roques mal avisés
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roques mal avisés
ROQUES MAL AVISÉS Lors d’un tournoi mettant aux prises de jeunes joueurs plutôt débutants, il m’est arrivé de profiter d’une pause pour convoquer les joueurs et leur parler de la vertu du roque, qui était manifestement un coup inconnu de plusieurs. Nous conseillons toujours aux jeunes joueurs de roquer le plus tôt possible. L’avantage de le faire est de mettre le roi en sécurité et de permettre le développement d’une tour au centre de l’échiquier, en plus de développer au préalable deux pièces mineures, aspect sur lequel les débutants sont souvent négligents. Aussi, cette chronique ne vise nullement à inciter à éviter le roque. Il s’agit simplement de mettre en évidence les situations où le roque n’est pas la meilleure option. Le premier cas est celui où l’échange des dames survient précocement, avant qu’on ait eu l’occasion de roquer. Dans cette situation, au lieu de roquer automatiquement, il faut se demander s’il ne veut pas mieux activer notre roi au centre. Blancs. Dans une autre chronique, nous avions donné la position du diagramme ci-contre, issue de la partie Bernstein – Mieses, Cobourg 1904, trait aux Blancs. Ici, les dames et deux paires de pièces mineures ont été rapidement échangées. Les Noirs menacent …Fxd3 affaiblissant la structure des pions blancs. Pour régler ce problème, les Blancs auraient pu jouer 17.0-0-0, mais ils ont joué à la place le meilleur 17.Rd2!, qui préserve aussi la structure de pions, mais offre en outre l’avantage que le roi a pu ainsi pénétrer plus rapidement dans le camp adverse via le réseau de cases noires affaiblies e3-d4-e5, ce qui a assuré la victoire aux Le deuxième diagramme est une position issue de la 16e partie du championnat du monde disputé en 1978 à Baguio City aux Philippines, entre le tenant du titre, le soviétique Anatoly Karpov et le challenger, apatride suite à son évasion d’Union Soviétique, Victor Kortchnoi. Karpov avait les Blancs : 1.e4 e6 2.d4 d5 3.Cd2 c5 4.exd5 exd5 5.Fb5+ Fd7 6.De2+ De7 7.Fxd7+ Cxd7 8.dxc5 Cxc5 9.Cb3 Dxe2+ 10.Cxe2 Cxb3 11.axb3 Fc5 12.Fd2 Ce7 13.Cf4 0-0 Cette position se présentait pour la première fois dans les compétitions de haut niveau, et le champion du monde semble l’avoir traité plutôt légèrement en jouant 14.0-0. Avec les dames et deux paires de pièces mineures échangées, le propre secondant du champion, Mikhail Tal, a fait remarquer que 14.Cd3 Fb6 15.Fa5 ou 15.Fb4 suivi de 16.Rd2 était meilleur, car le roi s’installe au centre à l’abri des échecs verticaux grâce au pion isolé adverse. À un stade plus avancé de la partie, le roi aurait pu monter à l’assaut de ce pion faible sans perte de temps. Les cas de roque mal avisé ne datent pas d’hier. À preuve la partie Greco – Marconi, jouée à Gênes en 1619 : 1.e4 e6 2.d4 Cf6 3.Fd3 Cc6 4.Cf3 Fe7 5.h4 aurait dû mettre la puce à l’oreille des Noirs. 5…0-0?? 6.e5 amorce une méthode standard d’attaque du roque. 6…Cd5 (diagramme 3) 7.Fxh7+ Rxh7 8.Cg5+ (Voilà l’idée de 5.h4) 8…Rg8 9.Dh5 Fxg5 10.hxg5 f5 11.g6 avec un mat de Damiano. Dans la défense sicilienne, lorsque les Blancs se développent en vue d’une attaque sur l’aile-roi, les Noirs ne doivent pas roquer trop tôt et donner ainsi prématurément l’adresse de leur roi. Ils doivent d’abord créer des menaces sur l’aile-dame ou au centre, en particulier par une pression sur le pion e4, de sorte que les Blancs ne puissent concentrer toutes leurs pièces contre le roi noir. Enseigner ce principe n’est pas chose facile. Toutefois, ce principe est omniprésent dans la Défense sicilienne. Il explique des continuations fréquemment utilisées par les maîtres, qui à prime abord ont l’air risqué. Ainsi, la position du diagramme ci-contre, trait aux Noirs, issue de la Sicilienne Najdorf : 1.e4 c5 2.Cf3 d6 3.d4 cxd4 4.Cxd4 Cf6 5.Cc3 a6 6.Fc4 e6 7.Fb3 À ce stade, les maîtres préfèrent de loin 7…b5 à 7…Fe7, même si ce dernier coup accélère le roque. C’est que l’expérience a montré que la pression sur le pion e4, afin de tenir les Blancs occupés, était plus importante que le faux sentiment de sécurité procuré par un roque rapide. Ainsi : 7…b5 8.f4!? Fb7 (8…b4 9.Ca4 Cxe 10.0-0 est risqué) 9.f5 e5 10.Cde2 Cbd7 (Toujours risqué est 10…Cxe4 11.Cxe4 Fxe4 12.0-0 suivi de Cg3 et Ch5) 11.Fg5. Les Blancs n’ayant pas l’occasion de lancer une attaque de pions à l’aile-roi, se rabattent sur un plan visant à échanger les deux cavaliers adverses contre leur fou dame et un de leur cavalier, de façon à pouvoir profiter du trou à d5 et du mauvais fou de cases noires de leur adversaire. 11…Fe7 12.Cg3 Tc8. Les Noirs ne roquent pas encore, mais introduisent la menace du sacrifice de qualité 13…Txc3 suivi de 14.Cxe4 avec amples compensations. Si les Noirs jouent plutôt 7…Fe7, la suite peut être 8.f4 0-0 9.Df3 Dc7 10.f5 et si 10…e5 11.Cde2 b5 12.a3 Fb7 13.g4 et les Blancs ont l’attaque.