La science, l`information, la connaissance
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La science, l`information, la connaissance
Physique et interrogations fondamentales XV. La science, l’information, la connaissance Issue de réflexions sur le concept d’entropie en thermodynamique, la notion d’information a pris un sens rigoureux et abstrait dans l’article séminal de Claude Shannon sur « la théorie mathématique de la communication » (1948). Depuis lors, l’information a servi d’outil conceptuel, de paradigme, voire de métaphore à plusieurs disciplines. Elle a également été à la base d’une technologie générique, l’informatique, qui a profondément modifié notre rapport aux savoirs, allant même jusqu’à suggérer à certains qu’elle opérait une révolution « numérique » en transformant ce qu’est la connaissance. Toujours polysémique et d’une précision fluctuante, la notion d’information occupe une place centrale dans la configuration contemporaine des sciences. C’est pourquoi la quinzième rencontre « Physique et interrogations fondamentales » place l’information au cœur d’un questionnement sur la science telle qu’elle se pratique aujourd’hui et la connaissance en tant qu’elle sert à comprendre l’univers et le monde social. Au-delà d’une juxtaposition, ce qui est en jeu dans le triptyque science, information, connaissance, ce sont les diverses modalités d’articulation entre ces trois notions : - - - Dans une perspective épistémologique classique, l’information obtenue par l’observation et l’expérimentation est à la base de l’élaboration des connaissances, dont l’accumulation et l’organisation rationnelle constituent la science. Cette information en évolution constante est ainsi la source universelle des progrès de la science. Après-guerre, dans le sillage de la formulation canonique de la notion d’information comme une grandeur quantifiant le contenu d’un message, naît l’espoir de saisir plus généralement et sous certaines conditions les dynamiques d’un système, que celui-ci soit physique, biologique, voire psychologique ou social. Un nouveau paradigme émerge, transitoirement incarné par la cybernétique, qui a marqué un large spectre de disciplines et produit des interfaces entre elles. La pertinence du concept d’information devient un enjeu encyclopédique. Enfin, en même temps que la croissance de la puissance de calcul des ordinateurs rendaient possible un « tournant computationnel » au sein de certaines pratiques scientifiques, il s’est constitué une « science de l’information », c’est-à-dire une théorie de la démonstration qui se fonde sur les caractéristiques mêmes de l’information. Un nouveau champ problématique s’ouvre alors à la science vive. Pour éclairer ces trois articulations possibles de la science, de l’information et de la connaissance, il faut éviter deux écueils symétriques : la réduction de la notion d’information à la seule définition de Shannon qui méconnaîtrait les contraintes conceptuelles de chaque champ ; l’éclatement de la notion entre des conceptions homonymes qui entrainerait le renoncement à toute comparaison. Il faut ne pas redouter la complexité et mettre la notion à l’épreuve de multiples déplacements et modifications, en mesurant sa robustesse et les limites de son application à différentes pratiques scientifique, aux échanges entre les disciplines et aux relations entre science et société. Auteur d’une remarquable étude sur l’émergence et les ramifications de la notion d’information (Le Zéro et le Un. Histoire de la notion scientifique d’information au XXe siècle), l’historien Jérôme Ségal introduira cette journée en esquissant les « histoires du concept scientifique d’information », insistant à la fois sur ses racines multiples (science physique, statistique, télécommunication), sa cristallisation et certaines de ses métamorphoses ultérieures. C’est justement aux développements de ce concept en physique, et plus particulièrement dans la discipline qui l’a vu naître, la physique statistique, que Bernard Derrida nous conviera ensuite. Cela préparera l’écoute de l’intervention du philosophe et spécialiste de l’information quantique, Alexei Grinbaum, qui présentera une formalisation exigeante de l’information appliquée à la mécanique quantique : « de l’atome à l’information : un renouveau de la théorie quantique ? ». Puis, Emmanuelle Bermès, responsable de la bibliothèque numérique à la Bibliothèque nationale de France, interviendra sur « le défi [que constituent les] méga-données en bibliothèque » tant du point de vue de la conservation que de la diffusion. Pour clore cette matinée, le biologiste et philosophe Michel Morange nous entretiendra de « l’évolution de l’usage des notions informationnelles en biologie » où la métaphore du « code » génétique a peu à peu laissé place à d’autres approches, centrées sur l’expression des gènes ou sur la configuration concrète des protéines. Avec ces trois communications, nous aurons déployé la notion d’information entre sa conception la plus formelle, l’information quantique, et la plus matérielle, l’archive et les données, avant d’aboutir à une conception où l’information n’est ni forme, ni matière, mais « prise de forme », c’est-à-dire « formule de l’individuation » des êtres vivants, pour reprendre une expression du philosophe Gilbert Simondon. L’après-midi sera l’occasion d’explorer les ouvertures et les ruptures engendrées par l’information. En premier lieu, l’astrophysicien Alain Riazuelo exposera « le paradoxe de l’information en cosmologie » : il expliquera en particulier comment un « trou noir » annihile l’individualité des corps qui s’y agrègent et remet en cause la conservation de l’information en physique, tandis que le principe holographique pose qu’une partie de cette information est accessible en deux dimensions sur l’horizon du trou noir. En second lieu, le détenteur de la chaire « Algorithmes, machines et langages » du Collège de France, Gérard Berry se demandera si « l’information numérique va (…) remplacer les lois physiques ». L’augmentation prodigieuse des capacités de calcul permet en effet de faire émerger, grâce à de puissants algorithmes, des régularités insoupçonnées à partir de la masse des données. Cette stratégie algorithmique produit des paramétrisations relativement opaques qui concurrencent et remplacent parfois avantageusement les méthodes traditionnelles de modélisation. Ainsi, deux changements d’échelle changent la portée de la manipulation de l’information en science. Mais les modifications transversales les plus radicales des pratiques et des méthodes scientifiques sont celles qui ont aussi affecté l’ensemble de la société au travers de la révolution informatique, de la mise en réseau mondiale, de la croissance exponentielle des données et de leur exploitation algorithmique. Pour étudier quelques aspects des nouvelles relations entre science et société induites par la seconde génération des technologies de l’information et de la communication, nous avons réuni, autour du thème « extraire l’information, retrouver la connaissance », Dominique Cardon, sociologue étudiant la gouvernance des algorithmes, Jean-Louis Ermine, spécialiste de la gestion des connaissances, Nathalie Goedert, historienne du droit qui s’intéresse à l’effacement de l’information comme instrument de connaissance, et Sylvestre Huet, journaliste de vulgarisation scientifique.