Diagnostic préimplantatoire Réflexions éthiques sur la sélection d

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Diagnostic préimplantatoire Réflexions éthiques sur la sélection d
Positions de Procap
Inllusion Works
Diagnostic préimplantatoire
Réflexions éthiques
sur la sélection d’embryons
lors de la fécondation artificielle
Contexte
Grâce à la médecine de reproduction, les couples infertiles ont aujourd’hui la possibilité de concevoir un
enfant artificiellement, en dehors du corps de la mère. En Suisse, la fécondation artificielle est soumise à des
règles strictes. Ainsi, il est défendu d’examiner les embryons produits dans la boîte de Pétri pour déceler
d’éventuelles maladies héréditaires avant qu’ils soient implantés dans l’utérus de la femme. Le diagnostic
préimplantatoire (DPI) est notamment interdit. Ce processus consiste à prélever des cellules d’un embryon
pour vérifier qu’il ne présente pas de maladies. « Compte tenu de la grande vulnérabilité de l’embryon in
vitro et du fait que le risque de sélection abusive est beaucoup plus élevé avec un embryon in vitro qu’avec
un embryon in utero, ce processus suscite quelques craintes », indiquait le Conseil fédéral pour justifier
l’interdiction du DPI dans son message relatif à la loi sur la procréation médicalement assistée de 1996.
La loi fait à présent l’objet d’une révision visant à assouplir cette interdiction, comme dans d’autres pays. La
principale question qui se pose est de savoir si le diagnostic préimplantatoire doit être autorisé et si oui,
dans quelle mesure. Une levée de l’interdiction du DPI entraînerait une modification de la Constitution et
devrait de ce fait être présentée au peuple.
La question de savoir si les couples peuvent faire analyser l’embryon en vue de déceler non seulement des
maladies héréditaires graves, mais aussi des anomalies chromosomiques telles que la trisomie 21 (syndrome de Down) est également débattue dans le cadre de cette révision. Certains suggèrent par ailleurs
d’autoriser à l’avenir les dons d’ovules et d’embryons ainsi que la maternité de substitution.
Évolution du diagnostic préimplantatoire
La naissance de Louise Brown, à l’été 1978, a marqué une percée scientifique considérable qui a redonné de
l’espoir aux couples sans enfants : elle était le premier bébé-éprouvette au monde. Sept années plus tard, le
premier bébé-éprouvette suisse est né à Locarno. Aujourd’hui, la fécondation artificielle, ou fécondation in
vitro (FIV), est une pratique qui n’a plus rien d’exceptionnel.
La FIV est désormais utilisée non seulement par les couples stériles, mais aussi de plus en plus, ailleurs qu’en
Suisse, par des couples atteints d’une maladie héréditaire qu’ils ne souhaitent pas transmettre à leur enfant
ou qui ne veulent pas mettre au monde un enfant handicapé. Le diagnostic préimplantatoire sur l’embryon
se pratique depuis les années 1990. Trois jours environ après la fécondation, une à deux cellules sont prélevées sur l’embryon afin d’examiner s’il présente des défauts génétiques et, lorsque la loi l’autorise, des
anomalies chromosomiques. Le processus permet également de déceler des maladies ou des troubles qui
n’apparaissent que beaucoup plus tard dans la vie d’un individu, si tant est qu’ils apparaissent un jour. Le
DPI permet également de choisir le sexe de l’enfant ou de définir d’autres caractéristiques souhaitées.
Le DPI est controversé sur les plans éthique et politique. Il soulève des questions existentielles fondamentales, notamment celle de savoir si nous sommes en droit de classer les êtres humains entre ceux qui
méritent de vivre et les autres et ainsi de les sélectionner.
Chiffres et faits
De plus en plus de couples choisissent de recourir à la fécondation artificielle dans l’un des 28 centres de
reproduction suisses. Selon l’Office fédéral de la statistique, plus de 6 300 femmes ont réalisé une FIV en
2012, c’est-à-dire presque deux fois plus que dix ans plus tôt. Le taux de grossesses après une FIV s’élève à
environ 35 % depuis dix ans. En 2012, près de 2 000 enfants sont nés grâce à la fécondation artificielle.
Les frais d’une FIV ne sont pas pris en charge par les caisses-maladies et varient, en fonction de la clinique,
entre 4 000 et 5 000 francs par cycle, comme le révèle une enquête menée par Kassensturz au début de
l’année. Viennent encore s’y ajouter les traitements hormonaux, eux aussi coûteux. Un couple débourse
environ 45 000 francs pour quatre tentatives. Il est rare que la fécondation fonctionne du premier coup.
Les coûts du DPI sont plus ou moins du même ordre que ceux d’un cycle de FIV. Ils dépendent également du
type de maladie devant être examinée.
Situation juridique – Tour d’horizon des pays voisins
La loi sur la procréation médicalement assistée de 1998 interdit le DPI en Suisse. Dans le message relatif à la
loi, le Conseil fédéral justifie notamment cette interdiction par le fait que le risque de sélection abusive est
beaucoup plus élevé avec un embryon in vitro qu’avec un embryon in utero1. « Si le diagnostic préimplantatoire faisait partie des actes médicaux pratiqués de manière générale, la retenue actuelle lorsqu’il s’agit
d’analyser un embryon conçu par fécondation in vitro selon des critères déterminés [...] irait en s’amenuisant », craignait alors le Conseil fédéral.
À la suite de plusieurs interventions politiques, le Conseil fédéral souhaite à présent autoriser le DPI dans
des conditions strictes. Ainsi,
« le DPI ne doit être appliqué que lorsque le danger concret de voir le couple parental se trouver dans
une situation intolérable parce que l’enfant à concevoir sera atteint avec une forte probabilité d’une
maladie héréditaire grave ne peut être écarté autrement. Pour cela, le risque de maladie doit être fondé
sur une prédisposition génétique connue des parents. »
Selon cette proposition du Conseil fédéral, toutes les autres applications demeurent interdites sous peine
de sanction. En font partie les « screenings » (dépistages), par exemple en cas d’âge avancé de la mère, les
« bébés-médicaments », ou encore le choix du sexe ou d’autres critères génétiques. Le Conseil fédéral
estime que dans les conditions susvisées, le DPI devrait être réalisé par 50 à 100 couples chaque année.
Le DPI est autorisé et légalement réglementé dans la plupart des pays européens. En Allemagne, le DPI est
autorisé depuis peu pour prévenir les maladies héréditaires. Même chose en France, où les bébés-médicaments sont également permis, moyennant une autorisation spéciale. Le DPI est interdit en Autriche et en
Italie.
1 Message relatif à l’initiative populaire « pour la protection de l’être humain contre les techniques de reproduction artificielle (Initiative
pour une procréation respectant la dignité humaine, PPD) » et à la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée (LPMA), 1996,
p. 257. https ://www.bj.admin.ch/content/dam/data/gesellschaft/gesetzgebung/fortpflanzungsmedizin/bot-fortpflanzungsmedizin-f.pdf
Quelles sont les valeurs qui posent question vis-à-vis du DPI ?
Dans son message relatif à la loi sur la procréation médicalement assistée de 1996, le Conseil fédéral mettait déjà en avant les délicates questions soulevées par le DPI sur le plan éthique. Il constatait ainsi :
« Un embryon in vitro ne doit pas devenir l’exutoire de tous les intérêts imaginables. On appréhende
notamment les effets que l’admission du DPI peut avoir sur la société en général, comme par exemple
une détérioration de la situation des personnes handicapées ou malades. »
Le DPI suscite notamment les réflexions suivantes en matière d’éthique sociale et individuelle :
>> Le DPI pourrait entraîner une discrimination à l’égard des personnes malades ou handicapées et leur
donner l’impression qu’elles ont moins de valeur que les autres et sont indésirables dans notre société. Le
fait d’étendre les critères de sélection au-delà de ce que propose le Conseil fédéral est précisément
délicat en matière d’éthique sociale parce que cela pourrait contribuer à discriminer les personnes qui
souffrent des maladies, limitations ou handicaps que le DPI pourrait permettre de sélectionner.
>> Dans toute l’Europe, la plus grande crainte liée au DPI est qu’il ouvre grand la porte aux réflexions et
actions eugéniques2.
>> Dans le cadre du DPI, plusieurs embryons humains sont produits en vue d’en sélectionner un ou deux qui
conviennent. Ceux qui ne conviennent pas sont éliminés ou mis à la disposition de la recherche. L’être
humain en formation est ainsi traité comme un bien de consommation.
>> Plus il y a d’embryons humains produits spécifiquement en vue de ce processus de sélection, plus les
possibilités de manipulation et, par là-même, d’abus, augmentent.
>> Dans certains pays, la production de ce qu’on appelle les « bébés-médicaments » est une pratique
courante. Ces bébés donneurs sont par exemple sélectionnés pour que leur sang contribue à sauver la vie
d’un frère ou d’une sœur leucémique. Cela revient à instrumentaliser un être humain pour sauver une vie
sans qu’il puisse donner son avis, ce qui est contraire au droit fondamental de tout être humain à sa
propre intégrité. Nul ne sait jusqu’à quand cette interdiction se maintiendra en Suisse.
>> Le principal risque est qu’avec le temps, les critères de sélection soient étendus de manière à privilégier
non seulement les embryons qui ne présentent pas de maladie héréditaire grave, mais aussi ceux qui
correspondent à certaines caractéristiques génétiques. Aujourd’hui déjà, des médecins de la reproduction suisses demandent que le choix des critères de sélection soit laissé au seul couple. Selon la logique
de cette « optimisation » de l’enfant par le biais d’un contrôle génétique et chromosomique, les bébés
deviennent le « produit sur mesure » désiré par les parents.
2 Le mot grec eugenios signifie « bien né » ou « d’origine noble » (eu = bien ; genios = originaire de). Depuis la fin du XIXe siècle, l’eugénisme désigne l’amélioration du « matériel » génétique de la population. L’« eugénisme positif » englobe les mesures visant à multiplier
les êtres humains au potentiel génétique intéressant, tandis que l’« eugénisme négatif » englobe les mesures visant à empêcher la
multiplication des êtres humains dont le potentiel génétique est considéré comme indésirable.
Exigences de Procap Suisse
En tant que plus grande organisation d’entraide de et pour personnes avec handicap en Suisse, Procap
Suisse attache une grande importance au droit fondamental à la liberté individuelle. Celle-ci couvre notamment l’envie d’avoir des enfants. Il est toutefois indispensable de définir des conditions-cadres claires. C’est
la raison pour laquelle Procap soutient la proposition du Conseil fédéral visant à utiliser exclusivement le
DPI en cas de maladie héréditaire grave. Procap Suisse soumet l’autorisation du DPI à six exigences :
1. Autorisation restrictive du DPI
Le DPI est uniquement réservé aux couples qui pourraient transmettre, de manière démontrable, une
maladie grave à leurs enfants. Tous les autres examens de sélection, tels que les tests chromosomiques, demeurent interdits (proposition du Conseil fédéral).
2. Le droit des couples qui souhaitent avoir des enfants à être conseillés et informés
Il convient de garantir que les couples qui souhaitent recourir à la fécondation artificielle obtiennent
des explications justes, détaillées et objectives sur la FIV, le DPI, les risques qu’ils comportent, leur
taux de succès et leurs conséquences. Ceci suppose également qu’ils soient informés de la situation
juridique en vigueur. La question du contrôle n’est pas encore résolue.
3. Soutien aux personnes malades et handicapées
La société doit garantir que les personnes malades et handicapées aient droit à l’assistance complète
des institutions sociales, comme la caisse-maladie ou l’assurance-invalidité.
4. Pas de discrimination envers les personnes malades et handicapées
Chaque être humain a une valeur en soi (et non pour quelque chose). Cela signifie que chaque être
humain a une valeur en tant qu’être humain, et que celle-ci ne lui est pas conférée par sa performance, son apparence ou ses aptitudes.
5. Eviter les actions eugéniques
Des limites claires doivent être définies pour empêcher qu’à cause du DPI, une distinction entre les
êtres qui méritent de vivre et les autres ne soit un jour jugée acceptable.
6. Société solidaire
Nous attendons d’une société solidaire qu’elle crée des conditions-cadres qui tiennent compte de la
vulnérabilité et du caractère éphémère de l’être humain. C’est précisément cela qui est en jeu dans les
débats liés au DPI. En effet, sa logique de sélection ne s’arrête pas au moment de la naissance, étant
donné que la plupart des maladies et handicaps se manifestent plus tard. Le DPI peut mettre à mal la
solidarité. Cela, nous devons l’empêcher. Le présent document a été validé par le Comité central de Procap Suisse à Olten, le 13 juin 2014.
Un lobby qui défend tous les types de handicap
Procap est le porte-parole de 20 000 personnes avec handicap et à ce titre, elle est une voix forte au sein du
paysage politique en matière de handicap. Elle est représentée dans de nombreuses communautés
d’intérêt, donne son avis sur des sujets d’actualité et est activement engagée dans le travail de lobbying
politique. Grâce à son réseau bien développé, Procap peut faire entendre les intérêts de la politique
en matière de handicap.
>> Plus d’informations : www.politiquesociale.procap.ch
Soutien juridique
Les personnes avec handicap et leurs proches sont souvent confrontés à des questions complexes
en matière d’assurance sociale. Le service juridique de Procap et ses centres de conseil régionaux leur
apportent leur soutien et les aident à s’y retrouver dans la jungle de paragraphes. Ils s’occupent de la
correspondance juridique et défendent leur cause devant les tribunaux si nécessaire. Nos conseils
portent principalement sur l’assurance-invalidité, l’assurance-accidents, la prévoyance professionnelle,
les prestations complémentaires et la contribution d’assistance. Les avocats et avocates du service juridique
de Procap tiennent par ailleurs des présentations publiques liées au droit des assurances sociales.
>> Vous avez besoin de soutien juridique ? Nos points de contact régionaux vous aideront. Vous souhaitez
assister aux présentations ? Retrouvez toutes les dates sur notre site Internet.
>> Plus d’informations : www.servicejuridique.procap.ch
Procap Suisse – l’organisation pour personnes avec handicap
Procap Suisse, Frohburgstr. 4, case postale, 4601 Olten
Tel. 062 206 88 88, [email protected], www.procap.ch
2014/1
Procap Suisse est une organisation d’utilité publique de et pour personnes avec handicap. L’association
compte 20 000 membres répartis dans quelque 44 sections locales de toutes les régions linguistiques de
Suisse. Elle offre à ses membres des conseils professionnels en matière de droit des assurances sociales,
de construction, de logement et de voyages. Par ailleurs, Procap permet aux personnes avec handicap
d’avoir accès au sport, aux loisirs, à la culture et à la vie sociale.