PORTRAITS DE COMPOSITEURS CANADIENS DOCUMENTAIRE

Transcription

PORTRAITS DE COMPOSITEURS CANADIENS DOCUMENTAIRE
PORTRAITS DE COMPOSITEURS CANADIENS DOCUMENTAIRE SUR VIOLET
ARCHER
Réalité par Eitan Cornfield
ISOBEL ROLSTON : Elle était petite, absolument minuscule, de très petite taille,
et elle n’avait pas une once de graisse.
ALLAN BELL : En la regardant, on pouvait penser qu’elle était très fragile, une vraie
grand-mère.
WILLIAM BRUNEAU : Elle était ridée, minuscule.
ALLAN BELL : Elle est restée fidèle à la mode des années quarante et cinquante, de son
époque, alors elle n’a jamais porté des vêtements à la mode, en ce sens.
ISOBEL ROLSTON : Mais elle avait des yeux extrêmement pétillants.
ALLAN BELL : Dès qu’on regardait ses yeux, on voyait de l’acier.
ALLAN BELL : Par ici, en Alberta, on l’appelait « Archer la violente », souvent sur un
ton affectueux, mais cela traduisait le fait qu’ils entendaient ce qu’ils considéraient comme
avant-gardiste à l’époque, vous savez.
ROBERT ROSEN : Et c’était – la nature acerbe de plusieurs de ses petites pièces ou de
certaines oeuvres de chambre, vous savez, cela écorche les oreilles quand on est un auditeur
novice.
ISOBEL ROLSTON : Elle était connue dans sa jeunesse comme « Archer la
violente », à cause de ce tempérament merveilleux qu’elle avait. C’était très italien et vous
connaissez son vrai nom, bien sûr : Violetta Balestreri.
VIOLET ARCHER : Mon père travaillait à un restaurant appelé « Ristorante della
Scala », ce qui signifie « Restaurant de La Scala » ; après l’opéra, le soir, tout le public allait
dîner, un repas copieux, vous savez, et alors on pouvait voir tous ces artistes merveilleux,
notamment des gens comme Caruso, Galli-Curci, Chaliapine. Il voyait souvent Verdi faire sa
promenade l’après-midi, coiffé d’un haut-de-forme, un beau foulard de laine bien chaud autour
du cou, avec sa canne, et qui avait, vous savez, un air très formel. Puis il se souvient des
funérailles de Verdi en 1901, les rues étaient noires de monde, de gens venus lui rendre
hommage, c’était un jour de pluie, et il y avait tous ces parapluies noirs au-dessus de cette foule
dense. C’était plein à craquer.
WILLIAM BRUNEAU : Je m’appelle Bill Bruneau. Je viens de terminer un livre sur
Jean Coulthard, écrit en collaboration avec David Gordon Duke, et je mène actuellement des
recherches en vue d’un ouvrage sur Violet Archer qui paraîtra, j’espère, d’ici deux ans. Son père
était chef cuisinier, un chef pâtissier, en fait, et elle a vécu un an au Canada, en 1913-1914. Le
chef pâtissier était Italien, marié à une Italienne, et pour faciliter la vie de la famille, il choisit de
ramener la famille en Italie en 1914. Hélas, peu après leur retour en Italie, la Première Guerre
mondiale éclate et Violet Archer passe toute la Grande Guerre en Italie, près de Bologne, je
pense. C’est en 1919 qu’elle s’établit de nouveau à Montréal, où son père fait carrière comme
chef et grimpe les échelons dans plusieurs établissements. Il travaille au Manoir Richelieu
pendant quelque temps, et dans quelques hôtels du CPR, au sommet de sa carrière. C’était une
famille italienne de la classe ouvrière.
VIOLET ARCHER : Le fait est que j’adorais la musique. C’est comme si elle avait
pour effet de m’enchanter, dès mon plus jeune âge. Le son d’un piano, je devenais très attentive
tout à coup, vous savez, au son du piano ; et le son d’un violon, j’étais – au son d’un violon,
j’éclatais en sanglots.
Créer des pièces au piano me passionnait, et aussi improviser des pièces au piano, et je
pense que ma première pièce que je peux vraiment qualifier de pièce, je l’ai composée à seize
ans. Je pense que ce n’est pas grand-chose, vous savez, mais quoi qu’il en soit, elle était inspirée
d’un poème de Tennyson. « La splendeur tombe sur les murs des châteaux, et les étés enneigés,
tout en gloire. »
Les samedis après-midis, on allumait la radio et on écoutait l’opéra ; et les dimanches
après-midis, c’était le New York Philharmonic, et j’étais absolument folle de l’orchestre. On ne
pouvait pas tirer un mot de moi ou m’éloigner de la radio, et je savais que je voulais écrire pour
l’orchestre.
J’ai demandé une bourse à McGill. Mon professeur était Douglas Clark. Sa méthode
consistait à dire : « Qu’est-ce que vous aimeriez écrire ? » Oh, et j’étais très – « oh, j’aimerais
écrire quelque chose pour un orchestre symphonique avec des voix dans l’orchestre. » Vous
pouvez imaginer mon ego – mais, bon, il disait : « Très bien, pourquoi n’écririez-vous pas une
ouverture ? » Et je disais « oui », et c’est ainsi que j’ai composé une pièce intitulée Brittania, a
Joyful Overture. Cette pièce fut acceptée par Sir Adrian Boult, un chef d’orchestre connu
partout dans le monde, pour une exécution à un concert diffusé par la BBC. Ce furent les
premières redevances que j’ai gagnées.
WILLIAM BRUNEAU : Elle n’était pas vraiment satisfaite à McGill et elle cherchait à
aller ailleurs pour accomplir davantage. Elle dit qu’elle y étudiait surtout le solfège, les bases
vraiment rudimentaires de l’harmonie, les éléments d’un programme de baccalauréat. En d’autres
termes, cela ne la préparait pas très bien à devenir compositrice.
VIOLET ARCHER : À ce stade, j’avais le sentiment que peut-être, vous savez, il y
avait des choses que j’avais besoin d’apprendre au-delà de ce que je – ce que je faisais et, à cette
époque, Bartok était censé venir jouer avec l’Orchestre de Montréal, et j’espérais pouvoir parler
à Béla Bartok ; je connaissais un peu de sa musique pour piano, et je l’aimais beaucoup. Je lui ai
écrit une lettre et je lui ai dit qu’ici je travaillais, j’enseignais beaucoup l’hiver. J’avais une
classe considérable d’élèves, j’étudiais encore la composition et je mettais de l’argent de côté
pour pouvoir étudier avec quelqu’un de son envergure, et y aurait-il une petite chance qu’il soit
prêt à m’accepter, et c’était le contenu de ma lettre.
Eh bien, je suis restée sans nouvelles trois mois, peut-être ; j’étais vraiment découragée et
j’ai pensé : j’imagine, vous savez, qu’il n’y a aucun moyen pour moi de contacter ce
compositeur. Tout à coup, une lettre est arrivée par la poste, et il me disait dans cette lettre
d’envoyer des exemples de ma musique, alors j’ai choisi ce qui me semblait mes meilleures
pièces à l’époque, c’est-à-dire – une série de pièces pour piano, puis, après une période de six
semaines environ, j’ai reçu une lettre, une de plusieurs lettres que j’ai gardées, où il disait que son
tarif le plus bas était de dix dollars la leçon, et je pouvais me le permettre, et c’est ainsi que tout a
commencé.
Il habitait le Bronx, dans un petit appartement, avec sa femme, et quand j’y suis allée, il a
commencé à me poser des questions sur ce que je connaissais. Il m’a demandé : «
Connaissez-vous les symphonies de Haydn ? » ; comme je voulais lui plaire, j’ai dit tout de suite
: « Oh oui. » Et il m’a répondu, très lentement et précisément : « Comme vous avez de la chance
de les connaître. Je les ai étudiées toute ma vie, et pourtant je ne les connais pas. »
Puisque j’étais – mes études avec M. Bartok – je suis devenue très intéressée à la musique
folklorique, et j’ai mis en musique un certain nombre de chansons canadiennes –
canadiennes-françaises, et plusieurs autres originaires de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve.
J’ai peut-être – oh oui, j’en ai une qu’on pourrait appeler un air folklorique de l’Alberta, Life in a
Prairie Shack, qu’on pouvait très bien chanter sur l’air de Life on the Ocean Free – et ainsi de
suite.
Mon père trouvait étrange que je ne me marie pas. Ma mère était habituellement
d’accord avec mon père, vous savez. C’étaient des gens très conservateurs. C’étaient des gens
merveilleux, mais je dirais qu’ils étaient conservateurs, à cause de leur éducation, et dans la
mentalité européenne, ce qu’une fille devait faire était de se préparer au mariage. Eh bien, je
faisais tout sauf cela, alors mon père était un peu – pas très heureux de cela, mais quoi qu’il en
soit, j’ai décidé que je faisais ce que je faisais, point final.
MICHAEL SCHULMAN : Le nom de votre père était « Balestreri », ce qui signifie
archer en italien. À quel âge et pour quelle raison avez-vous commencé à utiliser la forme
anglicisée de votre nom de famille ?
VIOLET ARCHER : Oh, bon, c’était une décision familiale ; c’est en 1940 que nous
avons décidé, surtout parce que j’ai deux frères, et, bien je – et j’avais une soeur, et ils étaient très
actifs dans le monde des affaires, et le nom « Balestreri » semblait difficile, vous savez ; le
résultat est que nous avons décidé que, peut-être, si nous y ajoutions la version anglicisée, --nous
n’avons pas supprimé le nom, seulement ajouté le mot anglais, qui le rendait très simple, et ce
n’est pas plus compliqué que cela, vous voyez ; mon nom professionnel est Violet Archer, mais,
légalement, je suis Violet Balestreri Archer, et c’est encore ainsi que je me perçois.
ISOBEL ROLSTON : Elle me faisait penser à une jeune paysanne italienne, vous
savez. Je m’appelle Isobel Rolston, et je suis la directrice artistique du programme « Music and
Sound » au Banff Centre. Quand elle était jeune, on l’appelait « Archer la violente ». Quand j’ai
fait sa connaissance, c’était au début des années 1960, au tout début. Je n’ai jamais vu ce côté
chez elle, je n’ai jamais eu à l’affronter. Elle était un mélange fascinant de gentillesse et de
sensibilité, mais elle ressentait les choses très profondément. Avant de commencer à composer,
elle jouait du piano et aussi de la percussion, quand elle était une jeune étudiante, et je dirais que
c’était pour elle un choix très approprié, parce que le rythme avait pour elle une importance
capitale.
VIOLET ARCHER : Il y a encore à Montréal une excellente violoniste du nom d’Ethel
Stark, qui avait étudié au Curtis Institute, dont elle était diplômée, et pendant qu’elle était là, elle
avait étudié la direction d’orchestre avec Fritz Reiner. Apparemment, elle désirait former un
groupe de bonnes interprètes féminines, et elle en a trouvé tellement que nous avons pu créer un
grand orchestre symphonique, avec quelques importations de New York, vous savez ; on m’a
demandé si j’accepterais de jouer de la percussion, alors je suis devenue la percussionniste
assistante. De 1940 à 1948, plus ou moins, j’ai joué presque sept – huit – presque huit ans dans
cet orchestre. C’était formidable et nous – cet orchestre était vraiment bon.
Nous avons donné des programmes complets à la salle du Plateau, à Montréal, puis
nous avons également joué au Carnegie Hall à New York, où nous avons eu une critique
splendide. Nous avons joué à Toronto. Nous avons joué à Sherbrooke, au Québec. Nous –
nous avons fait des tournées, et je jouais dans ce que Ravel appellerait « le département de la
confiserie », vous savez, le tambour, les – les cymbales, les cloches, le carillon. C’était
tellement amusant, et j’ai adoré cela. C’était une formation extraordinaire, vous savez, que
d’être membre d’un orchestre.
ISOBEL ROLSTON : Elle a vraiment changé quand elle est allée à Yale. Yale a été un
point tournant pour elle, et elle est devenue très sérieuse au sujet de sa carrière de professeur, et
de compositrice. Elle avait toujours voulu être professeur.
VIOLET ARCHER : Quand j’ai étudié avec Hindemith à Yale, l’idée s’est imposée à moi
que je voulais enseigner, absolument, parce qu’il nous formait tellement bien à transmettre des idées,
vous voyez, avec lucidité. Bon, j’ai étudié toutes les matières théoriques avec lui à Yale pendant deux
ans. Le fait est que beaucoup de ses idées ont déteint sur moi. Je ne pouvais m’empêcher d’absorber
ses idées, sa mémoire miraculeuse et sa façon d’aller au fond des choses dans l’explication de chaque
élément de son enseignement, vous savez ; bien entendu, il attendait de nous, qui suivions des cours
comme l’enseignement de la théorie à – en tant que professeurs, que nous soyons capables d’illustrer
chaque élément de manière efficace, que nous ne soyons pas seulement des musiciens sur papier,
alors il insistait beaucoup sur – sur le fait que le son devait être écouté et entendu.
HARRY SOMERS : Ainsi, vous étiez vraiment, comme professeur, un élève de
Hindemith. Comme compositrice, vous n’êtes pas –
VIOLET ARCHER : Non.
HARRY SOMERS : --évidemment.
VIOLET ARCHER : Pas vraiment.
HARRY SOMERS : Pensez-vous que la musique de Hindemith vous a influencée
d’aucune façon, la musique, mis à part le caractère et les préoccupations pédagogiques du
compositeur ? Pensez-vous que sa musique vous a influencée ?
VIOLET ARCHER : Je pense que oui, un certain temps.
WILIAM BRUNEAU : C’est l’un des grands problèmes que pose la critique de la
musique de Violet Archer. Les gens disent que la musique de Jean Coulthard sonnait un petit peu
comme du Vaughan Williams par moments, un peu trop pastorale et un peu trop doucereuse,
puis, avec Barbara Pentland, on pourrait dire, eh bien, après son séjour à Darmstadt, regardez ce
qui est arrivé à sa musique, cette dévotion à des schèmes sériels d’un genre ou d’un autre. Eh
bien, on doit dire la même chose au sujet de Violet. Elle sonne beaucoup comme Hindemith
pendant une dizaine d’années, après son départ au tournant des années cinquante pour aller
travailler au Texas puis en Oklahoma, puis au Canada.
ALLAN BELL : Je m’appelle Allan Bell. Je suis compositeur, et aussi professeur de
musique à l’Université de Calgary. J’entends très certainement l’influence profonde de Paul
Hindemith dans sa musique. Il y a un retour constant à la quarte juste, comme intervalle
mélodique, comme intervalle structurel, et cela, vous savez, est vraiment une partie intégrante de
Hindemith. L’autre aspect, évidemment, est le fait qu’elle inscrivait sa musique dans – dans des
structures essentiellement classiques : la présentation d’un thème, le développement d’un thème,
la série de variations qui évoluait autour de cela.
Elle faisait cela à sa manière, mais elle retournait constamment à ces éléments, et c’était
en outre une contrapuntiste, en ce sens, pas aussi clairement que Hindemith, mais cela jouait un
rôle important, de sorte qu’il y a – il y a sans aucun doute un lien sonore quand j’écoutais sa
musique, celle de son professeur, mais il y a en plus un caractère italien. Il y a une espèce de
caractère montréalais. Ce n’est pas germanique. Ce n’est pas si manifeste. C’est toujours dans le
cadre d’une tentative de vraiment chanter à travers la musique, de sorte que – je pense que c’est
là où elle se distingue de son professeur, et là où elle trouve sa propre voie.
VIOLET ARCHER : Après mes études à Yale, je me suis plongée dans de longues
recherches, et je me suis beaucoup familiarisée avec Schoenberg et – et son école, bien que je ne
sois pas une compositrice sérielle. Je ne pense pas l’être. J’ai été influencée jusqu’à un certain
point par les procédés sériels, quand même, vous voyez, qui me sont précieux, de même que mon
propre bagage, et je dirais que je suis – vous pourriez me classer comme compositrice
néo-classique, néo-baroque, mais pas dans la catégorie conservatrice parce que, voyez, même
maintenant, ce que je fais, les pièces que j’écris, ne sont pas – c’est moi. Cela est certain.
Elles ressemblent – elles – on peut les identifier à moi, mais il y a une différence, du point
de vue stylistique, dans – dans mes pièces, comparé à il y a vingt ans, vous voyez, car j’ai traversé
plusieurs périodes. Ma première période – je m’intéressais beaucoup à la modalité, parce que j’étais
passionnée par les compositeurs britanniques, élisabéthains, et, naturellement, j’étais fortement
influencée par la musique française, puisque je venais de Montréal, où il y avait beaucoup de
musique française, mais je n’ai jamais essayé d’imiter Debussy. Aucune influence ne m’a poussée à
devenir impressionniste, curieusement, même si j’adorais Debussy. Je vénérais Debussy, en fait,
puis j’ai traversé – traversé une période où je suis devenue très – très atonale, délibérément. Je
voulais seulement être ainsi.
Je suis devenue très intéressée aux choses nouvelles qui se produisaient dans le domaine de la
musique électronique, quand j’étais à l’Université de l’Oklahoma, et j’ai pu m’informer grâce au
travail d’Ussachevsky et de Leuning, vous savez, qui étaient au studio de Columbia/Princeton.
Depuis, j’ai recueilli beaucoup d’information à ce sujet. Je m’intéresse beaucoup aux oeuvres de
Stockhausen, de Boulez et d’autres compositeurs qui en font – qui travaillent avec ce médium ; et
finalement j’ai pensé, bon, quand j’aurai le temps, si je peux trouver le temps. Eh bien, j’ai eu une
année sabbatique en 1973, alors j’ai décidé d’étudier la musique électronique, de suivre un cours. Je
me suis inscrite et je suis allée suivre un cours au Goldsmiths College, à Londres, en Angleterre; j’y
suis restée trois mois, j’ai fait beaucoup de travail aux synthétiseurs, et Episodes est la dernière pièce
que j’ai composée là-bas ; en fin de compte, des gens du milieu du disque l’ont aimée et l’ont
enregistrée, à ma grande surprise.
ROBERT ROSEN : Je m’appelle Robert Rosen, je suis compositeur et je fais partie de
ceux qui ont eu la chance d’étudier avec Violet Archer. Elle avait pour surnom « Archer la
violente » et c’était, vous savez, la nature acerbe de certaines de ses petites pièces ou de certaines
oeuvres de chambre, et l’une des choses que je – en un sens cela décourage – vous savez, ne
jouez pas ces pièces-là en premier – pour l’auditeur moyen, je veux dire ; la pièce que j’ai
entendue qui m’a le plus marqué était The Bell, la cantate. Quand j’ai entendu cela, j’ai fait : «
Wow ! Voici la Violet que je n’ai jamais vue ni entendue auparavant. »
Vous savez, une oeuvre comme celle-là permet à un compositeur une expression
complète, tandis que toutes ces petites pièces, c’est une idée, et l’auditeur novice n’aura qu’un
aperçu fragmentaire d’une – d’une personne de plus grande dimension, s’il regarde seulement à
travers une de ces petites pièces. Je pense, vous savez, qu’il faut commencer par les oeuvres
d’envergure. Beethoven est connu pour ses oeuvres d’envergure. Nous étudions ses petites pièces
parce que nous connaissons ses pièces importantes, et je crois que pour quelqu’un comme Violet,
ses oeuvres d’envergure – je veux dire Sganarelle, ses opéras, cette incursion merveilleuse et
incroyablement comique dans le monde de l’opéra : ça c’est Violet, vous savez, qui pense sur un
plan plus vaste que lorsqu’elle produisait ses petites pièces.
Il y a un tel élément utilitaire dans les petites pièces. Je veux dire, c’est la formation de
Hindemith, la Gebrauchmusik, les sonates et, bon, elles sont merveilleuses, et ce sont de bonnes
choses. Je ne sais pas. Je préfère ses oeuvres d’envergure.
ALLAN BELL : Il y a la musique des années soixante et soixante-dix – enfin, cinquante,
soixante et soixante-dix, cette période-là, où les gens rangeaient toute la musique sous le terme «
avant-garde ». Violet n’a jamais été une avant-gardiste. Si vous écoutez sans arrière-pensée, vous
trouverez que sa musique est beaucoup plus accessible que celle de tous les autres. Par ici, en Alberta,
on l’appelait « Archer la violente », souvent sur un ton affectueux, mais cela traduisait le fait qu’ils
entendaient ce qu’ils considéraient comme avant-gardiste à l’époque, vous savez, mais les temps ont
changé, et nous voici maintenant à une époque où toute la tendance moderniste est disparue, et tout le
monde cherche à communiquer, et voici une compositrice dont chaque note était une tentative de
communiquer avec l’extérieur, à partir du plus profond de son âme.
VIOLET ARCHER : Bien, je ne sais pas si je taille sur mesure ce que j’écris, mais je
suis terriblement consciente de l’idée que ce que je fais doit se projeter, vous voyez, avec le
résultat que peut-être dans mon subconscient je fais du sur mesure, vous savez, mais je ne peux
pas dire que je fais cela consciemment. C’est seulement que j’ai le désir de communiquer dans
toutes mes compositions. Je n’ai jamais pensé : « Oh, bon, j’écris cette pièce, mais je me fiche
totalement si quelqu’un veut l’entendre à par moi ». Je ne sens pas les choses de cette façon, vous
voyez. Je ne crois pas que ce soit une manière positive d’aborder l’art. Je pense que c’est un
domaine où l’on a besoin d’établir un contact avec d’autres êtres humains.
ALLAN BELL : Je suis absolument convaincu qu’elle aimait la musique
passionnément. Je suis également convaincu qu’elle avait, vous savez, un amour profond de
l’humanité, et le désir de communiquer avec elle. Elle estimait qu’il y avait une raison à sa
présence sur cette planète, et elle remplissait sa mission grâce à ses dons, à son talent. Je pense
que probablement, comme chez la plupart des artistes, il y avait une bifurcation quelque part
dans son âme. Elle était coupée du monde, et ainsi, poussée à créer, comme la majorité des
compositeurs, poussée à créer un monde meilleur que celui dans lequel on vit, et cela vient
d’une forme de souffrance ; je ne suis pas au courant de choses précises, mais j’imagine
facilement que ce soit une partie de l’explication.
ISOBEL ROLSTON : Elle a fait une espèce de dépression, après quoi elle a pris des
médicaments plus ou moins le reste de sa vie. Elle était très émotive. C’est vraiment le mot puis,
après avoir trouvé la médication qui lui convenait, elle s’est replacée. C’était une personne plutôt
solitaire. Elle vivait avec des chats, ses chats qu’elle adorait, Foogi et Sohni, pour « fughette » et
« sonatine ». Elle aimait passionnément sa famille. Elle avait une foule de nièces et de neveux, de
petites-nièces et de petits-neveux. Elle gardait le contact avec chacun d’entre eux, constamment.
À Noël, tous avaient des nouvelles de Violet. Elle savait ce que faisait chacun, elle
connaissait le nom et l’âge de chacun, ce qui est tout à fait remarquable, compte tenu qu’elle ne
les voyait pas si souvent, surtout ceux qui vivaient en Italie ; mais quand elle allait en Italie, elle
était reçue chaleureusement par tous les membres de la famille, c’est un côté que peu de gens ont
vu. Elle vivait très modestement. En fait, je trouvais qu’elle menait presque une vie de nonne,
puisque la composition et la musique étaient sa religion.
ALLAN BELL : C’est la voix d’une âme profonde, chantant les choses qu’elle trouvait
importantes. Elle aimait profondément la vie, elle aimait profondément les êtres humains, et cela
transpire vraiment dans sa musique. Elle était – elle était profondément croyante. Elle a
composé des hymnes pour l’Église unie. Elle a composé – une de ses oeuvres majeures, The
Bell, mettait en musique un texte de John Donne, et j’ai l’impression que sa force venait en
partie de sa foi.
MICHAEL SCHULMAN : Quelle a été votre réaction à l’affirmation souvent citée
d’un critique musical montréalais, Thomas Archer qui, en 1958, a écrit en parlant de vous et de
votre musique : « Cette petite Canadienne mince et tranquille ne compose pas dans ce que nous
présumons être des termes féminins », fin de la citation, puis il a ajouté que votre musique
possédait une, et je cite « véritable force masculine ».
VIOLET ARCHER : Eh bien, j’étais vraiment surprise quand j’ai lu cela. Oh, je ne me
suis pas sentie mal, pas du tout, mais j’étais surprise qu’il utilise le terme « féminin » et «
masculin », parce qu’il ne m’avait jamais traversé l’esprit une seconde que j’écrivais une
musique féminine ou masculine. J’estimais tout simplement que je composais de la musique, et
c’est encore mon sentiment, que j’écris simplement de la musique, et je ne cherche pas à
exprimer la musique en tant que femme ou – vous savez, je n’ai jamais pensé en ces termes, et
aujourd’hui pas davantage, au fait.
WILLIAM BRUNEAU : Il est difficile de faire la distinction entre la force
immense de sa personnalité et son sexe. C’est une chose que l’on doit dire. On s’attendrait
à trouver ces caractéristiques chez un homme.
ROBERT ROSEN : J’ai toujours eu le sentiment qu’elle avait l’impression de livrer la
bonne bataille, au nom des femmes compositeurs. Je me souviens lui avoir demandé un jour, j’ai
dit : « Vous savez, comment se fait-il qu’il n’y ait pas davantage de femmes compositeurs ? »
Vous savez, pourquoi, au vingtième siècle, n’en savons-nous pas davantage sur les femmes
compositeurs ? ». Elle m’a regardé, très honnêtement, et elle a dit : « Vous savez, beaucoup de
jeunes filles talentueuses s’inscrivent aux programmes de composition ; elles se marient et
fondent des familles, et quelque chose les en éloigne » ; vous savez, elle a dit cela sur un ton très,
très honnête, et presque – presque triste, parce qu’à cette époque, cela empêchait probablement
les femmes de composer, et je pense – j’ai toujours eu le sentiment – je savais qu’elle était
consciente d’être une femme compositeur, et qu’elle en était très fière. Elle était très fière du fait
qu’elle avait forcé la porte d’un bastion masculin de plus d’une façon, qu’elle avait réussi et – et
qu’elle n’avait jamais laissé cela la brimer.
ALLAN BELL : Je me souviens qu’elle m’a parlé de son père, et qu’il disait, vous savez
: « La musique n’est pas une profession pour une femme », et il lui était impossible d’accepter
qu’elle devienne compositrice, alors elle a fait tout cela malgré une attitude très négative de la
part de son père, à tout le moins. À quelques occasions, bien sûr, des gens ont commis l’erreur de
la traiter comme une – entre parenthèses – femme, sans apprécier ses qualités à leur juste valeur.
Ils ont vite appris, car elle était tenace. Elle ne se laissait pas faire. Un jour, on l’a interrogée en
classe sur le fait d’être femme compositeur, comment c’était, et elle a dit : « Je suis compositrice.
Il se trouve que je suis une femme, et ça c’est une chose, mais je ne suis pas une femme
compositeur. Je suis compositrice. Je suis avant tout une artiste. C’est le moteur de mon
existence. » Elle répétait constamment cette affirmation. Malheureusement, c’est parce qu’elle
était obligée, parce qu’on utilisait toujours cet adjectif devant le mot compositeur.
WILLIAM BRUNEAU : Cependant, le fait qu’elle était une femme explique, en partie,
pourquoi elle a trouvé un emploi si tard. Je ne crois pas qu’il y ait vraiment une autre explication ; ce
n’est pas que les gens passaient en revue les listes de compositeurs du Canada qui recevaient une
formation à l’étranger, et disaient : nous embaucherons les hommes, et pas les femmes. Je ne suis pas
paranoïaque à ce point. La clé est l’ensemble de son existence jusqu’à cette date : en 1962, elle avait
49 ans, si je sais compter, et c’est tard pour rentrer au Canada en tant que professeur agrégé de
musique. On aurait pensé qu’elle aurait été de retour au Canada à son – si elle désirait rentrer au pays
– beaucoup plus tôt. Cela ne peut s’expliquer que par un non-intérêt soutenu à l’égard des
compositeurs, et surtout des femmes compositeurs, qui ne correspondaient pas à la psychologie des
gens à cette époque, et c’est tout.
VIOLET ARCHER : Eh bien, vous voyez, j’ai terminé à Yale en 1949. Ensuite, j’ai
commencé à chercher un poste, parce que, voyez-vous, j’avais enseigné à McGill avant de partir pour
Yale. Mon congé avait expiré, malheureusement, alors je devais chercher un autre poste. Eh bien, je
n’ai simplement rien pu trouver au Canada, parce que les écoles de musique étaient très peu
nombreuses à l’époque, même s’il y avait McGill. Il y avait Toronto, mais ils étaient – ce n’était pas
gros dans ce temps-là, en 1950, vous savez, et Mount Allison était à ses débuts, et dans l’Ouest, bon,
il ne se passait pas grand-chose, peut-être des départements d’une seule personne. Alors, finalement,
j’ai trouvé un emploi au Texas, et j’étais trop heureuse de l’accepter, et j’y suis restée trois ans, puis
j’ai pensé que je pourrais peut-être rentrer, vous savez, mais je n’ai rien trouvé, alors je me suis
retrouvée à – à l’Université de l’Oklahoma, ce qui était également très bien.
Puis, un ancien élève à moi à McGill, Richard Eaton, qui était à l’Université de l’Alberta
à l’époque, il avait gardé le contact avec moi, parce que, vous savez, il essayait de me faire
quitter les États-Unis. Il pensait que je devais rentrer au Canada et il ne cessait – il m’a écrit
plusieurs fois et, en fin de compte, quand ils ont mis sur pied un programme de baccalauréat en
musique là-bas, il m’a envoyé le programme, me demandant ce que j’en pensais, et si je serais
intéressée, et finalement j’ai décidé que ce serait peut-être une manière de faire ma part là où on
avait besoin de moi, parce qu’ils étaient en train de bâtir le programme là-bas et que le
personnel était très peu nombreux, alors j’ai accepté, et c’est là que je suis allée en 1962.
ALLAN BELL : Je me rappelle ma rencontre la plus marquante avec elle quand je suis
devenu l’un de ses élèves de composition ; je me souviens que j’avais apporté une grande
quantité de musique, et elle l’a regardée. Elle a joué une note au piano, puis elle a chanté très
doucement de courts passages ; elle regardait la musique très intensément, puis elle est restée
assise pendant un moment qui m’a paru interminable – probablement pas si long en réalité – et
finalement elle a simplement pointé un doigt vers la musique, et elle a dit : « Vous savez, je
pense qu’il y a de la musique dans cette mesure » ; évidemment, il y avait beaucoup d’autres
mesures, et ainsi s’est déroulée ma première rencontre avec elle.
Je me rendais compte que j’étais en présence de quelqu’un qui avait des pensées très
profondes sur la musique, des pensées très méticuleuses, et qui possédait des standards
extraordinairement élevés sur ce qu’était la musique. Elle devait réellement communiquer
quelque chose. Elle devait être bien construite, mais elle devait bien sonner. Il n’y avait pas de
tentative d’être anonyme et de se cacher derrière la technique ou de se cacher derrière une mode
ou quelque chose du genre. Vous deviez vraiment vous montrer et faire la démonstration que
vous aviez une âme, et qu’elle allait percer à travers la musique.
ROBERT ROSEN : Ses classes d’analyse avaient lieu dans une salle incroyablement
petite ; tout l’avant était occupé par un tableau noir ; il y avait un piano droit et on entrait dans la
classe. Nous entrions avec peine dans la classe.Violet arrivait avec sa pile de livres, la laissait
tomber, se dirigeait vers le tableau et se mettait à écrire des choses, et elle en parlait ; seulement
cette impression d’énergie quand elle entrait dans la classe était, vous savez : « Wow, bougez-vous,
ouvrez vos cahiers, on y va ! » ; c’était simplement le bonheur – le bonheur de parler de ce qu’elle
présentait ce jour-là, vous savez, de manière un peu éparpillée parfois. Son cerveau était tellement
plein d’idées. Elle parlait d’une chose puis, tout à coup, elle passait à un autre sujet et oh, oui, nous
devons retourner à ceci, alors ce sentiment d’énergie était toujours présent.
VIOLET ARCHER : J’essaie constamment d’aider le jeune homme ou la jeune fille à se
découvrir, au plan musical, mais naturellement, comme vous pouvez l’imaginer, c’est un
processus efficace seulement si l’on persuade l’étudiant qu’il est essentiel d’avoir du métier,
parce que le métier signifie que, quand vous avez vos propres idées, vous êtes en mesure de bien
les évaluer. C’est pourquoi j’encourage toujours les jeunes qui travaillent avec moi à noter tout ce
à quoi ils pensent, chaque fois que nous amorçons un projet, de noter tout ce qui leur vient à
l’esprit, pour qu’on puisse l’explorer. Nous l’explorons ensemble. Je les aide à évaluer la
musique qu’ils écrivent.
ALLAN BELL : Elle voulait que nous devenions nous-mêmes. L’une des choses qu’elle
m’a transmises, comme professeur, et que j’applique, est quelque chose de simple : elle ne
marquait jamais notre musique au crayon. Elle n’écrivait jamais sur l’oeuvre d’un étudiant, parce
qu’elle avait le sentiment que si elle écrivait sur la page, alors la pièce deviendrait la sienne, et ne
serait plus celle de l’étudiant, et c’était vraiment important pour elle que les étudiants
développent leur propre voix.
Il y a eu un concert à Banff avec des oeuvres de Robert Rosen et de Vivian Fung, d’un
jeune étudiant encore adolescent, ma musique et la musique de Violet ; c’était une espèce de
concert en son honneur, quelques années avant sa mort ; l’une des choses tout à fait remarquable
était que les cinq compositeurs présentés étaient complètement différents les uns des autres, avec
une manière de penser totalement différente ; nous lui avons signalé la chose, après le concert, et
elle a eu le plus large sourire que je lui ai jamais vu – c’était comme si nous avions rendu
l’hommage le plus parfait à l’oeuvre de sa vie : elle avait fait une impression très forte sur cinq
compositeurs, et aucun d’eux ne sonnait comme elle. C’était le plus bel hommage qu’on pouvait
lui rendre.
ROBERT ROSEN : Son objectif était de s’assurer que les auditeurs pourraient
comprendre le langage du vingtième siècle. Vous savez, c’est un objectif plutôt vaste, mais je
pense que cela la motivait.
VIOLET ARCHER : Eh bien, je suggère simplement aux compositeurs que s’ils veulent
avoir un public, un public qui les écoute véritablement, qui veut entendre ce qu’ils ont à dire, le
public doit avoir l’occasion d’être exposé au langage de ce siècle. J’estime que ma façon la plus
positive de réaliser cela est d’écrire, de composer de la musique pour les plus jeunes, que l’on
peut apprendre parallèlement à la musique des grands maîtres. Ils jouent des airs folkloriques, des
pièces traditionnelles, et ainsi de suite. Ensuite, ils ne touchent à rien de contemporain jusqu’à ce
qu’ils s’apprêtent à entrer à l’université. À ce stade, leurs habitudes d’écoute sont formées, ils
trouvent cela difficile.
Je ne dis pas aux gens qu’ils sont stupides. Je leur dis – tout ce que je peux dire est qu’il
existe de nouveaux sons que vous aimeriez peut-être entendre, que vous aimeriez peut-être
reconnaître, et qui pourraient signifier quelque chose pour vous. Si on écoutait les gens, on
jouerait seulement des pièces en do majeur ; par conséquent, c’est correct que chacun ait sa
propre voix, mais essayez de gagner le public. J’ignore si j’ai réussi ou pas. Quoi qu’il en soit, on
me joue assez souvent ; alors j’en conclus que peut-être ce que j’écris ne déplaît pas au public, je
l’espère.
Il y a longtemps, j’avais une voisine qui habitait presque en face de chez moi ; de temps
à autre elle venait faire un tour, et un jour elle me dit : « Qu’est-ce que vous faites? » Alors je lui
ai expliqué que j’enseigne à l’université. J’aide les étudiants qui veulent devenir musiciens – et,
je l’espère, il y en a qui veulent devenir musiciens – mais j’espère que je peux les aider à écrire
de la musique, et je suis moi-même compositrice et j’écris de la musique, mais pour gagner ma
vie j’enseigne la musique et, vous savez, à la fin de ma réponse, elle s’est penchée vers moi, m’a
regardée comme ça et a dit : « Mais, qu’est-ce que vous faites ? »
-transcription de Mara Zibens

Documents pareils