L`Anima dans la Correspondance

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L`Anima dans la Correspondance
L'Anima dans la Correspondance
2/01/1929 : To J. Allen Gilbert, M.D., USA :
94
[...] Pouvez-vous imaginer un physicien qui réfléchit sur les atomes et en
parle, mais a conscience du fait que ce ne sont que ses propres abstractions ? Ce
serait ma situation. Je n'ai pas la moindre idée de ce qu'est la « psyché » en soi ;
quand j'y réfléchis et que je veux en parler, je suis obligé de parler de mes
abstractions, concepts, opinions, représentations, sachant bien que ce sont nos
illusions spécifiques. C'est ce que j'appelle « non-concrétisation ». Et vous devez
bien vous rendre compte que je ne suis ni le premier ni le seul homme à parler
d'anima, etc. [...]
Toutes choses sont comme si elles étaient. Les choses réelles sont des effets
de quelque chose d'inconnu. Il en est de même pour l'anima, l'ego etc.
10/09/1929 : Au Pr Richard Wilhelm, Francfort-sur-le-Main :
107
[...] Dans mon commentaire, j'ai proposé « Logos » pour Hun, à la place
d'« animus » parce que « animus » est le terme adéquat pour l'« esprit » de la
femme correspondant à l'« anima » de l'homme. (L'Europe doit prendre en
considération, au plan philosophique, l'existence de la psychologie féminine.
Pour désigner l'« anima » de la femme, le terme d'« Eros » conviendrait bien.)
13/09/1929 To Christiana Morgan, USA :
110
Je viens tout juste de terminer le travail d'un livre que je publie
conjointement avec le Professeur Wilhelm, directeur de l'Institut de Chine à
Francfort. Dans ce travail (commentaire d'un texte chinois ancien, mais
découvert depuis peu seulement), j'en dis davantage. Le texte ancien contient
par exemple ma théorie de l'anima et quelques autres choses sur le Soi. Il vous
plaira.
20/12/1929 Au comte Hermann Keyserling :
112
[...] Votre remarquable description de l'intermezzo fatidique avec X.Y.
démontre clairement qu'il s'agit là d'un choc lourd de signification avec la
« femme terrestre ». Intriquée et désintriquée là-dedans, l'une des plus belles
aventures d'animus et d'anima que j'aie jamais entendu raconter.
Malheureusement, les œuvres poétiques se terminent en règle générale par une
déception car, lorsqu'on rencontre sa propre âme, on ne la reconnaît jamais
mais on la confond avec la pauvre bête humaine qui inconsciemment a incarné
le symbole. [...] Cette déception se reproduira toujours et partout jusqu'à ce que
l'être humain ait appris à distinguer son âme de l'être humain.
24/04/1931 Au comte Hermann Keyserling :
124
[...] Nous devons - que cela nous plaise ou non - considérer X.Y. (en
coopération avec la terre sud-américaine) comme anima qui (comme
l'Amérique du Sud) représente la totalité de l'inconscient.
13/08/1931 Au comte Hermann Keyserling :
126
[...] L'Amérique du Sud a représenté pour vous aussi, tant bien que mal,
l'obscur monde inférieur, l'inconscient chthonien. Oui, c'est un cas d'école de
constellation de l'inconscient collectif par l'excitation de la fonction inférieure
qui, en raison de sa contamination par les contenus de l'inconscient collectif, le
ramène toujours à la surface. En même temps et de manière exemplaire,
l'anima surgit de la gangue primitive, affublée de toutes les pendeloques
visqueuses et monstrueuses des profondeurs. Et extérieurement, évoquée par
l'apparition intérieure, X.Y. est irrésistiblement attirée dans votre cercle
magique... aventure significative dont la suite est assurée de ma curiosité.
C'était une collision avec le démonisme de la terre, comme sûrement il n'en a
jamais été fait de meilleure description.
24/12/1931 Au comte Hermann Keyserling :
128
[...] X.Y. est indubitablement l'« anima », c'est-à-dire la représentante de
l'inconscient collectif. Votre livre sur l'Amérique du Sud correspond, d'après sa
signification psychologique, à une « traversée nocturne ", c'est-à-dire que c'est
également un rituel de renaissance. [...] Ce rêve se présenterait comme un
messager et comme un avertissement que vous allez vous trouver à nouveau
confronté à l'inconscient collectif et à l'anima, comme naguère en Amérique du
Sud.
05/07/1932 À un correspondant anonyme, USA :
140
[...] Voici ce qui est réellement arrivé : vous avez essayé quelques exercices de
yoga, et alors le rêve a dit : « Attention, cette charmante jeune femme est
menacée par le monstre lubrique Gila. " Vous comprendrez : vous, homme
d'âge avancé, vous avez encore une âme juvénile, une anima aimable confrontée
à un serpent dangereux. En d'autres termes, votre âme est menacée par un
poison chthonien. [...] Mais nous oublions complètement que nous devrions
commencer par établir une liaison entre les couches supérieures et les couches
inférieures de notre psyché.
[...] Avec des exercices de yoga qui ne sont qu'un phénomène sensationnel
pour la conscience, vous ne pouvez pas protéger votre anima. Mais vous pouvez
la protéger en cherchant à saisir les contenus inconscients qui remontent de vos
propres profondeurs. Essayez de connaître vos fantasmes, si inconvenants qu'ils
puissent vous paraître, peu importe ; c'est votre obscurité, c'est votre ombre qui
doit être engloutie.
21/04/1933 À Jolande Jacobi, Vienne :
169
[...] Ce que les hommes disent dans ce genre de préliminaires, autour et
alentour, c'est ce qu'on appelle en anglais « eyewash » et en Allemand
« Augenwasser », c'est de la poudre aux yeux. Rien que des choses sans valeur,
sans intérêt, jusqu'au moment où il existe un contrat signé. C'est la seule chose
qui compte. Tout le reste n'est que danse de l'anima, danse légère, trompeuse,
intrigante, qui ne peut que rendre folles les femmes qui veulent toujours savoir
le pourquoi et le comment. L'essentiel est de savoir comment ce n'est pas
possible.
19/03/1934 À Wilhelm Laiblin, Stuttgart :
206
La deuxième partie du rêve se rapporte sans aucun doute à l'anima qui vous
donne à manger et à boire, pas à bon compte, il est vrai. [...] L'idée du rêve
indique seulement que, lorsque les Églises se taisent, c'est l'âme qui vous donne
à manger et à boire.
22/03/1935 Au Dr S., Allemagne :
248
Je ne peux ajouter au rêve que ceci : il indique manifestement une
transformation de l'anima. C'est sans doute aussi pour cette raison qu'elle
semble vous échapper. Elle disparaît sous sa forme ancienne et devient plus
nette sous une autre forme, ce qui est très souvent le cas au cours de ce
processus. D'enfant, elle peut se changer en vieille femme ; animal, elle peut
devenir déesse. Si elle est vieille, cela signifie que la conscience est devenue
considérablement plus enfantine. Si elle est jeune, c'est que l'on est trop vieux
dans son attitude consciente. Le fait que l'attitude consciente devienne
enfantine ne doit pas être considéré eo ipso comme un signe de régression, c'est
au contraire souvent une nécessité pour arriver à une attitude de conscience
dépourvue de préjugés, naïve, ouverte. Celle-ci est nécessaire à la
compréhension de l'aspect spirituel de l'anima. [...]
Le psoriasis de l'anima provient de certains contenus que l'anima porte en
elle [...], et qui ont pour ainsi dire provoqué une éruption à la surface. [...] C'est
une sorte de peinture qui apparaît sur la peau. Cela signale très souvent la
nécessité de représenter certains contenus ou états graphiquement, donc aussi
avec des couleurs. Il est parfois nécessaire de représenter certains contenus
parce qu'ils ne peuvent êtres saisis à l'aide de concepts, mais seulement de
façon concrète. Cette activité « artistique » est signalée aussi par le fait que
l'anima découvre dans sa valise toutes sortes d'ouvrages de dames, c'est-à-dire
qu'il s'agit du genre de travaux de l'anima, c'est-à-dire des produits de l'esprit
féminin en l'homme. L'esprit féminin est concret et symbolique et se rapproche
de ce que les anciens désignaient sous le nom de Sophia.
31/07/1935 Au Dr Ewald Jung, Suisse :
253
Quant à ta question sur l'anima, on peut y répondre par oui ou par non. C'est
en fait le même problème que la constitution. Tu n'es pas responsable de ta
constitution, mais elle pèse sur toi ; c'est la même chose pour l'anima qui est
également un facteur constitutif qui pèse sur l'homme. Pour ce qui pèse sur lui,
l'homme a une certaine responsabilité, qui se rapporte à la manière dont il se
comporte avec cela, mais pas au fait que cela existe. En tout cas, on ne peut
jamais traiter l'anima par des leçons de morale, mais au contraire on a pour
cela, ou encore il existe pour cela, la sagesse qu'à notre époque on a pour ainsi
dire oubliée.
30/04/1936 À Claire Kaufmann, Berlin-Steglitz :
277
Je crois que vous avez intérêt à concevoir tout le problème de l'amour comme
un « miraculum per gratiam Dei » auquel au fond personne ne comprend rien.
[...] La forme symbolique de l'amour (animus-anima) ne craint rien, et surtout
pas l'union sexuelle. Le partenaire « réel » n'existe que si on le rend réel. La
réalité est un anthropomorphisme.
06/08/1938 À un correspondant anonyme, Allemagne :
314
Il est curieux de voir comme les gens se conduisent d'une manière stupide
lorsqu'ils ont affaire aux figures intérieures. Excusez-moi, mais c'est ce que vous
faites ! Lorsque vous traitez une femme dont l'animus révèle les points de vue
du père ou du mari, vous êtes, je l'espère, capable de distinguer ce que la femme
elle-même dit de ce qui est à mettre au compte de l'animus. D'un point de vue
technique, vous devez vous comporter, en ce qui concerner votre anima, de la
même façon que dans un cas réel. La difficulté que vous éprouvez montre
seulement que la réalité intérieure n'est pas encore suffisamment réelle à vos
yeux et cela vous expose à tout instant au danger de possession qui conduit
inévitablement à une inflation.
08/12/1938 À Mlle le Dr Georgette Boner :
316
[...] Je n'avais au départ absolument pas le sentiment de commettre un
plagiat avec ma théorie, mais au cours des 5 dernières années, j'ai été de plus en
plus mal à l'aise car j'ai découvert également chez les anciens alchimistes des
éléments qui m'ont fait fortement douter, et le malheur semble aujourd'hui être
total puisqu'il apparaît que j'ai été découvert dès le XVIIIe siècle. Je pense que
Laurence Sterne s'est inspiré en écrivant des doctrines secrètes de son temps
(probablement celles des frères de la Rose-Croix). Elles renferment le Royal
Secret du Roi et de la Reine, qui n'étaient autres que l'animus et l'anima, ou
encore le Deus et la Dea.
13/10/1941 Au professeur Gustav Senn, Institut de botanique de Bâle :
28
L'impératif catégorique kantien est bien sûr la reprise philosophique d'un fait
psychique qui, comme tu l'as très bien vu, est indubitablement une
manifestation de l'anima. Mais on ne pourrait expliquer parfaitement ce
phénomène chez Kant que si on possédait suffisamment de documents
authentiques sur sa relation avec sa mère. Il faut aussi en effet mettre cela en
rapport avec son célibat.
J'ai toujours évité la polémique scientifique car elle est, comme me l'ont
montré de nombreux exemples dans mon entourage le plus proche, en règle
générale stérile. Mon anima n'a cessé de me répéter ce dicton : « Magna est vis
veritatis et praevalebit. » C'est ainsi que j'ai réussi à toujours avoir de bonnes
relations avec les gens. Ce qui ne veut pas dire que cela ne m'aurait pas fait
plaisir à l'occasion de me débarrasser d'un imbécile quelconque selon l'usage de
nos ancêtres.
31/12/1941 Au Dr Jolande Jacobi, Zurich :
31
Pour ce qui est des propos du Dr X, il s'agit sans aucun doute de projections
de son anima « juive » qui est antisémite (elle éprouve le besoin de corriger le
christianisme qu'elle ressent comme « juif »). [...] L'anima « juive » se reporte
sur les juives, non parce qu'elles sont juives mais parce qu'elles sont encore
antiques par leur érotisme - ou du moins supposées telles. [...] Vous n'avez bien
sûr pas d'hallucinations de mémoire, mais le Dr X, lui, en a probablement. Ces
projections sont évidemment fausses, mais elles sont les symptômes de
résistances reposant sur les présupposés inconscients que je viens de
mentionner. [...] Une personne qui a des présupposés inconscients doit être
traitée comme un malade mental ; on doit les lui laisser jusqu'à ce qu'elle entre
en conflit avec elle-même. [...] Il ne faut pas que vous vous occupiez trop de lui
car vous avez sur lui une action beaucoup trop intense et pénétrante. N'oubliez
pas que vous tenez le rôle de la mère et que vous êtes donc la plus puissante. Il
faut aussi que vous puissiez le perdre, car sinon il se prouve éternellement à luimême son être de fils en ce qu'il paraît être indispensable à la mère. [...] Il veut
sortir du complexe maternel, il faut donc qu'il l'éprouve encore par rapport à
vous. Et si vous ne lui avez alors pas encore faussé compagnie, peut-être
découvrira-t-il en vous la personne.
10/07/1946 Au Dr Fritz Künkel, Los Angeles :
180
[...] l'auteur ne se rend pas du tout compte que sa Betty, telle qu'elle se
manifeste à lui (comme la femme inspiratrice), existerait également si sa Betty
n'était jamais morte ou même n'avait jamais vécu. C'est la raison pour laquelle
je nomme cette figure féminine non pas Betty, mais anima. Le personnage
d'Anne se conduit à l'égard de Betty comme l'archétype de la mère (la « Grande
Mère ») à l'égard du Moi dans la psychologie féminine. Elle représente la face
féminine du Soi. C'est là quelque chose de particulièrement intéressant car cela
ne vaut pas pour la psychologie masculine. Chez un homme, si Betty n'était
qu'une anima, il faudrait qu'il y ait une figure masculine correspondant à Anne
(« le vieux sage »). Betty se conduit donc, selon ce point de vue, comme une
véritable femme et non comme une anima. Cela me semble confirmer le fait
que, dans ce cas précis, Betty est elle-même plus qu'une anima. Peut-être
réussirons-nous un jour à l'aide de tels critères à déterminer au moins
indirectement s'il s'agit d'une anima (un archétype toujours présent dans la
psychologie masculine) ou d'un esprit.
07/05/1947 To Mr. O., Zurich :
216
Votre première vision dans laquelle apparaît votre Béatrice contient un point
à partir duquel je peux vous montrer comment vous pouvez y entrer [dans
l'imagination active]. En tant que figure d'anima, Béatrice est sans nul doute
une personnification, c'est-à-dire un être personnel qui a été créé sous cette
forme par l'inconscient. Vous pouvez être sûr que votre anima a choisi cette
forme pour vous montrer à quoi elle ressemble. Une Béatrice aussi immense est
bien entendu un spectacle surprenant. Au lieu de réagir à ce fait extrêmement
étrange, prenez les choses comme elles sont et poursuivez l'élaboration de votre
vision. Ce qui serait naturel, toutefois, ce serait de saisir l'occasion pour entrer
en conversation avec votre anima. [...] Considérez-la comme un être humain, ou
comme patiente, ou comme déesse, comme vous voudrez, mais avant tout
traitez-là comme un être qui vit et ce n'est pas simplement votre vision ; car elle
vit réellement. [...] Gardez toute votre tête et votre personnalité face à la
surabondance écrasante des images et de leurs aspects. Comme je vous l'ai dit,
vous le pouvez en entrant dans l'image avec vos réactions et vos émotions
humaines normales. C'est une très bonne méthode pour traiter l'anima comme
si elle était une patiente dont vous auriez à découvrir le secret.
20/05/1947 To Mr. O., Zurich :
219
Les deux animaux qui s'entredéchirent sous l'eau représentent un combat
des opposés dans votre inconscient. Le combat se déroule sous l'eau parce que
vous n'en avez pas conscience. Il trouve sa figuration dans l'image de
l'ouroboros qui se dévore la queue ; vous-même vous êtes exclu, et c'est la
raison pour laquelle vous êtes encore un bébé et vous avez en conséquence une
anima si formidablement puissante. Mais même un petit enfant peut devenir
adulte et s'affirmer. Et d'ailleurs il en est ainsi : les petits enfants s'affirment. Si
vous vous réfugiez à l'intérieur de votre mère-anima, alors vous vous contentez
de vous coucher pour dormir et les animaux peuvent se déchirer jusqu'à la fin
des temps.
19/12/1947 To Father Victor White :
239
Vous rappelez-vous la figure antipathique de ce logicien sèchement
jésuitique, dans un de mes rêves ? Peu après, je vous ai raconté qu'il me fallait
absolument écrire quelque chose, mais je ne savais pas quoi. Et puis il m'a
semblé soudain que je devais traiter des aspects les plus complexes de l'anima,
de l'animus, de l'ombre, et surtout du Soi. (Il s'agissait des chapitres
introductifs d'Aion.)
8/01/1948 To Rev. Canon H. George England, Exeter, Devon/England :
245
L'anima représente, psychologiquement, la partenaire féminine intérieure en
opposition à la conscience masculine, correspondant à la minorité de gènes
féminins que contient le corps masculin ; elle fonctionne comme une persona1,
car elle est une instance de liaison entre l'inconscient collectif et la conscience,
de même que la persona entre la véritable personnalité et le monde extérieur.
La dualité d'aspect de l'anima est liée au fait que tous les effets émanant de
l'inconscient collectif sont ambivalents. Elle est une instance de transmission
non seulement de bonnes influences, mais aussi de mauvaises. Dans les faits, en
vérité, il n'est pas rare qu'elle soit dans la vie d'un homme le pire des démons.
30/01/1948 To Father Victor White :
253,255
L'accent mis sur l'anima signifie naturellement l'homme dans sa totalité :
masculin plus féminin = conscient plus inconscient. Nous ne savons pas ce que
sont l'inconscient et le Saint-Esprit, mais la sphère inconsciente de la psyché est
le lieu où se manifeste l'esprit vivant qui en l'homme dépasse l'homme.
PS : Mon Anima-Mère est plus jeune que moi. C'est à l'âge de trois ans que
j'ai fait ma première expérience de l'anima, une femme qui n'était pas ma
mère2. C'était très significatif, mais sur le moment la chose m'a échappé.
21/04/1948 To Walter Levino, Paris :
263
Sans aucun doute l’anima présente l’aspect très important d’une
dispensatrice de sagesse. Elle est la femme inspiratrice par excellence∗ . Elle
conçoit sa sagesse du « Père » — le dogme les représente sous les espèces de
Marie et de Dieu le Père ou du Saint-Esprit. « C’est dans le sein de la Mère que
réside la sagesse du Père. » Ainsi l’anima est toujours en relation avec la source
de la sagesse et de l’illumination, dont le symbole est le Vieux Sage. Tant que
vous restez sous l’influence de l’anima, l’archétype du Sage n’est pas conscient
chez vous, c’est-à-dire que vous êtes identifié à lui, et c’est pourquoi vous vous
occupez intensivement de philosophie indienne. Vous êtes contraint à jouer
vous-même le rôle du Vieux Sage. L’archétype s’accomplit à travers vous.
L’anima est la voie qui conduit à lui ; apparemment elle est aussi source de
sagesse, mais ce n’est là qu’apparence. L’anima est l’archétype de la vie en soi,
qui procure expérience et connaissance.
1
La persona, c'est ce par quoi vous aimeriez impressionner les autres, et ce que les autres vous imposent comme
rôle à jouer. (Dans la même lettre, au paragraphe précédent)
2
Cf. Ma Vie, p. 27 : « J'avais l'impression qu'elle n'appartenait pas à ma famille, mais uniquement à moi et que,
d'une manière qui m'était incompréhensible, elle se rattachait à des choses mystérieuses que je ne pouvais
saisir. »
∗
En français dans le texte.
03/03/1949 To Eugene M.E. Rolfe, London :
290
[…] Vous n’êtes pas encore sorti de l’inconscience. Par exemple, vous
négligez totalement le fait que l’homme a une anima qui joue le rôle du diable —
c’est pourquoi vous avez épousé l’anima et l’ombre en une seule et même
personne. Mais dans ces conditions il est presque impossible de prendre
conscience de sa propre anima ; car sa réalité, elle est toujours sous votre nez, et
toujours elle prend les traits de votre femme.
[…] Si toutefois vous êtes une personnalité consciente, en d’autres termes : si
vous savez tout de votre ombre, et tout de votre anima (ce qui est encore pire),
alors il y a lieu d’espérer que vous êtes vrai, c’est-à-dire vraiment vous-même,
et c’est cela qui porte.
07/02/1950 Au Dr Aloys von Orelli, Zurich :
16
Il est discutable que l’on puisse qualifier d’unio mystica l’union de l’anima et
de l’animus. Ce qui est sûr, c’est seulement que le hieros gamos constitue une
idée mythologique parallèle. L’unio mystica, c’est plutôt une dissolution du moi
dans l’abîme originel de la divinité, ce qui est une toute autre expérience
existentielle.
12/05/1950 To Father Victor White, Oxford :
29
Votre pensée métaphysique affirme (« posits »), ma pensée doute, c’est-àdire elle n’envisage que de donner des noms à des ουσιαι3 insuffisamment
connues. […] Vous vous mouvez dans l’univers du connu, et moi je suis dans le
monde de l’inconnu. C’est probablement la raison pour laquelle l’inconscient se
transforme pour vous en un système de concepts abstraits. L’anima vous
empêche de voir.
21/09/1951 To Father Victor White, Oxford :
74
J’ai vu Mrs. X., un vrai régal pour les yeux, et un peu plus encore ! Nous
avons eu une conversation intéressante ; je suis bien obligé de le dire, elle est
remarquable ! Si jamais femme a été anima, c’est bien elle, il n’y a pas a
discuter !
Dans de tels cas, ce que l’on a de mieux à faire, c’est le signe de la croix, car
l’anima, et par-dessus le marché une telle quintessence d’anima, projette une
ombre métaphysique longue comme une note d’hôtel, et recèle des choses qui
se prolongent à l’infini et s’harmonisent ensemble à merveille.
[…] Qu’elle ait appris toute sa psychologie dans les livres, c’est parfait ; elle
aurait écrasé n’importe quel analyste, même correct et compétent.
3
Réalités
06/04/1952 To C.H. Josten, Oxford :
100, 101, 102
Tous les rêves érotiques ou semi-érotiques qui suivent visent à une
coniunctio avec le côté féminin, c.-à-d. inconscient (appelé « Anima »).
[…] Il [le Soi] apparaît aussi dans le rêve du 29 décembre 1646 : « tous les
sentiments de mon amour trouvent leur but en Toi », c.-à-d. en l’AnimaSapientia.
[…] Je voudrais encore vous rendre attentif au parallèle qu’on peut établir
avec le Faust de Goethe : au début de la série de rêves, le rapprochement avec
l’inconscient est symbolisé par plusieurs figures féminines ; le rêveur est
incapable d’établir une relation avec sa partenaire féminine (son côté
inconscient, c.-à-d. son « Anima »),puis il est empoisonné par son Ombre (en
termes alchimiques, son « familiaris », en règle générale, Méphisto dans le
Faust) et, par le crime et la trahison il retombe dans l’attitude masculine qui
était la sienne auparavant, avec les buts ambitieux qui la caractérisent : la
richesse et la gloire.
03/05/1952 To C.H. Josten, Oxford :
118
La situation psychique qui était celle d’Ashmole à l’époque était tout entière
en quête de présence féminine, car ces processus d’individuation sont
généralement accompagnés d’une relation à une soror mystica. C’est la raison
pour laquelle de nombreux alchimistes, dit-on, auraient eu une relation à une
figure féminine qui correspond à ce que j’appelle l’anima, comme Nicolas
Flamel et Péronelle, Zosime et Théosébée, Mrs. Atwood et son père, John
Pordage et Jane Leade, etc. C’est une relation de ce genre qui est figurée par les
noces royales alchimiques. Il arrive souvent que l’on trouve chez les couples de
remarquables coïncidences entre les pensées de l’un et de l’autre, et il en va de
même des rêves, où l’on peut voir apparaître des éléments parallèles ; il arrive
même que leurs rêves soient interchangeables.
08/11/1954 To Prof. Calvin S. Hall, Cleveland (Ohio)/USA :
266
[…] Je n’accepte pas la notion de « système ». Si mon souci avait été de faire
un système, je me serais assurément fabriqué des concepts meilleurs et plus
philosophiques que ceux que j’utilise. Prenez, par exemple, « Animus » et
« Anima ». Aucun philosophe doué de raison ne s’aviserait d’user de notions
aussi irrationnelles et maladroites. Lorsque les choses s’accordent entre elles,
on n’a pas toujours affaire à un système philosophique ; il arrive que les faits,
eux aussi, s’accordent. Les motifs mythologiques sont des données de fait ; ils
ne changent jamais, seules changent les théories. Aucune époque ne pourra
jamais nier l’existence des motifs mythologiques.
29/06/1955 To Patricia Green, London :
89
Si vous connaissez un peu ma théorie de l’anima : Joyce et sa fille sont un
exemple classique. Il n’est pas douteux qu’elle ait été sa « femme
inspiratrice∗ », ce qui explique la dénégation opiniâtre qu’il a opposée à un
certificat médical concernant la maladie mentale de sa fille. Sa propre anima,
c’est-à-dire sa psyché inconsciente, était si indissolublement identifiée à elle
qu’accepter une telle attestation aurait signifié aussi reconnaître sa propre
psychose latente.[…] Son style « psychologique » est sans aucun doute
schizophrène, à ceci près, il est vrai, que le patient ordinaire n’y peut rien s’il
parle et pense comme cela, alors que Joyce voulait consciemment ce style et lui
a donné forme avec toute la force créatrice du génie, ce qui explique d’ailleurs
pourquoi il n’a pas franchi lui-même la limite. Sa fille, elle, l’a franchie parce
qu’elle n’était pas comme son père un génie mais seulement une victime de sa
propre maladie.
O8/1956 À un destinataire non nommé, USA :
147
Le choix de vos épouses a été significatif. Elles représentaient passagèrement
l’incarnation de ce que j’appellerais votre Anima. […] Cela signifie en pratique
que la femme de votre choix représente une tâche qui est vôtre mais que vous
ne comprenez pas. Vous possédez une certaine faculté créatrice, mais non,
semble-t-il, l’aptitude technique correspondante.
[…] L’impulsion créatrice demeurait en vous — elle se tenait tranquille aussi
longtemps que le mariage fonctionnait et que quelqu’un d’autre s’occupait
d’elle. Mais après la mort de votre seconde femme elle s’est manifestée de façon
autonome, explosive et dépourvue de sens, sous la forme de bruits divers et
d’autres choses analogues.
Il est alors devenu d’une urgente nécessité que vous prêtiez attention à la
pression de l’inconscient et que vous compreniez son aspiration à donner forme
à quelque chose, sans plus de retard, et cela au moyen des modestes capacités
dont vous disposez. Ne vous souciez pas des imperfections techniques ; ce qui
importe, ce sont les contenus qui veulent se faire jour.
02/01/1957 À une correspondante non nommée, Suisse :
171
Pour ce qui est de l’intégration de parties isolées de la personnalité, il faut
rester conscient du fait que la personnalité centrée sur le Moi, en tant que telle,
ne contient pas les archétypes mais est seulement sous leur influence ; car les
archétypes sont universels et font partie d’une psyché collective dont le Moi n’a
pas la disposition. C’est ainsi que l’Animus et l’Anima sont des images
représentant des figures archétypiques qui assurent la médiation entre la
conscience et l’inconscient. Ils peuvent certes, en tant que tels, être rendus
∗
En français dans le texte.
conscients, mais ils ne peuvent être intégrés à la personnalité centrée sur le
Moi, vu qu’en tant qu’archétypes ils sont également autonomes.
12/11/1957 À une destinataire non nommée, Angleterre :
240
[…] C’est une histoire typique : elle parle de ce que j’appelle la projection de
l’Anima sur une femme ou de l’Animus sur un homme. L’Anima, c’est l’image
de l’âme chez l’homme, représentée dans les rêves ou les fantasmes par une
figure féminine. L’Anima symbolise la fonction de relation. L’Animus, c’est
l’image des forces spirituelles de la femme, symbolisée par une figure
masculine. Si le sujet, homme ou femme, n’est pas conscient de ces forces
intérieures, elles lui apparaissent en projection.
[…] La projection de l’Anima et de l’Animus provoque une fascination
réciproque.
08/06/1959 À Traugott Egloff, Zurich :
121, 122
L’androgynie de l’anima peut bien apparaître à un certain moment dans
l’anima elle-même, elle n’en provient pas moins de l’unité du Soi qui se trouve
au-delà. De même que notre conscience masculine est la concrétisation partielle
du masculin, de même l’anima est un aspect du féminin. Son aspect masculin
s’exprime très clairement dans la figure d’anima du Cantique des Cantiques, à
travers le qualificatif « terrible comme une armée en marche4 ».
19/11/1960 To Eugene M.E. Rolfe, England :
221
Vous en appelez une fois de plus à l’anima chrétienne de Tertullien des
premiers siècles romains, qui prétendait être la lumière qui éclaire les ténèbres.
Mais qu’en est-il de l’anima de nos jours envahis par la nuit ?
13/12/1960 Au Dr Ignaz Tauber, Winterthur/Suisse :
226, 227
La femme représente manifestement mon anima sous la forme d’une ancêtre
vieille de plusieurs millénaires.
[…] Je l’ai [Pégase] représenté sous son aspect féminin, et le jaillissement de
l’eau du Verseau est figuré chez moi par le lait. L’attribut féminin indique la
nature inconsciente du lait qui manifestement viendra d’abord dans les mains
de l’anima, la dotant d’une énergie particulière.
Cette augmentation de l’énergie de l’anima a aussitôt suscité en moi la
représentation d’une ourse qui, venant de la gauche, s’approche du dos de
l’anima. L’ourse représente bien l’énergie sauvage et la force d’Artémis.
[…] L’anima est à l’évidence tournée vers des réalités spirituelles, mais l’ours,
en tant qu’emblème de la Russie, fait rouler quelque chose. D’où
l’inscription : « Ursa movet molem5. »
4
Cantique des Cantiques, 6, 10.
5
« L’ourse met en mouvement la masse. »