Les Inrockuptibles

Transcription

Les Inrockuptibles
L’Aventure de Mme Muir
Un film de Joseph L. Mankiewicz
L’Aventure de Mme Muir, 1947, 1h44
Avec Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders
Un chef-d’œuvre bouleversant sur la désillusion et la fuite du temps.
L’histoire du cinéma hollywoodien est parsemée de rêveries
et de récits d’amour teintés de fantastique, de Peter Ibbetson
d’Henry Hathaway à Edward aux mains d’argent de Tim
Burton, en passant par le Portrait de Jennie de William
Dieterle.
Mais L’Aventure de Madame Muir reste en ce domaine
onirique et précieux un must indépassable. Mankiewicz,
peintre de la femme, dresse le portrait d’une jeune veuve
indépendante et moderne qui, dans l’Angleterre du début
du siècle, décide d’aller vivre seule avec sa petite fille et
sa domestique dans une maison au bord de la mer. La
demeure est hantée par le fantôme du capitaine Glegg, mais
la perspective de partager son toit avec un spectre excite
davantage Madame Muir qu’elle ne l’épouvante. Le fantôme
du marin bourru et séduisant devient le confident de la jeune
femme, et une relation amicale s’installe entre eux, à peine
voilée par leur différence de condition (l’une vit, l’autre pas).
Hélas, Madame Muir se laisse prendre par les sirènes du réel
et tombe dans le piège d’un coureur de jupons (le toujours
délectable George Sanders). Jaloux et déçu, le fantôme
préfère s’éclipser et effacer son souvenir de la mémoire de
celle qu’il aime. Il faudra attendre une vie entière et la venue
de la mort pour que les amoureux se retrouvent enfin. Et le
Le 08.08/2006 les Inrockuptibles
spectateur, à chaque nouvelle vision, de retenir ses larmes.
Mankiewicz, scénariste de renom avant de passer à la
réalisation, préféra pour ses premiers films se concentrer
sur le travail de la mise en scène, et filmer les scénarios
des autres. On sait pourtant que ce cinéaste de la parole
procéda à la réécriture de nombreux dialogues, qui portent
la signature de son humour ironique et de son immense
culture.
L’Aventure de Madame Muir n’est que son quatrième long
métrage. Pour un cinéaste censé faire ses gammes, le
résultat évoque pourtant l’idée de chef-d’œuvre parfait, tant
par la beauté visuelle que par les thèmes abordés (la fuite
du temps, la solitude, la désillusion, les chimères du rêve
mais aussi de la réalité). Le cinéaste sublime la photogénie
de Gene Tierney et trouve en Rex Harrison le complice idéal
avec qui partager le plaisir du verbe, tandis que la splendide
partition de Bernard Herrmann parvient à elle seule à créer
une atmosphère fantastique et mélancolique. On est même
en droit de préférer ce film à la suite de l’œuvre du cinéaste,
certes plus personnelle, décidée et écrite par lui, mais dont
la brillance et l’intelligence laissent souvent moins de place
à l’émotion et au romantisme.
Olivier Père