La guerre - Réseau de recherche sur les opérations de paix

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La guerre - Réseau de recherche sur les opérations de paix
 Tertrais, Bruno, La guerre, P.U.F. Collection « Que sais‐je », 2e édition, 2010, 128 p. Michel FORTMANN 1 Depuis maintenant soixante‐neuf ans, la collection Que sais‐je? produit pour, le plus grand bonheur des étudiants et du grand public, des textes de vulgarisation et des synthèses didactiques sur les thèmes les plus divers. L'excellence de ces opuscules, tant sur le fond que du point de vue de la qualité pédagogique et de la rigueur, ne s'est jamais démentie, et c'est probablement la raison pour laquelle les auteurs les plus réputés ont accepté de contribuer à cette collection. Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, une « star » dans le domaine des questions stratégiques, y publie ici un second titre après L’arme nucléaire paru en 2008. En s'attaquant au thème général de la guerre, M. Tertrais fait faire peau neuve à un des « classiques » de la collection, à savoir l'ouvrage du même titre publié par le sociologue Gaston Bouthoul en 1953, puis réédité à plusieurs reprises 2 . Comme il l'explique dans son introduction, les changements qui ont affecté les conflits armés au cours des dernières décennies justifient en effet que l'on jette un regard neuf sur le phénomène guerre. Contrairement à l'impression qui se dégage parfois de l'actualité, nous n'assistons pas à un « retour de la guerre », mais bien à une régression du nombre de confrontations armées et de leur intensité. Le nombre de conflits 1
L’auteur est professeur de science politique à l’Université de Montréal et membre expert du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix (ROP). 2
Gaston Bouthoul, La guerre, Que sais‐je ? PUF, Paris, 1969 4e édition mise à jour.
a ainsi diminué de moitié depuis 1990 3 . Quant au nombre de victimes des guerres, celui‐ci a chuté de façon radicale depuis 1992 4 . Les conflits changent également de nature, dans la mesure où les guerres entre grandes puissances semblent avoir pratiquement disparu au profit des guerres civiles et de la violence endémique dans les États faibles. Ces types de conflit, caractérisés par une logique et des moyens pré‐modernes, offrent d'ailleurs un contraste frappant avec les opérations à haute technologie menées aujourd'hui par les armées des pays industrialisés. Quelle est la portée de ces mutations ? Comment peut‐on les analyser ? De façon à la fois rigoureuse et succincte, M. Tertrais nous fournit quelques clés pour répondre à ces questions. Il offre d'abord une définition du concept de guerre 5 , puis présente un bref survol de l'évolution du phénomène à travers les âges (p. 10‐16). Il s'interroge, au chapitre suivant, sur les causes des conflits et le contexte qui les favorise. On peut souligner, à ce titre, le caractère exhaustif de cet aperçu théorique qui tient compte des recherches scientifiques les plus récentes. Les théories portant sur les causes des guerres civiles contemporaines ne sont pas négligées, pas plus que la thématique des confrontations dues au manque de ressources (Resource Wars). Il vaut la peine de noter, de ce point de vue, le système de référence très complet qui permet au lecteur de se documenter plus à fond sur les aspects de la question qui l'intéressent. Le chapitre 3 est certainement celui qui retiendra le plus l'attention de ceux que fascine l'actualité géopolitique. M. Tertrais y brosse en effet un tableau des guerres contemporaines et de leurs caractéristiques. S'appuyant sur les données produites par les centres de recherche internationaux les plus connus, l'auteur y esquisse un portrait robot des conflits de l'après‐
guerre froide : moins nombreux, plus courts, moins meurtriers, plus idéologiques, plus contrôlés. Cette analyse ne manquera pas d'alimenter les discussions des spécialistes. Une analyse des forces militaires modernes et de leurs stratégies face aux conflits contemporains complète ce chapitre. L'évolution récente des opérations, des organisations et de la technologie militaires y est brièvement abordée. M. Tertrais soulève en particulier une question cruciale : la 3
B, Tertrais, La guerre, Que sais‐je ? PUF, Paris, 2010, 65 Ibidem, 70. 5
La guerre peut être définie comme un conflit armé à grande échelle opposant au moins deux groupes humains (7).
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supériorité militaire occidentale est‐elle durable ? Ses conclusions sont nuancées : le modèle d'armée professionnelle à haute technologie prôné par l'Occident reste très vulnérable aux moyens dits asymétriques. Ce modèle ne permet pas, en particulier, de répondre de façon satisfaisante aux besoins des opérations complexes de stabilisation entreprises depuis deux décennies (p. 92). Le chapitre 4, en bonne logique, traite des différentes méthodes permettant de réguler les conflits et de les résoudre. Il y est question de la codification des règles de la guerre, des différents types de droits des conflits armés puis de la prévention des conflits et du problème de la paix. M. Tertrais, en épilogue, s'interroge sur l'avenir des guerres. Deviennent‐elles obsolètes, comme le prétend John Mueller ? Et pourquoi ? Sinon, quelle forme prendront les conflits de l'avenir ? Se dérouleront‐ils dans d'autres dimensions telles le cyberespace ? Quels seront leurs enjeux ? Se battra‐t‐on pour l'eau ? Le pétrole ? Les terres cultivables ? Quel rôle les changements climatiques pourraient‐ils avoir sur les conflits et leur intensité ? La plupart de ces questions, tout en demeurent en suspens, n'en stimuleront pas moins la réflexion du lecteur. Dans l'ensemble, ce Que sais‐je ? est instructif et très agréable à lire, évitant le jargon inélégant que cultivent parfois les sciences sociales. Fidèle à la vocation de la collection, ce précis sait être la fois succinct et bien documenté. Il ne sacrifie pas la rigueur au besoin de vulgariser. Il ne manquera pas non plus d'alimenter la discussion sur l'évolution et l'avenir de la guerre. Michel FORTMANN Professeur de science politique à l’Université de Montréal