Comment offrir un EMBA à l`étranger

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Comment offrir un EMBA à l`étranger
ENTRETIEN
Comment offrir un EMBA à l’étranger ?
Gaëtan Tremblay s’entretient avec Benoît Bazoge, Directeur du MBA pour
cadres, ESG UQAM, en mars 2008.
Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com
Gaëtan Tremblay (GT) — Quel programme votre école de gestion offre-t-elle à
l’étranger ?
Benoît Bazoge (BB) – L’École des sciences de la gestion (ESG) de l’Université
du Québec à Montréal (UQAM) offre un programme d’EMBA (maîtrise en
administration des affaires pour «exécutifs») depuis presque 30 ans à Montréal et
depuis une dizaine d’années à l’étranger. Ce programme, appelé MBA pour cadres,
s’adresse à des cadres en emploi d’une moyenne d’âge de 38 ans. Il s’agit d’un
programme de 45 crédits nord-américains composé de 5 modules de 3 cours (15
cours de 36 heures). Les cours sont donnés sur deux ans les vendredi-samedidimanche. Le programme se décline en MBA profil général et en une dizaine de
spécialités sectorielles (technologie, services financiers, immobilier, etc.). Il se
donne dans plusieurs constituantes de l’Université du Québec (UQAR, UQAT,
UQO) et dans une douzaine de pays (Mexique, Pérou, France, Pologne, Équateur,
Rep. Dominicaine, Maroc, Algérie, Tunisie, Mali, Sénégal, Chine, Vietnam), tant en
français qu’en anglais et en espagnol. D’après les sources ministérielles, il s’agit du
plus grand MBA au Québec. Il s’agit probablement également du programme de
MBA canadien le plus internationalisé. A la fin 2007, plus de 1 000 étudiants étaient
inscrits, tant à Montréal qu’à l’étranger.
GT – Comment expliquez-vous le succès durable de ce programme ?
BB – Le succès de ce programme provient de plusieurs facteurs :
– le régime à temps partiel permettant aux cadres d’étudier tout en continuant à
travailler ;
– le profil des enseignants qui ont la double compétence académique et
intervenant en entreprise ;
– la pédagogie basée sur des cas réels en entreprises (en plus de cas rédigés) ;
– la structure par module (qui oblige à aborder une entreprise selon plusieurs
disciplines en même temps) ;
– les spécialités sectorielles (technologie, services financiers, etc.) et non
fonctionnelles (finance, marketing, etc.) ;
– la langue d’enseignement qui se prête aux clientèles locales (français en
Tunisie, espagnol au Mexique, anglais en Pologne, par exemple).
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Le succès du programme à l’étranger provient également du fait que le diplôme de
MBA est encore perçu comme un diplôme prestigieux hors d’Amérique du nord et
que le modèle d’affaires utilisé permet une rentabilité certaine pour le partenaire qui
héberge le MBA pour cadres de l’ESG UQAM.
GT – Quelles ententes avez-vous avec les pays d’accueil ?
BB – Les ententes de partenariat sont négociées par le service des relations
internationales de l’UQAM et ultimement signées par le recteur. Elles spécifient les
conditions académiques et financières, ainsi que le terme du contrat. Une évaluation
de l’entente a lieu avant tout renouvellement.
Le MBA pour cadres délocalisé à l’international relève d’un Comité de
développement et d’évaluation des MBA internationaux, sur lequel siège le Doyen
et le Directeur du service des relations internationales de l’UQAM. Son rôle est de
nommer les coordinateurs pays et d’approuver l’ouverture des promotions à
l’étranger, ce qui inclut le développement de nouvelles ententes ou la
recommandation de terminaison de certaines ententes. Le comité a également pour
rôle d’établir des critères de sélection des enseignants à l’international.
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GT – Comment votre programme est-il géré ?
BB – Le contenu du programme, le choix des professeurs, les conditions
d’admission, la sélection des étudiants, les normes d’évaluation, l’émission et la
remise des diplômes, l’impression des relevés de notes, etc. relèvent exclusivement
de l’ESG ou de l’UQAM. L’étudiant qui suit son programme au Mexique reçoit
exactement le même enseignement qu’à Montréal (à part la langue d’enseignement)
et doit respecter exactement les mêmes exigences qu’à Montréal. Il détient une carte
d’étudiant de l’UQAM, il s’inscrit au même programme, il bénéfice des
enseignements des mêmes professeurs, avec les mêmes droits et obligations qu’un
étudiant québécois.
La gestion du programme à l’étranger est la responsabilité du directeur du MBA
pour cadres. Il est assisté d’un coordinateur à l’international et d’une assistante
payés à même les redevances reçues des partenaires étrangers, ainsi que d’un souscomité à l’admission. La programmation des cours et la sélection des professeurs
relève d’un responsable pour chaque pays, nécessairement professeur à l’ESG. Il
suit en cela les normes et critères de sélection établis par le Comité de
développement.
GT – Comment est géré le programme à l’étranger ?
BB – Le partenaire, qui est choisi parmi les meilleures universités ou écoles des
pays concernés, joue le rôle de distributeur de la formation donnée par l’ESG :
promotion du programme, hébergement des étudiants et facturation des droits de
scolarité aux étudiants. Son rôle est donc un rôle administratif et logistique, et non
académique (sauf en cas de double-diplôme). La gestion quotidienne du programme
est assurée par un directeur de programme de MBA local, assisté d’un coordinateur.
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Ils effectuent le lien entre les étudiants, le coordinateur pays à Montréal et les
professeurs en déplacement. Occasionnellement ils peuvent être en contact avec un
autre partenaire de l’UQAM pour envoyer un étudiant reprendre un cours auquel il a
échoué dans un pays limitrophe sans attendre que le cours se redonne dans le pays
d’origine de l’étudiant.
GT – Comment s’effectue la prestation de l’enseignement ?
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BB – Sauf dans certains cas de double-diplôme (comme par exemple avec
l’Université Paris-Dauphine ou Warsaw School of Economics1) où les cours sont
partagés entre les institutions, les cours sont normalement assurés par les
professeurs permanents de l’ESG UQAM qui se déplacent dans les pays concernés.
Sur un total de 225 professeurs disponibles à l’ESG UQAM, une quarantaine
interviennent régulièrement dans les programmes à l’étranger. Ils sont tous titulaires
d’un Ph.D. (doctorat). Très peu d’enseignants vacataires enseignent à
l’international. Le contenu des cours, les enseignants, les examens, les corrections,
le suivi des étudiants, bref toute la partie académique relève uniquement de l’ESG
UQAM qui garantit ainsi la qualité de sa formation et de son diplôme. Dans ce
programme, la pédagogie utilisée est particulièrement interactive et l’expérience des
cadres est utilisée pour nourrir les séances de cours.
Pour minimiser les frais de déplacement des professeurs québécois, les cours
sont donnés en format intensif, généralement sur 2 week-ends consécutifs de 3
jours, plutôt qu’un week-end tous les mois. Les étudiants étrangers reçoivent donc
exactement le même contenu que s’ils étaient à Montréal, seul l’horaire des cours
diffère.
GT – Quelle utilisation faites-vous des technologies de l’information et de la
communication ?
BB – Comme pour n’importe quel étudiant de l’UQAM, un étudiant localisé à
l’étranger dispose d’un accès à son dossier d’étudiant, à la bibliothèque et à ses
relevés de notes par le web, via son matricule d’étudiant et son mot de passe. La
bibliothèque virtuelle dispose de bases de données donnant accès à des centaines de
milliers d’articles en format full text, téléchargeables et imprimables. La mise à
disposition des documents de cours (plan de cours, transparents, exercices,
références, etc.), le suivi des étudiants (échanges avec le professeur) et la remise des
travaux se font par l’intermédiaire d’une plateforme électronique (Moodle). Avec
certains partenaires disposant de la technologie appropriée, la soutenance du projet
d’intégration final se fait par vidéoconférence.
1. Ces deux institutions sont classées respectivement 4e (derrière HEC Paris, ESCP et
l’INSEAD) et 1re (devant London Business School) dans leur pays quant à la qualité de leur
EMBA (Classement SMBG 2007 et W-Prost 2007).
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GT – Comment s’effectue la tarification de l’enseignement ?
BB – De par sa mission d’accessibilité, l’UQAM choisit d’offrir son MBA pour
cadres au Québec en se prévalant de la subvention gouvernementale (qui couvre
environ 80% du coût total de la formation). Comme les établissements étrangers ne
bénéficient pas de la subvention ministérielle québécoise, ils facturent les étudiants
à un prix compétitif sur le marché local (comme les universités nord-américaines
qui choisissent de « privatiser » leur programme en refusant la subvention
gouvernementale afin de facturer les frais de scolarité de leur choix). Les frais de
scolarité peuvent varier beaucoup, selon que le programme est offert en France ou
en Chine, par exemple. La rémunération des enseignants est assumée par les
partenaires, selon un montant fixe indiqué dans l’entente. Elle est identique quel que
soit le pays et similaire à celle d’un cours donné dans une université québécoise. Les
partenaires doivent également verser des redevances à l’UQAM en fonction du
nombre d’étudiants inscrits au programme.
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GT – Quels sont les principaux problèmes que vous rencontrez dans l’offre de
votre programme à l’étranger ?
BB – Bien que le MBA pour cadres de l’ESG UQAM soit donné à distance dans
plusieurs pays, les problèmes liés à la distance sont largement diminués par le
déplacement sur place des professeurs et du coordinateur pays. L’étudiant n’a
d’ailleurs pas vraiment l’impression d’être formé à distance puisqu’il n’est
confronté qu’à deux types d’intervenants : le partenaire local pour l’administration
du programme et les professeurs de l’ESG UQAM qui viennent à lui pour la partie
académique. Il a toujours accès à un «humain», à l’exception des suivis par la
plateforme Moodle.
L’expérience accumulée au fil des années nous permet de classer les problèmes
de ce type de formation à distance selon trois catégories :
1. Les partenaires
Il peut arriver qu’un partenaire n’assure pas son mandat correctement, par
incompétence, économie ou profit personnel. Il en va de l’image de l’institution
délivrant le diplôme de prendre des mesures appropriées immédiates, dont demander
d’améliorer les conditions d’accueil des professeurs, exiger d’arrêter d’enfreindre
les copyrights de documents, de recommander le remplacement du coordinateur
auprès de la direction de l’université en question ou, plus radicalement, de mettre fin
à l’entente.
Les partenaires retenus devraient être soumis à des critères de sélection, comme
être financé par le Ministère de l’Éducation local, avoir un grand bassin d’étudiants,
avoir signé d’autres accords de partenariats avec des institutions reconnues, etc. Il
semble raisonnable de choisir les partenaires selon au moins deux critères : le
prestige du partenaire ou le potentiel d’aide au développement local. Dans un pays
d’Afrique noire, nous avons pu former une grande partie de l’élite du pays, dont
plusieurs ministres, par exemple.
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2. Les étudiants
Bien que tous les étudiants étrangers passent par le processus de sélection
normal (y compris une entrevue avec le directeur du MBA local), certains s’avèrent
de niveau insuffisant en langue écrite ou orale (quand le programme est donné en
anglais auprès d’allophones par exemple) ou ne sont pas prêts à étudier
suffisamment. Certains ont tendance également à jouer sur les délais de remise de
travaux, le professeur étant «loin». D’autres peuvent être incités à tricher, certaines
cultures locales étant plus tolérantes à ce fait.
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Même si cela réduit les revenus du partenaire (et les redevances de l’institution
délivrant le diplôme), il ne faut pas hésiter à exclure les étudiants. C’est grâce à cette
rigueur que les programmes deviennent recherchés.
3. Les professeurs
Les professeurs qui enseignent à l’international le font en sus de leurs activités
normales. Ces sollicitations répétées pour voyager, bien qu’elles soient appréciées
au début, se traduisent avec le temps par une certaine fatigue (morale et physique).
Ceci est particulièrement vrai pour les pays lointains pour lesquels le professeur
«perd» plusieurs journées de transport. Rapidement les meilleures ressources
professorales s’amenuisent et il faut les remplacer par des professeurs moins
performants. Tout développement de programme à l’étranger doit se faire avec une
banque de professeurs en tête.
Quand certains programmes se donnent dans une langue moins commune
(espagnol pour des francophones par exemple), les ressources sont rares. Il faut le
prévoir longtemps à l’avance, quitte à inciter certains à prendre des cours de langue.
Finalement les professeurs sont impliqués dans une multitude de projets (cours,
conférences, etc.), ce qui peut les rendre indisponibles à certaines périodes de
l’année. Il faut toujours prévoir une flexibilité dans les périodes et les horaires pour
se plier à des changements de calendrier de dernière minute.
Certaines universités ont tenté de lancer des programmes similaires en recrutant
des ressources professorales locales. Le modèle n’a pas su convaincre les étudiants
locaux, probablement parce que ceux-ci recherchent l’expérience nord-américaine.
Il faut donc utiliser avec modération des enseignants qui ne viendraient pas de
l’institution diplômante d’origine.
GT – Quels développements futurs envisagez-vous ?
BB – Le grand succès de ce programme à l’étranger montre qu’il est possible de
former des étudiants en déplaçant le corps professoral plutôt qu’en déplaçant les
étudiants. Cette formule pourrait certainement être répétée avec d’autres types de
programme, pour autant que les frais de scolarité permettent de couvrir le
déplacement des professeurs et les frais de l’institution hôte. Ce devrait être plus
facile avec les programmes de formation permanente qu’avec les programmes de
formation initiale.
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D&S – 6/2008. Internationalisation des programmes
Bien qu’il nous paraisse utopique de vouloir rendre l’enseignement purement
virtuel en utilisant les technologies de l’information, nous voyons la pédagogie de
l’avenir comme davantage hybride (présentiel et à distance). Le transfert
d’information pourrait être réalisé de façon électronique ; le présentiel étant réservé
aux questions, débats et échanges d’expérience. Les outils de web 2.0 devraient
devenir plus centraux à l’enseignement, tel les wikis gérés par les étudiants euxmêmes. Ils permettraient de mettre en contact des étudiants de pays différents qui
pourraient travailler sur les mêmes concepts et les enrichir par leur propre culture et
modes de fonctionnement respectifs. L’obstacle d’aujourd’hui n’est pas la
technologie, mais le degré d’appropriation de cette technologie par des professeurs
qui n’ont pas été habitués à l’utiliser. Elle devrait rentrer en force avec les
changements de génération.
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Annexe 1. Contenu du programme, voir aussi www.mba.esg.uqam.ca
MBA8400 Statistiques et prise de décision (rappels)
Module 1 : Le gestionnaire et l’entreprise
MBA8402 Environnement macroéconomique de l’entreprise
MBA8410 L’individu et l’organisation
MBA8412 L’information et la technologie de l’information
Module 2 : Gestion commerciale et financière
MBA8414 Information comptable et financière
MBA8415 Gestion financière
MBA8416 Marketing
Module 3 : Gestion de la production des biens et services
MBA8417 Gestion des opérations
MBA8418 Gestion des ressources humaines
MBA8419 Technologie de la décision
Module 4 : Management stratégique
MBA8421 Le contexte économique et sociopolitique
MBA8422 Stratégie d’entreprise et concurrence
MBA8439 Simulation en gestion
Module 5 : Activité de synthèse
MGP7900 Gestion de projets
MBA8425 Commerce international
MBA8448 Projet d’intégration