Compte-‐rendu

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Compte-‐rendu
Les petits-­‐déjeuners débats 15 juin 2016, Cercle de l’Union Interalliée Compte-­‐rendu Jacques Gounon Président Directeur Général du Groupe Eurotunnel « EUROTUNNEL : UNE ENTREPRISE PAS COMME LES AUTRES ? » A la tête d’Eurotunnel depuis onze ans, Jacques Gounon a participé à plus de la moitié de la vie opérationnelle du groupe. Eurotunnel est une entreprise totalement privée dont les infrastructures sont disponibles à 99,7% (en comparaison, la disponibilité du réseau ferroviaire français avoisine les 80%). Chaque année, 20 millions de personnes physiques, 2,5 millions de voitures et 1,5 millions de camions passent par les tunnels sous la Manche. Le trafic du tunnel sous la Manche est constitué d’environ 60% en ce qui concerne le marché « voiture » et près de 40% concernant les camions. Le « sinistre de départ » : le coût des travaux, la souffrance des petits actionnaires et la restructuration du Groupe Eurotunnel 1-­‐ En valeur actuelle, les travaux ont coûté près de 15 milliards d’euros. Environ 5 milliards d’euros ont été dédiés au génie civil, avec un dérapage par rapport au prix initialement prévu de 20 à 30%, ce qui comparé à l’ampleur du chantier reste raisonnable. Tout extrait ou citation de ce compte-­‐rendu destiné à une utilisation collective doit faire l’objet d’une autorisation préalable d’ETHIC 2-­‐ Le deuxième poste de dépenses à été le matériel ferroviaire pour lequel la dérive des coûts a été de l’ordre de 300%. Il existe plusieurs raisons pour expliquer ce dépassement. Rappelons-­‐nous que Margaret Thatcher avait clamé, au moment du lancement du projet : « Not a public penny! » (« Pas d’argent public ! »). Les Etats n’ayant pas d’implication financière, se sont permis de modifier les conditions d’exploitation, de sécurité, nécessitant des retours en arrière, toujours très coûteux. Margaret Thatcher avait aussi demandé « my money back » (« je veux récupérer mon argent »). Ainsi, puisque la France avait récupéré les commandes de génie civil, les anglais ont récupéré la fabrication des matériels ferroviaires alors même que la Grande-­‐Bretagne n’avait pas nécessairement le plus grand savoir-­‐faire en la matière ! 3-­‐ Les intérêts financiers payés. Le chantier a duré 7 ans et les taux d’intérêt de l’époque étaient de 10%, voire plus. Les petits actionnaires, qui ont porté le projet et sans qui le tunnel sous la Manche n’aurait pu voir le jour, ont collectivement perdu de l’ordre de 3 milliards d’euros. A son arrivée à la tête du groupe, quasiment tous les postes étaient doublés : un poste pour un Français et le même poste pour un Anglais. En 2005, Jacques Gounon a réduit d’un tiers les effectifs en supprimant tous les doublons. Il a également introduit le « yield management » au sein du groupe ce qui a permis d’augmenter la rentabilité de l’entreprise en mettant en œuvre une gestion plus fine des ressources. Cette restructuration financière de 2007 a conduit à une réduction de la dette d’Eurotunnel de près de 5 millions d’euros (de 9,2 milliards d’euros en 2005 à 4,2 milliards d’euros en 2007) ; ce qui a permis à l’entreprise de redémarrer. La restructuration a également permis aux petits actionnaires de rester de façon non négligeable autour de la table. Aujourd’hui, l’entreprise génère une marge opérationnelle d’environ 530 millions d’euros. Le service de la dette restructurée ne représente que 250 millions d’euros par an. Le groupe a donc une capacité significative à distribuer des dividendes et à investir. Le Brexit : Pour Jacques Gounon, la possibilité d’un Brexit n’est pas problématique. D’après lui, si le Royaume-­‐Uni décide, le 23 juin, de sortir de l’Union Européenne, peu de choses devraient changer pour Eurotunnel qui resterait la voie privilégiée pour les échanges entre le Royaume-­‐Uni et le reste du continent européen. Il ne prévoit pas d’impact sur le volume des importations et des exportations ni sur le trafic de voyageurs. Les échanges économiques entre le Royaume-­‐Uni et le continent représentent près de « 50 millions de valeurs par heure ». Par ailleurs, l’Eurostar représente 80% du trafic voyageurs entre Londres et Paris. Les volumes de trafic ne cessent de croitre. Le Groupe Eurotunnel a de beaux jours devant lui, que le Royaume-­‐Uni soit dans l’Union Européenne ou non. La question migratoire : La problématique des migrants a beaucoup fait souffrir le groupe Eurotunnel. Le problème des frontières est un domaine régalien de l’Etat et il n’incombe pas à une entreprise privée de gérer, à la place des Etats, les frontières. Tout extrait ou citation de ce compte-­‐rendu destiné à une utilisation collective doit faire l’objet d’une autorisation préalable d’ETHIC Dans l’organisation matérielle et pratique, plusieurs éléments compliquent la gestion de la frontière à Calais. Sur le territoire de la concession accordée à Eurotunnel (le périmètre contrôlé par Eurotunnel est de 43km) sont présents : les douanes françaises, la police de l’air et des frontières, les forces de police locales, l’UK border force (police des frontières britannique et la police du Kent). 5 entités d’autorités régaliennes cohabitent, se marchent sur les pieds, communiquent trop peu ou s’ignorent. La situation, même si elle n’était pas idéale comme l’avait dit Jacques Gounon dès son arrivée à la tête du groupe, était tenable – jusqu’à l’arrivée massive des migrants. Aujourd’hui, 95% des migrants présents à Calais sont des jeunes entre 15 et 25 ans, sportifs, habillés de noir et organisés comme de véritables groupes paramilitaires. Entre le 1er janvier et le 23 octobre 2015 (date à laquelle les gouvernements français et britanniques ont envoyé plus de soutiens policiers), Eurotunnel avait intercepté et remis aux forces de l’ordre plus de 80 000 migrants. Le véritable problème se pose aux transporteurs : s’ils arrivent sur le sol du Royaume-­‐Uni avec des migrants cachés, ils encourent une amende de £2 000 par migrant ! On comprend donc la très grande motivation pour le groupe Eurotunnel de bien contrôler le site et de s’assurer qu’aucun migrant ne passe. Les gouvernements français et britanniques ont graduellement pris conscience du problème. Bernard Cazeneuve s’est personnellement impliqué et a mis en place de nouveaux moyens, à l’été 2015, et a surtout obtenu des britanniques qu’ils financent des travaux de protection physique du site. Aujourd’hui, la situation est maîtrisée. Jacques Gounon a cependant appelé la justice à mettre en œuvre, chez Eurotunnel, les décisions qui aurait dû être prises : il existe un sentiment d’impunité totale : une fois que les migrants sont attrapés, ils cherchent immédiatement à revenir et à recommencer. Plusieurs questions, dont celle de Léonidas Kalogeropoulos (Vice-­‐président d’Ethic et Président de Médiation & Arguments), ont porté sur la SNCF et la libéralisation du secteur ferroviaire. Les conducteurs de trains du groupe Eurotunnel sont mieux payés que les conducteurs de la SCNF mais, en contrepartie, ils travaillent plus et plus longtemps (ils ne partent pas à la retraite à 52 ans !). Par ailleurs, une autre différence majeure réside dans la hiérarchie : entre le conducteur de train et le patron, il n’y a que 4 échelons hiérarchiques chez Eurotunnel. Lorsqu’interrogé par Sophie de Menthon s’il se voyait reprendre la SCNF, Jacques Gounon a applaudi le travail effectué par Guillaume Pepy qui doit gérer, en plus de ses salariés, un gouvernement qui, à force de réformes ferroviaires successives, a créé de véritables aberrations conceptuelles. Le secteur ferroviaire a, d’après Jacques Gounon, besoin de transparence et d’un Etat stratège qui pense sur le long terme et trouve des solutions fiables pour les défis auxquels le secteur fait face aujourd’hui, dont la libéralisation. Tout extrait ou citation de ce compte-­‐rendu destiné à une utilisation collective doit faire l’objet d’une autorisation préalable d’ETHIC