L`assise immobile : Miroir ! Suis-je le plus beau

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L`assise immobile : Miroir ! Suis-je le plus beau
L’assise immobile : Miroir ! Suis-je le plus beau ?
Henri se souvient, c’était sa première expérience d’assise. Convié par un ami, il se rendit à
une « soirée d’assise immobile» qui avait lieu dans une petite salle de banlieue. Il y avait un
petit groupe qui se trouvait là. Après une présentation courte de la soirée, on lui proposa de
prendre la position assise de son choix. L’important était qu’il se sente confortable et qu’il
reste silencieux et immobile autant qu’il le pouvait. L’enseignant qui animait la soirée donna
une consigne simple : être attentif aux manifestations et aux mouvements du corps. Il n’y
avait donc rien d’autre à faire que d’observer et sentir les expressions d’un corps, assis dans
le silence et l’immobilité. L’homme discipliné qu’Henri était alors suivit les consignes à la
lettre. Un coup de gong annonça le début de l’assise.
Les premières minutes de cette expérience furent un pur bonheur de repos et de tranquillité
qui tranchait tellement avec la vie trépidante et hachée qu’Henri menait alors. Qu’il était bon
de goûter l’immobilité alors que l’agitation régnait habituellement partout dans son quotidien
! Il en retirait un sentiment de paix bienfaiteur. Après ces quelques instants de douceur, des
inconforts commencèrent à poindre dans ses jambes et sa colonne vertébrale. Infimes au
début, il ne les remarquait même pas. Il s’accrochait à la quiétude des premiers instants qu’il
ne voulait pas laisser échapper. Les inconforts se firent un peu plus vifs. Il sentait une raideur
dans sa nuque et sa colonne et des tensions musculaires dans ses jambes. Il essayait encore de
s’y soustraire en s’agrippant cette fois au souvenir du bien-être initial. Il avait le sentiment de
perdre l’expérience. Il ne se doutait pas que la véritable expérience commençait précisément
à cet instant.
Plus il cherchait à s’en détourner et plus les inconforts prenaient corps dans son dos et dans
ses jambes. Ce n’était d’ailleurs plus de simples inconforts, mais de véritables tensions qui
s’incarnaient à présent. Il entreprit alors de reconquérir le bien être perdu. Il essayait de se
raisonner. Il se disait qu’il n’y avait rien de plus normal que des tensions s’installent dans le
corps dans une telle position. Il faisait de grandes respirations pour revenir à la quiétude.
Comme l’enseignant l’avait expliqué, on pouvait bouger si on le souhaitait à condition de
faire un petit salut pour marquer pour soi-même que l’on quittait temporairement
l’immobilité. Il fit plusieurs saluts pour essayer de retrouver une position un peu plus
confortable. Rien n’y fit.
Malgré tous ses efforts, il lui était impossible de se soustraire à ce corps. Impossible
d’échapper aux tensions qui attiraient de plus en plus son attention comme si, au cœur de
l’immobilité, son corps voulait lui parler. Il était comme devant un miroir sans vouloir en
contempler le reflet. Oui, c’est bien de cela dont il s’agissait. Le corps agissait comme un
miroir et ce n’est pas à lui qu’il voulait échapper, mais à celui qu’il reflétait. Il le conviait ce
soir-là à une rencontre avec lui-même, mais il refusait ce rendez-vous.
Mais qu’y avait-il donc de si gênant dans ce miroir pour qu’il cherche autant à fuir ce reflet ?
Qui était-il celui qui souffrait de ces tensions ? Qui était donc celui qui apparaissait dans le
miroir implacable du corps ? Pour trouver la réponse, il n’y avait pas d’autres alternatives que
de rester devant et de regarder le reflet.
Bien qu’il pût parfaitement le faire, Henri ne voulait pas quitter l’expérience et rompre la
position assise. Il avait envie de vivre l’expérience jusqu’au bout. Il avait besoin d’un
éclairage, il avait besoin de voir qui il était à ce moment-là.
Il décida alors de rester un court moment devant le miroir. Le reflet d’abord lointain se
clarifia. Il découvrit un homme qui, depuis le début de son assise, avait adopté une posture
qu’il pensait parfaite : dos bien droit, jambes repliées en demi-lotus, genoux touchant le sol,
nuque droite, les yeux fixant droit devant. Mais pourquoi une telle posture alors qu’il était
libre de sa position ? Personne n’avait exigé de lui une telle assise ! Il lui fallut un peu de
temps et quelques questions à la fin de l’assise pour faire une découverte ce soir-là. Il était en
train de prendre contact avec son infortune du jour. Mon Dieu que cet homme si docile
voulait mimer les grands sages alors qu’il faisait ce soir sa toute première assise. Mon Dieu
que cette imitation lui rendait l’assise difficile et douloureuse. Appuyé fortement sur ces
genoux pour qu’ils restent au sol et le dos raide pour garder une colonne droite, il était bien
normal qu’il en ressentît des tensions. Il effleura du doigt une profonde douleur qui s’avérera
plus tard être la porte du meilleur de lui-même, mais il l’ignorait encore.
Puis un saut se produisit dans son esprit : « Mais ce que je suis ce soir dans l’assise… Je le
suis aussi dans la vie ! » Une foule d’images surgit alors sous forme d’instantanés de sa vie
actuelle où il cherchait toujours à faire comme si… Comme si il était un papa ou un mari
modèle… Comme si il était un professionnel bien sous tous rapports… Comme si il
cherchait, bien inconsciemment, à donner ce soir aux autres l’impression d’un homme qui
s’asseyait comme s’il était déjà un sage ! Il y était. C’était son rendez-vous. Et comme cela
était épuisant de faire comme si ! Comme cela fatiguait sa vie ! Il avait trente ans. Qu’en
serait-il dans 20 ou 30 ans s’il continuait à vivre de cette façon ? L’assise faisait des
merveilles. Son corps lui renvoyait exactement à l’endroit où il en était dans l’instant et dans
sa vie.
Il avait alors le choix, sans doute le seul qui s’offrait à lui, de juger cet homme ou de
l’embrasser. Mais comment juger un être qui a appris depuis tout petit que la seule façon
d’avoir un peu d’amour, c’est de faire croire qu’il est grand alors qu’il ne sait pas encore
marcher ? Comment ne pas être attendri pas cette imperfection si innocente ? Il lui fallut
quelque temps et plusieurs assises pour apprendre peu à peu à sourire à ce reflet dans le
miroir. Car c’est au cœur du sourire sur son imperfection que se produit la transformation de
celui qui juge en celui qui aime. Aux questions qu’il posait à l’enseignant à l’issue des assises
successives, il lui répondait : se transformer c’est d’abord reconnaître et sourire à ses
infortunes quotidiennes. Surtout ne pas se changer, mais faire de chaque imperfection
l’occasion de mieux s’aimer pour dépasser ce qui d’ordinaire constitue une limite
infranchissable.
L’assise immobile et silencieuse favorise cette rencontrer intime avec soi-même. Apprendre à
faire de ses imperfections la porte vers le meilleur de soi-même telle est la voie à laquelle elle
nous convie. Apprendre à mieux s’aimer, c’est aussi apprendre à mieux aimer tant on aime à
l’extérieur aussi loin que l’on aime à l’intérieur.
Christophe Roux-Dufort
© Les Amis de Bernard Montaud

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