Lili, prostituée, 55 ans
Transcription
Lili, prostituée, 55 ans
Témoignage de LILI, prostituée, 55 ans ‘‘ Je suis plus libre qu’en étant esclave domestique dans une famille chinoise ’’ ‘‘J e suis née en 1957 et je suis arrivée en France en avril 2009. J’avais 52 ans. Je viens de Nanchang, une ville située au sud-est de la Chine. Dans le temps, je travaillais dans les bureaux d’une grande usine d’État qui fabriquait des pneus, et puis il y a eu des licenciements et on m’a envoyée en préretraite avec une petite somme d’argent. Mais la situation économique est mauvaise dans mon pays, il y a beaucoup de chômage. Alors, j’ai décidé de partir à l’étranger. L’arrivée en France Il a d’abord fallu trouver quelqu’un qui organiserait mon passage en France, j’ai demandé mon passeport et obtenu un visa de travail pour la Pologne avec une fausse promesse d’embauche dans ce pays. À mon arrivée à Paris, quelqu’un m’attendait à l’aéroport Charles-de-Gaulle pour me conduire à un hôtel et m’aider à acheter des tickets de métro. Sans ce contact, un “laoxiang”, comme on dit en chinois pour désigner quelqu’un de ton pays, je ne serais pas venue. Le voyage a coûté 13 000 euros, dont 200 euros pour le “laoxiang”, une somme que j’ai empruntée à des amis et à ma famille. Je rembourse encore le prix du voyage et j’envoie aussi plusieurs centaines d’euros chaque mois à ma fille de 20 ans. Quand le taux de change est très avantageux, en une semaine, je gagne l’équivalent du salaire mensuel d’un ouvrier. J’ai commencé par garder des enfants dans des familles chinoises, je travaillais sept jours sur sept, en dormant sur place ou dans des dortoirs chinois. Le salaire était bas, les conditions humiliantes. J’ai souvent changé d’employeur pour trouver mieux, mais c’était très difficile. Au bout d’un an, je n’en pouvais plus et la prostitution s’est imposée comme une alternative en discutant avec d’autres Chinoises. Un jour, je suis partie « main dans la main » avec une copine pour faire notre première passe, Porte de Choisy. C’était très compliqué, car on ne parlait pas un mot de français, on se faisait comprendre par signes, en mettant les mains jointes sous la tête pour dire “aller au lit”. Je ne parle toujours pas français, car je vis entourée de Chinois : mon logeur, mes copines, l’association Lotus Bus, tout le monde parle chinois avec moi, sauf les clients qui sont français. Le quotidien Je vis maintenant dans un appartement loué au noir avec une autre femme chinoise. On se prostitue toutes les deux et on se protège mutuellement quand un client vient. Le loyer est de 400 euros par mois et le propriétaire prend 10 euros par passe. Je n’ai ni bail ni quittance, ce qui complique la vie, mais cela m’évite de travailler dans la rue ou chez les clients, ce qui est plus dangereux. Comme je suis sans papiers, je fais très attention à ne pas être arrêtée pour racolage, et quand un client veut que j’aille chez lui, ma colocataire m’accompagne, par sécurité. Mes clients sont plutôt polis, sauf les jeunes. Il y en a un qui m’a piqué mon portable, un autre qui m’a volé le montant de ma passe pendant que je prenais ma douche. Les jeunes sont toujours prêts à négocier les passes à 20 euros, alors que le prix normal tourne autour de 50 euros. Je n’ai jamais été rackettée, contrairement à certaines prostituées que je connais. Mais, une nuit, un client m’a agressée. C’était dans le tunnel de Porte Dorée, il ne voulait pas mettre de praéservatif et il m’a tirée par les cheveux pour me forcer, puis il m’a frappée. Je n’ai pas porté plainte, cela n’aurait servi à rien. Je trouve certains clients sur Internet, mais cela marche moins bien que le trottoir et cela coûte cher : l’annonce est à 60 euros, la mise à jour coûte 5 euros si tu veux que ton profil remonte en tête de page et je donne en plus 40 euros à la personne qui paie pour moi, par carte bancaire, pour la dédommager du risque encouru. Parfois, les frais d’annonce atteignent 150 euros par mois. Je suis aussi allée me prostituer en province, à Chambéry. J’ai pris le train avec d’autres Chinoises et on a fait des passes pendant un mois dans un appartement. C’est dangereux de se déplacer à cause des contrôles de police. D’ailleurs, certaines filles se sont fait prendre. Je ne dis jamais que je me prostitue, à personne, je parle plutôt de “ménages”. En Chine, ma famille serait la honte du voisinage si cela se savait. D’ailleurs, je ne me prostituerai pas toute ma vie, mais c’est aussi important de ne pas “perdre la face”. Ce n’est pas facile de se prostituer, c’est mal vu, mais je suis plus libre qu’en étant esclave domestique dans une famille chinoise. » Propos recueillis par Adélaïde Robault et Éric La Blanche Photos : Ulrich Lebeuf/Myop