La dynastie Khitan (Liao) : une double identité

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La dynastie Khitan (Liao) : une double identité
La dynastie Khitan (Liao) : une double identité
Pierre Marsone
Pendant plus de deux siècles, depuis le début des Cinq dynasties jusqu'à la
chute des Song du Nord, la dynastie des Grands Khitans (Da Qidan ^H?
ft), plus connue sous le nom de dynastie Liao jlf (907-1125) a dominé une
vaste région qui recouvrait une grande partie du nord-est de la Chine actuelle et de la Mongolie ainsi qu'une région qui s'étendait du nord du
Shanxi au nord du Hebei, incluant notamment les actuelles villes de Pékin
et Datong. En dépit de son importance géographique et politique, cette dynastie reste peu connue et étudiée, ce qui s'explique certes par le caractère
limité des sources, mais aussi par le fait que l'histoire officielle chinoise
est peu encline à s'attarder sur des dynasties dominées par des populations
non han.
L'émergence dans le monde chinois d'une dynastie non han donne
généralement lieu à un ensemble « d'influences culturelles » réciproques
nettement disproportionné au sein duquel, de façon très générale,
l'envahisseur barbare adopte la civilisation chinoise, son écriture, ses lettres, son administration, ses techniques, sa pensée et sa religion, apportant
tout au plus, en contrepartie, quelques influences dans les motifs artistiques,
l'art culinaire ou les vêtements. Si cette présentation, dans les grandes lignes, peut être étayée, la réalité s'avère nécessairement plus riche
* Pierre Marsone est Maître de conférences à l'École Pratique des Hautes Études.
Etudes chinoises, vol. XXIII (2004)
Pierre Marsone
et complexe. Sans prétendre élaborer une théorie, les pages qui suivent visent à entreprendre une réflexion sur la façon dont se réalise le phénomène
d'acculturation durant les premières décennies de la dynastie khitan et
comment les Khitans apparaissent partagés entre le désir de la sinisation et
la volonté de conserver leur identité.
La volonté de s'assimiler à la Chine - voire de la représenter - chez
les fondateurs des Liao est particulièrement manifeste dans la biographie
de Yelu Bei WWfê (899-936), fils aîné du fondateur de la dynastie, Abaoji PRI^MH (872-926). Yelû Bei n'a en fait jamais régné. À la mort de son
père, il fut « dissuadé » de se présenter à la succession par sa mère, la très
puissante impératrice Chunqin ï$|fc (Shulû Ping MPI 2 ? 879-953), qui jugea préférable de transmettre le pouvoir au frère cadet de Bei, Yelu Deguang Wi^ù (902-947), un homme au caractère plus martial \ Dans la biographie de Yelû Bei intégrée au Liaoshi, on trouve le passage suivant :
En l'année Shence 1 [916], [Bei] fut établi comme héritier. À ce moment-là,
Taizu [Abaoji] demanda à ses ministres : « Le souverain qui reçoit le mandat
céleste doit servir le Ciel et vénérer les divinités. Je veux faire des offrandes au
plus efficace. Lequel [choisir] d'abord ? » Tous répondirent : « Le Bouddha ».
Taizu reprit : « Le bouddhisme n'est pas une doctrine chinoise ». Bei dit alors :
« Confucius, le grand saint, est honoré de tous les temps. C'est à lui que revient
la primauté ». Taizu se réjouit grandement, fit construire un temple de Confucius et ordonna par décret que le prince héritier y offrît le sacrifice à Confucius
au printemps et en automne.2
Ce passage affirme d'une manière particulièrement forte le désir de
sinisation de Abaoji puisque celui-ci exprime la conscience qu'il a d'être ni
Yelu Bei n'était pourtant pas dénué de capacités de gouvernement. Pendant que son
père menait les campagnes à l'ouest contre les Onggirat et les Tanguts dans les années
924-925, Bei gardait la capitale, Linhuang ËÈîlï, et préparait l'attaque du royaume de
BohaiffljtfH(Palhae en coréen, 698-926). Le territoire de Bohai se répartissait de part
et d'autre de l'actuelle frontière entre la Chine et la Corée.
2
Liaoshi, j . 72, p. 1209.
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plus ni moins fils du Ciel. Or à cette époque, les Khitans ne possédaient
qu'une infime partie de territoire han et n'occupaient pas encore Youzhou
H^'jtl (actuelle région de Pékin). Certes, Abaoji avait défait en 912 Liu
Shouguang §!l^?7fe (?-913), le puissant gouverneur de Lulong ^ f | et roi
de Yan PRÉ, qui, suite à la chute des Tang, venait de se proclamer empereur 3. La même année, il avait atteint Youzhou avec ses armées et un de
ses frères cadets, Lage MM> était allé piller Pingzhou zp'j'H (actuelle ville
de Lulong). Bien que ces opérations militaires n'eussent pas été suivies
d'une occupation stable de la région, Abaoji se considéra immédiatement
comme un souverain qui a reçu le mandat céleste et cette conscience ne se
limite pas à l'affirmation d'un titre. Abaoji l'accompagna de décisions politiques dont la première doit être l'adoption d'une doctrine d'État. Quand
il pose la question de ce choix à ses proches conseillers, ceux-ci lui
conseillent d'adopter le bouddhisme. Il est difficile de déterminer avec certitude si ce choix provenait d'une conviction personnelle de ces conseillers
ou d'une attitude principalement politique visant à s'adapter à la réalité
chinoise. La deuxième hypothèse est la plus vraisemblable. En effet, les
Khitans eux-mêmes sont devenus des bouddhistes fervents au cours de leur
dynastie, mais la diffusion du bouddhisme chez eux avant l'avènement de
la dynastie reste difficile à établir. Il faut attendre 937 pour que Taizong (r.
938-946) édifie au Muyeshan 7^11^11 - le sanctuaire de la naissance du
peuple khitan au confluent de la rivière Siramuren H S 7 N É M 4 et de la
Laohahe ^ B ^ M - une « salle de Bodhisattva » (Pusatang iÊrM.'sO dans
laquelle il place une statue de « Guanyin aux vêtements blancs » (Baiyi
Guanyin Él^Hi! 1 ) qu'il avait fait déplacer depuis le Pavillon de la grande
compassion (Dabeige ^MM) de Youzhou. Dans le même temps, Taizong
LiaoshiJ. 1, p. 6.
Actuellement, les noms Siramuren et Liao ne sont pas synonymes. La Siramuren (Xilamulunhe, aussi appelée Huanghe ïitfnj, forme la Liao Ouest (Xi Liao) après avoir été
rejointe par la Laohahe. C'est seulement lorsque la Liao Ouest a été rejointe par la la
Liao Est (Dong Liao) que l'on parle du fleuve Liao, qui se jette dans le golfe du Liaodong à Yingkou ff P.
4
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proclame le bodhisattva « divinité de la maison impériale » (huangjia shen
ÊLMfà) et intègre un rituel en l'honneur du bodhisattva au « rite de vénération du Mont » (Baishan yi ^ | i | { i ! ) 5 . Si donc cette « bouddhisation »
des Khitans, qui constitue une nouvelle étape dans le processus de sinisation, semble plus tardive, leur souci de permettre aux Chinois de pratiquer
leurs religions est en revanche attesté très tôt. Dès 902, Abaoji fit édifier
des temples des trois doctrines (Sanjiao H ? j ( ) 6 dans les « villes chinoises » (hancheng :MML) qu'il construisit pour y établir les populations déportées lors des razzias depuis le territoire han jusqu'en territoire khitan.
En 918, Abaoji fit également édifier des temples des trois doctrines dans sa
capitale nouvellement construite, Linhuang ^ ^ (au sud de l'actuelle ville
de Lindong ffi!%. en Mongolie Intérieure). L'année suivante, il vint luimême inaugurer le temple de Confucius, envoyant l'impératrice et leur fils
(Bei fg) inaugurer le temple bouddhique et le temple taoïste 7. En l'espace
d'une trentaine d'années, une mesure au départ politique aboutira à une
modification du rituel et donc de la doctrine religieuse des Khitans. Ce
n'est cependant pas pour une question religieuse que Abaoji, disposé à encourager les trois doctrines de la Chine, repousse le choix du bouddhisme,
5
« En passant par le Dabeige de Youzhou, Taizong fit transférer la statue de Guanyin
aux vêtements blancs et lui fit construire un temple au Muyeshan. Il la fit vénérer
comme divinité de la famille [impériale] et après le rite du "passage des arbres" (guoshu WM) il fit ajouter dans le rituel de vénération de la montagne un "rite de Visite à
la salle du Bodhisattva" » (Liaoshi, j . 49, p. 835). « Dans le Xingwangsi jPIHîxP se
trouvait une statue de Guanyin aux vêtements blancs. Après avoir remis le gouvernement de la Chine aux Jin de la famille Shi, Taizong revint par Luzhou jBj+l, entra à
Youzhou, visita le Dabeige et montra cette statue en disant : "J'ai vu en songe un
personnage divin (shenren f $ À ) accompagner le gentilhomme Shi pour le faire
empereur de Chine, et c'était justement celui-ci". Alors il la fit transférer au Muyeshan,
lui construisit un temple et la faisait prier au printemps et en automne, la vénérant
comme la divinité de la famille » (Liaoshi, j . 37, p. 446).
6
Confucianisme (Ru jlr ou Kong ?L), taoïsme (Dao M ou Lao i£) et bouddhisme (Shi
m ou Fo \%).
Liaoshi,]. 1, p. 13 et 15.
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mais bien d'un point de vue politique . L'objection qu'il émet est que le
bouddhisme n'est pas une doctrine chinoise et il approuve sans hésiter la
proposition de son fils aîné de faire du confucianisme la doctrine d'État. Le
choix du confucianisme n'était pourtant pas, dans ces circonstances, une
nécessité politique. Cette tendance du chef khitan à se montrer plus chinois
que les Chinois, illustre la force du désir de sinisation des fondateurs de
l'empire Khitan.
L'attitude d'Abaoji suppose également que les dirigeants khitans
n'aient pas découvert subitement la civilisation chinoise. Même si nous
avons peu de documents sur le sujet, il faut supposer que depuis des décennies, voire des siècles, « l'aristocratie » possédait une certaine culture
chinoise. Du fait que dès 647 le chef khitan Kuke ^"nf (ou Kuge JHMF)
avait déjà reçu le nom de famille des empereurs Tang, Li ^ , et le titre de
gouverneur (dudu KlSiJj), ou encore qu'en 715 Xuanzong avait donné une
de ses filles comme épouse au chef khitan Shihuo ^rtfS, cela n'a rien
d'invraisemblable. Ainsi, lorsque quelques semaines avant sa mort, en 926,
Abaoji reçoit Yao Kun $$$, l'émissaire de Li Siyuan ^fnfêjg (Mingzong
des Tang Postérieurs), et lui dit qu'il sait parler chinois, on le croit volontiers 9.
Un autre élément qui montre bien la sinisation précoce de la mentalité khitan est le réflexe d'ériger des stèles. En 909, lorsque Abaoji, aidant
Liu Shouwen M T ^ à repousser l'attaque de son frère cadet Shouguang,
remporte une victoire à Beinaokou 4fcî^P, il érige immédiatement une
stèle dans le Guangshengsi JMM^f de Longhuazhou fï'f-hJ'H 10 pour im-
La famille impériale s'appuyait évidemment sur des shamans mais les documents
historiques sont pratiquement muets sur cette question. Nous verrons plus loin que
l'impératrice Chunqin fera appel à un shaman pour décider de l'attaque des Jin Postérieurs. Quelques autres brefs extraits du Liaoshi évoquent un shaman, membre de la
famille impériale, nommé Shensugu ftMfô qui «connaissait le langage des serpents » {Liaoshi, p. 7 ; 1537 ; 1548).
9
Xin WudaishiJ. 72, p. 890.
10
Longhuazhou était probablement située au sud de la àiramuren mais sa localisation
n'a pas encore pu être établie avec précision.
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mortaliser ses mérites " . Cette stèle fut rédigée, en chinois, par Han Zhigu
'W$iïïS (?- c a - 930). On remarque au passage que Han Zhigu, qui est à
l'origine d'une lignée maîtresse au sein du gouvernement khitan, avait été
capturé à l'âge de six ans seulement lors d'une razzia des Khitan sur Jizhou
iij'JM. Il fut d'abord attaché au service de la future impératrice Chunqin
avant d'entrer au service d'Abaoji à l'époque du mariage de celui-ci (vers
898) l 2 . Si Han Zhigu, qui n'avait pourtant pas été éduqué en milieu chinois, pouvait être choisi en 909 pour rédiger en chinois classique une stèle
ordonnée par l'empereur, la formation au chinois devait exister pour les
serviteurs de la cour autant que dans l'élite dès avant la formation de
l'empire. Le Liaoshi rapporte au moins un autre exemple d'une érection de
stèle par le fondateur de la dynastie khitan. Quinze ans après la victoire de
Beinaokou, en 924, Abaoji, alors en campagne en territoire ouighour, ordonne d'effacer la stèle d'un ancien qan ouighour pour y graver une stèle
trilingue (khitan, turc et chinois) à sa gloire 13.
Le désir de sinisation est peut-être encore plus manifeste chez les fils
d'Abaoji. Écarté du pouvoir, Yelu Bei s'adonnera à la littérature. Sa biographie rapporte qu'il composa notamment un poème bucolique (Le tianyuan shi | j | [33 H I^F ) et qu'il avait édifié dans son palais une
« bibliothèque » (shulou KHI) qui rassemblait plus de « dix mille rouleaux
de textes ». Il s'intéressait en effet à tous les domaines de la culture chinoise, de la peinture et la musique à la médecine, en passant par la divination. Il traduisit même en langue khitan un classique taoïste, le Classique
" Liaoshi, j . 1, p. 4. Longhuazhou est une ville créée par Abaoji en 902 pour y établir
95 000 déportés chinois. Elle était située au sud de la rivère Siramuren, à l'ouest de
l'actuelle bannière de Wengniute H ^ t f .
" Cf. Jin Yongtian TÎT^KEB, « Han Dewei he Yelu Yuanzuo muzhiming kaoshi |$fê^C
$UW&7CtËMUî%^W », Wenwu, 1998, n° 7 ; Zhengxi Balin zuoji weiyuanhui jgd&
E # £ f f i g * # S i , Da Liao Han Zhigu jiazu ^mUïUSMWi,
Hohhot : Nei Menggu Renmin chubanshe, 2002.
Ij
Liaoshi, j . 2, p. 20.
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du Talisman obscur {Yinfujing fê^l) ' . Il poursuivit aussi la tradition
d'ériger des stèles puisque, lors du transfert de la capitale de Dongdan à
Liaoyang, il demanda à Wang Jiyuan 3EISja de rédiger une stèle commémorative 15. Quoique plus martial et moins disponible pour les activités littéraires, son frère devenu Taizong des Liao manifesta tout autant d'intérêt
pour la sinisation. C'est par amour de la culture chinoise qu'il aurait changé son nom khitan en Deguang W-'^Ù '6- H choisit même pour son père déjà
décédé le nom personnel Yi f|j; 17 . En bon souverain chinois, c'est encore
lui qui, en 938, commença à établir une administration chinoise et donna à
la dynastie, jusque là appelée « Grands Khitans », le nom chinois de
« Grands Liao ». Il fit ériger un nombre considérable de stèles pour son
père, sa mère, sa grand-mère paternelle et l'impératrice 18. Il commémora
14
Le Yinfujing est un texte assez court, qu'un grand nombre de taoïstes connaissent
par cœur. Il a été maintes fois commenté au cours des âges. On se demande cependant
pourquoi Bei n'a pas commencé par traduire le Daodejing de Laozi. Cela supposeraitil que dès la promulgation de l'écriture khitan un bureau de traduction ait été créé pour
traduire les principaux classiques chinois ? C'est pour le moment une pure hypothèse
qu'aucun document ne peut étayer.
15
II s'agit de la « Stèle de la fondation de la capitale du Sud » (Jian Nanjing bei $Êfêî
SîW) mentionnée par le Liaoshi,j. 72, p. 1210 e t / 38, p. 456. Selon cette deuxième
occurrence, le titre intégral de la stèle était : « Inscription sur stèle de la fondation de la
nouvelle capitale du Sud du grand État de Dongdan (Da Dongdanguo xinjian Nanjing
beiming ^ ^ ^ B S r MWsCfà&S) »• En 926, Abaoji avait envahi l'État de Bohai $d?g.
Créant à cet endroit l'État de Dongdan Mfi', il nomma Bei roi de Dongdan. Après
avoir compris de lui-même qu'il était opportun de renoncer au pouvoir suprême, Yelii
Bei resta roi de Dongdan ; mais deux ans plus tard, Taizong, se méfiant de son frère,
déplaça la capitale de Dongdan à l'actuelle Liaoyang, la renommant « capitale du Sud
de Dongdan ».
16
Jiu Wudai shi,j. 137, p. 1832. Le Jiu Wudai shi transcrit son nom khitan Yaoquzhi
jS/Si^ alors que le Liaoshi transcrit Yaogu ^ # .
17
Xin Wudai shi,j. 72, p. 890. Le nom personnel (xiaozi /JN^) khitan d'Abaoji est
transcrit Chuolizhi BUiLR en chinois, et Abaoji est la trancription de son surnom khitan.
18
Cf. respectivementLiaoshiJ. 3, p. 32 ; / 37, p. 440 ; / 3, p. 35 ; / 3, p. 32.
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sur une autre stèle la fondation de la dynastie par son père et alla jusqu'à
demander à Mingzong des Tang Postérieurs de faire réaliser la stèle de son
père 20. Cette abondance de mentions d'érections de stèles durant les premières décennies de la dynastie contraste avec l'absence de stèles érigées
par la suite sur ordre impérial. D'après les annales historiques, il semble
que les seules stèles érigées sur ordre impérial l'aient été au début de la
dynastie, et quoique les découvertes archéologiques attestent que tout personnage important eut toujours une inscription funéraire, elles ne remettent
pas en cause, fondamentalement, cette constatation.
De ce qui précède, il ressort donc qu'à la fondation de la dynastie les
souverains khitans possédaient un degré certain de sinisation et qu'ils manifestèrent un volonté évidente de poursuivre ce processus. Pourtant ces
mêmes arguments peuvent être contrebalancés par d'autres qui attestent
d'une volonté tout aussi réelle de conserver - peut-être même en tout premier lieu - leur identité de Khitans. Mais la question se pose également de
savoir dans quelle mesure les souverains khitans aspiraient à se considérer
comme les souverains de la Chine. Du fait de leur succession temporelle et
d'un certain nombre de points commun, les dynasties Liao, Jin et Yuan
sont souvent groupées ensemble, ce qui tend à faire oublier les différences
sensibles qui existent entre elles dans l'esprit de conquête. Pour ce qui
concerne les Mongols, il est évident que leur ambition était une conquête
universelle qui s'étendait bien au-delà de la Chine. Il est déjà moins facile
d'affirmer que les Jurchens qui fondèrent la dynastie Jin aient eu dès le début la volonté de conquérir la Chine. L'objectif initial du fondateur, Aguda
H'ïffT (1068-1123), était de s'affranchir de la domination de la dynastie
Khitan et tout au plus de renverser celle-ci. Il fallut l'effarante faiblesse
militaire des Song pour permettre aux Jurchens de conquérir, au nord et au
centre de la Chine, un territoire qui sera plus grand que celui des Song du
Sud et leur inspirer l'ambition de conquérir toute la Chine. Quoique cette
volonté n'ait pas pu se réaliser, les Jin en arrivèrent à se considérer comme
LiaoshiJ. 3, p. 35.
Jiu WudaishiJ. 137, p. 1832 ; Xin WudaishiJ. 72, p. 891.
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La dynastie Khitan (Liao) : une double identité
les véritables représentants de la Chine, successeurs des Song . Le cas de
la dynastie Khitan est encore différent. La conquête commença par le phénomène millénaire de ces incursions ou razzias que les tribus nomades du
Nord firent régulièrement en Chine pour venir « s'approvisionner » en richesses diverses, y compris éventuellement en esclaves. Si ces opérations
eurent parfois pour but de chercher de la nourriture, elles semblent avoir
surtout permis à tel chef de tribus de s'enrichir par rapport à ses voisins.
Au début du Xe siècle, la dynastie Tang s'effondre et les chefs khitans ont
en face d'eux une Chine morcelée en gouvernements locaux en lutte les
uns contre les autres. Cela leur fournira évidemment l'occasion de fonder
un empire mais rien n'indique quils aient jamais eu le projet de conquérir
la Chine. Si Abaoji eut conscience d'être un souverain qui a reçu le mandat
céleste 22 et si à certains égards il adopta l'attitude d'un souverain chinois,
il ne sinisa pas l'État khitan et resta très modéré dans sa volonté de
conquête. Dans l'entrevue où il dit à Yao Kun qu'il sait parler chinois, il
ajoute que sa seule exigence est d'obtenir Youzhou, c'est-à-dire la région
de Pékin, et qu'il ne demande rien de plus. De fait, à l'exception de la
campagne de Taizong jusqu'à Kaifeng lors de la chute des Jin Postérieurs,
la tension militaire qui régnera sporadiquement pendant deux siècles à la
frontière sud de l'empire Liao sera due plus à la volonté chinoise de reprendre la région Datong-Pékin qu'à celle des Khitans d'avancer en territoire chinois.
On retrouve aussi chez Taizong une modération semblable de l'esprit
de conquête. Il ne s'est pas particulièrement employé à renverser la dynastie des Tang Postérieurs, de sorte que, lorsque Shi Jingtang Ç f S j i ^
l'appelle à l'aide pour vaincre les armées des Tang Postérieurs, il hésite
Cela est particulièrement visible vers la fin de la dynastie, avec l'adoption par
Zhangzong (1190-1208) de la Terre comme élément dynastique. Cf. Chan Hok-Lam,
Légitimation in impérial China. Discussions under the Jurchen-Chin dynasty, (11151234), Seattle et Londres : University of Washington press, 1984.
22
Abaoji se considérait sans complexe comme unfilsdu Ciel parmi d'autres puisqu'il
dit à l'émissaire Yao Kun, en parlant de l'empereur des Tang Postérieurs : « Votre fils
du Ciel » (erjia tianzi JlfS^^P)131
Pierre Marsone
réellement, demande son avis à sa mère qui n'agréa elle-même qu'après
avoir demandé une divination à un shaman (huwu S§M) 23 . Après la victoire de Shi Jingtang, Taizong soutient la création des Jin Postérieurs en
établissant avec cet État vassal des relations de père à fils et exige les Seize
préfectures de la région Datong-Pékin, laissant le gouvernement du
royaume des Jin Postérieurs f^U à Shi Jingtang. S'il intervient militairement chez les Jin sept ans plus tard, c'est uniquement parce qu'il a de bonnes raisons de craindre une sécession de la part de Shi Zhonggui J t j t qui a
entretemps succédé à son père Shi Jingtang. Cette intervention amène les
armées khitans jusqu'à Kaifeng. Les Khitans qui pillent la ville assez sauvagement au début de 947 se heurtent à une très vive résistance des Chinois et Taizong ne tarde pas à retourner au Nord, regrettant même explicitement cette campagne24. Ainsi, par rapport à la conquête du territoire, les
Khitans se montrèrent prêts à avancer lorsqu'une occasion facile se présentait, mais ils furent tout aussi disposés à se retirer si la situation les y poussait et jamais il n'élaborèrent de véritable plan de conquête de la Chine.
Ceci montre assez que leur identification aux souverains chinois n'était pas
totale.
La sinisation à travers l'écriture et les lettres demande elle aussi à
être relativisée. Les fondateurs de la dynastie connaissaient le chinois. Les
stèles qu'ils firent ériger et qui ont déjà été mentionnées n'ont pas été
conservées mais elles furent très probablement rédigées en chinois. Pourtant, quatre ans après la proclamation de la dynastie, Abaoji ordonna à Yelii Tulùbu ^ S ^ F et Yelû Lubugu HPF"È* d'élaborer une écriture khitan.
Cette écriture, semblable graphiquement à l'écriture chinoise, reprend un
certain nombre de caractères chinois, tantôt avec leur sens originel, tantôt
avec un sens différent, d'autres fois encore pour leur seule valeur phonétique. Les recherches menées au XXe siècle ont prouvé qu'il s'agit là de
l'écriture « en grands caractères » des Khitans. En effet, cinq ans après la
promulgation de celle-ci en 925, Abaoji demanda à son plus jeune frère,
™Xin WudaishiJ. 12, p. 892.
24
LiaoshiJ. 4, p. 60.
132
La dynastie Khitan (Liao) : une double identité
Diela ~@sffî\, d'en concevoir une deuxième, qui fut appelée écriture en
« petits caractères ». Beaucoup plus phonétique, cette dernière semble, par
sa conception, être le précurseur du hangul coréen. Il reste un certain nombre de documents épigraphiques écrits dans l'une ou l'autre de ces deux
écritures khitans, mais l'identification de la grande et de la petite écriture a
longtemps été débattue, et il est encore impossible aujourd'hui de dire
pourquoi ces deux écritures, toujours mal déchiffrées, ont été pratiquées
simultanément, de même qu'il ne semble pas que l'une ou l'autre ait été
réservée à des usages plus solennels ou ait convenu à un type précis de documents. L'écriture khitan recèle encore bien des mystères, tant dans son
déchiffrement que dans son emploi. Mais on peut déjà affirmer qu'elle ne
fut pas une simple écriture d'apparat, simple signe de l'attachement d'un
peuple à des racines de plus en plus lointaines. La preuve en est que jusqu'à aujourd'hui nous n'avons retrouvé aucun document bilingue, ce qui
explique d'ailleurs les difficultés du déchiffrement. Jusque dans les tombes
des derniers empereurs khitans comme Daozong (1055-1100), on a effectivement retrouvé des inscriptions funéraires en khitan et en chinois, mais
les textes khitan et chinois ne sont jamais la traduction l'un de l'autre,
comme si le lecteur concerné n'était pas le même. L'écriture khitan gardera
toujours une véritable importance au point qu'elle sera encore utilisée pendant une grande partie de la dynastie jurchen des Jin ^ (1115-1234). Des
documents épigraphiques attestent son usage jusqu'en 1173 et un passage
des annales des Jin (Jinshi) indique que jusqu'en 1191 les documents officiels jurchens ont dû être traduits en khitan avant d'être traduits en chinois 25. Nul besoin ici de souligner à quel point le choix d'une écriture et
Les Jurchen ayant institué une écriture propre dès l'avènement de la dynastie, on*
pense naturellement que cette écriture se substitua à l'écriture khitan. Or, selon le
Jinshi, au 4e mois de l'année 1191, « les documents traduits du jurchen en chinois ne
doivent plus être traduits d'abord en khitan » ; au 3 e mois de l'année 1194 « les documents traduits du jurchen en chinois ne doivent plus être traduits d'abord en khitan »,
et au 4e mois de l'année 1197 « les édits (xuanchi sM) des princes du sang commencent à être écrits en jurchen ». Quoique les premiers examens en langue jurchen aient
133
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l'ampleur de son utilisation sont significatifs d'une position politique ou
d'une conscience identitaire. Dans le cas de la dynastie khitan, deux formes d'une écriture propre sont tout de suite élaborées et utilisées puisqu'il
est attesté que, dans les années qui suivirent cette codification, Yelû Bei
traduisit en khitan le Yinfujing et, d'une façon plus générale, « s'adonnait
aux lettres, en khitan comme en chinois » 2 6 . Et quand il s'adonnait à la
peinture, même en exil chez les Tang Postérieurs, c'était uniquement pour
représenter des thèmes khitans 27 . L'épigraphie, et notamment celle des
inscriptions funéraires présentes dans les mausolées impériaux, atteste la
continuité d'un corpus autonome qui n'eut pas son équivalent en chinois.
Si l'identité des Khitans est conservée dans leur écriture, elle l'est
aussi dans leur langue. Abaoji savait parler chinois, mais Li Siyuan ^ H f t
qui deviendra empereur des Tang Postérieurs, savait également parler le
khitan puisqu'il pouvait s'adresser aux khitans « en langue barbare » 8. Ce
genre d'indice, quoique très rare, laisse penser que, d'une façon plus générale, les souverains de l'époque avaient moins besoin de traducteurs qu'on
ne l'imagine. D'autre part, le même Abaoji qui affirmait connaître le chinois s'en montrait fier devant les Chinois mais non en face des Khitans. Il
dit en effet à Yao Kun qu'il n'ose pas parler chinois devant les Khitans
« de peur que ceux-ci ne l'imitent et deviennent couards » 2 . De fait, la
langue khitan, du moins à la cour, semble avoir été fermement maintenue
jusqu'à la fin de la dynastie. Un passage du Fenjiaolu W$$k de Wang
Ding EEJfr! (zi (H! 1 ^ - 1130 ?-l 106), rapporte deux vers qui circulaient à la
été créés par Shizong en 1173, il faut en conclure que la langue khitan a eu un rôle incontournable pendant les trois premiers quarts de la dynastie Jin.
26
LiaoshiJ. 72, p. 1120.
27
Quoique l'empereur des Tang Postérieurs lui ait imposé des noms « pro-han »
comme Muhua lïïjl puis Zanhua ffïjl et qu'il ait renommé son fief Huaihua fllljl,
jamais Bei ne représenta de personnages autres que khitans et ses peintures étaient assez précieuses pour que la cour des Song du Nord en conservât quinze (cf. Xuanhe
huapu j È S H s f , / 8).
28
Zizhi tongjian 'MfâMS.J. 270, éd. Shanghai Guji chubanshe, 1987, t. 1, p. 1876b.
29
Jiu WudaishiJ. 137, p. \K2\Xin WudaishiJ. 72, p. 890.
134
La dynastie Khitan (Liao) : une double identité
laient à la cour lors de l'investiture de l'impératrice Yide M-^Ê en 1055.
Ces vers étaient les suivants :
Guwen yapa nùgu xue,
Pusa huanzuo nouwomo
Le rythme est heptasyllabique, les vers sont bien chinois mais la moitié des mots sont incompréhensibles en chinois pour la raison que le vocabulaire est du khitan transcrit en caractères chinois. Le mot khitan transcrit
par guwen signifie « jade », nùgu signifie « or » et nouwomo est une appellation respectueuse de l'impératrice, par opposition à teliqian, terme khitan
qui apparaît aussi dans le Fenjiaolu, dépourvu de nuance de respect et qui
sert par exemple aux Khitans à désigner l'impératrice des Song.
L'ensemble signifie donc : « Épingles de jade et bottines d'or, Guanyin est
désormais appelée impératrice ». L'abondance de termes khitans dans ces
deux vers montre bien que la langue khitan devait être parlée à la cour au
point d'émailler la langue chinoise alors que, dans le sens contraire, les
Khitans transcrivaient phonétiquement les termes administratifs chinois
dont ils ne possédaient pas l'équivalent dans leur langue. Mais on n'a pas
la preuve qu'ils aient adopté phonétiquement le vocabulaire général de la
langue chinoise.
Enfin, le choix même du nom de Liao pour la dynastie n'est qu'une
marque très relative de sinisation. Le nom de la dynastie à sa fondation est
« Grands Khitans » (Da Qidan i^MfY)- Vingt-deux ans plus tard, en 938,
Taizong, qui vient d'obtenir la région Datong-Pékin, choisit le nom de
Liao. Mais ce nom est de nouveau aboli en 983 en faveur du nom originel
et ne sera repris qu'en 1066 30. Sur les 209 (ou 218) ans qu'a duré la dynas-
30
Cf. Liu Pujiang MML, «Liao guohao kaoshi MMWi^M », Lishi yanjiu
M$ffi3Z, 2001, n° 6, p. 30-44.
135
Pierre Marsone
tie 31 , le nom de Liao n'a donc été le nom officiel que pendant 104 ans, soit
un peu moins de la moitié du temps. De plus, il n'a été utilisé que dans un
contexte chinois et à l'adresse des Chinois. D'après ce que permet le déchiffrement actuel, les stèles rédigées en khitan et les stèles ultérieures rédigées en jurchen appellent toujours cette dynastie « Khitan ». De ce fait, il
est plus exact d'appeler cette dynastie « Khitan » que « Liao ».
Devant la force d'un désir de sinisation qui n'a d'égal que
l'aspiration à conserver son identité se repose donc la question de départ :
les souverains khitans se considéraient-ils comme des Khitans ou comme
des Chinois ? Cette question apparemment naïve mais fondée reste extrêmement délicate à traiter. La première raison est la difficulté
d'interprétation des documents. La deuxième est le contexte idéologique et
passionnel dans lequel elle s'inscrit, aujourd'hui encore, notamment pour
les chercheurs chinois qui reprochent aux sinologues japonais de faire de la
dynastie khitan une dynastie étrangère32. D'autre part, les divers éléments
évoqués dans ces pages ne constituent qu'un échantillon des faits les plus
visibles d'une problématique qui demande à être approfondie et comparée
à d'autres situations semblables dans l'histoire de la Chine. Mais déjà nous
rejoignons la position esquissée en 1949 par Karl Wittfogel et Feng Chiasheng au début de leur monumental ouvrage History of Chinese society:
Liao (907-1125). L'argumentation qu'ils développent demande à être
complétée, parfois nuancée, par exemple en ce qui concerne la présence du
bouddhisme que Wittfogel semble avoir sous-estimée. Mais le point le plus
crucial est la constatation que le schéma admis du processus de sinisation
ne correspond pas à la réalité de la dynastie khitan. Le régime khitan est
31
Suivant l'affirmation du Liaoshi, les historiens font traditionnellement commencer
la dynastie en 907 même s'il n'y a aucun nom d'ère avant 916. Mais les études récentes montrent de façon convaincante que l'accession au trône d'Abaoji et la proclamation officielle de l'empire durent avoir eu lieu en 916. Cf. Liu Pujiang HlMff, « Liao
guohao kaoshi WÈWêM », Lishiyanjiu JgStftféS, 2001, n° 6, p. 30-44.
32
Voir par exemple Wu Yuhuan MJsM, Liaozhi yanjiu S$!)W5S, Changchun : Jilin
daxue chubanshe, 2001, p. 213-225.
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La dynastie Khitan (Liao) : une double identité
célèbre pour avoir institué un double gouvernement : le gouvernement du
Nord (Bei shumiyuan JkMfflffixù, le plus prestigieux, dont dépendaient les
Khitans, et le gouvernement du Sud (Nan shumiyuan l^fllliël^;) dont dépendaient les Chinois. Dans l'état actuel des recherches, ce double gouvernement semble symboliser particulièrement bien la double conscience
identitaire des empereurs khitans : celle de souverains khitans qui ajoutaient à leur statut celui de souverains chinois.
137
Pierre Marsone
Bibliographie sommaire
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Pierre Marsone
Résumé
Pierre MARSONE : La dynastie Khitan (Liao) : une double identité
En dépit de son importance tant du point de vue historique que du point de vue artistique - bouddhique en particulier - la dynastie Khitan (Liao, 907-1125) reste méconnue
dans les deux sens du terme : trop peu connue et mal connue. Ce phénomène a diverses causes, politiques notamment. La notion de « minorité » et sa frontière avec celle
d'« étranger » manque encore cruellement, dans certains cas, de clarté. L'objet du présent article est d'entamer une réflexion sur le caractère relatif du schéma commun sur
la sinisation des « Barbares » et d'illustrer comment les fondateurs de la dynastie
conjuguèrent leur conscience de souverains khitans avec celle de souverains chinois.
Cette réflexion attend encore d'être approfondie et comparée à d'autres expériences de
l'histoire de la Chine. Le présent article est centré sur la politique des deux premiers
souverains khitans. Alors que les Jurchens (dynastie Jin, 1115-1234) montreront une
volonté claire de succéder aux Song et de représenter la Chine, les Khitans, qui firent
de l'actuelle Pékin leur capitale du Sud pendant deux siècles, n'eurent jamais comme
objectif de conquérir toute la Chine et semblent s'être accommodés parfaitement de
leur statut de souverains khitans, en même temps souverains d'une cour chinoise.
Abstract
Pierre MARSONE : The Khitan (Liao) dynasty : a double identity
In spite of its significance for history and arts, the Khitan (Liao) dynasty (907-1125) is
still misappreciated. This phenomenon has many causes, including political. Relations
between the concept of "minority" and its neighbouring notion of "stranger" still lack
in clarity. This article aims at starting a reflection on the relativity of the widespread
pattern of the sinicization of "Barbarians" and illustrating how the founders of the dynasty combined their dual consciousness of Khitan and Chinese rulers. This reflection
has still to be deepened and compared with other similar phenomena in the history of
China. We only focus hère on the policy carried out by the two first Khitan rulers.
While the Jurchen (Jin, 1115-1234) dynasty clearly intended to succeed to the Song
and establish a "regular" dynasty, the Khitan rulers, who made présent Peking the
Southern Capital of their territory for two centuries, seemed to express no wish to conquer the whole of China, and looked rather satisfied with their rôle as Khitan conquerors of its northern part and rulers of a Chinese court.
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