dompteur de le rejoindre pour son numéro. Tous pensaient que j’avais peur, mais la peur
n’existe pas dans le cœur des chevaliers.
J’acceptai et le seconda tout en étant troublé par un détail et m’approchais de l’étalon. Il
était marqué. Le public commença à rire comme si cette situation fasse parti du spectacle. Je
me mis à crier, ce qui effraya le cheval qui tomba. Je ne me souviens plus de ce qui se passa
ensuite.
Mes parents me cachèrent longtemps la vérité mais ce que je peux te dire Gina, c’est que je
venais de tuer le seul objet vivant qui avait approché mon frère… Oscar.
Le cheval dressé pour la guerre qui était entré dans ma vie pour quelques minutes. Deux
semaines plus tard je recevais un télégramme pour me dire que mon frère avait succombé à
ses blessures le même soir qu’Oscar.
Vous savez Gina tous les contes de fées commencent par « il était une fois « et le cirque par
« ce soir » ? Ce que je peux dire, c’est que ce soir là dans ma ville j’ai tué un héros de la
guerre et le dernier ami de mon frère.