Journée de fête EERV – 03.09.2016 – cathédrale de Lausanne

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Journée de fête EERV – 03.09.2016 – cathédrale de Lausanne
Journée de fête EERV – 03.09.2016 – cathédrale de Lausanne
Culte de consécration et agrégation des nouveaux ministres
Ouverture: paroles d’accueil dans le livret de fête. Salutations protocolaires.
Culte de consécration et d’agrégation: bienvenue à vous, nouveaux diacres et
pasteurs; vous venez d’endosser vos robes, «vous avez revêtu Christ» (apôtre
Paul, Galates 3,27). Bienvenue à vos familles, vos paroisses et lieux de vie.
Année de fête! Les 50 ans de la fusion, deux Eglises en Pays de Vaud, libre et
nationale, séparées en 1847, réunies en 1966. Notre Eglise justement a réinvesti
la maison des Cèdres, autrefois siège de l’Eglise libre et de sa faculté de
théologie. Déménagement symbolique en cette année jubilaire et portes ouvertes
aujourd’hui en ce lieu.
La Chapelle Vocale de Romainmôtier, dont je fais partie, se réjouit de participer
à ce culte. Elle aussi fête en 2016 ses 50 ans d’existence, toujours dirigée par
son fondateur, Michel Jordan. Les 500 ans de la Réforme, qui seront fêtés dès
cet automne et une année durant, ont orienté les choix musicaux de l’organiste et
la chapelle. Bach, Schütz, Telemann seront à l’honneur aujourd’hui, la grande
tradition réformée allemande. Michel Jordan a aussi choisi deux psaumes
huguenots, la source réformée française (version originale, vieux français non
sous-titré!). Ces psaumes, de Goudimel par exemple, on aime ou déteste, sans
demi-mesure. Un choriste facétieux me disait: «Au fond, les églises ont
commencé à se vider quand on s’est mis à chanter assidûment ces psaumes».
Mais Théodore de Bèze (autre réformateur et auteur prolifique) a toujours réjoui
les catéchumènes, allez savoir pourquoi!
Je mets en exergue cette parole forte d’Alexandre Vinet, fondateur de l’Eglise
libre, inscrite sur sa statue (entrée de l’esplanade Montbenon, côté Palace):
«Le christianisme est dans le monde l’éternelle semence de la liberté».
Elle fait résonance à l’Evangile qui sera lu tantôt.
Lectures:
Matthieu 13,44
2 Corinthiens 3,17 à 4,7
Prédication: Devenir icônes et catadioptres
Année de fêtes… Entre autocélébration et auto-complaisance, l’autodérision
nous trace un chemin étroit. Entre la joie d’accueillir de nouveau ministres et la
douleur de collègues en conflit avec l’autorité, sans oublier le drame vécu par la
famille du pasteur Antoine Schluchter, père de Marie, quel chemin trouver?
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Parti pris, redire les fondamentaux de notre conviction: célébrer l’Evangile
comme trésor – être réformés, une chance – ministres, un privilège – témoigner,
une responsabilité exigeante.
Chaque trésor induit le risque de thésauriser, vivre sur ses acquis, dormir…
Trésor et thésauriser viennent tous deux du grec thesauro. L’homme de la
parabole a cette attitude frileuse, enfouir à nouveau son trésor, désormais inerte.
Mais avec le champ acheté, voici un second trésor, productif celui-là, si du
moins il le cultive. Ce dont je doute, à voir son attitude générale, sa négligence.
Notre trésor, c’est l’Evangile. Le champ c’est le Pays de Vaud, à nous offert sur
un plateau, en 1536, par les Bernois. Ainsi quatre siècles durant, nous avons eu
tout loisir pour somnoler et thésauriser.
Bref, il est temps de nous réveiller, déterrer le trésor, ressentir son poids,
labourer le champ, profiler notre foi. Le 500e anniversaire de la Réforme arrive
pile poil pour nous y aider. Nous célébrons un miracle: avec Jésus, Paul, Luther
ou Calvin, une Parole a été reçue, crue et suivie; Parole qui embraye sur le réel,
porte effet sur la vie des gens et transforme le monde.
Reproduire aujourd’hui ce mouvement est un immense défi, car nous sommes
mal préparés, la charrue est rouillée, le trésor terreux, le champ morcelé, notre
monde complexe. Comment faire pour partager la quête de Dieu, la joie du
Christ, le goût de l’Evangile, la conscience d’un trésor à portée de main?
Commémorations et incantations ne suffiront pas.
Témoigner de l’Evangile se fait en actes et paroles, en choix de vie, mais
d’abord par le visage. Ainsi parle l’apôtre Paul: «Nous tous, le visage dévoilé,
en reflétant comme dans un miroir l’éclat du Seigneur, nous sommes
transfigurés en cette même image (icône), éclat après éclat…»
Dieu réfracte sa lumière d’abord sur son Fils. Ce Jésus, chaque société l’a
représenté selon les codes de sa culture, dans une infinie variété, dont témoigne
ce poster souvent utilisé en catéchèse. Christ a plusieurs visages
Ce qui nous importe n’est pas le portrait de Jésus, mais la clarté de sa parole, la
force de sa présence, sa capacité à guérir, faire du bien, relever les gens, leur
rendre pleine dignité humaine. Ce qui nous importe, c’est le rayonnement de sa
personne. Christ est l’icône de Dieu. Icône: jeu de couleurs et de lumière qui
suscite contemplation et adoration, qui nous attire au mystère de Dieu.
Nouvelle réfraction: l’éclat de Dieu que capte le visage du Christ rejaillit sur
nous. En reflétant comme dans un miroir l’éclat du Seigneur: cette périphrase
traduit un seul mot grec, catoptrizomenoi. C’est la même racine qui donne le
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mot catadioptre, vous savez ces morceaux de verre géométriques réfléchissants,
qui signalent dans la nuit un véhicule, un panneau routier. Nous sommes des
catadioptres, splendide! Enfin, parfois seulement falots tempête, ou «lumignons
fumants, tout près de s’éteindre»! (Psaumes & Cantiques, 395) Le mot éclat est
ici déterminant: personne n’oserait prétendre capter toute la gloire divine. Juste
un fragment, c’est déjà beaucoup.
Notre regard d’abord, puis nos expressions, nos imperfections, nos beautés
intérieures ou extérieures, tout peut et doit devenir reflet. Même nos rides
parlent (heureusement, compte tenu de notre âge moyen, réformés de ce pays!)
si elles disent la sérénité du temps qui coule, la joie des épreuves surmontées, la
fatigue du travail accompli, la confiance en une résurrection ici déjà et au-delà.
Leitmotiv de la formation diaconale ou pastorale: votre personne est votre
premier outil de travail… Avant l’ordinateur! Précision nécessaire, sachant le
nombre de spécialistes en informatique parmi nos diacres et pasteurs!
Ce dont nos visages, nos corps et nos vies doivent témoigner, c’est d’une
attitude ouverte, sans faux-semblants, calculs ni tromperies. Paul souligne ce
point essentiel. Cela tombe bien: nous n’avons pas de secrets «vaticanesques»,
genre Da Vinci Code! Dans notre Eglise, en principe tout est clair, les finances,
le fonctionnement démocratique, la diversité des opinions, l’ouverture aux
débats, l’insertion dans le temps présent. Enfin, c’est l’idéal inscrit sur la
partition. Mais nous humains jouons la musique, alors couacs et discordances
se font vite entendre. Notre actualité récente en est la triste illustration.
Photocollage Devenir miroirs, icônes du Christ, catadioptres, voici notre
vocation commune. Cet autre poster bien connu l’exprime: composition de mille
visages qui laissent entrevoir en filigrane celui du Christ, lequel transparaît ainsi,
non pas dans l’uniformité d’une croyance ou d’un modèle, mais dans notre
infinie diversité humaine.
Je garde précieusement, comme un trait de lumière, le travail d’un catéchumène
pas trop assidu, qui suivit (comme beaucoup) la formation chrétienne d’un
regard distant et amusé, plus préoccupé par sa carrière de basketteur.
Parenthèse: un collègue africain, Sakéo Mayé, résumait naguère le paradoxe de
notre catéchèse, bien conçue mais qui semble porter peu de fruit. Dans un
langage quasi académique, il posait ce constat: «La qualité des programmes
élaborés, l’ingéniosité des moyens pédagogiques mis en œuvre, l’investissement
personnel de tous les acteurs laïcs et ministres de la catéchèse sont inversement
proportionnels à la motivation de la plupart des destinataires.» Vu comme ça,
plus besoin de nous culpabiliser!
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L’arbre Voici donc l’œuvre que ce jeune délivra comme à l’insu de son plein
gré. Il s’agissait d’exprimer sa vision des choses à l’aide de quatre couleurs, bleu
pour Dieu, rouge - soi, vert - les autres, jaune - le monde. J’avais dû lui soutirer
quasi mot à mot un commentaire: «Je suis le tronc de l’arbre. Sans moi, tout
s’écroule (parole d’ado!). Dieu c’est les racines, qui nourrissent l’arbre et
l’ancrent au sol. Sans Dieu, tout dépérit. Les humains forment le réseau de
branches, pour agir ensemble. La couronne, le monde, est le fruit des humains».
Vous voyez le renversement: le monde n’est pas posé d’avance, socle sur lequel
se déroule la vie humaine. Le monde est la résultante, un fruit beau et savoureux
si Dieu-racine donne la sève, si chaque je assume son rôle, si les humains
interagissent et collaborent. Ce dessin, vous l’avez compris, est une formidable
parabole actuelle: voulons-nous unir nos forces pour un monde de beauté, de
bonté, de justice et de paix; ou continuer les jeux de pouvoir, de violence, de
surconsommation, le pillage des ressources pour notre confort générationnel et
notre mode de vie destructeur?
Le témoignage, affaire de lumière et de réfraction, est aussi affaire de liberté:
«Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté». Cette parole de l’apôtre Paul
renvoie à la formule de Vinet.
La liberté est d’abord celle de Dieu, qui nous échappe, au-delà de toute
définition, représentation, ou théologie. Dieu n’est pas un dogme pour
appartenir à la curie romaine, ou tout autre groupe religieux.
Dieu n’est pas un concept pour se plier au jeu philosophique orchestré par MM.
Michel Onfray, André Le Comte-Sponville (surnommé Le Comte-Spongieux, par
le Canard Enchaîné), Frédéric Lenoir ou Bernard-Henri Lévy.
Dieu n’est pas enfermé dans les textes sacrés, fut-ce la Bible, le Coran ou autre.
Paul a cette formule lapidaire: «La lettre tue, l’Esprit donne la vie». 2 Cor. 3,6
Un corpus sacré doit se comprendre dans sa globalité, dans son Esprit.
S’attacher aux mots, épeler des versets, isoler le texte du terreau qui l’a fait
naître, relève d’une démarche finalement mortifère.
On le voit bien avec les violents fanatisés qui assènent leurs misérables
lambeaux de certitude, sèment la mort, et réduisent Dieu à la gâchette de leur
kalachnikov.
Dieu est libre, jamais inféodé aux fanatiques qui croient l’honorer et le posséder.
Et Jésus, pour nous en donner le goût, a usé de cette même liberté. Il n’a rien
écrit lui-même, quatre évangiles nous viennent à travers ses disciples. Or Jean
fait parler Jésus tout autrement que Marc, Matthieu et Luc. Et Paul, qui n’a pas
connu personnellement Jésus, s’exprime dans un troisième langage, encore
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différent. Ancien persécuteur des chrétiens, flashé et converti sur le chemin de
Damas, exerçant son ministère en franc-tireur, Paul a néanmoins trouvé toute sa
place d’apôtre dans l’Eglise primitive. Des langages contrastés, mais le même
Evangile, le même Esprit. Différents visages de Jésus, mais le même Christ.
Oui, l’Evangile nous appelle, nous contraint si j’ose dire, à la liberté. Pour s’y
exercer, une Eglise réformée est un lieu privilégié. Car nous ne prétendons pas
posséder Dieu, ni sa vérité. La quête de Dieu est notre chemin, la suivance du
Christ notre joie, le doute est l’ombre de notre foi, le partage est notre richesse,
l’évolution du monde notre boussole herméneutique (réinterpréter l’Evangile
pour notre temps, trouver le langage adéquat). Eglise en réforme permanente,
«semper reformanda», c’est notre identité, notre ADN. Enfin, entre cet idéal et
notre réalité, le décalage est souvent profond!
Oui notre Eglise oscille entre misère et grandeur, ombre et lumière. Mais à vous
laïcs, elle offre un large champ d’expression et d’engagement. Pour la
population si diverse de ce pays, elle est un partenaire fiable, servant de cheville
ouvrière dans le dialogue œcuménique ou interreligieux, notamment.
A nous ministres, elle offre une grande liberté, du travail plein les bras, car les
tâches augmentent, avec la nécessité d’inventer de nouvelles formes de
présence, de témoignage, alors que nos postes diminuent. Et cette dignité: jamais
ici, on ne vous dira trop jeune ou trop vieux. En rupture du monde actuel, où les
jeunes sont longtemps exclus de l’emploi, car jugés sans expérience, et soudain
basculent dans le trop vieux (cf. Temps Présent, RTS, jeudi soir 1er septembre).
Nous avons une armée de «Jack’s» motivés, disponibles, immergés dans l’ère
numérique. Des ministres joyeusement déterminés, comme Laurence, Ariane,
Philippe, Pierre-Yves, Benjamin, Etienne, que 24Heures a présentés à ses
lecteurs: six interviews pleine page, au début juillet, en contrepoint bienvenu,
après la large place offerte par les médias aux collègues licenciés.
Dans cette Eglise, il y aura toujours des relations riches à tisser, des
affrontements féconds, de la considération et de la gratitude à recevoir. Un trésor
inépuisable à scruter, peser, interpréter, vivre: l’Evangile. Des communautés à
entretenir, de nouvelles formes d’Eglise à inventer. Un engagement à poursuivre
au service des gens, un monde à construire, une liberté à saisir, selon la devise
du Canard Enchaîné: la liberté ne s’use que quand on ne s’en sert pas.
Collègues de tous âges, retrouvez le feu, laissez Christ ré-illuminer vos visages.
Croyants engagés de longue date, laissez-vous réformer, bousculer, rajeunir.
Pour que, tous ensemble, nous soyons témoins convaincus et crédibles. C’est un
sacré défi, je sais, mais je vous dirai comme Martin Luther King naguère…
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I have a dream!
Repris en choeur par les consacrés, puis l’assemblée
L’apôtre Paul termine en soulignant notre humilité: «Nous portons ce trésor
comme dans des vases d’argile… » Retournée, cette parole peut aussi exprimer
notre fierté: Nous, vases fragiles, portons le plus beau trésor spirituel de
l’humanité, cet Evangile de vie, de justice et de paix, où Jésus sert de médiateur
pour magnifier l’homme en Dieu, et Dieu en l’homme.
Exhortation aux nouveaux ministres
Le 26 octobre 1976, lors d’un semblable culte, j’étais parmi quinze autres, à la
place où vous êtes aujourd’hui, avec cette robe pastorale, dont la doublure a
souffert au cours des décennies au point de se trouver aujourd’hui en lambeaux.
Le tissu, lui, est comme au premier jour, inusable. On aurait pu changer la
doublure, ma femme est une excellente couturière, entre autres qualités. Mais je
n’ai rien fait ni demandé, car il y avait là une parabole.
Ce qui chez moi était faux-semblant, illusion, prétention, rêve caché, tout cela
est aujourd’hui en miettes, tant mieux! Bon, il en reste toujours un peu, vous
imaginez bien, je ne vais pas vous mentir…
Mais l’étoffe de ma foi, de ma vocation, qui s’est frottée aux gens, à l’usure du
temps, au travail, ce vêtement de vie qui me vient du Christ est intact. Ma robe a
tenu 40 ans, elle tiendra encore et me survivra. Mais c’est peu, comparé aux 500
ans de la Réforme, aux bientôt 750 ans de cette cathédrale, aux 2’000 ans de la
parole évangélique, aux 4’000 ans de l’histoire, tradition et foi juive, sur laquelle
nous sommes greffés.
Chères et chers collègues, mot d’ordre pour vous, tout au long de votre
ministère: laissez vos doublures s’effilocher; soignez le tissu de votre foi, de vos
relations, de votre vocation; goûtez quotidiennement la Parole, craquante
comme le bon pain frais; chaque matin, humez en Christ le parfum de la liberté;
partout où vous irez, partagez l’Evangile comme un trésor.
Christine Girard et moi avons maintenant le plaisir de vous remettre, de la part
de l’Eglise, cadeau choisi nous, cette tablette, outil indispensable à l’ouvrier
moderne… Tablette plus minérale que numérique, inspirée des tables de pierre
gravées que Moïse reçut au Sinaï.
La prédication effectivement prononcée a suivi ce canevas, mot à mot ou librement, omettant
toutefois (volontairement ou par oubli) les passages qui sont mis en italique.
© Etienne Rochat-Amaudruz – 03.09.2016
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