La couverture maladie universelle. Vers une nouvelle protection
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La couverture maladie universelle. Vers une nouvelle protection
Lille 2 – Ecole doctorale n° 74 Mémoire soutenu par Debhora Kanner Sous la direction Xavier Labbée La couverture maladie universelle. Vers une nouvelle protection sociale DEA de droit social Session 1999/2000 SOMMAIRE INTRODUCTION.......................................................................................................... 6 PREMIERE PARTIE : LA COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE : L'INSTAURATION DE NOUVEAUX DROITS VISANT À UNE OPTIMISATION DU SYSTÈME INSTITUTIONNEL EXISTANT ....................................................... 20 CHAPITRE I: L'ABOUTISSEMENT DU MOUVEMENT DE GÉNÉRALISATION DE L'ASSURANCE MALADIE .......................................... 21 SECTION I/ LA COUVERTURE MALADIE DE BASE........................................ 21 §1) UN ACCES FACILITE A LA COUVERTURE DE BASE............................... 21 A/ LE CRITERE SUBSIDIAIRE DE RESIDENCE ................................................ 22 B/ L'AUTOMATICITE DE L'AFFILIATION ET LA CONTINUITE DES DROITS ........................................................................................................................ 25 §2) LE PRINCIPE D'UNIVERSALITE .................................................................... 27 A/ UN SYSTEME UNIQUE........................................................................................ 27 B/ UN DROIT SOCIAL SOUS CONDITION DE RESSOURCES ........................ 30 SECTION II/ LA COUVERTURE MALADIE COMPLEMENTAIRE, L'INNOVATION DU DISPOSITIF LEGAL ............................................................ 31 §1) LES CARACTERISTIQUES DU NOUVEAU DISPOSITIF............................ 32 A/ LES CONDITIONS D'ATTRIBUTION............................................................... 32 B/ LA DETERMINATION DES DROITS ................................................................ 33 §2) L'ETENDUE DE LA PROTECTION COMPLEMENTAIRE......................... 34 A/ LES SOINS PRIS EN CHARGE ........................................................................... 34 B/ LE CHOIX DE L'ORGANISME ASSURANT LA PROTECTION COMPLEMENTAIRE ................................................................................................ 37 3 CHAPITRE II : L'APPARITION DE NOUVEAUX ACTEURS DANS LE SYSTEME INSTITUTIONNEL................................................................................. 40 SECTION I/ L'ELARGISSEMENT DE LA COMPETENCE DE L'ASSURANCE MALADIE .................................................................................................................... 40 §1) UNE NOUVELLE MISSION DEVOLUE AUX CAISSES PRIMAIRES ....... 40 A/ UNE ORGANISATION SPECIFIQUE POUR LA CMU................................... 41 B/ L'OBLIGATION D'ASSURER LA CONTINUITE DES DROITS................... 43 §2) LA COLLABORATION DES CENTRES COMMUNAUX D'ACTION SOCIALE ET DES PROFESSIONNELS DE SANTE............................................. 45 A/L'INTERET DE LA PARTICIPATION DES CCAS........................................... 45 B/ LES PROFESSIONNELS DE SANTE ET LA CMU .......................................... 46 SECTION II / LE PARTENARIAT ENTRE LES CAISSES D'ASSURANCE MALADIE ET LES ORGANISMES COMPLEMENTAIRES .............................. 47 §1) UNE PRISE EN CHARGE ASSUREE CONJOINTEMENT PAR LES CAISSES D'ASSURANCE MALADIE ET PAR LES ORGANISMES COMPLEMENTAIRES .............................................................................................. 48 A/ UN NOUVEAU STATUT POUR L'ASSURANCE COMPLEMENTAIRE..... 48 B / LES DEUX VOIES D'ACCES A LA PROTECTION COMPLEMENTAIRE REPONDENT A DEUX LOGIQUES DIFFERENTES ........................................... 49 §2) VERS UN SYSTEME CONCURRENTIEL DE PRISE EN CHARGE .......... 50 A/ DE LA PERCEPTION PAR LES ORGANISMES COMPLEMENTAIRES DE L'INTERVENTION DES CAISSES D'ASSURANCE MALADIE ........................ 50 B/ LES RECOURS CONTENTIEUX A PROPOS DE LA PROTECTION COMPLEMENTAIRE ................................................................................................ 51 4 SECONDE PARTIE : L'ACCES AUX SOINS EFFECTIF DE TOUS: DE L'AFFICHAGE À LA REALITÉ ................................................................................ 53 CHAPITRE I : LES RISQUES D'INEGALITES DE TRAITEMENT LIES AUX CARACTÉRISTIQUES DU NOUVEAU SYSTEME DE SOINS .......................... 54 SECTION I / LA RESTRICTION DE L'ACCES AUX SOINS POUR TOUS...... 54 §1) LA QUESTION DE L'ADOPTION ET DE LA PERTINENCE DU SEUIL RETENU ....................................................................................................................... 55 A/ LA FIXATION D'UN SEUIL : UN DISPOSITIF DISCUTABLE..................... 55 B/ LES SOLUTIONS ENVISAGEES ........................................................................ 56 §2) LES INEGALITES RELATIVES AU MODE D'EXERCICE MEDICAL ..... 58 A/ L'APPARITION D'UNE MEDECINE A DEUX VITESSES ............................. 58 B/ REFUS DE SOINS ET BENEFICIAIRES DE LA CMU.................................... 60 SECTION II/ LE PANIER DE BIENS ET SERVICES : UNE REPONSE A L'ENSEMBLE DES BESOINS DE SOINS .............................................................. 63 §1) LE PANIER DE BIENS ET SERVICES : PRINCIPES ET INNOVATIONS 63 A/ LA DETERMINATION D'UN PANIER DE BIENS ET SERVICES ............... 63 B/ LE CONTENU DU PANIER DE BIENS ET SERVICES................................... 65 §2) PANIER DE BIENS ET SERVICES : UNE SOLUTION INSATISFAISANTE .................................................................... 67 A/ L'EVALUATION DU DISPOSITIF ..................................................................... 67 B/ UNE APPROCHE ESSENTIELLEMENT COMPTABLE DU PANIER DE BIENS ET SERVICES ................................................................................................ 68 CHAPITRE II : LE FINANCEMENT : UN FACTEUR DETERMINANT DANS LA GARANTIE DE L'ACCES AUX SOINS POUR TOUS.................................... 70 SECTION I/ LES MODALITES DE FINANCEMENT .......................................... 70 5 §1) LA DISTINCTION ENTRE DEUX MODES DE FINANCEMENT ............... 70 A/ DES TRANSFERTS FINANCIERS POUR LA COUVERTURE DE BASE ... 70 B/ LA CREATION D'UN FONDS DE FINANCEMENT POUR LA PROTECTION COMPLEMENTAIRE .................................................................... 71 §2) LES DIFFICULTES JURIDIQUES ISSUES DE LA CREATION DU FONDS DE FINANCEMENT ................................................................................................... 73 A/ LA DETERMINATION DE LA NATURE JURIDIQUE DU FONDS DE FINANCEMENT......................................................................................................... .73 B /LE PRINCIPE DE L'EGALITE DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES .... 75 SECTION II/ UNE PARTICIPATION FINANCIERE ORIENTEE VERS LA SOLIDARITE............................................................................................................... 76 §1) LES FONDEMENTS D'UN FINANCEMENT SOLIDAIRE ........................... 76 A/ LA PERTINENCE THEORIQUE DU PRINCIPE DE SOLIDARITE ............ 76 B/ LES INSUFFISANCES DE LA PROTECTION PRIVEE.................................. 77 §2) L'ETENDUE DE LA SOLIDARITE ASSURANT LE FINANCEMENT ....... 78 A/ LA CAPACITE DE LA COLLECTIVITE NATIONALE A SUPPORTER LA CHARGE FINANCIERE DES DEPENSES LIEES AUX SOINS .......................... 79 B/ LES LIMITES A LA SOLIDARITE..................................................................... 79 CONCLUSION............................................................................................................ .81 BIBLIOGRAPHIE....................................................................................................... 82 ANNEXES..................................................................................................................... 86 6 INTRODUCTION La possession du meilleur état de santé que ses possibilités lui permettent d’atteindre est un des droits fondamentaux de tout être humain… C’est en ces termes que ce droit est proclamé dans le préambule de la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé, signée à New York le 26 juillet 1946. Il est reconnu dans celui de la Constitution française du 27 octobre 1946, solennellement rappelé en tête de la Constitution du 4 octobre 1958 et confirmé comme principe de valeur constitutionnelle1. Toute personne malade doit pouvoir accéder aux soins que son état nécessite, quel que soit le montant de ses revenus. Aussi, le droit à la santé, en France, se fonde sur le principe d’égal accès aux soins des patients. Ce principe est complété par un libre accès aux soins. Que faut-il entendre par « accès aux soins » ? On peut le définir comme la possibilité offerte à toute personne de recourir au système de soins, ce qui suppose notamment le choix du praticien, l’accès aux spécialités, à la pharmacie, aux analyses et au paramédical, ainsi que la possibilité d’un suivi médical. Toutefois, malgré l’inscription du droit à la santé dans la Constitution française, la mise en place d’une couverture universelle s’est révélée particulièrement complexe dans la mesure où les conditions d’un véritable accès aux soins des personnes défavorisées n’étaient pas réunies. Créé en 1945 pour accompagner la reconstruction du pays, le système français de Sécurité sociale se proposait de « protéger les travailleurs et leur famille contre les risques de toute nature susceptibles de supprimer ou réduire leur capacité de travail ou de gain » (article 1er de l’ordonnance du 4 octobre 1945). Il s’agissait donc, sous la réserve très importante que les bénéficiaires originaires étaient « les travailleurs et leurs familles », de mettre en place un régime général de protection susceptible de faire face à un certain nombre de risques ou d’aider à certaines charges affectant soit la capacité de gain, soit les ressources des 1 CAYLA (J.S), L’accès aux soins et la politique de santé publique, RD sanit. Soc. 35 (2), avr- juin 1999, p.409 7 bénéficiaires. Les fondateurs espéraient que ce dispositif aurait vocation à s’étendre, à partir du noyau central constitué par les salariés, à l’ensemble des catégories professionnelles et, par l’extension des droits dérivés, à l’ensemble de la population. Ainsi, dans son principe et dans sa conception, le régime des salariés devait accueillir les autres régimes de protection, apparus avant lui et propres à certains groupes professionnels, « les régimes spéciaux ». Il devait également étendre sa protection aux non-salariés et enfin, par le jeu de son extension, rendre inopérants les mécanismes assistanciels. Cependant, dans tous ces secteurs des difficultés apparurent et la généralisation du système ne put se réaliser comme prévu. Dès les premières années, entre 1945 et 1958, des obstacles de nature catégorielle apparurent et conduisirent à un certain nombre d’échecs de la vocation initiale d’universalisation du système de protection sociale. Les premières tentatives de généralisation se heurtèrent à la résistance des professions indépendantes (loi du 22 mai 1946 généralisant la Sécurité sociale pour les agriculteurs, artisans et commerçants) qui refusèrent d’être intégrées dans un régime légal d’assurances obligatoires. D’autres obstacles se dresseront ultérieurement concernant notamment les régimes spéciaux des mines, chemin de fer… L’ambition de la Sécurité sociale, telle qu’affirmée au moment de sa création, laissait espérer un abandon progressif des anciens mécanismes assistanciels établis tels que l’assistance médicale gratuite instituée par la loi du 15 juillet 1893. En réalité il n’en fut rien. La généralisation trop lente et trop tardive, l’insuffisance de la couverture de droit commun face à certains besoins, tout cela concourut à imposer le maintien de l’assistance. Le décret du 29 novembre 1953 substitua l’Aide sociale à l’Assistance publique. On le voit, dans les dix premières années de son existence, la Sécurité sociale fut loin d’englober l’ensemble de la population2. Mais une politique de généralisation va 2 Haut Comité de la Santé Publique, La progression de la précarité en France et ses effets sur la santé, éd. ENSP, février 1998, PP.109-111 8 chercher à pallier la logique socioprofessionnelle de la protection sociale fondée sur l’appartenance au salariat ou à des groupes professionnels spécifiques. Ces critères traditionnels vont recevoir une interprétation de plus en plus extensive au point que le régime des salariés du commerce et de l’industrie affilie des personnes qui n’ont plus d’activité depuis longtemps ou dont le lien avec un assuré ne peut être strictement qualifié de familial. Est ainsi couverte toute personne cohabitant depuis plus d’un an avec un assuré social, étant à sa charge effective, totale et permanente. Ces extensions furent continuelles et cet effort de généralisation de la Sécurité sociale a culminé en 1978 avec la création de l’assurance personnelle. Il s’agissait d’un régime facultatif ouvert à toute personne qui ne relevait pas par ailleurs d’un régime obligatoire et assurant les prestations en nature maladie et maternité du régime général. Pour plus d’efficacité, le dispositif du Revenu Minimum d’Insertion (RMI), apparu en décembre 1988, a prévu l’affiliation systématique à l’assurance personnelle de ses bénéficiaires et des personnes à leur charge s’ils ne disposent pas d’une couverture maladie, ainsi que la prise en charge partielle ou totale des cotisations correspondantes. La loi du 25 juillet 1994 a tenté de venir achever de manière effective cette généralisation en offrant aux personnes, pour lesquelles toute appartenance à un régime d’assurance maladie ne pouvait être immédiatement établie, la possibilité d’être provisoirement rattachées à l’assurance personnelle. Par ailleurs, le dispositif de l’aide médicale va connaître une réforme, amorcée par la loi du 1er décembre 1988 et poursuivie par la loi du 29 juillet 1992, visant à moderniser et à adapter l’aide médicale au développement des situations de précarité et de pauvreté. Quelles sont dès lors les conditions d’admission à l’aide médicale ? La loi a prévu un double régime d’admission à l’aide médicale : d’une part, l’admission de plein droit pour les bénéficiaires du RMI, les personnes à leur charge, et les bénéficiaires de l’allocation veuvage, d’autre part, l’admission de droit commun après examen de la situation, notamment financière de l’intéressé. 9 Les conditions et les modalités d’accès à l’aide médicale ont été simplifiées : cette aide couvre désormais les dépenses de soins auxquelles le demandeur aura éventuellement à faire face sans qu’il n’ait à justifier que ces soins sont nécessaires du fait de son état. L’existence d’une résidence régulière en France et l’infériorité des ressources au regard du plafond départemental sont deux conditions suffisantes pour bénéficier de l’aide médicale, qui est de surcroît étendue à l’ensemble des personnes à charge du demandeur. Quel était le but poursuivi par la loi du 29 juillet 1992 ? Cette loi a tendu à assurer une meilleure couverture à l’ensemble de la population. A ce titre, la réforme est allée dans le sens d’une harmonisation avec le dispositif mis en place en matière de Sécurité sociale, dans la mesure où, désormais c’est l’ensemble de la famille au sens de la Sécurité sociale qui est prise en compte. Cependant, en dépit de ces améliorations notables le dispositif s’est avéré insuffisant, l’accès aux soins n’étant toujours pas garanti pour l’ensemble de la population. En effet, l’aide médicale, même si elle a su apporter une réponse à un certain type de besoins, a été très critiquée. L’accès à ce droit était inégal, chaque département étant souverain pour définir ses règles d’admission. Inégal aussi le niveau de couverture selon la richesse fiscale de la collectivité. L’absence de règles dans certains endroits rendait, de plus, l’exercice du droit aléatoire. Si l’aide médicale a été bâtie à l’origine sur le principe de proximité et d’assistance, le système ne paraissait plus répondre aux besoins des personnes exclues du système de protection sociale et à l’idée de citoyenneté et d’accès aux droits. On a pu remarquer que le fait de devoir déposer un dossier au centre communal d’action sociale (CCAS) ou de se voir apposer un label « aide sociale » ne faisait que stigmatiser cette population et créer une catégorie différente entre ceux qui sont bénéficiaires et peuvent prétendre à la Sécurité sociale et les autres. En outre, la prise en charge de prestations complémentaires et notamment d’une assurance complémentaire, et le remboursement de certains frais médicaux demeuraient facultatifs pour les départements. 10 La survenance de ces disparités n’a pu donner lieu à une réponse publique rapide pour plusieurs raisons : la première d’entre elles est la difficulté du sujet à se prêter aux quantifications statistiques. L’on apprécie mal l’ampleur des difficultés à se soigner. Les études et les enquêtes du Centre de recherche, d’étude et de documentation en économie de la santé (CREDES) tentent de remédier à cette lacune. La deuxième raison réside dans l’impact financier d’une éventuelle réforme qui est apparue impossible tant que l’équilibre des comptes était atteint par des économies sur les prestations. Une troisième raison réside dans les choix institutionnels à opérer, la question de la couverture sociale des plus démunis étant aux confins de la Sécurité sociale, de la protection complémentaire et de l’aide médicale. Le constat, lui, est simple si les questions sont complexes : toutes les approches furent d’abord de nature juridique et le projet de l’assurance maladie universelle du gouvernement de Monsieur Alain Juppé comportait encore une réponse juridique consistant à réécrire le droit de l’assurance maladie sur le fondement d’un seul critère : la résidence en France. Mais il ne s’attaquait pas au problème de l’insuffisance de la couverture financière. Il est vrai que ce projet avait d’autres ambitions qui restent à satisfaire : simplifier le droit et alléger la gestion des caisses, assurer la transparence financière entre régimes et œuvrer pour le rapprochement des niveaux de prestations et des efforts contributifs. Face à la montée en puissance des situations d’exclusion, la mise en place d’une réforme est apparue comme une nécessité. Le projet présenté par Madame Martine Aubry qui prend nom de « couverture maladie universelle » rompt avec les démarches précédentes et s’attaque au cœur du problème : les freins financiers à se soigner. Par la création de la couverture maladie universelle (CMU)3, le législateur a donné corps à l’un des objectifs qu’il a visé dans sa lutte contre les exclusions, à savoir réduire l’inégalité dans l’accès aux soins. 3 Loi n°99-641 du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle, JO. 28 juillet 1999, p.11229 11 On peut s’interroger sur les conséquences de cette réforme. Le système existant est-il remis en cause ? Il en résulte la disparition de l’assurance personnelle, régime subsidiaire, coûteux et facultatif, mais prenant à charge, notamment, la protection maladie des personnes les plus démunies. Cette disparition s’accompagne d’une réforme de l’aide médicale, notamment dans son expression départementale qui disparaît elle aussi. Préparée par un rapport confié au député Jean-Claude Boulard, la loi du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle a été conçue comme un instrument de lutte contre les exclusions, en l’espèce dans le domaine de la santé. A la demande du gouvernement, Monsieur Jean-Claude Boulard a établi un rapport sur les conditions de mise en œuvre de la couverture universelle4. Il lui a semblé judicieux d’explorer plusieurs scénarios avant d’exprimer une préférence en référence à un principe : « inclure les exclus dans la couverture de tous ». Selon ce rapport, la CMU constitue le volet « accès aux soins » de la politique d’insertion engagée par la loi votée le 9 juillet 1998. Elle a pour objectif de résorber un écart qui tend à s’accroître entre droit et réalité en matière de santé. Partant du postulat que pour « mieux rembourser », il faut « mieux maîtriser » les dépenses de soins, le rapporteur propose trois scénarios : - Première piste : partir de l’existant, c’est-à-dire de l’aide médicale et en étendre la portée. Il s’agirait, tout en respectant les principes de décentralisation, de combler les lacunes existantes. Cette solution de « couverture décentralisée encadrée » n’a toutefois pas ses faveurs car elle n’entre pas dans le champ de l’assurance maladie mais de l’assistance jugée « stigmatisante ». - Deuxième solution : créer, par le biais du régime de base, un accès national centralisé à l’assurance maladie. L’accès à la couverture maladie universelle serait subordonné, comme actuellement à un critère professionnel ou familial et à titre subsidiaire, ce qui constitue une nouveauté, à un critère de résidence. La 4 BOULARD (J.C), Pour une couverture maladie universelle base et complémentaire, Paris, août 1998, 91 p. 12 « couverture complémentaire accessible sous condition de ressources » serait gérée par le régime général. - Dernier scénario, qui a les préférences du rapporteur, associer les acteurs de la couverture complémentaire au système. Dans le cadre de la « couverture partenariale », l’ouverture d’un droit d’affiliation directe au régime de base, sur critère de résidence, serait complétée par une extension de la couverture complémentaire. Pour permettre aux personnes, dont le revenu se situe entre le RMI et le minimum vieillesse d’accéder à la complémentaire, une « allocation personnalisée santé » pourrait leur être versée par l’Etat, en complément d’une participation personnelle. Quelles ont été les suites du rapport Boulard ? Quel scénario a été retenu ? La préférence est allée à la centralisation pour la couverture de base et au partenariat pour la couverture complémentaire. La loi sur la CMU reprend cette architecture. En effet, il faut bien distinguer deux volets dans la réforme, l’un relatif à la protection de base, l’autre ayant trait à la protection complémentaire. Le premier volet a pour objet d’étendre la protection contre le risque maladie aux personnes encore aujourd’hui sans droits. A cette fin l’assurance personnelle est supprimée. Ce régime fait place à une obligation d’affiliation au régime général pour toutes les personnes qui ne sont pas rattachées à l’un des régimes existants du fait d’une activité professionnelle ou d’un lien familial. Cette affiliation s’effectuera sur la base du critère de la résidence régulière et stable. On peut ainsi remarquer que le dispositif se révèle largement novateur puisque l’accès de tous aux soins repose non plus seulement sur la qualité de travailleur ou d’ayant droit de travailleur ayant cotisé, mais sur celle de citoyen français ou plus précisément de résident en France. Le bénéfice de la couverture de base est en principe gratuit mais les bénéficiaires dont les revenus dépassent certains plafonds seront tenus d’acquitter une cotisation. Ce caractère contributif a été l’un des points les plus discutés de la loi. Les 13 détracteurs du projet de loi y ont vu un mécanisme pervers de nature à introduire une discrimination entre les citoyens vis-à-vis de l’assurance maladie. La question du respect du principe d’égalité entre les bénéficiaires peut ainsi être posée : le mécanisme contributif n’est-il pas de nature à rompre l’égalité entre assurés sociaux ? Il faut se méfier du terme « égalité » et en préciser la signification. Il s’agit du principe selon lequel tous les hommes, possédant une égale dignité, doivent être traités de manière égale. Une distinction s’opère entre les principes d’égalité en droit et d’égalité des chances. L’égalité en droit qui, centrée essentiellement sur le terrain des droits civiques (insertion et participation à la communauté politique) et des droits civils (droits personnels et droits réels), se joue désormais sur le terrain des droits économiques et sociaux. Quant à l’égalité des chances, elle se joue sur le terrain de l’égalité d’accès individuel aux droits sociaux. En ce qui concerne l’existence ou non d’une rupture du principe d’égalité, le Conseil constitutionnel, saisi sur ce point, a estimé dans une décision rendue le 23 juillet 19995 que le pouvoir réglementaire devait fixer le montant des plafonds de ressources ainsi que les modalités de leur révision annuelle de façon à respecter les dispositions du préambule de la Constitution afin que l’égalité entre assurés sociaux ne soit pas rompue. Le deuxième volet de la réforme est particulièrement novateur puisqu’il consiste à créer un droit à une protection complémentaire en matière de santé. Ce droit sera accordé sous condition de ressources. Le seuil sera modulé en fonction de la composition de la famille. La protection comportera la prise en charge du ticket modérateur, du forfait journalier dû en cas d’hospitalisation, de tout ou partie des frais de prothèses dentaires et de dispositifs médicaux tels que l’optique. Cette couverture sera assortie du bénéfice de la dispense d’avance de frais, communément appelée tiers-payant. Il s’agit d’une disposition innovante. Ce qui n’était jusqu’ici qu’une commodité devient donc un droit. 5 Décision n°99-416 DC 23 juillet 1999, JO 28 juill.1999 14 Pour la part complémentaire, les bénéficiaires auront le choix de leur organisme d’affiliation ou d’adhésion, c’est-à-dire soit une caisse maladie qui assurera la gestion des prestations pour le compte de l’Etat, soit une mutuelle, une institution de prévoyance ou une compagnie d’assurance. Nous sommes ainsi face à une construction juridique originale, ce qui n’en réduit pas sa pertinence, à savoir une prestation de solidarité nationale. Ce qui caractérise et spécifie la couverture maladie universelle par rapport aux autres formes de protection sociale tient à ce qu’elle renvoie à des prestations matérielles ou monétaires allouées sans contrepartie du bénéficiaire. Elle est donc fondée sur un principe de solidarité dont le fondement réside dans l’idée d’appartenance soit au genre humain (c’est le fait d’être homme qui impose l’obligation de prise en charge) soit à une collectivité nationale (c’est le fait d’être citoyen qui impose la même obligation). 6 Il semble que notre système évolue insensiblement vers un modèle de solidarité nationale financé par l’impôt. Par touches successives, le système de protection sociale français passe du modèle assurantiel fondé sur le travail et l’échange « cotisations contre protection » à un modèle différent, dans lequel on tend à rechercher une logique de « solidarité nationale » fondée sur des droits fondamentaux, structurée à partir de la légitimité politique et financée par l’impôt. L’idée d’une évolution du système de protection vers la solidarité a fait l’objet d’une interprétation par le Haut Comité de la santé Publique7. Selon lui, le modèle de solidarité nationale écarte progressivement le dispositif de prestations égalitaires et généralisées pour introduire des aides ciblées sur les plus pauvres. En apparence, cette solution paraît plus équitable puisqu’elle concentre les aides et la protection sur ceux qui en ont réellement besoin. Le Haut Comité de la Santé Publique estime qu’il existe un risque, celui de l’évolution vers un système de protection sociale fiscalisé pour les plus défavorisés. Dès 6 BORGETTO (M.), LAFORE (R.), Droit de l’aide et de l’action sociales, 2e édition, Montchrestien, 1998, p.57 7 Haut Comité de la Santé Publique, op.cit., supra note n°2. 15 lors, « si la protection sociale décroche de la politique économique et industrielle, sur laquelle elle reposait antérieurement, pour ne devenir qu’un dispositif de prise en charge des exclus du marché et de la vie sociale, elle évoluera vers une logique résiduelle, réduite à la construction d’un ultime filet de sécurité pour protéger la société contre ses marges ». En tout état de cause, il apparaît qu’une conception nouvelle du « social » est nécessaire. Cette conception doit se recomposer autour d’un objectif prioritaire : mettre en cohésion et en solidarité une société qui est animée par un processus fort d’éclatement et de différenciation. Il se posera alors deux questions prépondérantes : que doit-on entendre par solidarité ? et jusqu’où le devoir de solidarité doit-il aller ? La solidarité peut être définie par le sentiment de responsabilité mutuelle entre plusieurs personnes, ou plusieurs groupes. Il est question du lien fraternel qui oblige tous les êtres humains les uns envers les autres. Toute personne en difficulté doit pouvoir bénéficier de la solidarité nationale avant que ne se produisent des dommages tels que sa santé, voire son existence, s’en trouve gravement menacée. C’est pourquoi la couverture maladie pour tous doit entraîner un changement de logique de la protection sociale. Aujourd’hui, on recherche un procédé universel simplifié qui serait mieux à même d’apporter une réponse globale basée sur l’individu. Parallèlement, il apparaît essentiel de favoriser dès à présent la mise en œuvre d’une politique sociale basée sur le concept de pleine activité d’utilité collective. Il faut rappeler, en effet, que si la faiblesse ou l’absence de revenu est le facteur essentiel de la précarisation, le sentiment d’inutilité sociale ou de dévalorisation qui l’accompagne fréquemment est probablement le déterminant, direct ou indirect, majeur du risque de dégradation à moyen terme de l’état de santé. L’absence de travail, qui doit nécessairement bénéficier de la solidarité nationale, n’est pas seulement un problème de revenu. C’est également celui de la place objective ou ressentie qu’occupe chaque personne dans la société. Une solution partielle peut être proposée : en incitant ceux qui bénéficieraient de la solidarité nationale à contribuer par leur activité à la vie de leur milieu, on leur offrirait la possibilité d’une protection contre le risque de glissement vers l’exclusion et 16 donc de meilleurs chances de réinsertion, et l’on renforcerait la cohésion du tissu social local. La politique de lutte contre les exclusions doit donc être mise en œuvre en même temps que la politique d’accès aux soins. Ces démarches peuvent se construire en découpant dans la réalité sociale des catégories de personnes réunies par un problème similaire : le chômage, la maladie…Cette logique correspond à l’approche la plus classique des problèmes sociaux. Mais il est une autre façon d’aborder les difficultés que rencontrent certains groupes ou certaines personnes ; elle réside dans l’identification de biens ou de prestations qui apparaissent indispensables pour assurer à chacun une place dans la vie de la collectivité : la politique sociale ayant pour finalité l’accès à ces biens, services ou ressources. Il s’agit alors de politiques qui, loin d’être conçues en considération des catégories d’individus susceptibles d’en bénéficier, se centrent au contraire sur la construction et la mise en œuvre de droits d’accès au profit de toute personne ne pouvant, par ses seules ressources ou par les seules modalités d’attribution de droit commun, utiliser effectivement certains services ou prestations. C’est cette conception qui tend aujourd’hui à se développer. La couverture maladie universelle s’inscrit dans cette logique. Elle constitue une avancée certaine puisqu’elle vise à intégrer dans la sphère de la couverture sociale les personnes qui en sont exclues, et à permettre aux plus défavorisées d’accéder à une protection complémentaire. Ce dispositif modifie cependant les règles applicables et laisse subsister un certain nombre d’interrogations. On peut soulever tout d’abord la problématique de l’ampleur de l’universalité. On le voit : le dispositif mis en place permet une meilleure prise en charge des plus démunis et une assimilation de ces derniers au droit commun, seule garantie de leur intégration. L’apport majeur de la loi est l’admission à une assurance complémentaire gratuite pour les plus démunis qui devrait concerner un peu plus de six millions de personnes qui, précédemment, devaient acquitter les cotisations à titre personnel à défaut de prise en charge extérieure et qui, très souvent, n’étaient pas couvertes, ceci entraînant un renoncement à certains soins par manque de moyens financiers. 17 En ce sens la loi va très loin en matière de cohésion sociale, l’objectif étant d’assurer une réelle égalité devant la maladie grâce à une harmonisation des droits et à l’organisation d’un accès automatique aux soins. Les pouvoirs publics ont souhaité franchir une étape supplémentaire et décisive vers un accès effectif aux soins pour tous. Cependant, la couverture maladie universelle signifie-t-elle l’accès aux soins dans leur universalité ? S’il faut effectivement octroyer un droit aux soins pour tous, ce droit peut-il concerner tous les soins ? En d’autres termes, la prise en charge par l’assurance maladie peut-elle s’étendre à tous les soins ? Ensuite, il nous faudra réfléchir au concept d’individualisation des droits. En effet, il ne suffit pas que le législateur lève les obstacles qui entravent l’accès aux soins. Encore faut-il qu’il assure la jouissance du droit aux soins. Quels moyens le bénéficiaire de la couverture maladie universelle devra-t-il mettre en œuvre pour recevoir les prestations qui lui sont octroyées ? Il semble essentiel que le régime de la CMU réponde à un souci d’efficacité, non seulement au profit du plus grand nombre mais également au profit de chaque bénéficiaire. Respectueux des droits fondamentaux de la personne, ce régime doit tendre également à l’individualisation des droits. Il reste que la couverture maladie universelle est un dispositif discutable et problématique dans certaines de ses solutions. Si l’ensemble de la classe politique a pu s’accorder sur la nécessité d’une telle réforme, les modalités adoptées ont engendré un certain nombre de critiques qu’il conviendra de réexaminer. Les questions essentielles résident, à ce titre, dans l’effet de seuil induit par une telle mesure, dans l’articulation en matière de protection complémentaire entre les caisses de Sécurité sociale et les autres prestataires privés, et enfin dans les modalités de financement de la couverture maladie universelle. En ce sens, nous soulignerons que l’adoption de la couverture universelle est une avancée sociale indéniable dans la mesure où elle instaure de nouveaux droits visant à une optimisation du système institutionnel existant (PREMIERE PARTIE). 18 La loi relative à la couverture maladie universelle proclame l’accès aux soins effectif de tous, reste à savoir si cet affichage est conforme à la réalité (SECONDE PARTIE). 19 PREMIERE PARTIE LA COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE : L’INSTAURATION DE NOUVEAUX DROITS VISANT A UNE OPTIMISATION DU SYSTEME INSTITUTIONNEL EXISTANT 20 La loi du 27 juillet 1999 portant création de la couverture maladie universelle met en évidence une double évolution du système français de Sécurité sociale. En premier lieu, l’adoption de ce texte s’inscrit dans une logique de généralisation de la Sécurité sociale et en particulier du bénéfice de l’assurance maladie (Chapitre I). Par ailleurs, la réalisation de ce mouvement de généralisation suppose l’intervention de nouveaux acteurs dans le système institutionnel (Chapitre II). CHAPITRE I : L’ABOUTISSEMENT DU MOUVEMENT DE GENERALISATION DE L’ASSURANCE MALADIE Une exacte compréhension de la réforme impose de bien distinguer deux volets, l’un relatif à la protection de base (Section I), l’autre ayant trait à la protection complémentaire (Section II). Section I/ LA COUVERTURE MALADIE DE BASE Le premier volet a pour objet d’étendre la protection contre le risque maladie. Il facilite ainsi l’accès à la couverture de base (§1) pour permettre une véritable universalité (§2). §1) UN ACCES FACILITE A LA COUVERTURE DE BASE La couverture sociale est désormais acquise par l’affiliation obligatoire sous critère de résidence de toutes les personnes présentes sur le territoire national (A). Les caractéristiques de l’affiliation sur critère de résidence sont : l’automaticité et la continuité des droits (B). 21 A/ LE CRITERE SUBSIDIAIRE DE RESIDENCE L’accès aux soins des personnes qui remplissent la condition de résidence est automatique. Par contre, pour les personnes qui ne remplissent pas cette condition, une Aide Médicale Etat peut être mise en œuvre. 1) Le critère de résidence rempli L’acquisition de la qualité d’assuré social était initialement subordonnée à l’exercice d’une activité professionnelle. Les personnes qui ne remplissaient pas cette condition ne relevaient d’aucun régime d’assurance maladie. Elles avaient toutefois la possibilité d’être rattachées à l’assurance personnelle. L’alinéa 4 nouveau de l’article L.111-1 du Code de Sécurité sociale consacre l’achèvement du processus de généralisation en remplaçant le régime d’adhésion facultatif par un mécanisme d’affiliation obligatoire. En ce sens, elle concourt à une transition du modèle français de Sécurité sociale d’une conception bismarckienne assise sur une logique professionnelle et financée par des cotisations sociales vers une logique béveridgienne prônant l’accès universel à un régime maladie financé par l’impôt8. L’ambition du législateur a été de permettre à tous de bénéficier sans délai de la protection d’un régime de Sécurité sociale. En effet, près de 700 000 personnes n’avaient pas accès à un régime de base obligatoire à partir des critères d’affiliation traditionnels. Si près de 550 000 personnes étaient couvertes par le biais de l’assurance personnelle, soit en acquittant elles-même une cotisation, soit en voyant leur cotisation prise en charge par différents organismes (CNAF, département), 150 000 personnes étaient dénuées de toute protection. Afin que chacun puisse bénéficier d’une couverture maladie dès le 1er janvier 2000, un système souple et simplifié a été mis en place. 8 TRICLIN (A.), La couverture maladie universelle, TPS, éd Juris-Classeur, nov 1999, p.4 22 La loi relative à la couverture maladie universelle représente une avancée sociale indéniable dans la mesure où le premier volet de celle-ci a pour objet d’étendre la protection contre le risque maladie aux personnes encore aujourd’hui sans droits. L’affiliation, qui dépendait autrefois de l’existence d’un contrat de travail, s’effectue désormais sur la base du seul critère de la résidence régulière et stable. L’article L.380-1 nouveau du Code de Sécurité sociale précise que toute personne résidant en France métropolitaine ou dans un département d’outre-mer de façon stable et régulière relève du régime général lorsqu’elle n’a droit à aucun autre titre aux prestations en nature d’un régime d’assurance maladie. Que faut-il entendre par « résidence régulière et stable » ? Ce critère est-il pertinent ? La régularité (pour les étrangers) s’apprécie avec la détention d’un des titres qui permettent le séjour en France. La législation de sécurité sociale se cale en cela sur l’ordonnance maintes fois modifiées du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. La présentation d’un justificatif d’identité ou d’un titre de séjour en cours de validité au guichet de la caisse primaire d’assurance maladie permet d’obtenir l’ouverture des droits pour le nouvel assuré et ses ayants droit. Cependant, à cette condition de régularité, s’ajoute une exigence de stabilité. La stabilité exigée des français comme des étrangers est acquise par une présence en France depuis plus de trois mois démontrée par tout moyen. Cette stabilité est acquise dès l’arrivée en France pour les personnes qui détiennent des documents qui présument d’une durée de séjour supérieure à trois mois. Ce sera le cas par exemple de l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée. Il faut néanmoins se méfier de ce critère de résidence. On a eu l’occasion de constater que le critère de résidence, en raison de son caractère subsidiaire, pouvait susciter des difficultés d’application. En effet, le problème s’est posé pour les personnes affiliées à titre professionnel, disposant de revenus inférieurs au seuil d’accès à la couverture de base et 23 qui doivent continuer à cotiser au premier franc alors même que celles qui sont admises sur critère de résidence et qui disposent de revenus comparables en sont exonérées. Les opposants à la CMU ont cru déceler dans cette disposition une discrimination. Saisi sur ce point, le Conseil constitutionnel a estimé que cette différence de traitement « était inhérente aux modalités selon lesquelles s’est développée l’assurance maladie en France ainsi qu’à la diversité des régimes » et que le législateur s’est efforcé en créant la CMU de « remédier aux disparités existantes »9. En ce qui concerne le dénombrement des bénéficiaires du régime de résidence, on peut signaler qu’au 30 juin 2000, on compte, à partir des fichiers informatiques d’assurés sociaux du régime général hors sections locales mutualistes : 1 071 110 bénéficiaires du régime de résidence dont 591 859 assurés. Parmi les bénéficiaires du régime de résidence, 863 065 bénéficiaires sont en France métropolitaine (80,6 %). La très grande majorité des bénéficiaires du régime de résidence sont également bénéficiaires du RMI (787 100 soit 73 %) dont 410 281 assurés. On compte 61 455 bénéficiaires au régime de résidence avec cotisation (5,7 %) dont 37 354 assurés. Depuis début janvier 65 648 nouveaux bénéficiaires sont entrés dans ce régime dont 43 590 assurés ; 15 914 sont sortis dont 10 352 assurés10 (cf. annexe 1). Il reste la question de savoir quel est le sort des personnes qui ne rempliraient pas la condition de résidence. 2) L’Aide Médicale Etat La loi prévoit le maintien d’une aide médicale d’Etat (AME) rénovée, destinée à permettre l’accès aux soins des personnes qui ne remplissent pas la condition de résidence (au regard des critères de régularité et stabilité) pour bénéficier de la CMU. 9 Cons. const. n°99-416 DC, 23 juill.1999, JO 28 juillet.1999 10 CNAMTS-Direction des statistiques et des études, Dénombrement des bénéficiaires de la CMU au 30 juin 2000 24 Qui est concerné par l’AME ? Concernant la personne du demandeur, il s’agit de l’étranger résidant en France métropolitaine ou dans un DOM de façon habituelle mais qui ne remplit pas la condition de régularité de séjour ; de l’étranger résidant en France en situation régulière mais qui ne remplit pas encore la condition de stabilité de résidence de 3 mois ; de la personne qui ne réside pas habituellement en France mais qui peut y être admise individuellement pour recevoir des soins à titre humanitaire. Concernant les personnes à charge du bénéficiaire (conjoint, concubin, partenaire PACS, enfant à charge sans activité, ascendant, descendant) elles peuvent bénéficier de l’Aide Médicale Etat. Quel est le contenu de l’AME ? Les prestations AME sont visées à l’article 187-2 du nouveau Code de la Famille et de l’Aide Sociale qui se réfère aux articles L. 321-1 et L. 331-2 du Code de la Sécurité sociale. Il faut noter que l’AME est un droit sous conditions de ressources. Le pouvoir d’attribution de l’Aide Médicale Etat relève du Préfet, représentant de l’Etat, qui délègue à la caisse primaire d’assurance maladie. L’admission est accordée pour un an. Articulation entre la CMU et l’AME ? Lorsqu’il est constaté qu’une personne ne remplit plus la condition de résidence pour être admise à la CMU ou, au contraire, vient à remplir la condition, une procédure de transfert de dossier de l’intéressé soit à l’AME, soit à la CMU doit être initiée. Par ailleurs, les promoteurs de la couverture maladie universelle ont voulu un accès aux prestations en nature immédiat et automatique. B/ L’AUTOMATICITE DE L’AFFILIATION ET LA CONTINUITE DES DROITS Pour favoriser l’accès à la couverture maladie universelle, des formalités simplifiées ont été prévues. Comment se manifeste concrètement cette simplification ? 25 1) L’affiliation immédiate Le droit aux prestations en nature de l’assurance maladie est obtenu sans délai. Il appartient à la CPAM de vérifier ensuite si le nouvel assuré n’a pas déjà des droits ouverts à un autre titre au régime général ou dans un autre régime de base. L’affiliation sous critère de résidence reste subsidiaire et ne supprime donc pas la nécessité de rechercher une ouverture des droits prioritaire. Que fait-on si une affiliation fait l’objet d’une erreur ? En cas d’affiliation inexacte, les prestations en nature servies à tort par un régime de Sécurité sociale resteront à sa charge, notamment les dépenses remboursées à tort par le régime de résidence (géré par le régime général), dans la période de recherche d’une autre affiliation éventuelle, resteront à sa charge. Conçue pour les personnes en grande précarité sociale, la loi consacre le rôle d’accompagnement des services sociaux, des associations, et des organismes à but non lucratif agréés, ainsi que celui des établissements de santé. Ces structures sont habilitées à apporter leur concours aux demandeurs, dans leur démarche d’affiliation au régime de base d’assurance maladie et de protection complémentaire. Elles peuvent en outre, avec l’accord de l’intéressé, transmettre les documents nécessaires à l’organisme compétent. 2) La continuité des droits Un assuré ne peut perdre le bénéfice des prestations en nature même s’il ne paie pas ses cotisations. Aucun régime obligatoire de Sécurité sociale ne peut cesser de lui verser des prestations en nature s’il ne s’est pas assuré préalablement que l’intéressé est effectivement affilié à un autre régime. Ainsi, pour éviter des ruptures de droits, la loi a posé un principe de continuité du droit a contrario. 26 L’article L.161-5 du Code de la Sécurité sociale dispose désormais que la perte du bénéfice n’est plus possible que dans deux cas : si l’intéressé ne remplit plus la condition de résidence ou s’il est présumé « absent » au sens du droit civil11. En outre, l’ouverture du droit n’est plus subordonnée à un paiement préalable des cotisations. Il est désormais prévu que pour bénéficier des prestations, l’assuré n’aura pas l’obligation d’être à jour de ses cotisations. De même dans les régimes des non-salariés, sont abrogées les clauses de déchéance et de suspension des droits en cas de non-paiement des cotisations mais les procédés de recouvrement des cotisations seront renforcés par voie réglementaire. Garantir une continuité des droits permet de respecter le principe d’universalité du système de soins. §2) LE PRINCIPE D’UNIVERSALITE La couverture pour tous instaurée par la loi du 27 juillet 1999 apparaît comme un système unique garantissant à chacun un véritable accès aux soins (A). Cependant, il faut préciser que le bénéfice de ce nouveau droit social est soumis à une condition de ressources (B). A/ UN SYSTEME UNIQUE Pour que l’universalité soit garantie, il ne suffit pas que le législateur lève les obstacles qui entravent l’accès aux soins. Encore faut-il qu’il assure la jouissance du droit aux soins. Le régime de la couverture maladie universelle doit répondre à un souci d’efficacité, non seulement au profit du plus grand nombre mais également au profit de chaque bénéficiaire. Respectueux des droits fondamentaux de la personne, il doit tendre également à l’individualisation des droits. Peut-on considérer que la CMU est un système unique ? 11 C.civ, art.112 27 Il ressort clairement que chacun doit recevoir selon ses besoins et non plus selon son apport aux régimes de l’assurance maladie, fondé sur le risque et sur une idée de contributivité. La CMU satisfait ainsi un souci de justice distributive et non plus commutative, tout en répondant aux exigences d’une solidarité nationale qui repousse un peu plus la solidarité professionnelle aux frontières de la Sécurité sociale française. En ce sens, la couverture pour tous apparaît comme un système unique garantissant à chacun un véritable accès aux soins. Cette analyse du principe d’ « universalité » utilisé par le législateur n’est pas partagée par tous les auteurs. 1) Le concept même d’universalité utilisé par le législateur Dans sa réflexion sur les apports et les limites de la loi créant la CMU, Michel Borgetto formule une remarque relative au concept même d’universalité utilisé par le législateur. Il considère que « d’un certain point de vue, il est vrai, l’utilisation de ce concept ne semble guère pouvoir être contestée : dès lors que la couverture de base est garantie à l’universalité du corps social, le concept a sans doute sa place et peut donc fort bien être invoqué. Mais si l’on se situe par rapport au principe d’universalité tel que les pères fondateurs de la Sécurité sociale l’ont entendu et si l’on admet, au-delà, qu’un régime universel assure une protection générale et unique alors qu’un régime généralisé, lui, admet en son sein des différences, cette utilisation apparaît quelque peu inappropriée, voire inexacte ». Michel Borgetto se fonde ainsi sur l’existence d’une pluralité de régimes d’assurance maladie pour écarter le caractère universel de la loi. Selon lui, « pour pouvoir accoler au dispositif CMU le qualificatif universel il aurait fallu s’attacher à rapprocher les quelques 18 régimes existants12 ». 12 BORGETTO (M.), Brèves réflexions sur les apports et les limites de la loi créant la CMU, Dr. Soc. n°1 janv 2000, p.33 28 D’autres auteurs rejoindront cette conception de l’universalité au regard des mêmes fondements. C’est le cas de Robert Lafore qui retient que tant du point de vue du champ d’application personnel (garantie à tous) qu’en ce qui concerne le contenu (prise en charge des soins), le nouveau dispositif vise bien une universalité de la protection. Cependant, il considère que l’objectif d’universalité de la protection ne signifie pas universalité de régime et que la recherche d’une protection pour tous se réalise en réalité par l’établissement d’un régime spécifique pour les exclus de la couverture de droit commun. Selon Robert Lafore, « il s’agit davantage d’une couverture maladie généralisée que d’une couverture maladie universelle13 ». Que penser de toutes ces considérations ? La loi relative à la CMU institue t-elle un régime universel ou un régime généralisé ? 2) Régime universel ou régime généralisé ? On peut considérer qu’à défaut d’une unicité de régimes, l’universalité de la couverture existe et se trouve caractérisée par le seul fait que toute personne qui aujourd’hui ne bénéficie pas d’une protection sociale dans un régime obligatoire, sera désormais affiliée au régime général. Cela signifie donc qu’il ne peut plus y avoir en principe de refus d’affiliation, ni d’exclusion ou de suspension des droits à l’assurance maladie pour la couverture de base a minima. Le principe d’universalité au sens de la loi sur la CMU s’entend comme offrant pour la première fois un égal accès aux soins à tous les résidents français. L’universalité et la gratuité de la protection constituent le principe. Mais le bénéfice de la couverture de base sera parfois soumis à une condition de ressource. 13 LAFORE (R.), La CMU : un nouvel ilôt dans l’archipel de l’assurance maladie, Dr. Soc n°1 janv 2000, p.26 29 B/ UN DROIT SOCIAL SOUS CONDITION DE RESSOURCES Le bénéfice de la couverture de base est en principe gratuit mais les bénéficiaires dont les revenus dépassent certains plafonds seront tenus d’acquitter une cotisation. Il faut savoir que le caractère contributif a été l’un des points les plus discutés de la loi. 1) La contributivité Elément essentiel de la loi, la couverture de base se présente comme un nouveau droit social ouvert à tous mais dont le bénéfice est soumis à une condition de ressources. Les plafonds, fixés par décret et révisés chaque année, varient selon la composition du foyer soit pour une personne seule 3500 F par mois. Quelles sont les ressources prises en compte ? Le nouvel assuré doit effectuer une déclaration de ses ressources imposables. Si son revenu fiscal de référence dépasse le seuil fixé, la caisse primaire d’assurance maladie calculera la cotisation qui lui est applicable. Le taux est d’environ 10,10 %. Il faut par conséquent retenir que l’affiliation peut être contributive mais qu’une franchise de contribution est instaurée : il ne sera perçu de cotisation que sur la part des revenus excédant 3500 F par mois. Cette règle maintient le principe de contributivité personnelle propre à notre Sécurité sociale mais supprime le mécanisme complexe de prise en charge des cotisations qui caractérisait l’assurance personnelle. 2) Le débat relatif au caractère contributif Le caractère contributif a fait apparaître certaines difficultés. Les détracteurs du projet de loi y ont vu un mécanisme pervers de nature à introduire une discrimination entre les citoyens vis-à-vis de l’assurance maladie. Le Conseil constitutionnel, on l’a déjà souligné, n’a pas déclaré cette disposition contraire à la Constitution, mais a assorti sa décision de certaines précisions. 30 Le pouvoir réglementaire doit fixer le montant des plafonds de ressources ainsi que les modalités de leur révision annuelle de façon à respecter les dispositions du préambule de la Constitution afin que l’égalité entre assurés sociaux ne soit pas rompue. L’exigence de cette cotisation peut, en elle même, très bien s’admettre : tout d’abord parce que la cotisation est égale à un pourcentage du montant des revenus dépassant le plafond et prend donc en considération la situation réelle et personnelle de chaque individu. Ensuite parce que l’absence de paiement préalable de cotisations ne fait nullement obstacle au versement des prestations en nature de l’assurance maladie. Il faut reconnaître néanmoins que dans la pratique des difficultés sérieuses pourront surgir. On peut soulever par exemple le fait que ce seuil va se traduire pour certains bénéficiaires de l’aide médicale par une régression de leur situation : ce seuil se situant en effet en deçà de celui déclenchant l’aide médicale dans de nombreux départements. On va retrouver cette condition de ressources dans le deuxième volet de la réforme. Celui-ci consiste à créer un droit à une protection complémentaire en matière de santé. Section II/ LA COUVERTURE MALADIE COMPLEMENTAIRE L’INNOVATION DU DISPOSITIF LEGAL Le second volet de la réforme consiste à créer, pour la première fois, un droit à une protection complémentaire gratuite pour tous en matière de santé. C’est la raison pour laquelle il représente l’aspect novateur du dispositif légal. Il convient dés à présent de se pencher sur les caractéristiques du nouveau dispositif (§1) avant de préciser l’étendue de la protection complémentaire (§2). 31 §1) LES CARACTERISTIQUES DU NOUVEAU DISPOSITIF Le bénéfice de la protection complémentaire suppose la réunion d’un certain nombre de conditions (A). Une fois ces conditions reconnues, il sera procédé à la détermination des droits (B). A/ LES CONDITIONS D’ATTRIBUTION On distingue deux catégories de conditions : les conditions administratives et les conditions relatives aux ressources. 1) Les conditions administratives Le demandeur doit résider en France dans les mêmes conditions que pour la couverture de base ainsi que les personnes à sa charge. La demande est faite par foyer au sens prévu par la réglementation du RMI : demandeur, conjoint ou concubin et personnes vivant au foyer âgées de moins de 25 ans, étant ou ayant été à charge au sens des prestations familiales. 2) Les conditions relatives aux ressources L’ensemble des ressources du foyer est prise en compte, c’est-à-dire les ressources imposables et non imposables après déduction des charges consécutives du versement des pensions et obligations alimentaires. Seules certaines prestations familiales à caractère spécialisé sont exclues. On peut donc relever ici une différence avec la couverture de base : pour l’octroi de celle-ci on prend en compte uniquement les ressources imposables. 32 B/ LA DETERMINATION DES DROITS Elle dépend de deux facteurs : le montant du plafond et la reconnaissance du droit par la caisse. 1) Le montant du plafond Le deuxième volet de la réforme consiste à créer un droit à une protection complémentaire en matière de santé. Ce droit est accordé sous conditions de ressources. Le plafond est fixé à 42 000F par an (soit 3 500F par mois) pour une personne seule. Ce seuil est modulé en fonction de la composition de la famille, le conjoint le majorant de 50%, les deux premiers enfants de 30% chacun, le troisième de 40%… Les ressources prises en compte pour déterminer l’accès au droit comprennent l’ensemble des revenus de toute nature perçus par le demandeur et les membres de sa famille au cours des douze derniers mois précédant la demande. Des abattements seront appliqués en cas de survenance d’une période de chômage. Des prestations spécialisées comme l’allocation d’éducation spéciale seront exclues de la base des ressources. La situation des travailleurs indépendants sera examinée au travers de leur statut fiscal. 2) La reconnaissance du droit par la caisse Le demandeur pourra s’adresser au guichet de la caisse primaire d’assurance maladie mais également au service social, à l’association ou l’organisme à but non lucratif agréé par le représentant de l’Etat, ainsi que dans les hôpitaux qui l’aideront à remplir sa demande. La loi ne vise pas expressément les centres communaux d’action sociale qui sont néanmoins habilités d’après les services ministériels à poursuivre le rôle qu’ils jouent actuellement pour les demandeurs de l’aide médicale. 33 Il semble important de remarquer que dans la mesure où il s’agit d’une demande familiale, certaines personnes du foyer pourront relever d’un régime différent. Ceci obligera la caisse qui étudie la demande à analyser les ressources d’un assuré qui relève éventuellement d’un autre régime et à transmettre l’information à la caisse de rattachement de cette personne. Les assurés relevant d’une section mutualiste devront présenter leur demande à la caisse de leur domicile ou celle dont relève leur conjoint ou concubin, seule compétente pour assurer l’examen de leurs ressources et la reconnaissance du droit. Se pose alors la question du délai d’examen du dossier par la caisse. La loi prévoit qu’un délai maximal est fixé par décret. La notion d’immédiateté dès le dépôt de la demande n’est prévue que lorsque la situation du demandeur l’exige. Dans ce cas une attribution provisoire du droit de l’ordre de 3 mois est accordée. La caisse doit notifier à tous les demandeurs la décision prise. §2) L’ETENDUE DE LA PROTECTION COMPLEMENTAIRE Réfléchir à l’étendue de la protection complémentaire revient à se poser les question suivantes : quels sont les soins pris en charge et comment s’effectue cette prise en charge ? (A). Celle-ci sera assurée selon l’une des modalités prévues par le texte légal, au libre choix du demandeur (B). A/ LES SOINS PRIS EN CHARGE Il faut envisager à la fois des prestations traditionnelles et des prestations innovantes. 1) Les prestations traditionnelles La mise en œuvre de la couverture maladie universelle permet la prise en charge sans contrepartie contributive de la participation de l’assuré aux tarifs de 34 responsabilités pour les prestations couvertes par les régimes obligatoires. Ces personnes bénéficient d’une couverture à 100 % des soins. La protection comporte la prise en charge du ticket modérateur, du forfait journalier dû en cas d’hospitalisation qu’elle qu’en soit la durée, et de tout ou partie des frais de prothèses dentaires et de dispositifs médicaux tels que l’optique. Pour quelles raisons est-il si essentiel que la CMU prenne en charge le ticket modérateur ? Le ticket modérateur correspond à la part des dépenses de soins restant à la charge du patient après remboursement par le régime d’assurance obligatoire. Encore appelé co-paiement par les Anglo-Saxons, ce principe permet d’associer directement le malade au paiement de ses propres soins, recréant ainsi à son niveau un mécanisme de marché. Ainsi, responsabilisé financièrement, le patient est censé modérer de lui-même sa consommation. Le ticket modérateur a été introduit en France dès la création de la Sécurité sociale, et il se retrouve, sous des formes diverses dans d’autres systèmes de soins européens, mais la tendance actuelle, en particulier dans les pays du Nord de l’Europe, est à sa suppression. Le ticket modérateur, lorsqu’il existe, fait partie intégrante de la définition d’un panier de biens et remboursables, puisqu’il détermine par le taux de remboursement le « degré d’appartenance » au panier des différents biens et services. D’un point de vue théorique, il convient de s’interroger sur l’effet réel du ticket modérateur sur la consommation médicale ; son effet dissuasif sur les consommations « inutiles » s’accompagne aussi d’une restriction sur les soins indispensables. De par sa conception même, le ticket modérateur relève d’un principe de régulation par le marché, en influençant les choix du patient lui-même. Cependant, pour que ce marché joue pleinement son rôle, il faudrait que le patient soit dans le domaine des soins un agent économique idéal au sens de la théorie 35 économique classique, c’est-à-dire pleinement conscient de ses besoins et des caractéristiques des biens et services dont il est acheteur potentiel. Or dans le domaine de la santé, il existe une asymétrie d’information importante entre le patient et les professionnels de santé, qui empêche justement le patient d’évaluer luimême l’utilité des biens et services qui lui sont proposés. Il ne peut le faire que par l’intermédiaire du professionnel de santé auquel il s’adresse, mais qui est aussi, assez souvent, l’offreur. Il ressort donc clairement qu’on est loin du rôle d’acheteur éclairé que devrait jouer le consommateur dans ses décisions d’ « achats de soins » pour une prise en compte « économiquement correcte » du ticket modérateur. En ce sens, il comporte un risque : agir le plus souvent comme un simple frein au recours aux soins, sans possibilité réelle pour le patient d’optimiser l’utilité des dépenses qu’il supporte14. Il est nécessaire de s’interroger sur le différentiel de consommation qu’il induit entre les bénéficiaires d’une assurance complémentaire et les autres. Le ticket modérateur doit être considéré comme un effet aggravant des inégalités de santé. Il pénalise les populations ayant de faibles revenus, dont on sait par ailleurs qu’elles bénéficient déjà d’un état de santé moins bon. Ce constat a progressivement conduit à mettre en place des aménagements destinés à corriger les effets les plus désastreux du ticket modérateur. La menace que faisait peser ce dernier sur l’accès aux soins des individus les plus défavorisés économiquement a été prise en compte par la CMU, qui leur donne droit à une couverture complémentaire quasiment systématique. L’Etat a ainsi reconnu le caractère nécessaire d’une couverture intégrale pour cette partie de la population. 14 Haut Comité de la Santé Publique, Rapport sur le panier de biens et services de santé, janvier 2000, 119 p. 36 Une meilleure définition du panier de biens et services pris en charge par le régime obligatoire et une révision des taux du ticket modérateur devraient permettre de redonner une place prépondérante au régime obligatoire pour les soins répondant à des besoins avérés, par exemple sur la base du service médical rendu. 2) Le tiers-payant obligatoire, une disposition innovante Cette couverture sera assortie du bénéfice de la dispense d’avance de frais, communément appelée tiers-payant. Il s’agit d’une disposition innovante car si le tierspayant était déjà largement pratiqué par certaines professions, les pharmaciens par exemple, il n’en était pas de même chez les médecins, notamment les généralistes. Ceci constituait donc un frein à la médecine de ville. Pour toutes les dépenses prises en charge par les régimes obligatoires et au titre de la CMU, les bénéficiaires sont dispensés de l’avance de frais. La loi prévoit que les professionnels de santé doivent avoir un interlocuteur unique pour l’ensemble de la procédure de tiers-payant. Par ailleurs, les bénéficiaires la couverture complémentaire auront la possibilité de choisir l’organisme qui assurera les prestations. B/ LE CHOIX DE L’ORGANISME ASSURANT LA PROTECTION COMPLEMENTAIRE Le choix possède deux caractéristiques : il est libre et individuel. 37 1) Un choix libre Le demandeur doit remplir simultanément la déclaration de ressources et l’imprimé indiquant l’organisme qu’il choisit pour lui assurer la protection complémentaire15. Celui-ci exercera son droit, à son libre choix, selon l’une des modalités suivantes : — soit le bénéficiaire demandera à sa caisse de payer les frais complémentaires de soins directement aux professionnels ou aux établissements de santé concernés — soit l’intéressé souscrira un contrat auprès d’un des organismes d’assurance complémentaire, désignés par lui sur une liste d’organismes volontaires, qui se chargera de la rémunération des professionnels de santé ou du paiement des actes et biens médicaux. Il ne pourra s’agir que d’organismes habilités à exercer une activité d’assurance, c’est-à-dire les mutuelles relevant du Code de la mutualité, les institutions de prévoyance ou encore les sociétés d’assurance. Ces organismes ne seront tenus d’accepter obligatoirement la souscription de tels contrats que pour autant qu’ils se seront déclarés volontaires auprès de l’administration pour gérer de tels contrats. Il faut savoir que ces contrats d’assurance ou ces adhésions aux mutuelles ne pourront avoir de contrepartie contributive (absence de cotisations ou primes à payer). Le contrat prend effet à la date de la décision d’attribution du droit. La résiliation d’un contrat antérieur est-elle possible ? La résiliation sera de droit sauf si ce contrat est établit auprès d’un organisme inscrit sur la liste de ceux qui participent à la gestion de la CMU. Dans ce cas, c’est l’adaptation du contrat qui s’imposera. Cette disposition s’explique par la volonté d’éviter la sortie des personnes qui sont dans le champ de la protection sociale de droit commun. 15 TRICLIN (A.), op-cit, p.5 38 2) Un choix individuel Le choix est individuel, cela signifie que chaque membre du foyer pourra faire un choix personnel. Si le choix est fait en faveur de la caisse servant les prestations de base, et si les membres du foyer ne sont pas tous affiliés au même régime de base, plusieurs caisses seront donc concernées. Il en est de même si certains membres du foyer avaient déjà une protection complémentaire et les autres non ou si tous les membres du foyer n’avaient pas la même. A titre d’information, au 30 juin 2000, on dénombre, à partir des fichiers informatiques d’assurés sociaux du régime général hors sections locales mutualistes : 4 018 914 bénéficiaires affiliés à la CMU complémentaire gérée par une CPAM et 87 559 bénéficiaires affiliés à la CMU complémentaire gérée par un organisme 16 complémentaire . Devant l’exigence d’améliorer l’accès aux soins, laisser aux bénéficiaires de la protection sociale le soin d’éprouver la meilleure voie praticable est peut-être l’attitude la plus pragmatique. Néanmoins, les bénéficiaires de la CMU ne pourront exercer pleinement leurs droits qu’avec l’aide de l’ensemble des acteurs du système institutionnel. 16 CNAMTS, op.cit., supra note n°10 39 CHAPITRE II : L’APPARITION DE NOUVEAUX ACTEURS DANS LE SYSTEME INSTITUTIONNEL La mise en œuvre de la réforme n’est pas aisée. Le premier défi à relever par tous les acteurs, s’ils veulent vraiment toucher les plus démunis, consiste à repenser leur propre fonctionnement. Les caisses d’assurance maladie doivent maîtriser un nouveau métier (la gestion d’une condition de ressources), adapter leur culture et accroître l’ouverture à un public pour partie défavorisé (Section I). Les organismes complémentaires auront, quant à eux, à désarmer les préventions que provoquent leur entrée dans « le champ de l’aide sociale » et à assurer également un service d’accueil très attentif. C’est donc ensemble que ces acteurs devront mettre en œuvre les moyens susceptibles d’apporter des solutions efficaces (Section II). Section I/ L’ELARGISSEMENT DE LA COMPETENCE DE L’ASSURANCE MALADIE L’assurance maladie s’engage dans une nouvelle mission : gérer la couverture maladie pour tous, sans aucune interruption (§1). Mais la pleine réussite de la CMU suppose l’entière collaboration de tous les acteurs du système de soins : usagers, services sociaux, centres communaux d’action sociale, professionnels de santé (§2). §1) UNE NOUVELLE MISSION DEVOLUE AUX CAISSES PRIMAIRES Pour l’assurance maladie, la mise en place de la couverture maladie universelle implique un véritable changement. Une démarche fondamentalement innovante apparaît dans le cadre de cette couverture maladie universelle : l’assuré n’a plus à prouver ses droits. 40 Il fournit simplement les informations qui sont en sa possession, ce sont les caisses primaires d’assurance maladie qui gèrent la complexité administrative. L’apparition de la CMU a permis de renforcer le rôle de l’assurance maladie dans la mesure où elle lui octroie de nouvelles missions à l’égard des populations défavorisées. La CMU donne ainsi un nouveau visage à l’assurance maladie. L’inquiétude qui se manifestait quant à l’avenir de la Sécurité sociale a disparu depuis la mise en place de la réforme. L’assurance maladie doit en effet mobiliser toutes ces ressources pour accueillir les nouveaux bénéficiaires. Cela suppose non seulement la mise en œuvre d’une organisation spécifique pour la CMU (A), mais également l’obligation d’assurer la continuité des droits (B). A/ UNE ORGANISATION SPECIFIQUE POUR LA CMU Cette nouvelle organisation s’est déroulée en deux temps, le recrutement et la formation accélérée. 1) Le recrutement Afin de pouvoir accueillir et traiter les dossiers d’une population estimée à 6 millions de personnes, l’assurance maladie a demandé de renforcer ses moyens. Elle a ainsi recruté 1 400 personnes en décembre 1999 (900 postes à durée indéterminée et 500 à durée déterminée). La répartition des emplois entre les 129 caisses primaires d’assurance maladie (CPAM en France métropolitaine) et les 4 caisses générales de Sécurité sociale (CGSS dans les départements d’outre-mer), soit environ 1 360 structures de paiement et d’accueil, s’est faite en fonction de deux critères : les problèmes de précarité existant dans les circonscriptions des caisses et les possibilités offertes par les départs ARPE, c’est-à-dire le départ à la retraite impliquant le recrutement d’un jeune. Parallèlement, l’Inspection Générale des Affaires Sociales a commencé une évaluation plus fine des besoins complémentaires de l’assurance maladie pour gérer efficacement la CMU. 41 Les agents les plus expérimentés, notamment ceux qui géraient l’aide médicale, vont traiter la couverture maladie universelle. En effet, leur expérience leur permet de s’approprier plus rapidement les caractéristiques de la nouvelle réglementation CMU17. Il faut savoir que la Sécurité sociale a vu affluer d’un coup à ses guichets des dizaines de milliers d’assurés sociaux. L’organisation de l’accueil des bénéficiaires potentiels de la CMU et le traitement de leurs demandes s’est avéré extrêmement difficile dans les CPAM, vite submergées. En ce qui concerne la répartition de la charge de travail, de nouvelles missions sont apparues : — la mise en place d’un groupe d’experts chargé du pilotage de l’opération, qui pourra s’appuyer sur les structures existantes en matière d’assurance personnelle ou de précarité — l’adaptation de l’accueil de proximité aux obligations de la CMU : renforcement de l’accueil, aide au remplissage des documents, saisie des données relatives aux ressources et mise à jour du fichier assurés, délivrance d’attestations urgentes ou de duplicata — le traitement de la demande dans les groupes de gestion des bénéficiaires puis la liquidation des prestations — enfin l’accompagnement social par les services sociaux pour faciliter un effectif accès aux soins et la gestion des flux financiers par les services comptables. 2) La formation accélérée Conçu pour aider les agents des caisses à maîtriser les différents aspects de la CMU, un programme de formation a été démarré en novembre et s’est poursuivi pendant les premiers mois de l’année 2000. La formation était articulée autour de trois volets : - adapter l’accueil aux différents types de publics demandeurs de la CMU et savoir détecter les situations d’urgence 17 CNAMTS, dossier de presse CMU, mode d’emploi, 13 déc. 1999, 23 p. 42 - appliquer rigoureusement la législation CMU - réussir un partenariat efficace avec les principaux partenaires de l’assurance maladie au service des bénéficiaires en connaissant précisément le rôle de chacun. Un travail en commun au niveau régional est apparu nécessaire. Une équipe d’assistance a été chargée d’apporter aux organismes une aide de terrain : identification des problèmes rencontrés, analyse et proposition de solutions adaptées au type des difficultés, suivi de la mise en place au moyen d’indicateurs. Dans certaines régions, comme par exemple le Nord Picardie et l’Alsace Moselle, les caisses se sont réunies afin de mutualiser leurs moyens ; une démarche similaire est prévue dans chaque région. B/ L’OBLIGATION D’ASSURER LA CONTINUITE DES DROITS Il faut savoir que le transfert des fichiers des bénéficiaires a permis d’assurer la prolongation des droits mais a soulevé de nombreuses difficultés en pratique. 1) Le basculement des fichiers et les transferts d’information des caisses d’allocations familiales (CAF) vers les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) Pour plus de 2 millions de personnes, le passage à la CMU de base ou complémentaire s’est effectué automatiquement avant le 31 décembre 1999 sans suspension de leurs droits ni aucune démarche de leur part. Il a été procédé à un basculement des fichiers : les droits des personnes identifiées par l’assurance maladie au titre de l’assurance personnelle et de l’aide médicale ont été transférés dans un fichier couverture maladie universelle. Par ailleurs les caisses d’allocations familiales ont transmis aux caisses primaires leur fichier annuel des bénéficiaires du RMI, de cette manière leur droit à la CMU complémentaire est renouvelé automatiquement. 43 Disposant de ces données, les caisses d’assurance maladie veillent à ce que tous les bénéficiaires potentiels de ce dispositif soient informés de leurs droits. De même, les caisses d’assurance maladie reçoivent les fichiers mensuels des CAF ; elles peuvent ainsi attribuer systématiquement la CMU complémentaire aux nouveaux bénéficiaires et tenir à jour le fichier CMU. Dans plusieurs départements, les caisses ne disposaient pas des fichiers nécessaires. C’est pourquoi il leur a été demandé de prendre contact avec les Conseils Généraux pour étudier avec eux les modalités de transfert de ces fichiers. Cependant, des difficultés préoccupantes relatives à la prolongation des droits sont apparues en pratique. 2) Les problèmes concrets dus à la prolongation des droits Les bénéficiaires du RMI ont droit de façon automatique à la CMU complémentaire pour une durée d’un an renouvelable, qu’il garde ou non le bénéfice du RMI pendant cette période, et sans faire de déclarations de ressources. Ils auront simplement la possibilité de choisir un nouvel organisme complémentaire. Il n’en est pas de même pour les anciens bénéficiaires de l’aide médicale. En effet, ceux-ci bénéficient d’une prolongation automatique de leurs droits jusqu’à la date d’expiration de leurs droits à l’aide médicale et au plus tard jusqu’au 30 juin 2000. Ce délai a été prolongé jusqu’au 31 octobre, date à laquelle sera effectuée une révision des ressources des bénéficiaires. Ces derniers auront alors l’obligation de procéder à une nouvelle déclaration de ressources et la possibilité de choisir un nouvel organisme complémentaire. Or la difficulté réside dans le fait que certaines personnes se retrouveront au dessus du seuil et perdront donc à compter du 31 octobre le bénéfice de la couverture complémentaire, alors qu’ils étaient auparavant couverts au titre de l’aide médicale (cf. annexe 2). 44 Si les caisses primaires d’assurance maladie gèrent une partie fondamentale de la CMU, elles ne sont cependant pas les seules. A leurs cotés, de nombreux partenaires, avec qui elles entretiennent des relations constantes, sont impliqués à des titres différents dans la mise en place de cette grande réforme. §2) LA COLLABORATION DES CENTRES COMMUNAUX D’ACTION SOCIALE (CCAS) ET DES PROFESSIONNELS DE SANTE Il convient de s’intéresser d’une part à l’intérêt de la participation des CCAS (A) et d’autre part au rôle des professionnels de santé dans la mise en œuvre de la couverture maladie universelle (B). A/ L’INTERET DE LA PARTICIPATION DES CCAS Avant l’instauration de la CMU, les caisses s’attachaient à identifier les personnes qui restaient à l’écart du système d’assurance maladie, le plus souvent par manque d’information. Grâce à l’aide des centres communaux d’action sociale et des associations, les caisses d’assurance maladie prenaient contact avec les populations en voie de précarité afin de leur ouvrir des droits et de les orienter vers les centres d’examen de santé. La CMU étant désormais de la compétence de l’assurance maladie et gérée localement par les caisses primaires, les CCAS se sont donc vu retirer un pan de leur activité : l’instruction de l’aide médicale et, de ce fait, les recettes qui lui étaient associées. L’union nationale des CCAS (UNCCAS) avait, dès l’élaboration de la loi, demandé sans succès que les centres soient au moins reconnus en qualité d’accompagnateurs des personnes défavorisées. L’UNCCAS a demandé ensuite la signature d’une convention nationale avec la caisse nationale d’assurance maladie qui avait pour but de positionner les CCAS en leur attribuant une mission d’accueil des demandes en contrepartie d’une rémunération proportionnelle au nombre de dossiers complets transmis aux CPAM. Mais l’octroi de cette rémunération a été refusé. 45 En l’état actuel des textes les centres communaux d’action sociale assurent « l’accueil, l’information et l’orientation » des demandeurs de la CMU, à l’exclusion de l’instruction des dossiers, mission relevant de la seule compétence des caisses d’assurance maladie et pour laquelle elles ont obtenu des moyens. D’autres acteurs tels que les services sociaux auront également un rôle important à jouer. L’article L. 861-5 nouveau du Code de sécurité sociale issu de la loi du 27 juillet 1999 portant création de la CMU précise que « les services sociaux et les associations ou organismes à but non lucratif agréés par décision du représentant de l’Etat dans le département ainsi que les établissements de santé apportent leur concours aux intéressés dans leur demande de protection complémentaire et sont habilités, avec l’accord du demandeur, à transmettre la demande et les documents correspondants à l’organisme compétent ». Dans ce contexte, on peut constater qu’avec l’instauration de la CMU la collaboration vient se renforcer. Les divers acteurs devront s’efforcer de coordonner leurs compétences et leurs actions en vue de simplifier la mise en œuvre de la nouvelle protection sociale. B/ LES PROFESSIONNELS DE SANTE ET LA COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE La participation des professionnels de santé est obligatoire. La couverture maladie universelle, en tant que dispositif légal, a une dimension obligatoire pour tous les intervenants appelés à jouer un rôle dans l’attribution et l’usage de ce droit nouveau par tous ses bénéficiaires. Dans le principe, la CMU n’est pas concrètement une nouveauté pour les professionnels de santé déjà habitués, pour un certain nombre d’entre eux, à soigner les bénéficiaires de l’aide médicale. 46 Tous les professionnels de santé sont tenus par la loi de répondre favorablement à toute demande de prestation exprimée par les bénéficiaires et de respecter certaines modalités financières et techniques propres à ce dispositif : la CMU de base Inscription du patient dans le droit commun du régime obligatoire comme tous les assurés sociaux. Il n’est pas exonéré de la dispense d’avance de frais. la CMU complémentaire Le dépassement d’honoraires est interdit. Les patients bénéficient par ailleurs du tierspayant intégral. On peut se poser la question suivante : comment le professionnel de santé peut-il s’assurer que certains patients sont bien bénéficiaires de la couverture complémentaire ? Ces derniers attestent de cette qualité en lui présentant leur carte Vitale et l’attestation papier reçue avec le courrier d’information qui leur a été transmis par la CPAM. Il faut également s’intéresser à l’intervention des pharmaciens et des laboratoires. Ces professionnels sont eux aussi des collaborateurs. Pour eux le système ne change pas. Ils continuent à réaliser des services avec tiers-payant comme auparavant et à envoyer les feuilles de soins papier aux différents organismes. Section II/ LE PARTENARIAT ENTRE LES CAISSES D’ASSURANCE MALADIE ET LES ORGANISMES COMPLEMENTAIRES Le choix du service de la couverture complémentaire est à la discrétion de son bénéficiaire, qui peut s’adresser indifféremment à l’un des organismes d’assurance maladie, qu’il s’agisse des caisses primaires, des mutuelles ou des institutions de prévoyance, voire des sociétés d’assurance (§1). Reste à savoir si ce mécanisme donne lieu à la mise en concurrence de ces divers organismes (§2). 47 §1) UNE PRISE EN CHARGE ASSUREE CONJOINTEMENT PAR LES CAISSES MALADIE ET PAR LES ORGANISMES COMPLEMENTAIRES Les extensions successives de l’assurance complémentaire lui offrent un nouveau statut (A) et permettent un double accès à la protection complémentaire (B). A/ UN NOUVEAU STATUT POUR L’ASSURANCE COMPLEMENTAIRE Une irruption de l’Etat dans le champ de l’assurance complémentaire peut-être constatée. En effet, on a vu que les bénéficiaires de la protection complémentaire ont la possibilité d’obtenir la prise en charge des dépenses de santé soit auprès de leur organisme d’assurance maladie, soit auprès de société d’assurance, mutuelles et institutions de prévoyance. L’intervention des caisses d’assurance maladie est justifiée par la nature juridique de cette couverture complémentaire. Elles sont gestionnaires de ces prestations pour le compte de l’Etat. Elles assument directement le coût du ticket modérateur et du forfait journalier laissé à la charge de ces personnes18. Le fonds de financement de la protection complémentaire leur remboursera l’intégralité du montant des dépenses de santé engagées pour cette population. Ces sommes représentent exactement ce que l’Etat aurait eu à acquitter si ses services avaient intégralement assuré la gestion de cette protection complémentaire19. La mise en œuvre de l’autre alternative conduit, en revanche, à transférer, de l’Etat aux organismes complémentaires, le poids du ticket modérateur et du forfait journalier. Le risque est alors socialisé au niveau des mutuelles, institutions de prévoyance et sociétés d’assurance moyennant le versement d’une contribution. 18 art. L. 861-4-a nouveau CSS 19 art. L. 862-2-a nouveau CSS 48 Le fonds se substitue ainsi aux intéressés en payant la cotisation qui leur est demandée pour adhérer à une mutuelle ou souscrire un contrat. La différence de régime s’explique par la spécificité des deux techniques juridiques utilisées pour supporter ces dépenses de santé. B/ LES DEUX VOIES D’ACCES A LA PROTECTION COMPLEMENTAIRE REPONDENT A DEUX LOGIQUES DIFFERENTES Une analyse de ces deux logiques s’impose. Il semble que l’Etat se soit dessaisi d’une partie de ses prérogatives pour confier aux caisses d’assurance maladie la réalisation d’opérations que ses services déconcentrés n’étaient pas en mesure d’effectuer correctement. On relèvera ici que la démarche est identique à celle initiée dans le cadre du RMI qui est aujourd’hui attribué, en l’absence de convention de délégation, sur décision du préfet, puis liquidé par les caisses d’allocations familiales. Il n’est donc pas justifié d’affirmer que les caisses d’assurance maladie « feront du complémentaire » alors qu’elles gèreront une aide d’Etat modernisée. Ces dernières n’ont pas de compétence propre en matière de protection complémentaire. C’est leur qualité de simple mandataire, précisons-le, qui justifie le remboursement au franc le franc des prestations qu’elles serviront. A l’inverse, les organismes complémentaires interviennent, à titre volontaire, dans le cadre de leur compétence classique. Cette compétence est exercée selon des modalités spécifiques : les organismes qui acceptent de participer au dispositif sont tenus de proposer un contrat dont le contenu est défini par la loi. Chaque contrat leur rapporte une déduction fiscale de l’ordre de 1 500 F. Néanmoins, ils supporteront conformément à leur métier le risque financier attaché à tout contrat sachant que si un bénéficiaire coûte plus cher que le montant de la déduction fiscale qu’il rapporte, l’organisme intègrera cette perte dans ses comptes. 49 Mais il faut souligner que tous ne valident pas cette analyse et considèrent au contraire qu’il existe une réelle identité de situation entre les CPAM et les organismes complémentaires, ce qui conduirait au développement d’une concurrence. Peut-on affirmer que le système de prise en charge des dépenses de soins est concurrentiel ? Ou plutôt que de concurrence, ne faudrait-il pas parler de la diversité des réponses apportées à des situations qui peuvent être fort variables ? §2) VERS UN SYSTEME CONCURRENTIEL DE PRISE EN CHARGE ? Les organismes complémentaires redoutent l’intervention des caisses primaires (A), c’est pourquoi certains d’entre eux ont engagé des recours contre la loi (B). A/ DE LA PERCEPTION PAR LES ORGANISMES COMPLEMENTAIRES DE L’INTERVENTION DES CAISSES D’ASSURANCE MALADIE Il convient de signaler que la participation des caisses d’assurance maladie est ressentie par les responsables des organismes complémentaires comme une atteinte à leurs prérogatives20. Ils considèrent en effet que le dispositif CMU réaffirme la monopole des CPAM sur la prestation de base mais qu’il autorise par contre les caisses à distribuer les prestations complémentaires au même titre que les organismes traditionnels de protection complémentaire volontaire. En conséquence, sur le volet complémentaire de la CMU, la loi instaurerait selon eux une concurrence déloyale du fait même du monopole reconnu aux caisses concernant l’instruction des dossiers ainsi que l’ouverture des droits. Les responsables desdits organismes estiment que par pure commodité pour des populations en difficultés souvent majeures, il paraît évident que les bénéficiaires se tourneront tout naturellement vers les caisses pour leur couverture complémentaire afin de n’avoir qu’un seul et même interlocuteur. 20 MARIE (R.), La CMU, Dr. Soc. n°1, janv. 2000 p.17 50 Or, il ressort d’une décision de la chambre sociale de la Cour de cassation que les conditions d’intervention des CPAM s’inscrivent dans un cadre suffisamment particulier pour exclure tout risque de concurrence déloyale21. On peut relever également que les bénéficiaires de cette protection complémentaire en matière de santé ne sont pas contraints de s’adresser aux caisses pour obtenir cette prise en charge. Le champ d’application des garanties qu’elles offrent est relativement restreint dans la mesure où elles ne sont proposées qu’à leurs ressortissants et non à l’ensemble de la population. Dans cette perspective, les caisses ne doivent pas inciter leurs assurés sociaux à les désigner comme organisme prestataire en discréditant l’action menée par les autres organismes complémentaires. La liberté de choix dont ils disposent est garantie par l’article L. 861-4 nouveau du Code de Sécurité sociale. On remarquera par ailleurs que cette liberté est protégée par le fait que la liste des établissements participants n’est pas directement diffusée par les caisses d’assurance maladie mais par une autorité administrative extérieure. En définitive, on admettra que l’intervention actuelle des caisses n’est pas plus attentatoire aux prérogatives des mutuelles, institutions de prévoyance et sociétés d’assurance qu’elle ne l’était auparavant. Les dispositions instaurées présentent juste la particularité de généraliser un processus qui avait jusqu’ici un caractère facultatif. Pourtant on ne peut nier que certains organismes complémentaires ont engagé des recours contre la loi sur la CMU. B/ LES RECOURS CONTENTIEUX A PROPOS DE LA PROTECTION COMPLEMENTAIRE Certains organismes complémentaires tels que la Fédération Française des Sociétés d’Assurances (FFSA) ont porté plainte auprès de la Commission européenne contre la loi sur la couverture maladie universelle pour « distorsion de concurrence ». 21 Cass. Soc., 13 janv 1994, Missions des caisses primaires d’assurance maladie et droit de la concurrence 51 La FFSA a considéré que les assureurs privés étaient lésés par rapport aux caisses d’assurance maladie et que les organismes complémentaires étaient mis à l’écart. Elle a déclaré que les assureurs jouent « un rôle marginal » avec 20 000 contrats à peine alors qu’ils financent la CMU par des prélèvements sur les contrats d’assurance22. On s’aperçoit alors que bien que la loi portant création de la couverture maladie universelle repose sur une construction qui a tenté de rapprocher caisses d’assurance maladie et organismes complémentaires, elle n’a pas réussi pour autant à les associer parfaitement. Si l’on ne peut que se féliciter de l’achèvement de la couverture maladie, le rôle nouveau dévolu à la protection complémentaire apparaît lui plus problématique. Dès lors, la loi du 27 juillet 1999 laisse une impression mitigée. En effet, si la loi relative à la couverture maladie universelle, rappelons-le, se fixe l’objectif de garantir l’accès aux soins pour tous, on peut constater qu’en réalité certaines difficultés persistent. 22 Le monde, 29 juin 2000 52 SECONDE PARTIE L’ACCES AUX SOINS EFFECTIF DE TOUS : DE L’AFFICHAGE A LA REALITE 53 Les solutions retenues par le second volet de la loi du 27 juillet 1999, c’est-àdire la couverture complémentaire, posent à l’évidence divers problèmes susceptibles, pour certains d’entre eux en tout cas, de restreindre en partie l’objectif proclamé de rendre l’accès aux soins effectif pour tous. Se posent alors deux questions : celle de la survenance des risques d’inégalités de traitement liés aux caractéristiques du nouveau système de soins (Chapitre I), et celle du financement de ce nouveau système qui représente un facteur déterminant dans la garantie de l’accès aux soins pour tous (Chapitre II). CHAPITRE I : LES RISQUES D’INEGALITES DE TRAITEMENTS LIES AUX CARACTERISTIQUES DU NOUVEAU SYSTEME DE SOINS Si en matière d’accès aux prestations de la Sécurité sociale le principe posé a été celui de la gratuité en dessous d’un certain seuil et d’une progressivité au delà, par contre le problème de l’accès à une assurance complémentaire a été davantage débattu. En effet certains mécanismes du nouveau système de protection complémentaire vont entraîner une restriction de l’accès aux soins (Section I). Il faudra par ailleurs se demander si la détermination d’un panier de biens et services de santé remboursables permet de fournir une réponse à l’ensemble des besoins de soins (Section II). Section I/ LA RESTRICTION DE L’ACCES AUX SOINS POUR TOUS Les risques d’inégalité de traitement peuvent provenir non seulement de l’adoption d’un seuil (§1) mais aussi du mode d’exercice médical (§2). 54 §1) LA QUESTION DE L’ADOPTION ET DE LA PERTINENCE DU SEUIL RETENU La solution qui se révèle la plus discutable, et qui en l’occurrence a été la plus discutée au cours des débats, réside bien évidemment dans la fixation d’un seuil à partir duquel il est possible de bénéficier gratuitement de la protection complémentaire (A). Quelles solutions ont été envisagées pour parer à l’effet de seuil ? (B). A/ LA FIXATION D’UN SEUIL : UN DISPOSITIF DISCUTABLE Tel qu’il a été aménagé, ce seuil semble en effet éminemment contestable ; au lieu d’avoir été « lissé » comme c’est souvent le cas s’agissant de prestations sociales attribuées sous conditions de ressources, ce seuil a été au contraire conçu comme un « seuil couperet » générateur en fait, sinon en droit, de graves inégalités : au-dessous de 3 500F, une personne remplissant les conditions légales bénéficiera, outre de l’affiliation gratuite à un régime de base, d’une couverture complémentaire entièrement gratuite elle aussi. Par contre au dessus de ce seuil, elle devra acquitter, outre une cotisation proportionnelle à ses revenus pour bénéficier des prestations en espèce de l’assurance maladie du régime de base, une cotisation volontaire à un organisme de protection complémentaire, laquelle se fera au premier franc23. Le constat est simple : ce mécanisme peut conduire à ce qu’on appelle « l’effet de seuil ». Que signifie cette expression ? Un certain nombre de droits et d’avantages sociaux ne sont attribués qu’aux personnes et ménages se situant en dessous d’un certain seuil de ressources. Les personnes ou ménages ayant des ressources juste un peu supérieures au seuil fixé ne bénéficient pas 23 BORGETTO (M.), op.cit., p.35 55 de ces droits ou avantages alors que leur situation est très proche des personnes qui peuvent en bénéficier24. Conscients des effets pervers et pour le moins aussi inéquitables qu’inégalitaires engendrés par cette solution, les défenseurs du projet se sont certes efforcés d’en minorer l’importance : pour eux, cet effet de seuil n’était pas aussi fâcheux qu’on pouvait le penser dans la mesure où les personnes se situant au-dessus du seuil pouvaient bénéficier de l’aide des fonds d’action sociale des caisses, de celle des départements, de celle des CCAS et enfin de la possibilité prévue par la loi de voir créer un fonds d’accompagnement à la protection complémentaire alimenté par des contributions volontaires des organismes complémentaires. Cependant il restait que les diverses aides susceptibles d’être apportées aux personnes concernées par le plafond présentaient l’immense inconvénient de demeurer facultatives et dépendaient donc du seul bon vouloir des organismes intéressés. La question qu’il convient de se poser est alors la suivante : est il possible de remédier à cette difficulté ? B/ LES SOLUTIONS ENVISAGEES Pour obvier à cet effet de seuil redoutable, un certain nombre de parlementaires et d’associations ont préconisé, au cours des débats, de porter le plafond de ressources de 3 500F à 3 800F qui correspond au seuil de pauvreté. Mais une telle élévation ne constituait en fait qu’une « fausse-bonne idée ». Certes, elle aurait permis d’intégrer dans la population protégée par la CMU environ 2 millions de personnes supplémentaires ; néanmoins, elle aurait davantage abouti à déplacer le problème qu’à véritablement le résoudre : les mêmes difficultés continuant de se poser pour les personnes situées juste au-dessus de ce nouveau montant. 24 DEBIONNE (F.P.), La santé passe par la dignité, éd. Quart Monde et de l’Atelier, Paris, 2000, p.232 56 Aussi, pour éviter en toute hypothèse l’effet de seuil, la solution la plus radicale résidait-elle sans doute dans celle qui avait été envisagée par le rapporteur du projet J.C Boulard et qui fut reprise par la suite par les membres de l’opposition, en particulier par les sénateurs : solution qui consistait à instaurer une « allocation personnalisée santé » dégressive afin de permettre la solvabilisation de l’adhésion à un régime complémentaire. Mais cette solution n’a pas été retenue25. Dés lors, il y a tout lieu de penser, ainsi que le rapporteur du projet l’a d’ailleurs expressément reconnu, que les débats sur la question des seuils risquent de se poser de manière récurrente d’année en année26. Il n’en reste pas moins que des actions devront être engagées pour « lisser » cet effet de seuil. Ce sera le rôle en premier lieu des mécanismes d’action sociale ou de secours gérés par les caisses ou les assureurs complémentaires. Cette action, facultative et personnalisée, devra être renforcée et davantage ciblée vers les personnes situées jusqu’au dessus du seuil. On peut attendre de la protection d’entreprise qu’elle s’étende vers ceux qui n’en bénéficient pas : salariés de petites entreprises, personnes en CDD… En ce sens la loi du 27 juillet 1999 prévoit dans son article 21 deux dispositions nouvelles : une obligation de négocier annuellement sur le thème de la prévoyance est imposée aux entreprises de plus de cinquante salariés et l’extension d’une convention collective sera subordonnée à la présence de clauses relatives à la couverture des frais de santé. Ces mécanismes n’ont pas en eux-mêmes une grande force opératoire ; ils signalent cependant là où le plus grand effort est à porter. 25 BORGETTO (M.), op. Cit., p.36 26 BOULARD (J.C), rapport, op. cit., p.133 57 Au delà de cette première difficulté inhérente aux seuils, difficulté qui risque de rendre plus ou moins aléatoire l’accès effectif aux soins d’un certain nombre de personnes tout en générant d’importantes inégalités entre des individus se trouvant dans des situations comparables, il existe d’autres solutions discutables ou problématiques sur lesquelles il importe de s’arrêter car elles aussi sont susceptibles de limiter la pleine efficience de la loi. §2) LES INEGALITES RELATIVES AU MODE D’EXERCICE MEDICAL A propos du mode d’exercice médical, il convient d’envisager d’une part la question de l’apparition éventuelle d’une médecine à deux vitesses (A) et d’autre part celle de l’interdiction du refus de soins (B). A/ L’APPARITION D’UNE MEDECINE A DEUX VITESSES Nous analyserons ici les effets de l’absence de fixation d’un plafond de dépenses pour la complémentaire puis l’impact de la médecine libérale sur le principe d’égalité d’accès aux soins. 1) Les effets de l’absence de fixation d’un plafond de dépenses pour la complémentaire Le docteur Michel Janssens souligne que la couverture maladie universelle a pour but de « pallier l’écart croissant entre les progrès de la médecine et la sélection économique pour y accéder ». Il précise qu’en revanche, la cohabitation de deux poids deux mesures est injuste. La baisse continue des soins pris en charge par la Sécurité sociale et l’inflation du coût de ces derniers touchent aussi de plein fouet les classes moyennes. Parmi elles, tout le monde ne peut se payer une couverture complémentaire suffisante. Selon lui « instaurer une Sécu à deux vitesses, c’est jouer avec le feu27 ». 27 JANSSENS (M.), Le paradoxe de la CMU,Impact médecin Hebdo n°469, 12 nov 1999, p.37 58 Parallèlement, Jean Marie Spaeth, président de la caisse nationale d’assurance maladie précise que « contrairement aux autres assurés sociaux, les bénéficiaires de la CMU n’auraient aucun plafond de dépenses pour la complémentaire. Le contraste entre les deux régimes, l’un régulé et l’autre non, sera alors insupportable, notamment pour l’optique et le dentaire ». Cette situation serait donc contraire au principe d’égalité dans la mesure où seuls les assurés sociaux subissent la régulation qui est un impératif général de politique de santé. Ce système ne constitue-t-il pas une nouvelle inégalité, mais cette fois à l’égard des assurés ne bénéficiant pas des dispositions de la CMU. 2) L’impact de la médecine libérale sur le principe d’égalité d’accès aux soins Le mode d’exercice médical peut induire un déséquilibre dans l’accès aux soins. Les médecins ont en effet la possibilité d’exercer en secteur I ou II selon qu’ils choisissent d’appliquer ou non les tarifs conventionnels des caisses d’assurance maladie. Lorsqu’ils exercent en secteur II, la différence entre leurs honoraires fixés librement et le tarif conventionnel est à la charge des assurés et s’ajoute au ticket modérateur. Aucune régulation ne s’appliquant sur la répartition géographique de ces deux modes d’exercice, il en résulte que la concentration de praticiens exerçant en secteur II sur certaines villes ou certains quartiers crée de véritables zones de non-accès aux soins pour les personnes qui ne disposent pas de couverture complémentaire adaptée. Il faut reconnaître néanmoins que dans le double souci d’assurer une couverture aussi exhaustive que possible de l’ensemble des frais de soins et de maîtriser la dépense, la loi a établi quelques mécanismes pour limiter les prix des actes ou biens médicaux. Ainsi les médecins à honoraires libres (secteur II) seront tenus d’appliquer les honoraires conventionnels, opposables, à l’égard des bénéficiaires de la CMU. De même, la convention nationale qui lie les caisses d’assurance maladie et les chirurgiensdentistes aurait dû prévoir des tarifs maximum pour les soins dentaires prothétiques dispensés aux mêmes personnes. 59 Il est toutefois permis d’analyser ces mécanismes : en effet, aucun véritable accord sur les tarifs n’a pu être conclu avec les professionnels de santé, notamment les chirurgiensdentistes. Ces tarifs sont selon le texte de loi « opposables ». Ce terme a provoqué de nombreuses réactions. Il convient de signaler que les tarifs opposables de la CMU apparaissent inférieurs, pour certains actes, aux tarifs pratiqués habituellement par les chirurgiens-dentistes. On relèvera par exemple que pour une couronne dentaire métallique le prix maximum fixé par la loi pour un bénéficiaire de la CMU est de 1300F (le tarif de remboursement étant de 705 F et le dépassement maximum de 595 F) alors que le tarif conventionnel est fixé au maximum à 1 950F. Force est de constater que pour deux prestations identiques, le chirurgien dentiste doit appliquer deux tarifs différents. A l’évidence, le « tarif CMU » entraînera une perte de revenus pour le professionnel. Ce dernier réfléchira nécessairement à la manière de combler ce manque à gagner… B/ REFUS DE SOINS ET BENEFICIAIRES DE LA CMU Quelques mois après la création de la CMU, un certain nombre de médecins, très peu heureusement, ont refusé de soigner des personnes bénéficiant de la couverture maladie universelle, selon des informations transmises par quelques conseils départementaux de l’Ordre. 1) La confrontation de la déontologie à la loi Il ne s’agit pas ici de revenir sur le principe de la CMU, instituée par la loi du 27 juillet 1999, ni sur son volet spécifique au dentaire issu d’un décret du 31 décembre 1999. Il convient en revanche de confronter les obligations qui découlent de ces deux textes aux dispositions du Code de déontologie28. 28 VERDIER (E.), La déontologie confrontée à la loi, Dentaire Hebdo, 6 avril 2000 p.3 60 Sur l’attitude à adopter par les caisses à l’égard des professionnels de santé (médecins et chirurgiens-dentistes essentiellement) qui refusent de délivrer des soins aux bénéficiaires de la CMU, il a été précisé que les seules dispositions applicables en l’occurrence sont celles du Code de déontologie. On peut constater toutefois que les dispositions inscrites dans ce code sont assez ambiguës. Elles prévoient la possibilité pour le professionnel de santé de refuser de délivrer des soins, y compris pour des motifs personnels, mais fixent par ailleurs un principe selon lequel le médecin ne peut refuser des soins en se fondant sur des critères discriminatoires reposant sur le sexe, la race ou la situation économique du patient. Qu’en est-il exactement ? Le chirurgien-dentiste qui voit arriver dans son cabinet un bénéficiaire de la CMU a-t-il ou non l’obligation de le soigner, de soigner tous ceux qui se présenteront, quitte à mettre en péril l’équilibre financier de son cabinet ? Une lecture attentive de la loi nous incite à penser que le législateur n’a pas entendu bouleverser les principes traditionnels précisés par l’article 26 du Code de déontologie et rappelés ci-après : « Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, le chirurgien dentiste a toujours le droit de refuser ses soins pour des raisons personnelles ou professionnelles à condition : de ne jamais nuire de ce fait à son patient de s’assurer de la continuité des soins et de fournir à cet effet tous renseignements utiles ». Un chirurgien dentiste doit donc impérativement donner des soins en cas d’urgence mais en dehors de ce cas, il n’est pas obligé de se charger d’un patient, notamment pour des raisons professionnelles. C’est d’ailleurs le sens même de l’article 27 du même code qui commence ainsi : « le chirurgien-dentiste qui a accepté de donner des soins à un patient s’oblige à lui assurer des soins éclairés ». L’acceptation du chirurgien-dentiste est bien indispensable à la formation du contrat de soins. 61 Il faut en effet garder à l’esprit que les rapports entre le praticien et son patient sont de nature contractuels : il s’agit d’un contrat, c’est-à-dire d’un accord de deux volontés29, ainsi que l’a décidé la Cour de Cassation.30 Nous sommes néanmoins parfaitement conscients que le praticien ne doit pas manquer à ses devoirs d’humanité. Nous retiendrons ainsi que sur la base d’une juste interprétation des textes, le principe de non discrimination doit l’emporter de toute évidence à l’égard des bénéficiaires de la CMU. Dans ce contexte, la caisse nationale d’assurance maladie entend mettre en avant ce principe pour qu’il soit strictement appliqué par les conseils de l’Ordre. 2) L’intervention des conseils de l’Ordre et de la CNAM Il faut savoir que l’Ordre ne peut cautionner le refus de soins. Cet agissement est passible de poursuites disciplinaires car il est contraire au Code de déontologie. La démarche qui est concrètement envisagée par la CNAM pourrait être la suivante : disposer d’un système de recueil des signalements qui suppose de bâtir, au niveau national, une action de communication en direction des bénéficiaires de la CMU proposer, dans l’hypothèse ou l’analyse des Conseils de l’Ordre s’avèrerait différente de celle de la caisse nationale, une modification des dispositions du Code de déontologie afin que la situation économique de l’assuré et ses conditions de prise en charge ne constituent pas un motif de refus de délivrer des soins. Après avoir soulevé la question des inégalités liées au mode d’exercice médical, il semble important dès à présent de réfléchir à la place du panier de biens et services. 29 Les chirurgiens-dentistes face à la couverture maladie universelle dite CMU, Information Dentaire n°12 du 22 mars 2000 30 C.Cass, 20 mai 1936, mercier 62 Section II/ LE PANIER DE BIENS ET SERVICES : UNE REPONSE A L’ENSEMBLE DES BESOINS DE SOINS ? La restructuration du système de soins vise à maintenir la qualité des prestations de soins ou à la renforcer, tout en oeuvrant d’une part à une plus grande équité dans la dispensation de cette offre, d’autre part en s’assurant que cette offre de soins est consacrée aux priorités de santé et compatible avec les ressources disponibles affectées aux soins ou plus globalement à la santé. Dans cette perspective, le panier de biens et services apparaît comme une innovation (§1), cependant il n’apporte une solution pleinement satisfaisante (§2). §1) LE PANIER DE BIENS ET SERVICES : PRINCIPES ET INNOVATIONS On examinera successivement la détermination du panier de biens et services (A) et son contenu (B). A/ LA DETERMINATION D’UN PANIER DE BIENS ET SERVICES Il convient de définir le concept de panier de biens et services pour en apprécier les enjeux. 1) La définition du concept Le panier de biens et services (PBS) peut être défini comme la liste des services de santé et des biens médicaux faisant l’objet d’une prise en charge par la tutelle et / ou les assureurs obligatoires et complémentaires. Evoquer ce panier dans un système de santé conduit à s’interroger sur les choix qu’une société, à un moment donné, est amenée à effectuer pour retenir des priorités. L’analyse du PBS doit porter à la fois sur son contenu et sur ses déterminants institutionnels. 63 L’élaboration du PBS utilise une expertise scientifique, mais elle nécessite aussi des choix d’ordre politique, et ces deux niveaux doivent être articulés31. L’ensemble des biens et services pris en charge actuellement en France constitue la résultante de l’ évolution des facteurs régissant l’organisation du système de soins : il s’agit des valeurs sociétales, de l’environnement socio-économique, de la protection sociale, et enfin de la croissance de l’offre médicale. L’analyse de détermination du panier de biens et services doit poser la question du champ de prise en charge, et de la variabilité du périmètre de ce champ, compte tenu de l’évolution des nouvelles possibilités d’investigation médicale et des attentes que ces dernières génèrent. Il convient de souligner que la santé est un domaine d’intervention public soumis à la problématique du « collectivement possible ». Il s’agit pour les responsables de fonder leurs décisions sur une éthique des choix : recherche de l’égalité d’accès aux soins, recherche de l’efficacité et de l’efficience exprimant la capacité d’un système de santé à proposer ses produits pour un maximum de satisfaction compte tenu des contraintes économiques. La question de la légitimité des choix devra alors être posée. Qui va définir les modalités d’inclusion des biens et services au sein de ce panier ? Sur quels critères s’effectue « l’entrée dans le panier » ? Parallèlement, faut-il définir des modalités, conditions ou critères de sortie de panier ? On doit garder à l’esprit que l’évolution de l’état de santé de population, l’évolution des risques et des techniques vont rendre caducs ou inappropriés les critères qui auront légitimement à un moment donné justifié l’admission dans le panier. 31 Haut Comité de la Santé Publique, rapport sur le panier de biens et services de santé, janv. 2000,119 p. 64 2) Les enjeux pour le bénéficiaire Le panier de soins couverts est un élément du contrat assureur/assuré. Les individus qui souscrivent une assurance souhaitent savoir quel est le champ de la couverture et quelles en sont les modalités (taux de couverture, plafond…) ; l’assureur est généralement prêt à proposer un panier de soins plus vaste en échange de primes plus importantes. L’assuré peut accepter de payer plus pour une couverture plus généreuse d’un panier de soins plus étendu ou il peut rechigner à souscrire un contrat dont les garanties sont trop restreintes à ses yeux. En théorie au moins, les assurés et les assureurs mettent en balance le montant des cotisations et l’étendue des prestations. Transposée à l’assurance maladie obligatoire, cette remarque implique que la définition d’un panier de soins remboursables ne devrait pas être dissociée de la fixation d’un taux ou d’un montant des prélèvements. Réduire (ou augmenter) le PBS pour un montant fixe de prélèvements revient à diminuer (ou augmenter) l’intérêt perçu pour l’assurance maladie. B/ LE CONTENU DU PANIER DE BIENS ET SERVICES La couverture maladie universelle offre un panier de soins plutôt large dans le but d’atteindre une qualité optimale. 1) Le panier de soins offert par la CMU Ce panier de soins dispose d’un cadre assez large dans la mesure où il comprend l’ensemble des soins ambulatoires tant en médecine générale qu’en médecine spécialisée dans le cadre des tarifs conventionnés. Il comprend également l’ensemble des prestations d’hospitalisation tant dans le cadre des hôpitaux publics que des cliniques conventionnées, et ce sans limitation de durée. Il comprend enfin tous les médicaments remboursés par la Sécurité sociale, sans aucune limitation. 65 Ainsi pour les consultations médicales, les soins de ville, les médicaments remboursés, le bénéficiaire n’a-t-il rien à payer. En termes de remboursement, on peut donc constater avec l’instauration de la CMU une nette évolution, un véritable progrès visant à l’extension de la protection sociale. Ce panier de soins innove surtout dans les domaines dentaire, optique et du matériel médical, domaines les moins bien remboursés par la sécurité sociale jusque là. 2) La recherche d’une qualité optimale La qualité du système de soins apparaît devoir prendre en compte de façon plus importante les attentes des bénéficiaires. Parmi celles-ci il faut souligner les inquiétudes suscitées par la politique de maîtrise des dépenses qui pourrait faire restreindre le champ des prestations assurées par l’assurance maladie, au profit des assurances privées. La démarche qualité est également apparue comme le critère fondant le plan stratégique de la CNAMTS présenté en juillet 1999. Les arguments mis en avant ont souligné que cette démarche qualité était nécessairement sélective devant d’abord déterminer les besoins pris en charge. On conçoit bien ainsi que la démarche de qualité d’un système de soins passe par la définition des priorités et des choix en la matière, et que naturellement, le panier de biens et services, qui constitue le « noyau dur » des prestations doit s’inscrire directement dans le droit fil de ces priorités. En ce sens, panier de biens et services et qualité du système de soins sont deux concepts étroitement liés et nécessairement synergiques. Dans cette perspective la CNAMTS propose de définir le périmètre du panier de biens et services qui peut alors se mesurer : à la qualité des objectifs de santé définis par des choix de priorités à la qualité des modalités d’inclusion dans le panier, à partir de critères transparents. La qualité doit aussi prendre en compte la demande sociale, notamment celle relative au confort et au bien-être. 66 La lutte contre la douleur, l’accompagnement de fin de vie, la préservation de la dignité des personnes et le respect de leur identité apparaissent aussi comme des exigences qu’un système de soins doit intégrer en tant que critères majeurs. Ils ne sauraient donc être absents du panier de biens et services. On retiendra que ce dernier constitue un ensemble de prestations qui doit être capable de répondre à des besoins de soins. Le concept de ce panier remboursable trouve sa logique et son fondement dans des principes d’efficience et de solidarité. L’idée dominante est ici qu’il faut pouvoir offrir ces soins à tous car il s’agit dans un Etat démocratique d’un droit fondamental pour tous les résidents. Nous l’avons dit, le panier de biens et services offre de larges prestations. Cependant, le principe de réalité, que l’évolution des dépenses de santé a mis en évidence depuis plusieurs années, est que s’il faut effectivement des soins pour tous cela ne peut concerner tous les soins, tout au moins si l’on considère ici les soins pris en charge par l’assurance maladie, c’est-à-dire au titre de la solidarité nationale. §2) PANIER DE BIENS ET SERVICES : UNE SOLUTION INSATISFAISANTE Si l’on tente de procéder à une évaluation du dispositif (A), on s’aperçoit que celui-ci est fondé sur une approche essentiellement comptable (B). A/ L’EVALUATION DU DISPOSITIF Il faut prendre en considération que dans l’élaboration du contenu de la protection essentielle apportée par la CMU il existe d’une part un panier de base et d’autre part une complémentaire. L’accès au panier est donc un droit fondé sur deux modes d’accès. Dés lors, si l’accès pour tous peut paraître a priori assuré, l’égalité en matière de couverture doit être analysée en raison des modes d’accès. En d’autres termes, si tout le monde a droit à une couverture, il semble que celle-ci ne demeure pas égale pour tous, car deux éléments définissent la qualité de cette couverture : la base et la complémentaire. 67 La CMU constitue une contribution importante à la définition du panier de soins. En effet, elle se trouve confrontée à la nécessité de définir un contenu en raison des estimations indispensables des coûts à provisionner pour assurer les dépenses de santé induites, en particulier dans le champ d’application de biens comme l’optique ou les prothèses dentaires. La question est alors ici de savoir si la gamme des prestations offertes aux assurés bénéficiaires de la CMU se confondra avec la gamme offerte aux assurés non bénéficiaires de la CMU. On a pu constater que les tarifs pratiqués seront différents selon qu’ils concernent les uns ou les autres. On peut par conséquent craindre que ces deux populations ne bénéficient pas exactement des mêmes soins. Ceci conduirait à des risques d’inégalités de traitement liées aux caractéristiques du nouveau système de soins. Il ressort que le panier de biens et services ne doit pas être un simple élément régulateur de l’égalité dans l’accès aux soins, il doit surtout constituer, par l’élargissement de son concept (et de ses prestations), un élément véritablement correcteur des inégalités en matière de santé. Cela suppose qu’il devienne l’une des composantes d’une politique de santé publique, capable de prendre en compte les comportements, et d’être réellement ouvert et structuré à partir des priorités de santé telles qu’elles peuvent être définies dans le cadre des politiques nationales (Conférence nationale de santé) ou régionales (Conférences régionales de santé). B/ UNE APPROCHE ESSENTIELLEMENT COMPTABLE DU PANIER DE BIENS ET SERVICES La définition du panier de biens et services présente certaines innovations importantes mais certains ont déploré cependant que l’approche utilisée ait été essentiellement comptable : il fallait que les dépenses par personne entrent dans une enveloppe convenue au départ entre les divers financeurs et ne dépassant pas 1 500F par personne et par an . 68 Ce qui ne posait pas de problème pour la prise en charge du ticket modérateur et du forfait journalier, était en revanche problématique pour les soins optiques et dentaires. Une autre critique a été formulée : la prise en compte des priorités de santé publique dans les diverses phases d’élaboration du panier de soins a été peu explicite. Par ailleurs, il faut veiller à ce que le panier de soins tel que défini dans le cadre de la CMU ne devienne pas un panier de soins minimal, réservé aux plus pauvres, qui se distinguerait peu à peu du panier de soins réservé à ceux qui relèveraient de complémentaires payantes. L’opinion publique a largement pris conscience de la nécessité de la mise en place d’une couverture maladie universelle. Se pose, cependant, la question de son financement. Il s’agit évidemment d’un facteur déterminant dans la garantie de l’accès aux soins pour tous. 69 Chapitre II : LE FINANCEMENT, UN FACTEUR DETERMINANT DANS LA GARANTIE DE L’ACCES AUX SOINS POUR TOUS Notre étude portera à la fois sur les modalités de financement (Section I) et sur l’orientation de la participation financière (section II). Section I/ LES MODALITES DE FINANCEMENT Il convient de distinguer deux modes de financement selon que l’on envisage la couverture de base ou la protection complémentaire (§1). Pour la part complémentaire, des difficultés juridiques relatives à la création d’un fonds de financement sont apparues (§2). §1) LA DISTINCTION ENTRE DEUX MODES DE FINANCEMENT La couverture de base est assurée par le régime général de l’assurance maladie qui bénéficie de transferts financiers importants (A). Par ailleurs, la création d’un fonds de financement permet de couvrir les dépenses de la protection complémentaire (B). A/ DES TRANSFERTS FINANCIERS POUR LA COUVERTURE DE BASE La couverture de base est assumée par le régime général de l’assurance maladie. Pour ce faire, cette dernière bénéficie d’un certain nombre de transferts : pour compenser la suppression de la prise en charge par le fonds de solidarité vieillesse d’une partie des cotisations d’assurance personnelle la loi relative à la CMU prévoit la modification de la répartition des droits de consommation sur les alcools (transfert de 5 % des droits de consommation sur les alcools, du fonds de solidarité vieillesse vers la caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés). 70 Pour combler la suppression de la prise en charge d’une partie des cotisations d’assurance personnelle par la caisse d’allocation familiale, la loi modifie l’affectation du prélèvement social de 28% sur les revenus du patrimoine. La suppression de la prise en charge par les dépenses de l’Etat d’une partie des cotisations d’assurance personnelle et compensée par une modification de la clef de répartition des droits sur le tabac par la loi de finances pour 2000. Enfin, concernant la suppression de la répartition du déficit de l’assurance personnelle, il est prévu d’affecter l’intégralité de la cotisation sur les véhicules à moteur à la seule caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés. On peut remarquer que si le schéma imaginé paraît relativement clair, il n’en demeure pas moins que les recettes affectées paraissent insuffisantes. En effet, le calcul de ces dernières a été effectué à partir d’une prévision minimale qui prévoit le bénéfice de la couverture maladie de base pour 150 000 personnes pour une dépense moyenne de 4 000F par assuré. De plus, il faut savoir que les modalités de financement n’ont été calculées que pour un an. Ainsi il semble que cette extension loin de se faire à coût maîtriser et à finances constantes aboutira à des dépenses supplémentaires et à des moindres recettes pour la sécurité sociale32. B/ LA CREATION D’UN FONDS DE FINANCEMENT POUR LA PROTECTION COMPLEMENTAIRE Pour la couverture complémentaire les modalités semblent plus aléatoires. Selon l’article L. 862-1 nouveau du Code de sécurité sociale, il est créé un fonds dont la mission est de financer la couverture complémentaire. Ce fonds dénommé « fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie » est un établissement public national à caractère administratif. 32 LONG (M.), La mise en place de la « couverture maladie universelle », JCP n°49, 8 déc.1999, p.2191 71 Le décret n°99-1028 du 9 décembre 1999 fixe la composition du conseil d’administration. Il comprend sept membres : le président, trois représentants du ministre chargé de la Sécurité sociale, deux représentants du ministre chargé du budget et un représentant du ministre chargé de l’économie. Le conseil d’administration est assisté d’un conseil de surveillance, lequel est composé de trente membres comprenant : trois membres de l’Assemblée nationale et trois membres du Sénat, huit représentants des organisations oeuvrant dans le domaine économique et social en faveur des populations les plus démunies désignés par le ministre chargé de la Sécurité sociale et choisis notamment au sein d’organismes exerçant une action sanitaire et sociale, six représentants des régimes obligatoires d’assurance maladie et dix représentants des organismes de protection sociale complémentaire. Comme on a eu l’occasion de le souligner, la gestion partenariale a été menée à son terme puisque le secteur privé est associé si ce n’est à la direction de ce fonds, tout au moins à son contrôle. En matière de financement, par contre, le dispositif est particulièrement complexe. En effet, le fonds est alimenté à la fois par l’Etat et par les organismes de protection complémentaire33. Il convient de distinguer ici les recettes et les dépenses. En recettes, ce fonds perçoit le produit d’un nouveau prélèvement opéré auprès des assureurs complémentaires sur le montant des cotisations ou primes versées pour les contrats « frais de santé ». Le taux de cette contribution est fixé à 1,75% et son rendement évalué à 1,8 milliard de francs. Tout organisme assureur peut déduire du montant de cette taxe une somme forfaitaire annuelle de 1 500F pour chaque personne couverte auprès de lui au titre de la CMU. 33 MARIE (R.), op. cit., p.19 72 Une dotation de l’Etat assure l’équilibre du fonds. Cette dotation devrait être de sept milliards dont cinq seront « récupérés par l’Etat » auprès des départements, déchargés de leur rôle de « complémentaire » au titre de l’aide médicale34. Les dépenses du fonds sont constituées, d’une part, du remboursement aux caisses d’assurance maladie des sommes engagées pour la couverture complémentaire et, d’autre part, du versement aux assureurs complémentaires des sommes qui leur sont dues dans le cas où le total de leurs déductions de 1 500F est supérieur au montant de leur contribution. Pour un dispositif appelé à couvrir six millions de personnes, la dépense est estimée à environ neuf milliards de francs (cf. annexe 3). §2) LES DIFFICULTES JURIDIQUES ISSUES DE LA CREATION DU FONDS DE FINANCEMENT L’idée de créer un tel fonds, par son ampleur, ne pouvait que provoquer des débats au moment de sa mise en œuvre. Il n’est pas possible de reprendre toutes les discussions mais quelques éclairages sur les orientations prises pourrons nous aider à appréhender les principales critiques portées sur la création du fonds de financement notamment quant à la détermination de la nature juridique du fonds de financement (A), et au principe de l’égalité devant les charges publiques (B). A/ LA DETERMINATION DE LA NATURE JURIDIQUE DU FONDS DE FINANCEMENT L’article 27 de la loi portant création de la couverture maladie universelle insère, dans le Code le la Sécurité sociale un article L. 862-1 créant un fonds, dont la mission est de financer la couverture des dépenses de santé résultant de la mise en place 34 LEVY (C.), MONY (P.) et VOLOVITCH (P.), La CMU : ce qui doit changer,Dr. Soc. n°1 janv.2000, p.60 73 d’une protection complémentaire. Cet article a été contesté par certains députés devant le Conseil constitutionnel35. Les requérants invoquaient une méconnaissance des dispositions de l’article 34 de la Constitution qui donnent compétence au législateur pour fixer les règles concernant la création des catégories d’établissements publics. Partant de l’idée que ce fonds ne pouvait se rattacher à aucune catégorie existante et constatant que la loi déférée n’en déterminait pas les règles essentielles appelées à le régir, ils en déduisaient que le législateur n’avait pas exercé pleinement sa compétence. Le Gouvernement a formulé des observations sur le recours dirigé contre la loi. Il a considéré que cette argumentation ne pouvait être accueillie. Selon lui, il résulte en effet de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que doivent être regardés comme entrant dans une même catégorie les établissements publics dont l’activité s’exerce territorialement sous la même tutelle administrative et qui ont une spécialité analogue. Au regard de ces critères, le fonds de financement de la CMU ne constitue nullement une catégorie nouvelle. Il a été construit sur le modèle du fonds de solidarité vieillesse (FSV) créé par la loi n°93-936 du 22 juillet 1993, et dont les éléments constitutifs sont précisés par les articles L. 135-1 et suivants du Code de la Sécurité sociale. Il a, de la même manière, le caractère d’un établissement public administratif à compétence nationale, placé sous tutelle ministérielle. Il a, comme le FSV, pour objet d’organiser des transferts financiers dans le domaine de la protection sociale. Il aurait donc pu être créé par décret. Si sa création figure néanmoins dans la loi, c’est parce qu’il a été jugé nécessaire de garantir la cohérence financière du dispositif mis en place : les ressources fiscales du fonds devant être prévues par la loi, il était logique de prévoir les règles de constitution et de fonctionnement du fonds dans le même texte. 35 Saisine du Conseil constitutionnel en date du 30 juin 1999 citée dans la décision n°99-416 DC, JO 28 juillet 1999, p.11255 74 Il aurait notamment été particulièrement difficile de mettre en place le prélèvement de 1,75 % des assureurs et le reversement de 1 500 F par bénéficiaire de la CMU si le fonds n’avait pas été créé dans la loi, dans la mesure où, d’une part, le prélèvement est versé par les URSSAF au fonds et où, d’autre part, les organismes assureurs sont susceptibles de lui demander le reversement des 1 500 F par bénéficiaire lorsque ce reversement excède le montant de la contribution due. B/ LE PRINCIPE DE L’EGALITE DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES L’institution du prélèvement de 1,75 % sur le chiffre d’affaires santé des organismes complémentaires a été également contesté. Les requérants estimaient que cette institution méconnaissait le principe d’égalité devant les charges publiques. Selon les observations du Gouvernement on ne pouvait contester le non-assujettissement à ce prélèvement des caisses primaires d’assurance maladie, dès lors que, comme il a déjà été souligné, les caisses et les organismes complémentaires ne sont pas placés dans la même situation au regard de la couverture maladie universelle. Ce prélèvement a pour objet de faire participer les organismes complémentaires servant des prestations maladie au financement de la protection complémentaire maladie des bénéficiaires de la CMU. L’assiette de la contribution, constituée des primes et cotisations émises au titre de la protection complémentaire en matière de frais de soins de santé, est la traduction de cette participation. Et dès lors que ces organismes constituent une catégorie, à la fois suffisamment homogène et distincte, tant des CPAM que d’autres organismes, le législateur a pu, sans méconnaître l’égalité devant les charges publiques, les soumettre spécifiquement à ce prélèvement36. Les caisses primaires d’assurance maladie ne sauraient être assujetties à ce prélèvement : elles ne prélèvent aucune cotisation au titre de la protection complémentaire maladie, n’ayant pas de compétence en la matière, autrement que par 36 n°84-184 DC du 29 déc.1984 75 délégation de l’Etat. On soulignera toutefois que l’Etat participe en revanche au financement du dispositif : c’est même lui qui assume l’essentiel de son financement. Alors que la participation des assureurs au fonds de financement de la protection maladie complémentaire devrait s’élever à près de 2 milliards de francs, celle de l’Etat est évaluée à 7 milliards. On en déduira alors que la participation des organismes complémentaires ne couvre qu’une partie du coût la protection complémentaire, la solidarité nationale assumant l’autre partie. SECTION II/ UNE PARTICIPATION FINANCIERE ORIENTEE VERS LA SOLIDARITE La contribution au financement de la CMU repose sur un principe de solidarité. Quels sont donc les fondements de cette solidarité ? (§1) Quelle est son étendue ? (§2) §1) LES FONDEMENTS D’UN FINANCEMENT SOLIDAIRE A l’heure actuelle, le principe de solidarité apparaît comme la justification la plus couramment admise, la situation privilégiée dont il bénéficie résultant aussi bien de sa réelle pertinence sur le plan théorique (A) que des insuffisances de la protection privée (B). A/ LA PERTINENCE THEORIQUE DU PRINCIPE DE SOLIDARITE Le financement de la couverture maladie universelle repose sur le mécanisme de la solidarité. Si l’idée de solidarité renvoie à un fait, c’est-à-dire à une situation, elle renvoie aussi à un principe ou à un devoir, c’est-à-dire à une prescription. Or c’est bien évidemment à ce dernier titre, en l’occurrence en sa qualité de principe devant guider et inspirer l’action des pouvoirs publics, que la solidarité prend toute sa valeur : c’est parce que le principe de solidarité exige que la société accorde une aide à tous ceux qui en ont 76 besoin que sont instituées et initiées un certain nombre de prestations et d’action en matière sociale. Dès lors, la question se déplace d’un cran : pourquoi ou au nom de quoi la solidarité constitue-t-elle un principe de base de la société ? La réponse doit être cherchée dans l’idée démocratique telle que celle-ci est ressortie de plusieurs siècles de luttes et telle qu’elle prévaut à l’heure actuelle : à savoir qu’il ne saurait y avoir accomplissement véritable de cette idée sans mise en œuvre corrélative du principe de solidarité37. B/ LES INSUFFISANCES DE LA PROTECTION PRIVEE La couverture maladie universelle est précisément un système de solidarité collective, largement organisé et financé par les pouvoirs publics et placé sous leur responsabilité. Elle correspond à des besoins dont la satisfaction pourrait être laissée à l’initiative des individus et assurée par diverses formules d’épargne individuelle ou d’assurances fonctionnant selon les mécanismes du marché. Mais les pouvoirs publics ainsi que les partenaires sociaux estiment qu’elle remplit une mission de protection indispensable. Ils agissent en tant que « tuteurs » des individus et des familles en leur imposant des mécanismes de solidarité qui reposent sur une redistribution des revenus. La couverture maladie universelle est donc fondée sur les insuffisances de la protection privée. Celle-ci peut revêtir plusieurs formes qui sont très utiles mais qui présentent toutes des déficiences par rapport à la protection fournie par la CMU : l’autoprotection correspond à une épargne individuelle de précaution. Elle repose sur la responsabilité individuelle, chacun procédant comme il l’entend, suivant sa propre perception des risques auxquels il est exposé et sa propre psychologie. Mais elle ne peut concerner que les individus et les foyers qui disposent de ressources suffisantes pour pouvoir épargner et renforce encore les conséquences des inégalités de revenus. 37 BORGETTO (M.), LAFORE (R.),Droit de l’aide et de l’action sociales, 2e édition, Paris, Montchrestien, pp.30-32 77 La solidarité familiale est également très précieuse. Mais, outre le fait qu’elle peut se heurter, elle aussi, au problème de l’insuffisance des ressources, elle est inapplicable aux individus isolés. La charité est loin d’être négligeable, mais le rôle qu’elle joue aujourd’hui, surtout dans les pays développés et dans les milieux urbains, n’est que très subsidiaire. Quant à l’aide qu’elle apporte, elle revêt un caractère à la fois facultatif et subjectif qui correspond mal aux conceptions actuelles de la justice sociale. L’assurance présente, par rapport aux autres modes de protection évoquées, l’avantage d’opérer sur des bases plus larges, permettant de répartir entre tous les assurés la charge des préjudices subits par certains d’entre eux. Mais elle rencontre des limites importantes. D’abord elle se prête mal à la couverture de certaines éventualités telles que le chômage ou les charges familiales. Ensuite, elle fonctionne selon les mécanismes du marché. Ainsi, dans le domaine de la couverture maladie, si l’assurance est facultative, les compagnies peuvent refuser les personnes à haut risque, et même si l’assurance est obligatoire, elles sont néanmoins conduites à chercher à attirer des personnes jeunes et en bonne santé et à appliquer des tarifs élevés à celles qui sont âgées ou qui ont des antécédents médicaux. Par contre, l’affiliation obligatoire à un régime de Sécurité sociale financé, non pas par des tarifs établis en tenant compte de la probabilité de réalisation des risques couverts, mais par des impôts ou des cotisations, coupe court à ces difficultés. C’est dans ces conditions que la couverture maladie universelle peut mettre en œuvre une véritable solidarité38. §2) L’ETENDUE DE LA SOLIDARITE ASSURANT LE FINANCEMENT La collectivité nationale supporte la charge financière des dépenses liées aux soins (A). Néanmoins, cette capacité est limitée (B). 38 EUZEBY (A.), Sécurité sociale : une solidarité indispensable, Revue internationale de Sécurité sociale, mars 1997 78 A/ LA CAPACITE DE LA COLLECTIVITE NATIONALE A SUPPORTER LA CHARGE FINANCIERE DES DEPENSES LIEES AUX SOINS L’assurance maladie a choisi, dès sa création de rembourser les soins des patients et non de financer directement l’offre de soins. La somme des soins aujourd’hui remboursable par l’assurance maladie s’est constituée par sédimentation successive de produits et biens médicaux nombreux, jugés à même d’apporter, au moment de leur admission au remboursement, une réponse médicalement pertinente au besoin du patient. La collectivité nationale supporte donc l’intégralité de cette dépense admise comme remboursable. A travers l’assurance maladie, les finances publiques devaient payer chaque année des services dont l’efficacité médicale s’était réduite au fil du temps, du simple fait de l’arrivée dans le champ des soins remboursables de techniques et prestations beaucoup plus efficientes. La conséquence directe de cette situation était que d’un côté, l’assurance maladie continuait de payer à guichet ouvert pour des biens dont le remboursement pouvait être discutable ; de l’autre, elle ne pouvait pas consacrer suffisamment de fonds à des dépenses dont l’utilité médicale n’était pas contestable, par exemple à des soins mal remboursés aujourd’hui (optique, dentaire). L’analyse préalable à l’élaboration du plan de réforme du système de soins a donc permis à l ‘assurance maladie de brosser le constat d’une triple carence : d’abord, une offre de soins non maîtrisée ; ensuite, un accès aux soins très inégal et donc inéquitable ; enfin, une dépense dont l’utilité médicale n’est pas toujours fondée et qui est pourtant prise en charge par la collectivité. B/ LES LIMITES A LA SOLIDARITE On peut relever que le niveau de la prestation complémentaire CMU augmenté du service de la dispense d’avance de frais aura un effet d’entraînement sur la demande, à plus ou moins brève échéance. 79 Il serait alors bien étonnant que ceux qui paient leur couverture complémentaire pour des garanties parfois inférieures, ne demandent pas au moins le même niveau de prestations et de services que ceux qui ne paient pas, grâce au financement solidaire des premiers qui plus est. Il semble en effet essentiel que soit garantie une véritable solidarité envers ceux qui ne peuvent s’offrir une protection complémentaire. Cependant, jusqu’où cette solidarité doit- elle aller ? La question reste posée. 80 CONCLUSION La loi du 27 juillet 1999 portant création d’une Couverture Maladie Universelle vient mettre un terme à plusieurs années d’efforts (et aussi de débats) visant à améliorer la protection sociale des plus démunis en matière d’accès aux soins. Cette loi apparaît comme un dispositif tout à la fois opportun et novateur susceptible de diminuer sensiblement les difficultés rencontrées par une partie importante de la population dans le domaine de la santé. En définitive, on retiendra que l’heure n’est plus à la contestation d’une réforme tant attendue et n’est pas encore à son perfectionnement. Maintenant l’essentiel est d’en réussir la mise en œuvre. Elle n’est pas simple. Les différents acteurs du système institutionnel doivent essayer de maîtriser de nouvelles missions. On peut alors souhaiter que chacun, plutôt que de contester la légitimité de l’autre à agir, s’affaire à se mettre en état de relever les défis d’une loi qui n’est ni parfaite, ni définitive. On atteindra un niveau de protection sociale comparable à ceux de nos voisins européens qu’au prix d’une construction à deux étages : régimes de base et régimes complémentaires. Ceci est vrai en matière de retraite. C’est vrai jusqu’ici en matière de maladie pour ceux qui en avaient la capacité. Ce le sera bientôt pour tout le monde. Cette réforme conduit, cependant, à s’interroger sur le niveau de protection des régimes de base. Cette interrogation est cruciale pour la population qui ne bénéficiera pas de la protection complémentaire CMU mais n’aura pas les moyens d’une couverture payante ou ne l’acquerra qu’avec des sacrifices. Il est donc illusoire de croire nos régimes dispensés d’accroître leur niveau de remboursement. C’est la meilleure justification d’une politique de maîtrise des dépenses : dépenser mieux, dégager des ressources nouvelles et couvrir des besoins insatisfaits. 81 BIBLIOGRAPHIE OUVRAGES • BICHOT (J.), Les politiques sociales en France au XXe siècle, Armand Colin, Cursus, Paris, 1997, 187 p. • BORGETTO (M.), LAFORE (R.), Droit de l’aide et de l’action sociales Montchrestien, 2 éd.1998, 459 p. • DEBIONNE (F.P.), La santé passe par la dignité,éd. 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