La couverture maladie universelle. Vers une nouvelle protection

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La couverture maladie universelle. Vers une nouvelle protection
Lille 2 – Ecole doctorale n° 74
Mémoire soutenu par
Debhora Kanner
Sous la direction
Xavier Labbée
La couverture maladie universelle.
Vers une nouvelle protection sociale
DEA de droit social
Session 1999/2000
SOMMAIRE
INTRODUCTION.......................................................................................................... 6
PREMIERE PARTIE : LA COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE :
L'INSTAURATION DE NOUVEAUX DROITS VISANT À UNE OPTIMISATION
DU SYSTÈME INSTITUTIONNEL EXISTANT ....................................................... 20
CHAPITRE
I:
L'ABOUTISSEMENT
DU
MOUVEMENT
DE
GÉNÉRALISATION DE L'ASSURANCE MALADIE .......................................... 21
SECTION I/ LA COUVERTURE MALADIE DE BASE........................................ 21
§1) UN ACCES FACILITE A LA COUVERTURE DE BASE............................... 21
A/ LE CRITERE SUBSIDIAIRE DE RESIDENCE ................................................ 22
B/ L'AUTOMATICITE DE L'AFFILIATION ET LA CONTINUITE DES
DROITS ........................................................................................................................ 25
§2) LE PRINCIPE D'UNIVERSALITE .................................................................... 27
A/ UN SYSTEME UNIQUE........................................................................................ 27
B/ UN DROIT SOCIAL SOUS CONDITION DE RESSOURCES ........................ 30
SECTION II/ LA COUVERTURE MALADIE COMPLEMENTAIRE,
L'INNOVATION DU DISPOSITIF LEGAL ............................................................ 31
§1) LES CARACTERISTIQUES DU NOUVEAU DISPOSITIF............................ 32
A/ LES CONDITIONS D'ATTRIBUTION............................................................... 32
B/ LA DETERMINATION DES DROITS ................................................................ 33
§2) L'ETENDUE DE LA PROTECTION COMPLEMENTAIRE......................... 34
A/ LES SOINS PRIS EN CHARGE ........................................................................... 34
B/
LE
CHOIX
DE
L'ORGANISME
ASSURANT
LA
PROTECTION
COMPLEMENTAIRE ................................................................................................ 37
3
CHAPITRE II : L'APPARITION DE NOUVEAUX ACTEURS DANS LE
SYSTEME INSTITUTIONNEL................................................................................. 40
SECTION I/ L'ELARGISSEMENT DE LA COMPETENCE DE L'ASSURANCE
MALADIE .................................................................................................................... 40
§1) UNE NOUVELLE MISSION DEVOLUE AUX CAISSES PRIMAIRES ....... 40
A/ UNE ORGANISATION SPECIFIQUE POUR LA CMU................................... 41
B/ L'OBLIGATION D'ASSURER LA CONTINUITE DES DROITS................... 43
§2) LA COLLABORATION DES CENTRES COMMUNAUX D'ACTION
SOCIALE ET DES PROFESSIONNELS DE SANTE............................................. 45
A/L'INTERET DE LA PARTICIPATION DES CCAS........................................... 45
B/ LES PROFESSIONNELS DE SANTE ET LA CMU .......................................... 46
SECTION II / LE PARTENARIAT ENTRE LES CAISSES D'ASSURANCE
MALADIE ET LES ORGANISMES COMPLEMENTAIRES .............................. 47
§1) UNE PRISE EN CHARGE ASSUREE CONJOINTEMENT PAR LES
CAISSES D'ASSURANCE MALADIE ET PAR LES ORGANISMES
COMPLEMENTAIRES .............................................................................................. 48
A/ UN NOUVEAU STATUT POUR L'ASSURANCE COMPLEMENTAIRE..... 48
B / LES DEUX VOIES D'ACCES A LA PROTECTION COMPLEMENTAIRE
REPONDENT A DEUX LOGIQUES DIFFERENTES ........................................... 49
§2) VERS UN SYSTEME CONCURRENTIEL DE PRISE EN CHARGE .......... 50
A/ DE LA PERCEPTION PAR LES ORGANISMES COMPLEMENTAIRES DE
L'INTERVENTION DES CAISSES D'ASSURANCE MALADIE ........................ 50
B/ LES RECOURS CONTENTIEUX A PROPOS DE LA PROTECTION
COMPLEMENTAIRE ................................................................................................ 51
4
SECONDE PARTIE : L'ACCES AUX SOINS EFFECTIF DE TOUS: DE
L'AFFICHAGE À LA REALITÉ ................................................................................ 53
CHAPITRE I : LES RISQUES D'INEGALITES DE TRAITEMENT LIES AUX
CARACTÉRISTIQUES DU NOUVEAU SYSTEME DE SOINS .......................... 54
SECTION I / LA RESTRICTION DE L'ACCES AUX SOINS POUR TOUS...... 54
§1) LA QUESTION DE L'ADOPTION ET DE LA PERTINENCE DU SEUIL
RETENU ....................................................................................................................... 55
A/ LA FIXATION D'UN SEUIL : UN DISPOSITIF DISCUTABLE..................... 55
B/ LES SOLUTIONS ENVISAGEES ........................................................................ 56
§2) LES INEGALITES RELATIVES AU MODE D'EXERCICE MEDICAL ..... 58
A/ L'APPARITION D'UNE MEDECINE A DEUX VITESSES ............................. 58
B/ REFUS DE SOINS ET BENEFICIAIRES DE LA CMU.................................... 60
SECTION II/ LE PANIER DE BIENS ET SERVICES : UNE REPONSE A
L'ENSEMBLE DES BESOINS DE SOINS .............................................................. 63
§1) LE PANIER DE BIENS ET SERVICES : PRINCIPES ET INNOVATIONS 63
A/ LA DETERMINATION D'UN PANIER DE BIENS ET SERVICES ............... 63
B/ LE CONTENU DU PANIER DE BIENS ET SERVICES................................... 65
§2) PANIER DE BIENS ET SERVICES :
UNE SOLUTION INSATISFAISANTE .................................................................... 67
A/ L'EVALUATION DU DISPOSITIF ..................................................................... 67
B/ UNE APPROCHE ESSENTIELLEMENT COMPTABLE DU PANIER DE
BIENS ET SERVICES ................................................................................................ 68
CHAPITRE II : LE FINANCEMENT : UN FACTEUR DETERMINANT DANS
LA GARANTIE DE L'ACCES AUX SOINS POUR TOUS.................................... 70
SECTION I/ LES MODALITES DE FINANCEMENT .......................................... 70
5
§1) LA DISTINCTION ENTRE DEUX MODES DE FINANCEMENT ............... 70
A/ DES TRANSFERTS FINANCIERS POUR LA COUVERTURE DE BASE ... 70
B/
LA
CREATION
D'UN
FONDS
DE
FINANCEMENT
POUR
LA
PROTECTION COMPLEMENTAIRE .................................................................... 71
§2) LES DIFFICULTES JURIDIQUES ISSUES DE LA CREATION DU FONDS
DE FINANCEMENT ................................................................................................... 73
A/ LA DETERMINATION DE LA NATURE JURIDIQUE DU FONDS DE
FINANCEMENT......................................................................................................... .73
B /LE PRINCIPE DE L'EGALITE DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES .... 75
SECTION II/ UNE PARTICIPATION FINANCIERE ORIENTEE VERS LA
SOLIDARITE............................................................................................................... 76
§1) LES FONDEMENTS D'UN FINANCEMENT SOLIDAIRE ........................... 76
A/ LA PERTINENCE THEORIQUE DU PRINCIPE DE SOLIDARITE ............ 76
B/ LES INSUFFISANCES DE LA PROTECTION PRIVEE.................................. 77
§2) L'ETENDUE DE LA SOLIDARITE ASSURANT LE FINANCEMENT ....... 78
A/ LA CAPACITE DE LA COLLECTIVITE NATIONALE A SUPPORTER LA
CHARGE FINANCIERE DES DEPENSES LIEES AUX SOINS .......................... 79
B/ LES LIMITES A LA SOLIDARITE..................................................................... 79
CONCLUSION............................................................................................................ .81
BIBLIOGRAPHIE....................................................................................................... 82
ANNEXES..................................................................................................................... 86
6
INTRODUCTION
La possession du meilleur état de santé que ses possibilités lui permettent
d’atteindre est un des droits fondamentaux de tout être humain…
C’est en ces termes que ce droit est proclamé dans le préambule de la
Constitution de l’Organisation mondiale de la santé, signée à New York le 26 juillet
1946. Il est reconnu dans celui de la Constitution française du 27 octobre 1946,
solennellement rappelé en tête de la Constitution du 4 octobre 1958 et confirmé comme
principe de valeur constitutionnelle1.
Toute personne malade doit pouvoir accéder aux soins que son état nécessite,
quel que soit le montant de ses revenus.
Aussi, le droit à la santé, en France, se fonde sur le principe d’égal accès aux soins des
patients. Ce principe est complété par un libre accès aux soins.
Que faut-il entendre par « accès aux soins » ?
On peut le définir comme la possibilité offerte à toute personne de recourir au système
de soins, ce qui suppose notamment le choix du praticien, l’accès aux spécialités, à la
pharmacie, aux analyses et au paramédical, ainsi que la possibilité d’un suivi médical.
Toutefois, malgré l’inscription du droit à la santé dans la Constitution
française, la mise en place d’une couverture universelle s’est révélée particulièrement
complexe dans la mesure où les conditions d’un véritable accès aux soins des personnes
défavorisées n’étaient pas réunies.
Créé en 1945 pour accompagner la reconstruction du pays, le système français
de Sécurité sociale se proposait de « protéger les travailleurs et leur famille contre les
risques de toute nature susceptibles de supprimer ou réduire leur capacité de travail ou
de gain » (article 1er de l’ordonnance du 4 octobre 1945).
Il s’agissait donc, sous la réserve très importante que les bénéficiaires
originaires étaient « les travailleurs et leurs familles », de mettre en place un régime
général de protection susceptible de faire face à un certain nombre de risques ou d’aider
à certaines charges affectant soit la capacité de gain, soit les ressources des
1
CAYLA (J.S), L’accès aux soins et la politique de santé publique, RD sanit. Soc. 35 (2), avr-
juin 1999, p.409
7
bénéficiaires. Les fondateurs espéraient que ce dispositif aurait vocation à s’étendre, à
partir du noyau central constitué par les salariés, à l’ensemble des catégories
professionnelles et, par l’extension des droits dérivés, à l’ensemble de la population.
Ainsi, dans son principe et dans sa conception, le régime des salariés devait
accueillir les autres régimes de protection, apparus avant lui et propres à certains
groupes professionnels, « les régimes spéciaux ». Il devait également étendre sa
protection aux non-salariés et enfin, par le jeu de son extension, rendre inopérants les
mécanismes assistanciels.
Cependant, dans tous ces secteurs des difficultés apparurent et la
généralisation du système ne put se réaliser comme prévu.
Dès les premières années, entre 1945 et 1958, des obstacles de nature
catégorielle apparurent et conduisirent à un certain nombre d’échecs de la vocation
initiale d’universalisation du système de protection sociale. Les premières tentatives de
généralisation se heurtèrent à la résistance des professions indépendantes (loi du 22 mai
1946 généralisant la Sécurité sociale pour les agriculteurs, artisans et commerçants) qui
refusèrent d’être intégrées dans un régime légal d’assurances obligatoires. D’autres
obstacles se dresseront ultérieurement concernant notamment les régimes spéciaux des
mines, chemin de fer…
L’ambition de la Sécurité sociale, telle qu’affirmée au moment de sa création,
laissait espérer un abandon progressif des anciens mécanismes assistanciels établis tels
que l’assistance médicale gratuite instituée par la loi du 15 juillet 1893.
En réalité il n’en fut rien. La généralisation trop lente et trop tardive, l’insuffisance de la
couverture de droit commun face à certains besoins, tout cela concourut à imposer le
maintien de l’assistance. Le décret du 29 novembre 1953 substitua l’Aide sociale à
l’Assistance publique.
On le voit, dans les dix premières années de son existence, la Sécurité sociale
fut loin d’englober l’ensemble de la population2. Mais une politique de généralisation va
2
Haut Comité de la Santé Publique, La progression de la précarité en France et ses effets sur
la santé, éd. ENSP, février 1998, PP.109-111
8
chercher à pallier la logique socioprofessionnelle de la protection sociale fondée sur
l’appartenance au salariat ou à des groupes professionnels spécifiques.
Ces critères traditionnels vont recevoir une interprétation de plus en plus
extensive au point que le régime des salariés du commerce et de l’industrie affilie des
personnes qui n’ont plus d’activité depuis longtemps ou dont le lien avec un assuré ne
peut être strictement qualifié de familial. Est ainsi couverte toute personne cohabitant
depuis plus d’un an avec un assuré social, étant à sa charge effective, totale et
permanente.
Ces extensions furent continuelles et cet effort de généralisation de la Sécurité
sociale a culminé en 1978 avec la création de l’assurance personnelle. Il s’agissait d’un
régime facultatif ouvert à toute personne qui ne relevait pas par ailleurs d’un régime
obligatoire et assurant les prestations en nature maladie et maternité du régime général.
Pour plus d’efficacité, le dispositif du Revenu Minimum d’Insertion (RMI),
apparu en décembre 1988, a prévu l’affiliation systématique à l’assurance personnelle
de ses bénéficiaires et des personnes à leur charge s’ils ne disposent pas d’une
couverture maladie, ainsi que la prise en charge partielle ou totale des cotisations
correspondantes.
La loi du 25 juillet 1994 a tenté de venir achever de manière effective cette
généralisation en offrant aux personnes, pour lesquelles toute appartenance à un régime
d’assurance maladie ne pouvait être immédiatement établie, la possibilité d’être
provisoirement rattachées à l’assurance personnelle.
Par ailleurs, le dispositif de l’aide médicale va connaître une réforme, amorcée
par la loi du 1er décembre 1988 et poursuivie par la loi du 29 juillet 1992, visant à
moderniser et à adapter l’aide médicale au développement des situations de précarité et
de pauvreté. Quelles sont dès lors les conditions d’admission à l’aide médicale ?
La loi a prévu un double régime d’admission à l’aide médicale : d’une part,
l’admission de plein droit pour les bénéficiaires du RMI, les personnes à leur charge, et
les bénéficiaires de l’allocation veuvage, d’autre part, l’admission de droit commun
après examen de la situation, notamment financière de l’intéressé.
9
Les conditions et les modalités d’accès à l’aide médicale ont été simplifiées :
cette aide couvre désormais les dépenses de soins auxquelles le demandeur aura
éventuellement à faire face sans qu’il n’ait à justifier que ces soins sont nécessaires du
fait de son état. L’existence d’une résidence régulière en France et l’infériorité des
ressources au regard du plafond départemental sont deux conditions suffisantes pour
bénéficier de l’aide médicale, qui est de surcroît étendue à l’ensemble des personnes à
charge du demandeur.
Quel était le but poursuivi par la loi du 29 juillet 1992 ?
Cette loi a tendu à assurer une meilleure couverture à l’ensemble de la
population. A ce titre, la réforme est allée dans le sens d’une harmonisation avec le
dispositif mis en place en matière de Sécurité sociale, dans la mesure où, désormais
c’est l’ensemble de la famille au sens de la Sécurité sociale qui est prise en compte.
Cependant, en dépit de ces améliorations notables le dispositif s’est avéré
insuffisant, l’accès aux soins n’étant toujours pas garanti pour l’ensemble de la
population.
En effet, l’aide médicale, même si elle a su apporter une réponse à un certain
type de besoins, a été très critiquée. L’accès à ce droit était inégal, chaque département
étant souverain pour définir ses règles d’admission. Inégal aussi le niveau de couverture
selon la richesse fiscale de la collectivité. L’absence de règles dans certains endroits
rendait, de plus, l’exercice du droit aléatoire.
Si l’aide médicale a été bâtie à l’origine sur le principe de proximité et
d’assistance, le système ne paraissait plus répondre aux besoins des personnes exclues
du système de protection sociale et à l’idée de citoyenneté et d’accès aux droits.
On a pu remarquer que le fait de devoir déposer un dossier au centre
communal d’action sociale (CCAS) ou de se voir apposer un label « aide sociale » ne
faisait que stigmatiser cette population et créer une catégorie différente entre ceux qui
sont bénéficiaires et peuvent prétendre à la Sécurité sociale et les autres.
En outre, la prise en charge de prestations complémentaires et notamment
d’une assurance complémentaire, et le remboursement de certains frais médicaux
demeuraient facultatifs pour les départements.
10
La survenance de ces disparités n’a pu donner lieu à une réponse publique
rapide pour plusieurs raisons :
la première d’entre elles est la difficulté du sujet à se prêter aux quantifications
statistiques. L’on apprécie mal l’ampleur des difficultés à se soigner. Les études et les
enquêtes du Centre de recherche, d’étude et de documentation en économie de la santé
(CREDES) tentent de remédier à cette lacune.
La deuxième raison réside dans l’impact financier d’une éventuelle réforme qui est
apparue impossible tant que l’équilibre des comptes était atteint par des économies sur
les prestations.
Une troisième raison réside dans les choix institutionnels à opérer, la question de la
couverture sociale des plus démunis étant aux confins de la Sécurité sociale, de la
protection complémentaire et de l’aide médicale.
Le constat, lui, est simple si les questions sont complexes : toutes les approches
furent d’abord de nature juridique et le projet de l’assurance maladie universelle du
gouvernement de Monsieur Alain Juppé comportait encore une réponse juridique
consistant à réécrire le droit de l’assurance maladie sur le fondement d’un seul critère :
la résidence en France. Mais il ne s’attaquait pas au problème de l’insuffisance de la
couverture financière.
Il est vrai que ce projet avait d’autres ambitions qui restent à satisfaire : simplifier le
droit et alléger la gestion des caisses, assurer la transparence financière entre régimes et
œuvrer pour le rapprochement des niveaux de prestations et des efforts contributifs.
Face à la montée en puissance des situations d’exclusion, la mise en place
d’une réforme est apparue comme une nécessité. Le projet présenté par Madame
Martine Aubry qui prend nom de « couverture maladie universelle » rompt avec les
démarches précédentes et s’attaque au cœur du problème : les freins financiers à se
soigner. Par la création de la couverture maladie universelle (CMU)3, le législateur a
donné corps à l’un des objectifs qu’il a visé dans sa lutte contre les exclusions, à savoir
réduire l’inégalité dans l’accès aux soins.
3
Loi n°99-641 du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle, JO.
28 juillet 1999, p.11229
11
On peut s’interroger sur les conséquences de cette réforme. Le système
existant est-il remis en cause ?
Il en résulte la disparition de l’assurance personnelle, régime subsidiaire,
coûteux et facultatif, mais prenant à charge, notamment, la protection maladie des
personnes les plus démunies. Cette disparition s’accompagne d’une réforme de l’aide
médicale, notamment dans son expression départementale qui disparaît elle aussi.
Préparée par un rapport confié au député Jean-Claude Boulard, la loi du 27
juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle a été conçue comme
un instrument de lutte contre les exclusions, en l’espèce dans le domaine de la santé.
A la demande du gouvernement, Monsieur Jean-Claude Boulard a établi un
rapport sur les conditions de mise en œuvre de la couverture universelle4.
Il lui a semblé judicieux d’explorer plusieurs scénarios avant d’exprimer une
préférence en référence à un principe : « inclure les exclus dans la couverture de tous ».
Selon ce rapport, la CMU constitue le volet « accès aux soins » de la politique
d’insertion engagée par la loi votée le 9 juillet 1998. Elle a pour objectif de résorber un
écart qui tend à s’accroître entre droit et réalité en matière de santé.
Partant du postulat que pour « mieux rembourser », il faut « mieux maîtriser » les
dépenses de soins, le rapporteur propose trois scénarios :
-
Première piste : partir de l’existant, c’est-à-dire de l’aide médicale et en étendre la
portée. Il s’agirait, tout en respectant les principes de décentralisation, de combler
les lacunes existantes. Cette solution de « couverture décentralisée encadrée » n’a
toutefois pas ses faveurs car elle n’entre pas dans le champ de l’assurance maladie
mais de l’assistance jugée « stigmatisante ».
-
Deuxième solution : créer, par le biais du régime de base, un accès national
centralisé à l’assurance maladie. L’accès à la couverture maladie universelle serait
subordonné, comme actuellement à un critère professionnel ou familial et à titre
subsidiaire, ce qui constitue une nouveauté, à un critère de résidence. La
4
BOULARD (J.C), Pour une couverture maladie universelle base et complémentaire, Paris,
août 1998, 91 p.
12
« couverture complémentaire accessible sous condition de ressources » serait gérée
par le régime général.
-
Dernier scénario, qui a les préférences du rapporteur, associer les acteurs de la
couverture complémentaire au système. Dans le cadre de la « couverture
partenariale », l’ouverture d’un droit d’affiliation directe au régime de base, sur
critère de résidence, serait complétée par une extension de la couverture
complémentaire.
Pour permettre aux personnes, dont le revenu se situe entre le RMI et le
minimum vieillesse d’accéder à la complémentaire, une « allocation personnalisée
santé » pourrait leur être versée par l’Etat, en complément d’une participation
personnelle.
Quelles ont été les suites du rapport Boulard ? Quel scénario a été retenu ?
La préférence est allée à la centralisation pour la couverture de base et au
partenariat pour la couverture complémentaire.
La loi sur la CMU reprend cette architecture. En effet, il faut bien distinguer
deux volets dans la réforme, l’un relatif à la protection de base, l’autre ayant trait à la
protection complémentaire.
Le premier volet a pour objet d’étendre la protection contre le risque maladie
aux personnes encore aujourd’hui sans droits. A cette fin l’assurance personnelle est
supprimée. Ce régime fait place à une obligation d’affiliation au régime général pour
toutes les personnes qui ne sont pas rattachées à l’un des régimes existants du fait d’une
activité professionnelle ou d’un lien familial. Cette affiliation s’effectuera sur la base du
critère de la résidence régulière et stable.
On peut ainsi remarquer que le dispositif se révèle largement novateur puisque
l’accès de tous aux soins repose non plus seulement sur la qualité de travailleur ou
d’ayant droit de travailleur ayant cotisé, mais sur celle de citoyen français ou plus
précisément de résident en France.
Le bénéfice de la couverture de base est en principe gratuit mais les
bénéficiaires dont les revenus dépassent certains plafonds seront tenus d’acquitter une
cotisation. Ce caractère contributif a été l’un des points les plus discutés de la loi. Les
13
détracteurs du projet de loi y ont vu un mécanisme pervers de nature à introduire une
discrimination entre les citoyens vis-à-vis de l’assurance maladie.
La question du respect du principe d’égalité entre les bénéficiaires peut ainsi
être posée : le mécanisme contributif n’est-il pas de nature à rompre l’égalité entre
assurés sociaux ?
Il faut se méfier du terme « égalité » et en préciser la signification.
Il s’agit du principe selon lequel tous les hommes, possédant une égale dignité,
doivent être traités de manière égale.
Une distinction s’opère entre les principes d’égalité en droit et d’égalité des
chances. L’égalité en droit qui, centrée essentiellement sur le terrain des droits civiques
(insertion et participation à la communauté politique) et des droits civils (droits
personnels et droits réels), se joue désormais sur le terrain des droits économiques et
sociaux. Quant à l’égalité des chances, elle se joue sur le terrain de l’égalité d’accès
individuel aux droits sociaux.
En ce qui concerne l’existence ou non d’une rupture du principe d’égalité, le
Conseil constitutionnel, saisi sur ce point, a estimé dans une décision rendue le 23 juillet
19995 que le pouvoir réglementaire devait fixer le montant des plafonds de ressources
ainsi que les modalités de leur révision annuelle de façon à respecter les dispositions du
préambule de la Constitution afin que l’égalité entre assurés sociaux ne soit pas rompue.
Le deuxième volet de la réforme est particulièrement novateur puisqu’il
consiste à créer un droit à une protection complémentaire en matière de santé. Ce droit
sera accordé sous condition de ressources. Le seuil sera modulé en fonction de la
composition de la famille. La protection comportera la prise en charge du ticket
modérateur, du forfait journalier dû en cas d’hospitalisation, de tout ou partie des frais
de prothèses dentaires et de dispositifs médicaux tels que l’optique.
Cette couverture sera assortie du bénéfice de la dispense d’avance de frais,
communément appelée tiers-payant. Il s’agit d’une disposition innovante. Ce qui n’était
jusqu’ici qu’une commodité devient donc un droit.
5
Décision n°99-416 DC 23 juillet 1999, JO 28 juill.1999
14
Pour la part complémentaire, les bénéficiaires auront le choix de leur
organisme d’affiliation ou d’adhésion, c’est-à-dire soit une caisse maladie qui assurera
la gestion des prestations pour le compte de l’Etat, soit une mutuelle, une institution de
prévoyance ou une compagnie d’assurance.
Nous sommes ainsi face à une construction juridique originale, ce qui n’en
réduit pas sa pertinence, à savoir une prestation de solidarité nationale. Ce qui
caractérise et spécifie la couverture maladie universelle par rapport aux autres formes de
protection sociale tient à ce qu’elle renvoie à des prestations matérielles ou monétaires
allouées sans contrepartie du bénéficiaire.
Elle est donc fondée sur un principe de solidarité dont le fondement réside
dans l’idée d’appartenance soit au genre humain (c’est le fait d’être homme qui impose
l’obligation de prise en charge) soit à une collectivité nationale (c’est le fait d’être
citoyen qui impose la même obligation). 6
Il semble que notre système évolue insensiblement vers un modèle de
solidarité nationale financé par l’impôt. Par touches successives, le système de
protection sociale français passe du modèle assurantiel fondé sur le travail et l’échange
« cotisations contre protection » à un modèle différent, dans lequel on tend à rechercher
une logique de « solidarité nationale » fondée sur des droits fondamentaux, structurée à
partir de la légitimité politique et financée par l’impôt.
L’idée d’une évolution du système de protection vers la solidarité a fait l’objet
d’une interprétation par le Haut Comité de la santé Publique7. Selon lui, le modèle de
solidarité nationale écarte progressivement le dispositif de prestations égalitaires et
généralisées pour introduire des aides ciblées sur les plus pauvres. En apparence, cette
solution paraît plus équitable puisqu’elle concentre les aides et la protection sur ceux
qui en ont réellement besoin.
Le Haut Comité de la Santé Publique estime qu’il existe un risque, celui de
l’évolution vers un système de protection sociale fiscalisé pour les plus défavorisés. Dès
6
BORGETTO (M.), LAFORE (R.), Droit de l’aide et de l’action sociales, 2e édition,
Montchrestien, 1998, p.57
7
Haut Comité de la Santé Publique, op.cit., supra note n°2.
15
lors, « si la protection sociale décroche de la politique économique et industrielle, sur
laquelle elle reposait antérieurement, pour ne devenir qu’un dispositif de prise en charge
des exclus du marché et de la vie sociale, elle évoluera vers une logique résiduelle,
réduite à la construction d’un ultime filet de sécurité pour protéger la société contre ses
marges ».
En tout état de cause, il apparaît qu’une conception nouvelle du « social » est
nécessaire. Cette conception doit se recomposer autour d’un objectif prioritaire : mettre
en cohésion et en solidarité une société qui est animée par un processus fort
d’éclatement et de différenciation.
Il se posera alors deux questions prépondérantes : que doit-on entendre par
solidarité ? et jusqu’où le devoir de solidarité doit-il aller ?
La solidarité peut être définie par le sentiment de responsabilité mutuelle entre
plusieurs personnes, ou plusieurs groupes. Il est question du lien fraternel qui oblige
tous les êtres humains les uns envers les autres. Toute personne en difficulté doit
pouvoir bénéficier de la solidarité nationale avant que ne se produisent des dommages
tels que sa santé, voire son existence, s’en trouve gravement menacée.
C’est pourquoi la couverture maladie pour tous doit entraîner un changement
de logique de la protection sociale. Aujourd’hui, on recherche un procédé universel
simplifié qui serait mieux à même d’apporter une réponse globale basée sur l’individu.
Parallèlement, il apparaît essentiel de favoriser dès à présent la mise en œuvre
d’une politique sociale basée sur le concept de pleine activité d’utilité collective. Il faut
rappeler, en effet, que si la faiblesse ou l’absence de revenu est le facteur essentiel de la
précarisation, le sentiment d’inutilité sociale ou de dévalorisation qui l’accompagne
fréquemment est probablement le déterminant, direct ou indirect, majeur du risque de
dégradation à moyen terme de l’état de santé.
L’absence de travail, qui doit nécessairement bénéficier de la solidarité
nationale, n’est pas seulement un problème de revenu. C’est également celui de la place
objective ou ressentie qu’occupe chaque personne dans la société.
Une solution partielle peut être proposée : en incitant ceux qui bénéficieraient
de la solidarité nationale à contribuer par leur activité à la vie de leur milieu, on leur
offrirait la possibilité d’une protection contre le risque de glissement vers l’exclusion et
16
donc de meilleurs chances de réinsertion, et l’on renforcerait la cohésion du tissu social
local.
La politique de lutte contre les exclusions doit donc être mise en œuvre en
même temps que la politique d’accès aux soins. Ces démarches peuvent se construire en
découpant dans la réalité sociale des catégories de personnes réunies par un problème
similaire : le chômage, la maladie…Cette logique correspond à l’approche la plus
classique des problèmes sociaux.
Mais il est une autre façon d’aborder les difficultés que rencontrent certains
groupes ou certaines personnes ; elle réside dans l’identification de biens ou de
prestations qui apparaissent indispensables pour assurer à chacun une place dans la vie
de la collectivité : la politique sociale ayant pour finalité l’accès à ces biens, services ou
ressources. Il s’agit alors de politiques qui, loin d’être conçues en considération des
catégories d’individus susceptibles d’en bénéficier, se centrent au contraire sur la
construction et la mise en œuvre de droits d’accès au profit de toute personne ne
pouvant, par ses seules ressources ou par les seules modalités d’attribution de droit
commun, utiliser effectivement certains services ou prestations. C’est cette conception
qui tend aujourd’hui à se développer.
La couverture maladie universelle s’inscrit dans cette logique. Elle constitue
une avancée certaine puisqu’elle vise à intégrer dans la sphère de la couverture sociale
les personnes qui en sont exclues, et à permettre aux plus défavorisées d’accéder à une
protection complémentaire. Ce dispositif modifie cependant les règles applicables et
laisse subsister un certain nombre d’interrogations.
On peut soulever tout d’abord la problématique de l’ampleur de l’universalité.
On le voit : le dispositif mis en place permet une meilleure prise en charge des
plus démunis et une assimilation de ces derniers au droit commun, seule garantie de leur
intégration.
L’apport majeur de la loi est l’admission à une assurance complémentaire
gratuite pour les plus démunis qui devrait concerner un peu plus de six millions de
personnes qui, précédemment, devaient acquitter les cotisations à titre personnel à
défaut de prise en charge extérieure et qui, très souvent, n’étaient pas couvertes, ceci
entraînant un renoncement à certains soins par manque de moyens financiers.
17
En ce sens la loi va très loin en matière de cohésion sociale, l’objectif étant
d’assurer une réelle égalité devant la maladie grâce à une harmonisation des droits et à
l’organisation d’un accès automatique aux soins.
Les pouvoirs publics ont souhaité franchir une étape supplémentaire et
décisive vers un accès effectif aux soins pour tous.
Cependant, la couverture maladie universelle signifie-t-elle l’accès aux soins
dans leur universalité ? S’il faut effectivement octroyer un droit aux soins pour tous, ce
droit peut-il concerner tous les soins ? En d’autres termes, la prise en charge par
l’assurance maladie peut-elle s’étendre à tous les soins ?
Ensuite, il nous faudra réfléchir au concept d’individualisation des droits. En
effet, il ne suffit pas que le législateur lève les obstacles qui entravent l’accès aux soins.
Encore faut-il qu’il assure la jouissance du droit aux soins. Quels moyens le bénéficiaire
de la couverture maladie universelle devra-t-il mettre en œuvre pour recevoir les
prestations qui lui sont octroyées ?
Il semble essentiel que le régime de la CMU réponde à un souci d’efficacité,
non seulement au profit du plus grand nombre mais également au profit de chaque
bénéficiaire. Respectueux des droits fondamentaux de la personne, ce régime doit tendre
également à l’individualisation des droits.
Il reste que la couverture maladie universelle est un dispositif discutable et
problématique dans certaines de ses solutions. Si l’ensemble de la classe politique a pu
s’accorder sur la nécessité d’une telle réforme, les modalités adoptées ont engendré un
certain nombre de critiques qu’il conviendra de réexaminer.
Les questions essentielles résident, à ce titre, dans l’effet de seuil induit par
une telle mesure, dans l’articulation en matière de protection complémentaire entre les
caisses de Sécurité sociale et les autres prestataires privés, et enfin dans les modalités de
financement de la couverture maladie universelle.
En ce sens, nous soulignerons que l’adoption de la couverture universelle est
une avancée sociale indéniable dans la mesure où elle instaure de nouveaux droits visant
à une optimisation du système institutionnel existant (PREMIERE PARTIE).
18
La loi relative à la couverture maladie universelle proclame l’accès aux soins
effectif de tous, reste à savoir si cet affichage est conforme à la réalité (SECONDE
PARTIE).
19
PREMIERE PARTIE
LA COUVERTURE MALADIE
UNIVERSELLE : L’INSTAURATION DE
NOUVEAUX DROITS VISANT A UNE
OPTIMISATION DU SYSTEME
INSTITUTIONNEL EXISTANT
20
La loi du 27 juillet 1999 portant création de la couverture maladie
universelle met en évidence une double évolution du système français de Sécurité
sociale.
En premier lieu, l’adoption de ce texte s’inscrit dans une logique de
généralisation de la Sécurité sociale et en particulier du bénéfice de l’assurance
maladie (Chapitre I).
Par ailleurs, la réalisation de ce mouvement de généralisation suppose
l’intervention de nouveaux acteurs dans le système institutionnel (Chapitre II).
CHAPITRE I : L’ABOUTISSEMENT DU MOUVEMENT DE
GENERALISATION DE L’ASSURANCE MALADIE
Une exacte compréhension de la réforme impose de bien distinguer deux
volets, l’un relatif à la protection de base (Section I), l’autre ayant trait à la protection
complémentaire (Section II).
Section I/ LA COUVERTURE MALADIE DE BASE
Le premier volet a pour objet d’étendre la protection contre le risque maladie.
Il facilite ainsi l’accès à la couverture de base (§1) pour permettre une véritable
universalité (§2).
§1) UN ACCES FACILITE A LA COUVERTURE DE BASE
La couverture sociale est désormais acquise par l’affiliation obligatoire sous
critère de résidence de toutes les personnes présentes sur le territoire national (A). Les
caractéristiques de l’affiliation sur critère de résidence sont : l’automaticité et la
continuité des droits (B).
21
A/ LE CRITERE SUBSIDIAIRE DE RESIDENCE
L’accès aux soins des personnes qui remplissent la condition de résidence est
automatique. Par contre, pour les personnes qui ne remplissent pas cette condition, une
Aide Médicale Etat peut être mise en œuvre.
1) Le critère de résidence rempli
L’acquisition de la qualité d’assuré social était initialement subordonnée à
l’exercice d’une activité professionnelle. Les personnes qui ne remplissaient pas cette
condition ne relevaient d’aucun régime d’assurance maladie. Elles avaient toutefois la
possibilité d’être rattachées à l’assurance personnelle. L’alinéa 4 nouveau de l’article
L.111-1 du Code de Sécurité sociale consacre l’achèvement du processus de
généralisation en remplaçant le régime d’adhésion facultatif par un mécanisme
d’affiliation obligatoire.
En ce sens, elle concourt à une transition du modèle français de Sécurité
sociale d’une conception bismarckienne assise sur une logique professionnelle et
financée par des cotisations sociales vers une logique béveridgienne prônant l’accès
universel à un régime maladie financé par l’impôt8.
L’ambition du législateur a été de permettre à tous de bénéficier sans délai de
la protection d’un régime de Sécurité sociale. En effet, près de 700 000 personnes
n’avaient pas accès à un régime de base obligatoire à partir des critères d’affiliation
traditionnels. Si près de 550 000 personnes étaient couvertes par le biais de l’assurance
personnelle, soit en acquittant elles-même une cotisation, soit en voyant leur cotisation
prise en charge par différents organismes (CNAF, département), 150 000 personnes
étaient dénuées de toute protection.
Afin que chacun puisse bénéficier d’une couverture maladie dès le 1er janvier
2000, un système souple et simplifié a été mis en place.
8
TRICLIN (A.), La couverture maladie universelle, TPS, éd Juris-Classeur, nov 1999, p.4
22
La loi relative à la couverture maladie universelle représente une avancée
sociale indéniable dans la mesure où le premier volet de celle-ci a pour objet d’étendre
la protection contre le risque maladie aux personnes encore aujourd’hui sans droits.
L’affiliation, qui dépendait autrefois de l’existence d’un contrat de travail,
s’effectue désormais sur la base du seul critère de la résidence régulière et stable.
L’article L.380-1 nouveau du Code de Sécurité sociale précise que toute
personne résidant en France métropolitaine ou dans un département d’outre-mer de
façon stable et régulière relève du régime général lorsqu’elle n’a droit à aucun autre titre
aux prestations en nature d’un régime d’assurance maladie.
Que faut-il entendre par « résidence régulière et stable » ? Ce critère est-il
pertinent ?
La régularité (pour les étrangers) s’apprécie avec la détention d’un des titres
qui permettent le séjour en France. La législation de sécurité sociale se cale en cela sur
l’ordonnance maintes fois modifiées du 2 novembre 1945 relative aux conditions
d’entrée et de séjour des étrangers en France.
La présentation d’un justificatif d’identité ou d’un titre de séjour en cours de
validité au guichet de la caisse primaire d’assurance maladie permet d’obtenir
l’ouverture des droits pour le nouvel assuré et ses ayants droit.
Cependant, à cette condition de régularité, s’ajoute une exigence de stabilité.
La stabilité exigée des français comme des étrangers est acquise par une
présence en France depuis plus de trois mois démontrée par tout moyen. Cette stabilité
est acquise dès l’arrivée en France pour les personnes qui détiennent des documents qui
présument d’une durée de séjour supérieure à trois mois. Ce sera le cas par exemple de
l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée.
Il faut néanmoins se méfier de ce critère de résidence. On a eu l’occasion de
constater que le critère de résidence, en raison de son caractère subsidiaire, pouvait
susciter des difficultés d’application.
En effet, le problème s’est posé pour les personnes affiliées à titre
professionnel, disposant de revenus inférieurs au seuil d’accès à la couverture de base et
23
qui doivent continuer à cotiser au premier franc alors même que celles qui sont admises
sur critère de résidence et qui disposent de revenus comparables en sont exonérées.
Les opposants à la CMU ont cru déceler dans cette disposition une
discrimination.
Saisi sur ce point, le Conseil constitutionnel a estimé que cette différence de
traitement « était inhérente aux modalités selon lesquelles s’est développée l’assurance
maladie en France ainsi qu’à la diversité des régimes » et que le législateur s’est efforcé
en créant la CMU de « remédier aux disparités existantes »9.
En ce qui concerne le dénombrement des bénéficiaires du régime de résidence,
on peut signaler qu’au 30 juin 2000, on compte, à partir des fichiers informatiques
d’assurés sociaux du régime général hors sections locales mutualistes : 1 071 110
bénéficiaires du régime de résidence dont 591 859 assurés. Parmi les bénéficiaires du
régime de résidence, 863 065 bénéficiaires sont en France métropolitaine (80,6 %). La
très grande majorité des bénéficiaires du régime de résidence sont également
bénéficiaires du RMI (787 100 soit 73 %) dont 410 281 assurés. On compte 61 455
bénéficiaires au régime de résidence avec cotisation (5,7 %) dont 37 354 assurés.
Depuis début janvier 65 648 nouveaux bénéficiaires sont entrés dans ce régime dont 43
590 assurés ; 15 914 sont sortis dont 10 352 assurés10 (cf. annexe 1).
Il reste la question de savoir quel est le sort des personnes qui ne rempliraient
pas la condition de résidence.
2) L’Aide Médicale Etat
La loi prévoit le maintien d’une aide médicale d’Etat (AME) rénovée, destinée
à permettre l’accès aux soins des personnes qui ne remplissent pas la condition de
résidence (au regard des critères de régularité et stabilité) pour bénéficier de la CMU.
9
Cons. const. n°99-416 DC, 23 juill.1999, JO 28 juillet.1999
10
CNAMTS-Direction des statistiques et des études, Dénombrement des bénéficiaires de la
CMU au 30 juin 2000
24
Qui est concerné par l’AME ?
Concernant la personne du demandeur, il s’agit de l’étranger résidant en
France métropolitaine ou dans un DOM de façon habituelle mais qui ne remplit pas la
condition de régularité de séjour ; de l’étranger résidant en France en situation régulière
mais qui ne remplit pas encore la condition de stabilité de résidence de 3 mois ; de la
personne qui ne réside pas habituellement en France mais qui peut y être admise
individuellement pour recevoir des soins à titre humanitaire.
Concernant les personnes à charge du bénéficiaire (conjoint, concubin,
partenaire PACS, enfant à charge sans activité, ascendant, descendant) elles peuvent
bénéficier de l’Aide Médicale Etat.
Quel est le contenu de l’AME ?
Les prestations AME sont visées à l’article 187-2 du nouveau Code de la
Famille et de l’Aide Sociale qui se réfère aux articles L. 321-1 et L. 331-2 du Code de la
Sécurité sociale. Il faut noter que l’AME est un droit sous conditions de ressources. Le
pouvoir d’attribution de l’Aide Médicale Etat relève du Préfet, représentant de l’Etat,
qui délègue à la caisse primaire d’assurance maladie. L’admission est accordée pour un
an.
Articulation entre la CMU et l’AME ?
Lorsqu’il est constaté qu’une personne ne remplit plus la condition de
résidence pour être admise à la CMU ou, au contraire, vient à remplir la condition, une
procédure de transfert de dossier de l’intéressé soit à l’AME, soit à la CMU doit être
initiée.
Par ailleurs, les promoteurs de la couverture maladie universelle ont voulu un
accès aux prestations en nature immédiat et automatique.
B/ L’AUTOMATICITE DE L’AFFILIATION ET LA CONTINUITE DES
DROITS
Pour favoriser l’accès à la couverture maladie universelle, des formalités
simplifiées ont été prévues. Comment se manifeste concrètement cette simplification ?
25
1) L’affiliation immédiate
Le droit aux prestations en nature de l’assurance maladie est obtenu sans délai.
Il appartient à la CPAM de vérifier ensuite si le nouvel assuré n’a pas déjà des droits
ouverts à un autre titre au régime général ou dans un autre régime de base.
L’affiliation sous critère de résidence reste subsidiaire et ne supprime donc pas la
nécessité de rechercher une ouverture des droits prioritaire.
Que fait-on si une affiliation fait l’objet d’une erreur ?
En cas d’affiliation inexacte, les prestations en nature servies à tort par un régime de
Sécurité sociale resteront à sa charge, notamment les dépenses remboursées à tort par le
régime de résidence (géré par le régime général), dans la période de recherche d’une
autre affiliation éventuelle, resteront à sa charge.
Conçue pour les personnes en grande précarité sociale, la loi consacre le rôle
d’accompagnement des services sociaux, des associations, et des organismes à but non
lucratif agréés, ainsi que celui des établissements de santé. Ces structures sont habilitées
à apporter leur concours aux demandeurs, dans leur démarche d’affiliation au régime de
base d’assurance maladie et de protection complémentaire. Elles peuvent en outre, avec
l’accord de l’intéressé, transmettre les documents nécessaires à l’organisme compétent.
2) La continuité des droits
Un assuré ne peut perdre le bénéfice des prestations en nature même s’il ne
paie pas ses cotisations. Aucun régime obligatoire de Sécurité sociale ne peut cesser de
lui verser des prestations en nature s’il ne s’est pas assuré préalablement que l’intéressé
est effectivement affilié à un autre régime.
Ainsi, pour éviter des ruptures de droits, la loi a posé un principe de continuité du droit
a contrario.
26
L’article L.161-5 du Code de la Sécurité sociale dispose désormais que la perte du
bénéfice n’est plus possible que dans deux cas : si l’intéressé ne remplit plus la
condition de résidence ou s’il est présumé « absent » au sens du droit civil11.
En outre, l’ouverture du droit n’est plus subordonnée à un paiement préalable des
cotisations. Il est désormais prévu que pour bénéficier des prestations, l’assuré n’aura
pas l’obligation d’être à jour de ses cotisations.
De même dans les régimes des non-salariés, sont abrogées les clauses de déchéance et
de suspension des droits en cas de non-paiement des cotisations mais les procédés de
recouvrement des cotisations seront renforcés par voie réglementaire.
Garantir une continuité des droits permet de respecter le principe
d’universalité du système de soins.
§2) LE PRINCIPE D’UNIVERSALITE
La couverture pour tous instaurée par la loi du 27 juillet 1999 apparaît comme
un système unique garantissant à chacun un véritable accès aux soins (A). Cependant, il
faut préciser que le bénéfice de ce nouveau droit social est soumis à une condition de
ressources (B).
A/ UN SYSTEME UNIQUE
Pour que l’universalité soit garantie, il ne suffit pas que le législateur lève les
obstacles qui entravent l’accès aux soins. Encore faut-il qu’il assure la jouissance du
droit aux soins. Le régime de la couverture maladie universelle doit répondre à un souci
d’efficacité, non seulement au profit du plus grand nombre mais également au profit de
chaque bénéficiaire. Respectueux des droits fondamentaux de la personne, il doit tendre
également à l’individualisation des droits.
Peut-on considérer que la CMU est un système unique ?
11
C.civ, art.112
27
Il ressort clairement que chacun doit recevoir selon ses besoins et non plus selon son
apport aux régimes de l’assurance maladie, fondé sur le risque et sur une idée de
contributivité. La CMU satisfait ainsi un souci de justice distributive et non plus
commutative, tout en répondant aux exigences d’une solidarité nationale qui repousse
un peu plus la solidarité professionnelle aux frontières de la Sécurité sociale française.
En ce sens, la couverture pour tous apparaît comme un système unique garantissant à
chacun un véritable accès aux soins.
Cette analyse du principe d’ « universalité » utilisé par le législateur n’est pas partagée
par tous les auteurs.
1) Le concept même d’universalité utilisé par le législateur
Dans sa réflexion sur les apports et les limites de la loi créant la CMU, Michel
Borgetto formule une remarque relative au concept même d’universalité utilisé par le
législateur. Il considère que « d’un certain point de vue, il est vrai, l’utilisation de ce
concept ne semble guère pouvoir être contestée : dès lors que la couverture de base est
garantie à l’universalité du corps social, le concept a sans doute sa place et peut donc
fort bien être invoqué.
Mais si l’on se situe par rapport au principe d’universalité tel que les pères
fondateurs de la Sécurité sociale l’ont entendu et si l’on admet, au-delà, qu’un régime
universel assure une protection générale et unique alors qu’un régime généralisé, lui,
admet en son sein des différences, cette utilisation apparaît quelque peu inappropriée,
voire inexacte ».
Michel Borgetto se fonde ainsi sur l’existence d’une pluralité de régimes d’assurance
maladie pour écarter le caractère universel de la loi. Selon lui, « pour pouvoir accoler au
dispositif CMU le qualificatif universel il aurait fallu s’attacher à rapprocher les
quelques 18 régimes existants12 ».
12
BORGETTO (M.), Brèves réflexions sur les apports et les limites de la loi créant la CMU,
Dr. Soc. n°1 janv 2000, p.33
28
D’autres auteurs rejoindront cette conception de l’universalité au regard des
mêmes fondements. C’est le cas de Robert Lafore qui retient que tant du point de vue du
champ d’application personnel (garantie à tous) qu’en ce qui concerne le contenu (prise
en charge des soins), le nouveau dispositif vise bien une universalité de la protection.
Cependant, il considère que l’objectif d’universalité de la protection ne signifie pas
universalité de régime et que la recherche d’une protection pour tous se réalise en réalité
par l’établissement d’un régime spécifique pour les exclus de la couverture de droit
commun. Selon Robert Lafore, « il s’agit davantage d’une couverture maladie
généralisée que d’une couverture maladie universelle13 ».
Que penser de toutes ces considérations ? La loi relative à la CMU institue
t-elle un régime universel ou un régime généralisé ?
2) Régime universel ou régime généralisé ?
On peut considérer qu’à défaut d’une unicité de régimes, l’universalité de la
couverture existe et se trouve caractérisée par le seul fait que toute personne qui
aujourd’hui ne bénéficie pas d’une protection sociale dans un régime obligatoire, sera
désormais affiliée au régime général. Cela signifie donc qu’il ne peut plus y avoir en
principe de refus d’affiliation, ni d’exclusion ou de suspension des droits à l’assurance
maladie pour la couverture de base a minima.
Le principe d’universalité au sens de la loi sur la CMU s’entend comme
offrant pour la première fois un égal accès aux soins à tous les résidents français.
L’universalité et la gratuité de la protection constituent le principe. Mais le bénéfice de
la couverture de base sera parfois soumis à une condition de ressource.
13
LAFORE (R.), La CMU : un nouvel ilôt dans l’archipel de l’assurance maladie, Dr. Soc
n°1 janv 2000, p.26
29
B/ UN DROIT SOCIAL SOUS CONDITION DE RESSOURCES
Le bénéfice de la couverture de base est en principe gratuit mais les
bénéficiaires dont les revenus dépassent certains plafonds seront tenus d’acquitter une
cotisation. Il faut savoir que le caractère contributif a été l’un des points les plus
discutés de la loi.
1) La contributivité
Elément essentiel de la loi, la couverture de base se présente comme un
nouveau droit social ouvert à tous mais dont le bénéfice est soumis à une condition de
ressources. Les plafonds, fixés par décret et révisés chaque année, varient selon la
composition du foyer soit pour une personne seule 3500 F par mois.
Quelles sont les ressources prises en compte ? Le nouvel assuré doit effectuer une
déclaration de ses ressources imposables. Si son revenu fiscal de référence dépasse le
seuil fixé, la caisse primaire d’assurance maladie calculera la cotisation qui lui est
applicable. Le taux est d’environ 10,10 %. Il faut par conséquent retenir que l’affiliation
peut être contributive mais qu’une franchise de contribution est instaurée : il ne sera
perçu de cotisation que sur la part des revenus excédant 3500 F par mois.
Cette règle maintient le principe de contributivité personnelle propre à notre Sécurité
sociale mais supprime le mécanisme complexe de prise en charge des cotisations qui
caractérisait l’assurance personnelle.
2) Le débat relatif au caractère contributif
Le caractère contributif a fait apparaître certaines difficultés. Les détracteurs
du projet de loi y ont vu un mécanisme pervers de nature à introduire une discrimination
entre les citoyens vis-à-vis de l’assurance maladie.
Le Conseil constitutionnel, on l’a déjà souligné, n’a pas déclaré cette disposition
contraire à la Constitution, mais a assorti sa décision de certaines précisions.
30
Le pouvoir réglementaire doit fixer le montant des plafonds de ressources ainsi que les
modalités de leur révision annuelle de façon à respecter les dispositions du préambule
de la Constitution afin que l’égalité entre assurés sociaux ne soit pas rompue.
L’exigence de cette cotisation peut, en elle même, très bien s’admettre : tout
d’abord parce que la cotisation est égale à un pourcentage du montant des revenus
dépassant le plafond et prend donc en considération la situation réelle et personnelle de
chaque individu.
Ensuite parce que l’absence de paiement préalable de cotisations ne fait nullement
obstacle au versement des prestations en nature de l’assurance maladie.
Il faut reconnaître néanmoins que dans la pratique des difficultés sérieuses pourront
surgir. On peut soulever par exemple le fait que ce seuil va se traduire pour certains
bénéficiaires de l’aide médicale par une régression de leur situation : ce seuil se situant
en effet en deçà de celui déclenchant l’aide médicale dans de nombreux départements.
On va retrouver cette condition de ressources dans le deuxième volet de la
réforme. Celui-ci consiste à créer un droit à une protection complémentaire en matière
de santé.
Section II/ LA COUVERTURE MALADIE COMPLEMENTAIRE
L’INNOVATION DU DISPOSITIF LEGAL
Le second volet de la réforme consiste à créer, pour la première fois, un droit à
une protection complémentaire gratuite pour tous en matière de santé. C’est la raison
pour laquelle il représente l’aspect novateur du dispositif légal. Il convient dés à présent
de se pencher sur les caractéristiques du nouveau dispositif (§1) avant de préciser
l’étendue de la protection complémentaire (§2).
31
§1) LES CARACTERISTIQUES DU NOUVEAU DISPOSITIF
Le bénéfice de la protection complémentaire suppose la réunion d’un certain
nombre de conditions (A). Une fois ces conditions reconnues, il sera procédé à la
détermination des droits (B).
A/ LES CONDITIONS D’ATTRIBUTION
On distingue deux catégories de conditions : les conditions administratives et
les conditions relatives aux ressources.
1) Les conditions administratives
Le demandeur doit résider en France dans les mêmes conditions que pour la
couverture de base ainsi que les personnes à sa charge.
La demande est faite par foyer au sens prévu par la réglementation du RMI :
demandeur, conjoint ou concubin et personnes vivant au foyer âgées de moins de 25
ans, étant ou ayant été à charge au sens des prestations familiales.
2) Les conditions relatives aux ressources
L’ensemble des ressources du foyer est prise en compte, c’est-à-dire les
ressources imposables et non imposables après déduction des charges consécutives du
versement des pensions et obligations alimentaires.
Seules certaines prestations familiales à caractère spécialisé sont exclues.
On peut donc relever ici une différence avec la couverture de base : pour
l’octroi de celle-ci on prend en compte uniquement les ressources imposables.
32
B/ LA DETERMINATION DES DROITS
Elle dépend de deux facteurs : le montant du plafond et la reconnaissance du
droit par la caisse.
1) Le montant du plafond
Le deuxième volet de la réforme consiste à créer un droit à une protection
complémentaire en matière de santé. Ce droit est accordé sous conditions de ressources.
Le plafond est fixé à 42 000F par an (soit 3 500F par mois) pour une personne seule. Ce
seuil est modulé en fonction de la composition de la famille, le conjoint le majorant de
50%, les deux premiers enfants de 30% chacun, le troisième de 40%…
Les ressources prises en compte pour déterminer l’accès au droit comprennent
l’ensemble des revenus de toute nature perçus par le demandeur et les membres de sa
famille au cours des douze derniers mois précédant la demande. Des abattements seront
appliqués en cas de survenance d’une période de chômage. Des prestations spécialisées
comme l’allocation d’éducation spéciale seront exclues de la base des ressources. La
situation des travailleurs indépendants sera examinée au travers de leur statut fiscal.
2) La reconnaissance du droit par la caisse
Le demandeur pourra s’adresser au guichet de la caisse primaire d’assurance
maladie mais également au service social, à l’association ou l’organisme à but non
lucratif agréé par le représentant de l’Etat, ainsi que dans les hôpitaux qui l’aideront à
remplir sa demande.
La loi ne vise pas expressément les centres communaux d’action sociale qui sont
néanmoins habilités d’après les services ministériels à poursuivre le rôle qu’ils jouent
actuellement pour les demandeurs de l’aide médicale.
33
Il semble important de remarquer que dans la mesure où il s’agit d’une
demande familiale, certaines personnes du foyer pourront relever d’un régime différent.
Ceci obligera la caisse qui étudie la demande à analyser les ressources d’un assuré qui
relève éventuellement d’un autre régime et à transmettre l’information à la caisse de
rattachement de cette personne. Les assurés relevant d’une section mutualiste devront
présenter leur demande à la caisse de leur domicile ou celle dont relève leur conjoint ou
concubin, seule compétente pour assurer l’examen de leurs ressources et la
reconnaissance du droit.
Se pose alors la question du délai d’examen du dossier par la caisse. La loi
prévoit qu’un délai maximal est fixé par décret. La notion d’immédiateté dès le dépôt de
la demande n’est prévue que lorsque la situation du demandeur l’exige. Dans ce cas une
attribution provisoire du droit de l’ordre de 3 mois est accordée.
La caisse doit notifier à tous les demandeurs la décision prise.
§2) L’ETENDUE DE LA PROTECTION COMPLEMENTAIRE
Réfléchir à l’étendue de la protection complémentaire revient à se poser les
question suivantes : quels sont les soins pris en charge et comment s’effectue cette prise
en charge ? (A). Celle-ci sera assurée selon l’une des modalités prévues par le texte
légal, au libre choix du demandeur (B).
A/ LES SOINS PRIS EN CHARGE
Il faut envisager à la fois des prestations traditionnelles et des prestations
innovantes.
1) Les prestations traditionnelles
La mise en œuvre de la couverture maladie universelle permet la prise en
charge sans contrepartie contributive de la participation de l’assuré aux tarifs de
34
responsabilités pour les prestations couvertes par les régimes obligatoires. Ces
personnes bénéficient d’une couverture à 100 % des soins.
La protection comporte la prise en charge du ticket modérateur, du forfait
journalier dû en cas d’hospitalisation qu’elle qu’en soit la durée, et de tout ou partie des
frais de prothèses dentaires et de dispositifs médicaux tels que l’optique.
Pour quelles raisons est-il si essentiel que la CMU prenne en charge le ticket
modérateur ? Le ticket modérateur correspond à la part des dépenses de soins restant à
la charge du patient après remboursement par le régime d’assurance obligatoire. Encore
appelé co-paiement par les Anglo-Saxons, ce principe permet d’associer directement le
malade au paiement de ses propres soins, recréant ainsi à son niveau un mécanisme de
marché.
Ainsi, responsabilisé financièrement, le patient est censé modérer de lui-même sa
consommation. Le ticket modérateur a été introduit en France dès la création de la
Sécurité sociale, et il se retrouve, sous des formes diverses dans d’autres systèmes de
soins européens, mais la tendance actuelle, en particulier dans les pays du Nord de
l’Europe, est à sa suppression.
Le ticket modérateur, lorsqu’il existe, fait partie intégrante de la définition
d’un panier de biens et remboursables, puisqu’il détermine par le taux de
remboursement le « degré d’appartenance » au panier des différents biens et services.
D’un point de vue théorique, il convient de s’interroger sur l’effet réel du ticket
modérateur sur la consommation médicale ; son effet dissuasif sur les consommations
« inutiles » s’accompagne aussi d’une restriction sur les soins indispensables. De par sa
conception même, le ticket modérateur relève d’un principe de régulation par le marché,
en influençant les choix du patient lui-même.
Cependant, pour que ce marché joue pleinement son rôle, il faudrait que le
patient soit dans le domaine des soins un agent économique idéal au sens de la théorie
35
économique classique, c’est-à-dire pleinement conscient de ses besoins et des
caractéristiques des biens et services dont il est acheteur potentiel.
Or dans le domaine de la santé, il existe une asymétrie d’information importante entre le
patient et les professionnels de santé, qui empêche justement le patient d’évaluer luimême l’utilité des biens et services qui lui sont proposés. Il ne peut le faire que par
l’intermédiaire du professionnel de santé auquel il s’adresse, mais qui est aussi, assez
souvent, l’offreur.
Il ressort donc clairement qu’on est loin du rôle d’acheteur éclairé que devrait
jouer le consommateur dans ses décisions d’ « achats de soins » pour une prise en
compte « économiquement correcte » du ticket modérateur.
En ce sens, il comporte un risque : agir le plus souvent comme un simple frein au
recours aux soins, sans possibilité réelle pour le patient d’optimiser l’utilité des
dépenses qu’il supporte14.
Il est nécessaire de s’interroger sur le différentiel de consommation qu’il induit
entre les bénéficiaires d’une assurance complémentaire et les autres. Le ticket
modérateur doit être considéré comme un effet aggravant des inégalités de santé. Il
pénalise les populations ayant de faibles revenus, dont on sait par ailleurs qu’elles
bénéficient déjà d’un état de santé moins bon. Ce constat a progressivement conduit à
mettre en place des aménagements destinés à corriger les effets les plus désastreux du
ticket modérateur.
La menace que faisait peser ce dernier sur l’accès aux soins des individus les
plus défavorisés économiquement a été prise en compte par la CMU, qui leur donne
droit à une couverture complémentaire quasiment systématique. L’Etat a ainsi reconnu
le caractère nécessaire d’une couverture intégrale pour cette partie de la population.
14
Haut Comité de la Santé Publique, Rapport sur le panier de biens et services de santé,
janvier 2000, 119 p.
36
Une meilleure définition du panier de biens et services pris en charge par le régime
obligatoire et une révision des taux du ticket modérateur devraient permettre de
redonner une place prépondérante au régime obligatoire pour les soins répondant à des
besoins avérés, par exemple sur la base du service médical rendu.
2) Le tiers-payant obligatoire, une disposition innovante
Cette couverture sera assortie du bénéfice de la dispense d’avance de frais,
communément appelée tiers-payant. Il s’agit d’une disposition innovante car si le tierspayant était déjà largement pratiqué par certaines professions, les pharmaciens par
exemple, il n’en était pas de même chez les médecins, notamment les généralistes. Ceci
constituait donc un frein à la médecine de ville.
Pour toutes les dépenses prises en charge par les régimes obligatoires et au
titre de la CMU, les bénéficiaires sont dispensés de l’avance de frais. La loi prévoit que
les professionnels de santé doivent avoir un interlocuteur unique pour l’ensemble de la
procédure de tiers-payant.
Par ailleurs, les bénéficiaires la couverture complémentaire auront la
possibilité de choisir l’organisme qui assurera les prestations.
B/ LE CHOIX DE L’ORGANISME ASSURANT LA PROTECTION
COMPLEMENTAIRE
Le choix possède deux caractéristiques : il est libre et individuel.
37
1) Un choix libre
Le demandeur doit remplir simultanément la déclaration de ressources et
l’imprimé indiquant l’organisme qu’il choisit pour lui assurer la protection
complémentaire15.
Celui-ci exercera son droit, à son libre choix, selon l’une des modalités suivantes :
— soit le bénéficiaire demandera à sa caisse de payer les frais complémentaires de
soins directement aux professionnels ou aux établissements de santé concernés
— soit l’intéressé souscrira un contrat auprès d’un des organismes d’assurance
complémentaire, désignés par lui sur une liste d’organismes volontaires, qui se
chargera de la rémunération des professionnels de santé ou du paiement des actes et
biens médicaux. Il ne pourra s’agir que d’organismes habilités à exercer une activité
d’assurance, c’est-à-dire les mutuelles relevant du Code de la mutualité, les
institutions de prévoyance ou encore les sociétés d’assurance.
Ces organismes ne seront tenus d’accepter obligatoirement la souscription de
tels contrats que pour autant qu’ils se seront déclarés volontaires auprès de
l’administration pour gérer de tels contrats. Il faut savoir que ces contrats d’assurance
ou ces adhésions aux mutuelles ne pourront avoir de contrepartie contributive (absence
de cotisations ou primes à payer).
Le contrat prend effet à la date de la décision d’attribution du droit. La résiliation d’un
contrat antérieur est-elle possible ?
La résiliation sera de droit sauf si ce contrat est établit auprès d’un organisme inscrit sur
la liste de ceux qui participent à la gestion de la CMU.
Dans ce cas, c’est l’adaptation du contrat qui s’imposera. Cette disposition s’explique
par la volonté d’éviter la sortie des personnes qui sont dans le champ de la protection
sociale de droit commun.
15
TRICLIN (A.), op-cit, p.5
38
2) Un choix individuel
Le choix est individuel, cela signifie que chaque membre du foyer pourra faire
un choix personnel. Si le choix est fait en faveur de la caisse servant les prestations de
base, et si les membres du foyer ne sont pas tous affiliés au même régime de base,
plusieurs caisses seront donc concernées. Il en est de même si certains membres du
foyer avaient déjà une protection complémentaire et les autres non ou si tous les
membres du foyer n’avaient pas la même.
A titre d’information, au 30 juin 2000, on dénombre, à partir des fichiers informatiques
d’assurés sociaux du régime général hors sections locales mutualistes : 4 018 914
bénéficiaires affiliés à la CMU complémentaire gérée par une CPAM et 87 559
bénéficiaires
affiliés
à la
CMU
complémentaire
gérée
par
un
organisme
16
complémentaire .
Devant l’exigence d’améliorer l’accès aux soins, laisser aux bénéficiaires de la
protection sociale le soin d’éprouver la meilleure voie praticable est peut-être l’attitude
la plus pragmatique. Néanmoins, les bénéficiaires de la CMU ne pourront exercer
pleinement leurs droits qu’avec l’aide de l’ensemble des acteurs du système
institutionnel.
16
CNAMTS, op.cit., supra note n°10
39
CHAPITRE II : L’APPARITION DE NOUVEAUX
ACTEURS DANS LE SYSTEME INSTITUTIONNEL
La mise en œuvre de la réforme n’est pas aisée. Le premier défi à relever par
tous les acteurs, s’ils veulent vraiment toucher les plus démunis, consiste à repenser leur
propre fonctionnement. Les caisses d’assurance maladie doivent maîtriser un nouveau
métier (la gestion d’une condition de ressources), adapter leur culture et accroître
l’ouverture à un public pour partie défavorisé (Section I). Les organismes
complémentaires auront, quant à eux, à désarmer les préventions que provoquent leur
entrée dans « le champ de l’aide sociale » et à assurer également un service d’accueil
très attentif. C’est donc ensemble que ces acteurs devront mettre en œuvre les moyens
susceptibles d’apporter des solutions efficaces (Section II).
Section I/ L’ELARGISSEMENT DE LA COMPETENCE DE
L’ASSURANCE MALADIE
L’assurance maladie s’engage dans une nouvelle mission : gérer la couverture
maladie pour tous, sans aucune interruption (§1). Mais la pleine réussite de la CMU
suppose l’entière collaboration de tous les acteurs du système de soins : usagers,
services sociaux, centres communaux d’action sociale, professionnels de santé (§2).
§1) UNE NOUVELLE MISSION DEVOLUE AUX CAISSES PRIMAIRES
Pour l’assurance maladie, la mise en place de la couverture maladie
universelle implique un véritable changement. Une démarche fondamentalement
innovante apparaît dans le cadre de cette couverture maladie universelle : l’assuré n’a
plus à prouver ses droits.
40
Il fournit simplement les informations qui sont en sa possession, ce sont les
caisses primaires d’assurance maladie qui gèrent la complexité administrative.
L’apparition de la CMU a permis de renforcer le rôle de l’assurance maladie dans la
mesure où elle lui octroie de nouvelles missions à l’égard des populations défavorisées.
La CMU donne ainsi un nouveau visage à l’assurance maladie. L’inquiétude qui se
manifestait quant à l’avenir de la Sécurité sociale a disparu depuis la mise en place de la
réforme. L’assurance maladie doit en effet mobiliser toutes ces ressources pour
accueillir les nouveaux bénéficiaires. Cela suppose non seulement la mise en œuvre
d’une organisation spécifique pour la CMU (A), mais également l’obligation d’assurer
la continuité des droits (B).
A/ UNE ORGANISATION SPECIFIQUE POUR LA CMU
Cette nouvelle organisation s’est déroulée en deux temps, le recrutement et la
formation accélérée.
1) Le recrutement
Afin de pouvoir accueillir et traiter les dossiers d’une population estimée à 6
millions de personnes, l’assurance maladie a demandé de renforcer ses moyens. Elle a
ainsi recruté 1 400 personnes en décembre 1999 (900 postes à durée indéterminée et
500 à durée déterminée). La répartition des emplois entre les 129 caisses primaires
d’assurance maladie (CPAM en France métropolitaine) et les 4 caisses générales de
Sécurité sociale (CGSS dans les départements d’outre-mer), soit environ 1 360
structures de paiement et d’accueil, s’est faite en fonction de deux critères : les
problèmes de précarité existant dans les circonscriptions des caisses et les possibilités
offertes par les départs ARPE, c’est-à-dire le départ à la retraite impliquant le
recrutement d’un jeune. Parallèlement, l’Inspection Générale des Affaires Sociales a
commencé une évaluation plus fine des besoins complémentaires de l’assurance
maladie pour gérer efficacement la CMU.
41
Les agents les plus expérimentés, notamment ceux qui géraient l’aide
médicale, vont traiter la couverture maladie universelle. En effet, leur expérience leur
permet de s’approprier plus rapidement les caractéristiques de la nouvelle
réglementation CMU17. Il faut savoir que la Sécurité sociale a vu affluer d’un coup à ses
guichets des dizaines de milliers d’assurés sociaux. L’organisation de l’accueil des
bénéficiaires potentiels de la CMU et le traitement de leurs demandes s’est avéré
extrêmement difficile dans les CPAM, vite submergées.
En ce qui concerne la répartition de la charge de travail, de nouvelles missions sont
apparues :
— la mise en place d’un groupe d’experts chargé du pilotage de l’opération, qui
pourra s’appuyer sur les structures existantes en matière d’assurance personnelle
ou de précarité
— l’adaptation de l’accueil de proximité aux obligations de la CMU : renforcement
de l’accueil, aide au remplissage des documents, saisie des données relatives aux
ressources et mise à jour du fichier assurés, délivrance d’attestations urgentes ou
de duplicata
— le traitement de la demande dans les groupes de gestion des bénéficiaires puis la
liquidation des prestations
— enfin l’accompagnement social par les services sociaux pour faciliter un effectif
accès aux soins et la gestion des flux financiers par les services comptables.
2) La formation accélérée
Conçu pour aider les agents des caisses à maîtriser les différents aspects de la
CMU, un programme de formation a été démarré en novembre et s’est poursuivi
pendant les premiers mois de l’année 2000. La formation était articulée autour de trois
volets :
-
adapter l’accueil aux différents types de publics demandeurs de la CMU et
savoir détecter les situations d’urgence
17
CNAMTS, dossier de presse CMU, mode d’emploi, 13 déc. 1999, 23 p.
42
-
appliquer rigoureusement la législation CMU
-
réussir un partenariat efficace avec les principaux partenaires de l’assurance
maladie au service des bénéficiaires en connaissant précisément le rôle de
chacun.
Un travail en commun au niveau régional est apparu nécessaire. Une équipe
d’assistance a été chargée d’apporter aux organismes une aide de terrain : identification
des problèmes rencontrés, analyse et proposition de solutions adaptées au type des
difficultés, suivi de la mise en place au moyen d’indicateurs. Dans certaines régions,
comme par exemple le Nord Picardie et l’Alsace Moselle, les caisses se sont réunies
afin de mutualiser leurs moyens ; une démarche similaire est prévue dans chaque
région.
B/ L’OBLIGATION D’ASSURER LA CONTINUITE DES DROITS
Il faut savoir que le transfert des fichiers des bénéficiaires a permis d’assurer
la prolongation des droits mais a soulevé de nombreuses difficultés en pratique.
1) Le basculement des fichiers et les transferts d’information des caisses
d’allocations familiales (CAF) vers les caisses primaires d’assurance
maladie (CPAM)
Pour plus de 2 millions de personnes, le passage à la CMU de base ou
complémentaire s’est effectué automatiquement avant le 31 décembre 1999 sans
suspension de leurs droits ni aucune démarche de leur part. Il a été procédé à un
basculement des fichiers : les droits des personnes identifiées par l’assurance maladie au
titre de l’assurance personnelle et de l’aide médicale ont été transférés dans un fichier
couverture maladie universelle.
Par ailleurs les caisses d’allocations familiales ont transmis aux caisses primaires leur
fichier annuel des bénéficiaires du RMI, de cette manière leur droit à la CMU
complémentaire est renouvelé automatiquement.
43
Disposant de ces données, les caisses d’assurance maladie veillent à ce que tous les
bénéficiaires potentiels de ce dispositif soient informés de leurs droits. De même, les
caisses d’assurance maladie reçoivent les fichiers mensuels des CAF ; elles peuvent
ainsi attribuer systématiquement la CMU complémentaire aux nouveaux bénéficiaires et
tenir à jour le fichier CMU.
Dans plusieurs départements, les caisses ne disposaient pas des fichiers nécessaires.
C’est pourquoi il leur a été demandé de prendre contact avec les Conseils Généraux
pour étudier avec eux les modalités de transfert de ces fichiers.
Cependant, des difficultés préoccupantes relatives à la prolongation des droits sont
apparues en pratique.
2) Les problèmes concrets dus à la prolongation des droits
Les bénéficiaires du RMI ont droit de façon automatique à la CMU
complémentaire pour une durée d’un an renouvelable, qu’il garde ou non le bénéfice du
RMI pendant cette période, et sans faire de déclarations de ressources.
Ils auront simplement la possibilité de choisir un nouvel organisme complémentaire.
Il n’en est pas de même pour les anciens bénéficiaires de l’aide médicale. En
effet, ceux-ci bénéficient d’une prolongation automatique de leurs droits jusqu’à la date
d’expiration de leurs droits à l’aide médicale et au plus tard jusqu’au 30 juin 2000. Ce
délai a été prolongé jusqu’au 31 octobre, date à laquelle sera effectuée une révision des
ressources des bénéficiaires. Ces derniers auront alors l’obligation de procéder à une
nouvelle déclaration de ressources et la possibilité de choisir un nouvel organisme
complémentaire. Or la difficulté réside dans le fait que certaines personnes se
retrouveront au dessus du seuil et perdront donc à compter du 31 octobre le bénéfice de
la couverture complémentaire, alors qu’ils étaient auparavant couverts au titre de l’aide
médicale (cf. annexe 2).
44
Si les caisses primaires d’assurance maladie gèrent une partie fondamentale de
la CMU, elles ne sont cependant pas les seules. A leurs cotés, de nombreux partenaires,
avec qui elles entretiennent des relations constantes, sont impliqués à des titres
différents dans la mise en place de cette grande réforme.
§2) LA COLLABORATION DES CENTRES COMMUNAUX D’ACTION
SOCIALE (CCAS) ET DES PROFESSIONNELS DE SANTE
Il convient de s’intéresser d’une part à l’intérêt de la participation des CCAS
(A) et d’autre part au rôle des professionnels de santé dans la mise en œuvre de la
couverture maladie universelle (B).
A/ L’INTERET DE LA PARTICIPATION DES CCAS
Avant l’instauration de la CMU, les caisses s’attachaient à identifier les
personnes qui restaient à l’écart du système d’assurance maladie, le plus souvent par
manque d’information. Grâce à l’aide des centres communaux d’action sociale et des
associations, les caisses d’assurance maladie prenaient contact avec les populations en
voie de précarité afin de leur ouvrir des droits et de les orienter vers les centres
d’examen de santé.
La CMU étant désormais de la compétence de l’assurance maladie et gérée localement
par les caisses primaires, les CCAS se sont donc vu retirer un pan de leur activité :
l’instruction de l’aide médicale et, de ce fait, les recettes qui lui étaient associées.
L’union nationale des CCAS (UNCCAS) avait, dès l’élaboration de la loi, demandé
sans succès que les centres soient au moins reconnus en qualité d’accompagnateurs des
personnes défavorisées.
L’UNCCAS a demandé ensuite la signature d’une convention nationale avec la caisse
nationale d’assurance maladie qui avait pour but de positionner les CCAS en leur
attribuant une mission d’accueil des demandes en contrepartie d’une rémunération
proportionnelle au nombre de dossiers complets transmis aux CPAM. Mais l’octroi de
cette rémunération a été refusé.
45
En l’état actuel des textes les centres communaux d’action sociale
assurent « l’accueil, l’information et l’orientation » des demandeurs de la CMU, à
l’exclusion de l’instruction des dossiers, mission relevant de la seule compétence des
caisses d’assurance maladie et pour laquelle elles ont obtenu des moyens.
D’autres acteurs tels que les services sociaux auront également un rôle
important à jouer. L’article L. 861-5 nouveau du Code de sécurité sociale issu de la loi
du 27 juillet 1999 portant création de la CMU précise que « les services sociaux et les
associations ou organismes à but non lucratif agréés par décision du représentant de
l’Etat dans le département ainsi que les établissements de santé apportent leur concours
aux intéressés dans leur demande de protection complémentaire et sont habilités, avec
l’accord du demandeur, à transmettre la demande et les documents correspondants à
l’organisme compétent ».
Dans ce contexte, on peut constater qu’avec l’instauration de la CMU la collaboration
vient se renforcer. Les divers acteurs devront s’efforcer de coordonner leurs
compétences et leurs actions en vue de simplifier la mise en œuvre de la nouvelle
protection sociale.
B/ LES PROFESSIONNELS DE SANTE ET LA COUVERTURE MALADIE
UNIVERSELLE
La participation des professionnels de santé est obligatoire. La couverture
maladie universelle, en tant que dispositif légal, a une dimension obligatoire pour tous
les intervenants appelés à jouer un rôle dans l’attribution et l’usage de ce droit nouveau
par tous ses bénéficiaires.
Dans le principe, la CMU n’est pas concrètement une nouveauté pour les professionnels
de santé déjà habitués, pour un certain nombre d’entre eux, à soigner les bénéficiaires
de l’aide médicale.
46
Tous les professionnels de santé sont tenus par la loi de répondre favorablement à toute
demande de prestation exprimée par les bénéficiaires et de respecter certaines modalités
financières et techniques propres à ce dispositif :
 la CMU de base
Inscription du patient dans le droit commun du régime obligatoire comme tous les
assurés sociaux. Il n’est pas exonéré de la dispense d’avance de frais.
 la CMU complémentaire
Le dépassement d’honoraires est interdit. Les patients bénéficient par ailleurs du tierspayant intégral.
On peut se poser la question suivante : comment le professionnel de santé
peut-il s’assurer que certains patients sont bien bénéficiaires de la couverture
complémentaire ? Ces derniers attestent de cette qualité en lui présentant leur carte
Vitale et l’attestation papier reçue avec le courrier d’information qui leur a été transmis
par la CPAM.
Il faut également s’intéresser à l’intervention des pharmaciens et des
laboratoires. Ces professionnels sont eux aussi des collaborateurs. Pour eux le système
ne change pas. Ils continuent à réaliser des services avec tiers-payant comme auparavant
et à envoyer les feuilles de soins papier aux différents organismes.
Section II/ LE PARTENARIAT ENTRE LES CAISSES
D’ASSURANCE MALADIE ET LES ORGANISMES
COMPLEMENTAIRES
Le choix du service de la couverture complémentaire est à la discrétion de son
bénéficiaire, qui peut s’adresser indifféremment à l’un des organismes d’assurance
maladie, qu’il s’agisse des caisses primaires, des mutuelles ou des institutions de
prévoyance, voire des sociétés d’assurance (§1). Reste à savoir si ce mécanisme donne
lieu à la mise en concurrence de ces divers organismes (§2).
47
§1) UNE PRISE EN CHARGE ASSUREE CONJOINTEMENT PAR LES
CAISSES MALADIE ET PAR LES ORGANISMES COMPLEMENTAIRES
Les extensions successives de l’assurance complémentaire lui offrent un
nouveau statut (A) et permettent un double accès à la protection complémentaire (B).
A/ UN NOUVEAU STATUT POUR L’ASSURANCE COMPLEMENTAIRE
Une irruption de l’Etat dans le champ de l’assurance complémentaire peut-être
constatée. En effet, on a vu que les bénéficiaires de la protection complémentaire ont la
possibilité d’obtenir la prise en charge des dépenses de santé soit auprès de leur
organisme d’assurance maladie, soit auprès de société d’assurance, mutuelles et
institutions de prévoyance.
L’intervention des caisses d’assurance maladie est justifiée par la nature
juridique de cette couverture complémentaire. Elles sont gestionnaires de ces prestations
pour le compte de l’Etat. Elles assument directement le coût du ticket modérateur et du
forfait journalier laissé à la charge de ces personnes18. Le fonds de financement de la
protection complémentaire leur remboursera l’intégralité du montant des dépenses de
santé engagées pour cette population. Ces sommes représentent exactement ce que
l’Etat aurait eu à acquitter si ses services avaient intégralement assuré la gestion de cette
protection complémentaire19.
La mise en œuvre de l’autre alternative conduit, en revanche, à transférer, de
l’Etat aux organismes complémentaires, le poids du ticket modérateur et du forfait
journalier. Le risque est alors socialisé au niveau des mutuelles, institutions de
prévoyance et sociétés d’assurance moyennant le versement d’une contribution.
18
art. L. 861-4-a nouveau CSS
19
art. L. 862-2-a nouveau CSS
48
Le fonds se substitue ainsi aux intéressés en payant la cotisation qui leur est
demandée pour adhérer à une mutuelle ou souscrire un contrat. La différence de régime
s’explique par la spécificité des deux techniques juridiques utilisées pour supporter ces
dépenses de santé.
B/ LES DEUX VOIES D’ACCES A LA PROTECTION COMPLEMENTAIRE
REPONDENT A DEUX LOGIQUES DIFFERENTES
Une analyse de ces deux logiques s’impose. Il semble que l’Etat se soit
dessaisi d’une partie de ses prérogatives pour confier aux caisses d’assurance maladie la
réalisation d’opérations que ses services déconcentrés n’étaient pas en mesure
d’effectuer correctement. On relèvera ici que la démarche est identique à celle initiée
dans le cadre du RMI qui est aujourd’hui attribué, en l’absence de convention de
délégation, sur décision du préfet, puis liquidé par les caisses d’allocations familiales.
Il n’est donc pas justifié d’affirmer que les caisses d’assurance maladie « feront du
complémentaire » alors qu’elles gèreront une aide d’Etat modernisée. Ces dernières
n’ont pas de compétence propre en matière de protection complémentaire. C’est leur
qualité de simple mandataire, précisons-le, qui justifie le remboursement au franc le
franc des prestations qu’elles serviront.
A l’inverse, les organismes complémentaires interviennent, à titre volontaire,
dans le cadre de leur compétence classique. Cette compétence est exercée selon des
modalités spécifiques : les organismes qui acceptent de participer au dispositif sont
tenus de proposer un contrat dont le contenu est défini par la loi. Chaque contrat leur
rapporte une déduction fiscale de l’ordre de 1 500 F. Néanmoins, ils supporteront
conformément à leur métier le risque financier attaché à tout contrat sachant que si un
bénéficiaire coûte plus cher que le montant de la déduction fiscale qu’il rapporte,
l’organisme intègrera cette perte dans ses comptes.
49
Mais il faut souligner que tous ne valident pas cette analyse et considèrent au
contraire qu’il existe une réelle identité de situation entre les CPAM et les organismes
complémentaires, ce qui conduirait au développement d’une concurrence.
Peut-on affirmer que le système de prise en charge des dépenses de soins est
concurrentiel ? Ou plutôt que de concurrence, ne faudrait-il pas parler de la diversité des
réponses apportées à des situations qui peuvent être fort variables ?
§2) VERS UN SYSTEME CONCURRENTIEL DE PRISE EN CHARGE ?
Les organismes complémentaires redoutent l’intervention des caisses
primaires (A), c’est pourquoi certains d’entre eux ont engagé des recours contre la loi
(B).
A/ DE LA PERCEPTION PAR LES ORGANISMES COMPLEMENTAIRES DE
L’INTERVENTION DES CAISSES D’ASSURANCE MALADIE
Il convient de signaler que la participation des caisses d’assurance maladie est
ressentie par les responsables des organismes complémentaires comme une atteinte à
leurs prérogatives20. Ils considèrent en effet que le dispositif CMU réaffirme la
monopole des CPAM sur la prestation de base mais qu’il autorise par contre les caisses
à distribuer les prestations complémentaires au même titre que les organismes
traditionnels de protection complémentaire volontaire.
En conséquence, sur le volet complémentaire de la CMU, la loi instaurerait selon eux
une concurrence déloyale du fait même du monopole reconnu aux caisses concernant
l’instruction des dossiers ainsi que l’ouverture des droits. Les responsables desdits
organismes estiment que par pure commodité pour des populations en difficultés
souvent majeures, il paraît évident que les bénéficiaires se tourneront tout naturellement
vers les caisses pour leur couverture complémentaire afin de n’avoir qu’un seul et même
interlocuteur.
20
MARIE (R.), La CMU, Dr. Soc. n°1, janv. 2000 p.17
50
Or, il ressort d’une décision de la chambre sociale de la Cour de cassation
que les conditions d’intervention des CPAM s’inscrivent dans un cadre suffisamment
particulier pour exclure tout risque de concurrence déloyale21.
On peut relever également que les bénéficiaires de cette protection
complémentaire en matière de santé ne sont pas contraints de s’adresser aux caisses
pour obtenir cette prise en charge. Le champ d’application des garanties qu’elles offrent
est relativement restreint dans la mesure où elles ne sont proposées qu’à leurs
ressortissants et non à l’ensemble de la population. Dans cette perspective, les caisses ne
doivent pas inciter leurs assurés sociaux à les désigner comme organisme prestataire en
discréditant l’action menée par les autres organismes complémentaires.
La liberté de choix dont ils disposent est garantie par l’article L. 861-4 nouveau du
Code de Sécurité sociale. On remarquera par ailleurs que cette liberté est protégée par le
fait que la liste des établissements participants n’est pas directement diffusée par les
caisses d’assurance maladie mais par une autorité administrative extérieure.
En définitive, on admettra que l’intervention actuelle des caisses n’est pas plus
attentatoire aux prérogatives des mutuelles, institutions de prévoyance et sociétés
d’assurance qu’elle ne l’était auparavant. Les dispositions instaurées présentent juste la
particularité de généraliser un processus qui avait jusqu’ici un caractère facultatif.
Pourtant on ne peut nier que certains organismes complémentaires ont engagé des
recours contre la loi sur la CMU.
B/ LES RECOURS CONTENTIEUX A PROPOS DE LA PROTECTION
COMPLEMENTAIRE
Certains organismes complémentaires tels que la Fédération Française des
Sociétés d’Assurances (FFSA) ont porté plainte auprès de la Commission européenne
contre la loi sur la couverture maladie universelle pour « distorsion de concurrence ».
21
Cass. Soc., 13 janv 1994, Missions des caisses primaires d’assurance maladie et droit de la
concurrence
51
La FFSA a considéré que les assureurs privés étaient lésés par rapport aux caisses
d’assurance maladie et que les organismes complémentaires étaient mis à l’écart. Elle a
déclaré que les assureurs jouent « un rôle marginal » avec 20 000 contrats à peine alors
qu’ils financent la CMU par des prélèvements sur les contrats d’assurance22.
On s’aperçoit alors que bien que la loi portant création de la couverture maladie
universelle repose sur une construction qui a tenté de rapprocher caisses d’assurance
maladie et organismes complémentaires, elle n’a pas réussi pour autant à les associer
parfaitement.
Si l’on ne peut que se féliciter de l’achèvement de la couverture maladie, le rôle
nouveau dévolu à la protection complémentaire apparaît lui plus problématique. Dès
lors, la loi du 27 juillet 1999 laisse une impression mitigée. En effet, si la loi relative à
la couverture maladie universelle, rappelons-le, se fixe l’objectif de garantir l’accès aux
soins pour tous, on peut constater qu’en réalité certaines difficultés persistent.
22
Le monde, 29 juin 2000
52
SECONDE PARTIE
L’ACCES AUX SOINS EFFECTIF DE TOUS :
DE L’AFFICHAGE A LA REALITE
53
Les solutions retenues par le second volet de la loi du 27 juillet 1999, c’est-àdire la couverture complémentaire, posent à l’évidence divers problèmes susceptibles,
pour certains d’entre eux en tout cas, de restreindre en partie l’objectif proclamé de
rendre l’accès aux soins effectif pour tous. Se posent alors deux questions : celle de la
survenance des risques d’inégalités de traitement liés aux caractéristiques du nouveau
système de soins (Chapitre I), et celle du financement de ce nouveau système qui
représente un facteur déterminant dans la garantie de l’accès aux soins pour tous
(Chapitre II).
CHAPITRE I : LES RISQUES D’INEGALITES DE TRAITEMENTS LIES
AUX CARACTERISTIQUES DU NOUVEAU SYSTEME DE SOINS
Si en matière d’accès aux prestations de la Sécurité sociale le principe posé a
été celui de la gratuité en dessous d’un certain seuil et d’une progressivité au delà, par
contre le problème de l’accès à une assurance complémentaire a été davantage débattu.
En effet certains mécanismes du nouveau système de protection complémentaire vont
entraîner une restriction de l’accès aux soins (Section I). Il faudra par ailleurs se
demander si la détermination d’un panier de biens et services de santé remboursables
permet de fournir une réponse à l’ensemble des besoins de soins (Section II).
Section I/ LA RESTRICTION DE L’ACCES AUX SOINS
POUR TOUS
Les risques d’inégalité de traitement peuvent provenir non seulement de
l’adoption d’un seuil (§1) mais aussi du mode d’exercice médical (§2).
54
§1) LA QUESTION DE L’ADOPTION ET DE LA PERTINENCE DU
SEUIL RETENU
La solution qui se révèle la plus discutable, et qui en l’occurrence a été la plus
discutée au cours des débats, réside bien évidemment dans la fixation d’un seuil à partir
duquel il est possible de bénéficier gratuitement de la protection complémentaire (A).
Quelles solutions ont été envisagées pour parer à l’effet de seuil ? (B).
A/ LA FIXATION D’UN SEUIL : UN DISPOSITIF DISCUTABLE
Tel qu’il a été aménagé, ce seuil semble en effet éminemment contestable ; au
lieu d’avoir été « lissé » comme c’est souvent le cas s’agissant de prestations sociales
attribuées sous conditions de ressources, ce seuil a été au contraire conçu comme un
« seuil couperet » générateur en fait, sinon en droit, de graves inégalités : au-dessous de
3 500F, une personne remplissant les conditions légales bénéficiera, outre de
l’affiliation gratuite à un régime de base, d’une couverture complémentaire entièrement
gratuite elle aussi. Par contre au dessus de ce seuil, elle devra acquitter, outre une
cotisation proportionnelle à ses revenus pour bénéficier des prestations en espèce de
l’assurance maladie du régime de base, une cotisation volontaire à un organisme de
protection complémentaire, laquelle se fera au premier franc23.
Le constat est simple : ce mécanisme peut conduire à ce qu’on appelle « l’effet
de seuil ». Que signifie cette expression ?
Un certain nombre de droits et d’avantages sociaux ne sont attribués qu’aux personnes
et ménages se situant en dessous d’un certain seuil de ressources. Les personnes ou
ménages ayant des ressources juste un peu supérieures au seuil fixé ne bénéficient pas
23
BORGETTO (M.), op.cit., p.35
55
de ces droits ou avantages alors que leur situation est très proche des personnes qui
peuvent en bénéficier24.
Conscients des effets pervers et pour le moins aussi inéquitables qu’inégalitaires
engendrés par cette solution, les défenseurs du projet se sont certes efforcés d’en
minorer l’importance : pour eux, cet effet de seuil n’était pas aussi fâcheux qu’on
pouvait le penser dans la mesure où les personnes se situant au-dessus du seuil
pouvaient bénéficier de l’aide des fonds d’action sociale des caisses, de celle des
départements, de celle des CCAS et enfin de la possibilité prévue par la loi de voir créer
un fonds d’accompagnement à la protection complémentaire alimenté par des
contributions volontaires des organismes complémentaires.
Cependant il restait que les diverses aides susceptibles d’être apportées aux
personnes concernées par le plafond présentaient l’immense inconvénient de demeurer
facultatives et dépendaient donc du seul bon vouloir des organismes intéressés.
La question qu’il convient de se poser est alors la suivante : est il possible de remédier à
cette difficulté ?
B/ LES SOLUTIONS ENVISAGEES
Pour obvier à cet effet de seuil redoutable, un certain nombre de
parlementaires et d’associations ont préconisé, au cours des débats, de porter le plafond
de ressources de 3 500F à 3 800F qui correspond au seuil de pauvreté. Mais une telle
élévation ne constituait en fait qu’une « fausse-bonne idée ». Certes, elle aurait permis
d’intégrer dans la population protégée par la CMU environ 2 millions de personnes
supplémentaires ; néanmoins, elle aurait davantage abouti à déplacer le problème qu’à
véritablement le résoudre : les mêmes difficultés continuant de se poser pour les
personnes situées juste au-dessus de ce nouveau montant.
24
DEBIONNE (F.P.), La santé passe par la dignité, éd. Quart Monde et de l’Atelier, Paris,
2000, p.232
56
Aussi, pour éviter en toute hypothèse l’effet de seuil, la solution la plus
radicale résidait-elle sans doute dans celle qui avait été envisagée par le rapporteur du
projet J.C Boulard et qui fut reprise par la suite par les membres de l’opposition, en
particulier par les sénateurs : solution qui consistait à instaurer une « allocation
personnalisée santé » dégressive afin de permettre la solvabilisation de l’adhésion à un
régime complémentaire. Mais cette solution n’a pas été retenue25.
Dés lors, il y a tout lieu de penser, ainsi que le rapporteur du projet l’a d’ailleurs
expressément reconnu, que les débats sur la question des seuils risquent de se poser de
manière récurrente d’année en année26.
Il n’en reste pas moins que des actions devront être engagées pour « lisser »
cet effet de seuil. Ce sera le rôle en premier lieu des mécanismes d’action sociale ou de
secours gérés par les caisses ou les assureurs complémentaires. Cette action, facultative
et personnalisée, devra être renforcée et davantage ciblée vers les personnes situées
jusqu’au dessus du seuil.
On peut attendre de la protection d’entreprise qu’elle s’étende vers ceux qui n’en
bénéficient pas : salariés de petites entreprises, personnes en CDD… En ce sens la loi
du 27 juillet 1999 prévoit dans son article 21 deux dispositions nouvelles : une
obligation de négocier annuellement sur le thème de la prévoyance est imposée aux
entreprises de plus de cinquante salariés et l’extension d’une convention collective sera
subordonnée à la présence de clauses relatives à la couverture des frais de santé. Ces
mécanismes n’ont pas en eux-mêmes une grande force opératoire ; ils signalent
cependant là où le plus grand effort est à porter.
25
BORGETTO (M.), op. Cit., p.36
26
BOULARD (J.C), rapport, op. cit., p.133
57
Au delà de cette première difficulté inhérente aux seuils, difficulté qui risque
de rendre plus ou moins aléatoire l’accès effectif aux soins d’un certain nombre de
personnes tout en générant d’importantes inégalités entre des individus se trouvant dans
des situations comparables, il existe d’autres solutions discutables ou problématiques
sur lesquelles il importe de s’arrêter car elles aussi sont susceptibles de limiter la pleine
efficience de la loi.
§2) LES INEGALITES RELATIVES AU MODE D’EXERCICE MEDICAL
A propos du mode d’exercice médical, il convient d’envisager d’une part la
question de l’apparition éventuelle d’une médecine à deux vitesses (A) et d’autre part
celle de l’interdiction du refus de soins (B).
A/ L’APPARITION D’UNE MEDECINE A DEUX VITESSES
Nous analyserons ici les effets de l’absence de fixation d’un plafond de
dépenses pour la complémentaire puis l’impact de la médecine libérale sur le principe
d’égalité d’accès aux soins.
1) Les effets de l’absence de fixation d’un
plafond de dépenses pour la
complémentaire
Le docteur Michel Janssens souligne que la couverture maladie universelle a
pour but de « pallier l’écart croissant entre les progrès de la médecine et la sélection
économique pour y accéder ». Il précise qu’en revanche, la cohabitation de deux poids
deux mesures est injuste. La baisse continue des soins pris en charge par la Sécurité
sociale et l’inflation du coût de ces derniers touchent aussi de plein fouet les classes
moyennes. Parmi elles, tout le monde ne peut se payer une couverture complémentaire
suffisante. Selon lui « instaurer une Sécu à deux vitesses, c’est jouer avec le feu27 ».
27
JANSSENS (M.), Le paradoxe de la CMU,Impact médecin Hebdo n°469, 12 nov 1999, p.37
58
Parallèlement, Jean Marie Spaeth, président de la caisse nationale d’assurance
maladie précise que « contrairement aux autres assurés sociaux, les bénéficiaires de la
CMU n’auraient aucun plafond de dépenses pour la complémentaire. Le contraste entre
les deux régimes, l’un régulé et l’autre non, sera alors insupportable, notamment pour
l’optique et le dentaire ». Cette situation serait donc contraire au principe d’égalité dans
la mesure où seuls les assurés sociaux subissent la régulation qui est un impératif
général de politique de santé. Ce système ne constitue-t-il pas une nouvelle inégalité,
mais cette fois à l’égard des assurés ne bénéficiant pas des dispositions de la CMU.
2) L’impact de la médecine libérale sur le principe d’égalité d’accès aux soins
Le mode d’exercice médical peut induire un déséquilibre dans l’accès aux
soins. Les médecins ont en effet la possibilité d’exercer en secteur I ou II selon qu’ils
choisissent d’appliquer ou non les tarifs conventionnels des caisses d’assurance
maladie. Lorsqu’ils exercent en secteur II, la différence entre leurs honoraires fixés
librement et le tarif conventionnel est à la charge des assurés et s’ajoute au ticket
modérateur. Aucune régulation ne s’appliquant sur la répartition géographique de ces
deux modes d’exercice, il en résulte que la concentration de praticiens exerçant en
secteur II sur certaines villes ou certains quartiers crée de véritables zones de non-accès
aux soins pour les personnes qui ne disposent pas de couverture complémentaire
adaptée.
Il faut reconnaître néanmoins que dans le double souci d’assurer une
couverture aussi exhaustive que possible de l’ensemble des frais de soins et de maîtriser
la dépense, la loi a établi quelques mécanismes pour limiter les prix des actes ou biens
médicaux. Ainsi les médecins à honoraires libres (secteur II) seront tenus d’appliquer
les honoraires conventionnels, opposables, à l’égard des bénéficiaires de la CMU. De
même, la convention nationale qui lie les caisses d’assurance maladie et les chirurgiensdentistes aurait dû prévoir des tarifs maximum pour les soins dentaires prothétiques
dispensés aux mêmes personnes.
59
Il est toutefois permis d’analyser ces mécanismes : en effet, aucun véritable accord sur
les tarifs n’a pu être conclu avec les professionnels de santé, notamment les chirurgiensdentistes. Ces tarifs sont selon le texte de loi « opposables ». Ce terme a provoqué de
nombreuses réactions. Il convient de signaler que les tarifs opposables de la CMU
apparaissent inférieurs, pour certains actes, aux tarifs pratiqués habituellement par les
chirurgiens-dentistes. On relèvera par exemple que pour une couronne dentaire
métallique le prix maximum fixé par la loi pour un bénéficiaire de la CMU est de 1300F
(le tarif de remboursement étant de 705 F et le dépassement maximum de 595 F) alors
que le tarif conventionnel est fixé au maximum à 1 950F. Force est de constater que
pour deux prestations identiques, le chirurgien dentiste doit appliquer deux tarifs
différents. A l’évidence, le « tarif CMU » entraînera une perte de revenus pour le
professionnel. Ce dernier réfléchira nécessairement à la manière de combler ce manque
à gagner…
B/ REFUS DE SOINS ET BENEFICIAIRES DE LA CMU
Quelques mois après la création de la CMU, un certain nombre de médecins,
très peu heureusement, ont refusé de soigner des personnes bénéficiant de la couverture
maladie universelle, selon des informations transmises par quelques conseils
départementaux de l’Ordre.
1) La confrontation de la déontologie à la loi
Il ne s’agit pas ici de revenir sur le principe de la CMU, instituée par la loi du
27 juillet 1999, ni sur son volet spécifique au dentaire issu d’un décret du 31 décembre
1999. Il convient en revanche de confronter les obligations qui découlent de ces deux
textes aux dispositions du Code de déontologie28.
28
VERDIER (E.), La déontologie confrontée à la loi, Dentaire Hebdo, 6 avril 2000 p.3
60
Sur l’attitude à adopter par les caisses à l’égard des professionnels de santé
(médecins et chirurgiens-dentistes essentiellement) qui refusent de délivrer des soins
aux bénéficiaires de la CMU, il a été précisé que les seules dispositions applicables en
l’occurrence sont celles du Code de déontologie.
On peut constater toutefois que les dispositions inscrites dans ce code sont assez
ambiguës. Elles prévoient la possibilité pour le professionnel de santé de refuser de
délivrer des soins, y compris pour des motifs personnels, mais fixent par ailleurs un
principe selon lequel le médecin ne peut refuser des soins en se fondant sur des critères
discriminatoires reposant sur le sexe, la race ou la situation économique du patient.
Qu’en est-il exactement ?
Le chirurgien-dentiste qui voit arriver dans son cabinet un bénéficiaire de la
CMU a-t-il ou non l’obligation de le soigner, de soigner tous ceux qui se présenteront,
quitte à mettre en péril l’équilibre financier de son cabinet ? Une lecture attentive de la
loi nous incite à penser que le législateur n’a pas entendu bouleverser les principes
traditionnels précisés par l’article 26 du Code de déontologie et rappelés ci-après :
« Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, le chirurgien
dentiste a toujours le droit de refuser ses soins pour des raisons personnelles ou
professionnelles à condition :
 de ne jamais nuire de ce fait à son patient
 de s’assurer de la continuité des soins et de fournir à cet effet tous renseignements
utiles ».
Un chirurgien dentiste doit donc impérativement donner des soins en cas
d’urgence mais en dehors de ce cas, il n’est pas obligé de se charger d’un patient,
notamment pour des raisons professionnelles. C’est d’ailleurs le sens même de l’article
27 du même code qui commence ainsi : « le chirurgien-dentiste qui a accepté de donner
des soins à un patient s’oblige à lui assurer des soins éclairés ». L’acceptation du
chirurgien-dentiste est bien indispensable à la formation du contrat de soins.
61
Il faut en effet garder à l’esprit que les rapports entre le praticien et son patient
sont de nature contractuels : il s’agit d’un contrat, c’est-à-dire d’un accord de deux
volontés29, ainsi que l’a décidé la Cour de Cassation.30
Nous sommes néanmoins parfaitement conscients que le praticien ne doit pas
manquer à ses devoirs d’humanité. Nous retiendrons ainsi que sur la base d’une juste
interprétation des textes, le principe de non discrimination doit l’emporter de toute
évidence à l’égard des bénéficiaires de la CMU. Dans ce contexte, la caisse nationale
d’assurance maladie entend mettre en avant ce principe pour qu’il soit strictement
appliqué par les conseils de l’Ordre.
2) L’intervention des conseils de l’Ordre et de la CNAM
Il faut savoir que l’Ordre ne peut cautionner le refus de soins. Cet agissement
est passible de poursuites disciplinaires car il est contraire au Code de déontologie. La
démarche qui est concrètement envisagée par la CNAM pourrait être la suivante :
 disposer d’un système de recueil des signalements qui suppose de bâtir, au niveau
national, une action de communication en direction des bénéficiaires de la CMU
 proposer, dans l’hypothèse ou l’analyse des Conseils de l’Ordre s’avèrerait
différente de celle de la caisse nationale, une modification des dispositions du Code de
déontologie afin que la situation économique de l’assuré et ses conditions de prise en
charge ne constituent pas un motif de refus de délivrer des soins.
Après avoir soulevé la question des inégalités liées au mode d’exercice
médical, il semble important dès à présent de réfléchir à la place du panier de biens et
services.
29
Les chirurgiens-dentistes face à la couverture maladie universelle dite CMU, Information
Dentaire n°12 du 22 mars 2000
30
C.Cass, 20 mai 1936, mercier
62
Section II/ LE PANIER DE BIENS ET SERVICES : UNE REPONSE
A L’ENSEMBLE DES BESOINS DE SOINS ?
La restructuration du système de soins vise à maintenir la qualité des
prestations de soins ou à la renforcer, tout en oeuvrant d’une part à une plus grande
équité dans la dispensation de cette offre, d’autre part en s’assurant que cette offre de
soins est consacrée aux priorités de santé et compatible avec les ressources disponibles
affectées aux soins ou plus globalement à la santé. Dans cette perspective, le panier de
biens et services apparaît comme une innovation (§1), cependant il n’apporte une
solution pleinement satisfaisante (§2).
§1) LE PANIER DE BIENS ET SERVICES : PRINCIPES ET INNOVATIONS
On examinera successivement la détermination du panier de biens et services
(A) et son contenu (B).
A/ LA DETERMINATION D’UN PANIER DE BIENS ET SERVICES
Il convient de définir le concept de panier de biens et services pour en
apprécier les enjeux.
1) La définition du concept
Le panier de biens et services (PBS) peut être défini comme la liste des
services de santé et des biens médicaux faisant l’objet d’une prise en charge par la
tutelle et / ou les assureurs obligatoires et complémentaires. Evoquer ce panier dans un
système de santé conduit à s’interroger sur les choix qu’une société, à un moment
donné, est amenée à effectuer pour retenir des priorités. L’analyse du PBS doit porter à
la fois sur son contenu et sur ses déterminants institutionnels.
63
L’élaboration du PBS utilise une expertise scientifique, mais elle nécessite
aussi des choix d’ordre politique, et ces deux niveaux doivent être articulés31.
L’ensemble des biens et services pris en charge actuellement en France
constitue la résultante de l’ évolution des facteurs régissant l’organisation du système de
soins : il s’agit des valeurs sociétales, de l’environnement socio-économique, de la
protection sociale, et enfin de la croissance de l’offre médicale. L’analyse de
détermination du panier de biens et services doit poser la question du champ de prise en
charge, et de la variabilité du périmètre de ce champ, compte tenu de l’évolution des
nouvelles possibilités d’investigation médicale et des attentes que ces dernières
génèrent.
Il convient de souligner que la santé est un domaine d’intervention public
soumis à la problématique du « collectivement possible ». Il s’agit pour les responsables
de fonder leurs décisions sur une éthique des choix : recherche de l’égalité d’accès aux
soins, recherche de l’efficacité et de l’efficience exprimant la capacité d’un système de
santé à proposer ses produits pour un maximum de satisfaction compte tenu des
contraintes économiques.
La question de la légitimité des choix devra alors être posée. Qui va définir les
modalités d’inclusion des biens et services au sein de ce panier ? Sur quels critères
s’effectue « l’entrée dans le panier » ? Parallèlement, faut-il définir des modalités,
conditions ou critères de sortie de panier ?
On doit garder à l’esprit que l’évolution de l’état de santé de population, l’évolution des
risques et des techniques vont rendre caducs ou inappropriés les critères qui auront
légitimement à un moment donné justifié l’admission dans le panier.
31
Haut Comité de la Santé Publique, rapport sur le panier de biens et services de santé, janv.
2000,119 p.
64
2) Les enjeux pour le bénéficiaire
Le panier de soins couverts est un élément du contrat assureur/assuré. Les
individus qui souscrivent une assurance souhaitent savoir quel est le champ de la
couverture et quelles en sont les modalités (taux de couverture, plafond…) ; l’assureur
est généralement prêt à proposer un panier de soins plus vaste en échange de primes
plus importantes. L’assuré peut accepter de payer plus pour une couverture plus
généreuse d’un panier de soins plus étendu ou il peut rechigner à souscrire un contrat
dont les garanties sont trop restreintes à ses yeux. En théorie au moins, les assurés et les
assureurs mettent en balance le montant des cotisations et l’étendue des prestations.
Transposée à l’assurance maladie obligatoire, cette remarque implique que la
définition d’un panier de soins remboursables ne devrait pas être dissociée de la fixation
d’un taux ou d’un montant des prélèvements. Réduire (ou augmenter) le PBS pour un
montant fixe de prélèvements revient à diminuer (ou augmenter) l’intérêt perçu pour
l’assurance maladie.
B/ LE CONTENU DU PANIER DE BIENS ET SERVICES
La couverture maladie universelle offre un panier de soins plutôt large dans le
but d’atteindre une qualité optimale.
1) Le panier de soins offert par la CMU
Ce panier de soins dispose d’un cadre assez large dans la mesure où il
comprend l’ensemble des soins ambulatoires tant en médecine générale qu’en médecine
spécialisée dans le cadre des tarifs conventionnés. Il comprend également l’ensemble
des prestations d’hospitalisation tant dans le cadre des hôpitaux publics que des
cliniques conventionnées, et ce sans limitation de durée. Il comprend enfin tous les
médicaments remboursés par la Sécurité sociale, sans aucune limitation.
65
Ainsi pour les consultations médicales, les soins de ville, les médicaments
remboursés, le bénéficiaire n’a-t-il rien à payer.
En termes de remboursement, on peut donc constater avec l’instauration de la CMU une
nette évolution, un véritable progrès visant à l’extension de la protection sociale. Ce
panier de soins innove surtout dans les domaines dentaire, optique et du matériel
médical, domaines les moins bien remboursés par la sécurité sociale jusque là.
2) La recherche d’une qualité optimale
La qualité du système de soins apparaît devoir prendre en compte de façon
plus importante les attentes des bénéficiaires. Parmi celles-ci il faut souligner les
inquiétudes suscitées par la politique de maîtrise des dépenses qui pourrait faire
restreindre le champ des prestations assurées par l’assurance maladie, au profit des
assurances privées. La démarche qualité est également apparue comme le critère
fondant le plan stratégique de la CNAMTS présenté en juillet 1999.
Les arguments mis en avant ont souligné que cette démarche qualité était
nécessairement sélective devant d’abord déterminer les besoins pris en charge. On
conçoit bien ainsi que la démarche de qualité d’un système de soins passe par la
définition des priorités et des choix en la matière, et que naturellement, le panier de
biens et services, qui constitue le « noyau dur » des prestations doit s’inscrire
directement dans le droit fil de ces priorités.
En ce sens, panier de biens et services et qualité du système de soins sont deux
concepts étroitement liés et nécessairement synergiques. Dans cette perspective la
CNAMTS propose de définir le périmètre du panier de biens et services qui peut alors
se mesurer :
 à la qualité des objectifs de santé définis par des choix de priorités
 à la qualité des modalités d’inclusion dans le panier, à partir de critères transparents.
La qualité doit aussi prendre en compte la demande sociale, notamment celle relative au
confort et au bien-être.
66
La lutte contre la douleur, l’accompagnement de fin de vie, la préservation de la dignité
des personnes et le respect de leur identité apparaissent aussi comme des exigences
qu’un système de soins doit intégrer en tant que critères majeurs. Ils ne sauraient donc
être absents du panier de biens et services.
On retiendra que ce dernier constitue un ensemble de prestations qui doit être capable
de répondre à des besoins de soins. Le concept de ce panier remboursable trouve sa
logique et son fondement dans des principes d’efficience et de solidarité.
L’idée dominante est ici qu’il faut pouvoir offrir ces soins à tous car il s’agit dans un
Etat démocratique d’un droit fondamental pour tous les résidents.
Nous l’avons dit, le panier de biens et services offre de larges prestations.
Cependant, le principe de réalité, que l’évolution des dépenses de santé a mis en
évidence depuis plusieurs années, est que s’il faut effectivement des soins pour tous cela
ne peut concerner tous les soins, tout au moins si l’on considère ici les soins pris en
charge par l’assurance maladie, c’est-à-dire au titre de la solidarité nationale.
§2) PANIER DE BIENS ET SERVICES : UNE SOLUTION INSATISFAISANTE
Si l’on tente de procéder à une évaluation du dispositif (A), on s’aperçoit que
celui-ci est fondé sur une approche essentiellement comptable (B).
A/ L’EVALUATION DU DISPOSITIF
Il faut prendre en considération que dans l’élaboration du contenu de la
protection essentielle apportée par la CMU il existe d’une part un panier de base et
d’autre part une complémentaire. L’accès au panier est donc un droit fondé sur deux
modes d’accès. Dés lors, si l’accès pour tous peut paraître a priori assuré, l’égalité en
matière de couverture doit être analysée en raison des modes d’accès. En d’autres
termes, si tout le monde a droit à une couverture, il semble que celle-ci ne demeure pas
égale pour tous, car deux éléments définissent la qualité de cette couverture : la base et
la complémentaire.
67
La CMU constitue une contribution importante à la définition du panier de soins. En
effet, elle se trouve confrontée à la nécessité de définir un contenu en raison des
estimations indispensables des coûts à provisionner pour assurer les dépenses de santé
induites, en particulier dans le champ d’application de biens comme l’optique ou les
prothèses dentaires.
La question est alors ici de savoir si la gamme des prestations offertes aux
assurés bénéficiaires de la CMU se confondra avec la gamme offerte aux assurés non
bénéficiaires de la CMU. On a pu constater que les tarifs pratiqués seront différents
selon qu’ils concernent les uns ou les autres. On peut par conséquent craindre que ces
deux populations ne bénéficient pas exactement des mêmes soins. Ceci conduirait à des
risques d’inégalités de traitement liées aux caractéristiques du nouveau système de
soins.
Il ressort que le panier de biens et services ne doit pas être un simple élément régulateur
de l’égalité dans l’accès aux soins, il doit surtout constituer, par l’élargissement de son
concept (et de ses prestations), un élément véritablement correcteur des inégalités en
matière de santé. Cela suppose qu’il devienne l’une des composantes d’une politique de
santé publique, capable de prendre en compte les comportements, et d’être réellement
ouvert et structuré à partir des priorités de santé telles qu’elles peuvent être définies
dans le cadre des politiques nationales (Conférence nationale de santé) ou régionales
(Conférences régionales de santé).
B/ UNE APPROCHE ESSENTIELLEMENT COMPTABLE DU PANIER DE
BIENS ET SERVICES
La définition du panier de biens et services présente certaines innovations
importantes mais certains ont déploré cependant que l’approche utilisée ait été
essentiellement comptable : il fallait que les dépenses par personne entrent dans une
enveloppe convenue au départ entre les divers financeurs et ne dépassant pas 1 500F par
personne et par an .
68
Ce qui ne posait pas de problème pour la prise en charge du ticket modérateur
et du forfait journalier, était en revanche problématique pour les soins optiques et
dentaires.
Une autre critique a été formulée : la prise en compte des priorités de santé publique
dans les diverses phases d’élaboration du panier de soins a été peu explicite.
Par ailleurs, il faut veiller à ce que le panier de soins tel que défini dans le
cadre de la CMU ne devienne pas un panier de soins minimal, réservé aux plus pauvres,
qui se distinguerait peu à peu du panier de soins réservé à ceux qui relèveraient de
complémentaires payantes.
L’opinion publique a largement pris conscience de la nécessité de la mise en
place d’une couverture maladie universelle. Se pose, cependant, la question de son
financement. Il s’agit évidemment d’un facteur déterminant dans la garantie de l’accès
aux soins pour tous.
69
Chapitre II : LE FINANCEMENT, UN FACTEUR
DETERMINANT DANS LA GARANTIE DE L’ACCES AUX
SOINS POUR TOUS
Notre étude portera à la fois sur les modalités de financement (Section I) et sur
l’orientation de la participation financière (section II).
Section I/ LES MODALITES DE FINANCEMENT
Il convient de distinguer deux modes de financement selon que l’on envisage
la couverture de base ou la protection complémentaire (§1). Pour la part
complémentaire, des difficultés juridiques relatives à la création d’un fonds de
financement sont apparues (§2).
§1) LA DISTINCTION ENTRE DEUX MODES DE FINANCEMENT
La couverture de base est assurée par le régime général de l’assurance maladie
qui bénéficie de transferts financiers importants (A). Par ailleurs, la création d’un fonds
de financement permet de couvrir les dépenses de la protection complémentaire (B).
A/ DES TRANSFERTS FINANCIERS POUR LA COUVERTURE DE BASE
La couverture de base est assumée par le régime général de l’assurance
maladie. Pour ce faire, cette dernière bénéficie d’un certain nombre de transferts :
pour compenser la suppression de la prise en charge par le fonds de solidarité vieillesse
d’une partie des cotisations d’assurance personnelle la loi relative à la CMU prévoit la
modification de la répartition des droits de consommation sur les alcools (transfert de
5 % des droits de consommation sur les alcools, du fonds de solidarité vieillesse vers la
caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés).
70
Pour combler la suppression de la prise en charge d’une partie des cotisations
d’assurance personnelle par la caisse d’allocation familiale, la loi modifie l’affectation
du prélèvement social de 28% sur les revenus du patrimoine.
La suppression de la prise en charge par les dépenses de l’Etat d’une partie des
cotisations d’assurance personnelle et compensée par une modification de la clef de
répartition des droits sur le tabac par la loi de finances pour 2000.
Enfin, concernant la suppression de la répartition du déficit de l’assurance personnelle,
il est prévu d’affecter l’intégralité de la cotisation sur les véhicules à moteur à la seule
caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés.
On peut remarquer que si le schéma imaginé paraît relativement clair, il n’en
demeure pas moins que les recettes affectées paraissent insuffisantes.
En effet, le calcul de ces dernières a été effectué à partir d’une prévision minimale qui
prévoit le bénéfice de la couverture maladie de base pour 150 000 personnes pour une
dépense moyenne de 4 000F par assuré. De plus, il faut savoir que les modalités de
financement n’ont été calculées que pour un an. Ainsi il semble que cette extension loin
de se faire à coût maîtriser et à finances constantes aboutira à des dépenses
supplémentaires et à des moindres recettes pour la sécurité sociale32.
B/ LA CREATION D’UN FONDS DE FINANCEMENT POUR LA
PROTECTION COMPLEMENTAIRE
Pour la couverture complémentaire les modalités semblent plus aléatoires.
Selon l’article L. 862-1 nouveau du Code de sécurité sociale, il est créé un fonds dont la
mission est de financer la couverture complémentaire. Ce fonds dénommé « fonds de
financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque
maladie » est un établissement public national à caractère administratif.
32
LONG (M.), La mise en place de la « couverture maladie universelle », JCP n°49, 8
déc.1999, p.2191
71
Le décret n°99-1028 du 9 décembre 1999 fixe la composition du conseil
d’administration.
Il comprend sept membres : le président, trois représentants du ministre chargé de la
Sécurité sociale, deux représentants du ministre chargé du budget et un représentant du
ministre chargé de l’économie.
Le conseil d’administration est assisté d’un conseil de surveillance, lequel est composé
de trente membres comprenant : trois membres de l’Assemblée nationale et trois
membres du Sénat, huit représentants des organisations oeuvrant dans le domaine
économique et social en faveur des populations les plus démunies désignés par le
ministre chargé de la Sécurité sociale et choisis notamment au sein d’organismes
exerçant une action sanitaire et sociale, six représentants des régimes obligatoires
d’assurance maladie et dix représentants des organismes de protection sociale
complémentaire.
Comme on a eu l’occasion de le souligner, la gestion partenariale a été menée
à son terme puisque le secteur privé est associé si ce n’est à la direction de ce fonds, tout
au moins à son contrôle. En matière de financement, par contre, le dispositif est
particulièrement complexe. En effet, le fonds est alimenté à la fois par l’Etat et par les
organismes de protection complémentaire33. Il convient de distinguer ici les recettes et
les dépenses.
En recettes, ce fonds perçoit le produit d’un nouveau prélèvement opéré auprès
des assureurs complémentaires sur le montant des cotisations ou primes versées pour les
contrats « frais de santé ». Le taux de cette contribution est fixé à 1,75% et son
rendement évalué à 1,8 milliard de francs. Tout organisme assureur peut déduire du
montant de cette taxe une somme forfaitaire annuelle de 1 500F pour chaque personne
couverte auprès de lui au titre de la CMU.
33
MARIE (R.), op. cit., p.19
72
Une dotation de l’Etat assure l’équilibre du fonds. Cette dotation devrait être de sept
milliards dont cinq seront « récupérés par l’Etat » auprès des départements, déchargés
de leur rôle de « complémentaire » au titre de l’aide médicale34.
Les dépenses du fonds sont constituées, d’une part, du remboursement aux
caisses d’assurance maladie des sommes engagées pour la couverture complémentaire
et, d’autre part, du versement aux assureurs complémentaires des sommes qui leur sont
dues dans le cas où le total de leurs déductions de 1 500F est supérieur au montant de
leur contribution.
Pour un dispositif appelé à couvrir six millions de personnes, la dépense est estimée à
environ neuf milliards de francs (cf. annexe 3).
§2) LES DIFFICULTES JURIDIQUES ISSUES DE LA CREATION DU FONDS
DE FINANCEMENT
L’idée de créer un tel fonds, par son ampleur, ne pouvait que provoquer des
débats au moment de sa mise en œuvre. Il n’est pas possible de reprendre toutes les
discussions mais quelques éclairages sur les orientations prises pourrons nous aider à
appréhender les principales critiques portées sur la création du fonds de
financement notamment quant à la détermination de la nature juridique du fonds de
financement (A), et au principe de l’égalité devant les charges publiques (B).
A/ LA DETERMINATION DE LA NATURE
JURIDIQUE DU FONDS DE
FINANCEMENT
L’article 27 de la loi portant création de la couverture maladie universelle
insère, dans le Code le la Sécurité sociale un article L. 862-1 créant un fonds, dont la
mission est de financer la couverture des dépenses de santé résultant de la mise en place
34
LEVY (C.), MONY (P.) et VOLOVITCH (P.), La CMU : ce qui doit changer,Dr. Soc. n°1
janv.2000, p.60
73
d’une protection complémentaire. Cet article a été contesté par certains députés devant
le Conseil constitutionnel35. Les requérants invoquaient une méconnaissance des
dispositions de l’article 34 de la Constitution qui donnent compétence au législateur
pour fixer les règles concernant la création des catégories d’établissements publics.
Partant de l’idée que ce fonds ne pouvait se rattacher à aucune catégorie
existante et constatant que la loi déférée n’en déterminait pas les règles essentielles
appelées à le régir, ils en déduisaient que le législateur n’avait pas exercé pleinement sa
compétence.
Le Gouvernement a formulé des observations sur le recours dirigé contre la
loi. Il a considéré que cette argumentation ne pouvait être accueillie. Selon lui, il résulte
en effet de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que doivent être regardés comme
entrant dans une même catégorie les établissements publics dont l’activité s’exerce
territorialement sous la même tutelle administrative et qui ont une spécialité analogue.
Au regard de ces critères, le fonds de financement de la CMU ne constitue nullement
une catégorie nouvelle. Il a été construit sur le modèle du fonds de solidarité vieillesse
(FSV) créé par la loi n°93-936 du 22 juillet 1993, et dont les éléments constitutifs sont
précisés par les articles L. 135-1 et suivants du Code de la Sécurité sociale. Il a, de la
même manière, le caractère d’un établissement public administratif à compétence
nationale, placé sous tutelle ministérielle. Il a, comme le FSV, pour objet d’organiser
des transferts financiers dans le domaine de la protection sociale. Il aurait donc pu être
créé par décret.
Si sa création figure néanmoins dans la loi, c’est parce qu’il a été jugé
nécessaire de garantir la cohérence financière du dispositif mis en place : les ressources
fiscales du fonds devant être prévues par la loi, il était logique de prévoir les règles de
constitution et de fonctionnement du fonds dans le même texte.
35
Saisine du Conseil constitutionnel en date du 30 juin 1999 citée dans la décision n°99-416
DC, JO 28 juillet 1999, p.11255
74
Il aurait notamment été particulièrement difficile de mettre en place le prélèvement de
1,75 % des assureurs et le reversement de 1 500 F par bénéficiaire de la CMU si le
fonds n’avait pas été créé dans la loi, dans la mesure où, d’une part, le prélèvement est
versé par les URSSAF au fonds et où, d’autre part, les organismes assureurs sont
susceptibles de lui demander le reversement des 1 500 F par bénéficiaire lorsque ce
reversement excède le montant de la contribution due.
B/ LE PRINCIPE DE L’EGALITE DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES
L’institution du prélèvement de 1,75 % sur le chiffre d’affaires santé des
organismes complémentaires a été également contesté. Les requérants estimaient que
cette institution méconnaissait le principe d’égalité devant les charges publiques. Selon
les observations du Gouvernement on ne pouvait contester le non-assujettissement à ce
prélèvement des caisses primaires d’assurance maladie, dès lors que, comme il a déjà
été souligné, les caisses et les organismes complémentaires ne sont pas placés dans la
même situation au regard de la couverture maladie universelle.
Ce prélèvement a pour objet de faire participer les organismes complémentaires servant
des prestations maladie au financement de la protection complémentaire maladie des
bénéficiaires de la CMU. L’assiette de la contribution, constituée des primes et
cotisations émises au titre de la protection complémentaire en matière de frais de soins
de santé, est la traduction de cette participation. Et dès lors que ces organismes
constituent une catégorie, à la fois suffisamment homogène et distincte, tant des CPAM
que d’autres organismes, le législateur a pu, sans méconnaître l’égalité devant les
charges publiques, les soumettre spécifiquement à ce prélèvement36.
Les caisses primaires d’assurance maladie ne sauraient être assujetties à ce
prélèvement : elles ne prélèvent aucune cotisation au titre de la protection
complémentaire maladie, n’ayant pas de compétence en la matière, autrement que par
36
n°84-184 DC du 29 déc.1984
75
délégation de l’Etat. On soulignera toutefois que l’Etat participe en revanche au
financement du dispositif : c’est même lui qui assume l’essentiel de son financement.
Alors que la participation des assureurs au fonds de financement de la protection
maladie complémentaire devrait s’élever à près de 2 milliards de francs, celle de l’Etat
est évaluée à 7 milliards. On en déduira alors que la participation des organismes
complémentaires ne couvre qu’une partie du coût la protection complémentaire, la
solidarité nationale assumant l’autre partie.
SECTION II/ UNE PARTICIPATION FINANCIERE ORIENTEE
VERS LA SOLIDARITE
La contribution au financement de la CMU repose sur un principe de
solidarité. Quels sont donc les fondements de cette solidarité ? (§1) Quelle est son
étendue ? (§2)
§1) LES FONDEMENTS D’UN FINANCEMENT SOLIDAIRE
A l’heure actuelle, le principe de solidarité apparaît comme la justification la
plus couramment admise, la situation privilégiée dont il bénéficie résultant aussi bien de
sa réelle pertinence sur le plan théorique (A) que des insuffisances de la protection
privée (B).
A/ LA PERTINENCE THEORIQUE DU PRINCIPE DE SOLIDARITE
Le financement de la couverture maladie universelle repose sur le mécanisme
de la solidarité. Si l’idée de solidarité renvoie à un fait, c’est-à-dire à une situation, elle
renvoie aussi à un principe ou à un devoir, c’est-à-dire à une prescription. Or c’est bien
évidemment à ce dernier titre, en l’occurrence en sa qualité de principe devant guider et
inspirer l’action des pouvoirs publics, que la solidarité prend toute sa valeur : c’est parce
que le principe de solidarité exige que la société accorde une aide à tous ceux qui en ont
76
besoin que sont instituées et initiées un certain nombre de prestations et d’action en
matière sociale.
Dès lors, la question se déplace d’un cran : pourquoi ou au nom de quoi la solidarité
constitue-t-elle un principe de base de la société ?
La réponse doit être cherchée dans l’idée démocratique telle que celle-ci est ressortie de
plusieurs siècles de luttes et telle qu’elle prévaut à l’heure actuelle : à savoir qu’il ne
saurait y avoir accomplissement véritable de cette idée sans mise en œuvre corrélative
du principe de solidarité37.
B/ LES INSUFFISANCES DE LA PROTECTION PRIVEE
La couverture maladie universelle est précisément un système de solidarité
collective, largement organisé et financé par les pouvoirs publics et placé sous leur
responsabilité. Elle correspond à des besoins dont la satisfaction pourrait être laissée à
l’initiative des individus et assurée par diverses formules d’épargne individuelle ou
d’assurances fonctionnant selon les mécanismes du marché. Mais les pouvoirs publics
ainsi que les partenaires sociaux estiment qu’elle remplit une mission de protection
indispensable. Ils agissent en tant que « tuteurs » des individus et des familles en leur
imposant des mécanismes de solidarité qui reposent sur une redistribution des revenus.
La couverture maladie universelle est donc fondée sur les insuffisances de la
protection privée. Celle-ci peut revêtir plusieurs formes qui sont très utiles mais qui
présentent toutes des déficiences par rapport à la protection fournie par la CMU :
 l’autoprotection correspond à une épargne individuelle de précaution. Elle repose
sur la responsabilité individuelle, chacun procédant comme il l’entend, suivant sa
propre perception des risques auxquels il est exposé et sa propre psychologie. Mais
elle ne peut concerner que les individus et les foyers qui disposent de ressources
suffisantes pour pouvoir épargner et renforce encore les conséquences des inégalités de
revenus.
37
BORGETTO (M.), LAFORE (R.),Droit de l’aide et de l’action sociales, 2e édition, Paris,
Montchrestien, pp.30-32
77
 La solidarité familiale est également très précieuse. Mais, outre le fait qu’elle peut
se heurter, elle aussi, au problème de l’insuffisance des ressources, elle est inapplicable
aux individus isolés.
 La charité est loin d’être négligeable, mais le rôle qu’elle joue aujourd’hui, surtout
dans les pays développés et dans les milieux urbains, n’est que très subsidiaire.
Quant à l’aide qu’elle apporte, elle revêt un caractère à la fois facultatif et subjectif qui
correspond mal aux conceptions actuelles de la justice sociale.
 L’assurance présente, par rapport aux autres modes de protection évoquées,
l’avantage d’opérer sur des bases plus larges, permettant de répartir entre tous les
assurés la charge des préjudices subits par certains d’entre eux. Mais elle rencontre des
limites importantes. D’abord elle se prête mal à la couverture de certaines éventualités
telles que le chômage ou les charges familiales. Ensuite, elle fonctionne selon les
mécanismes du marché. Ainsi, dans le domaine de la couverture maladie, si
l’assurance est facultative, les compagnies peuvent refuser les personnes à haut risque,
et même si l’assurance est obligatoire, elles sont néanmoins conduites à chercher à
attirer des personnes jeunes et en bonne santé et à appliquer des tarifs élevés à celles
qui sont âgées ou qui ont des antécédents médicaux.
Par contre, l’affiliation obligatoire à un régime de Sécurité sociale financé, non
pas par des tarifs établis en tenant compte de la probabilité de réalisation des risques
couverts, mais par des impôts ou des cotisations, coupe court à ces difficultés. C’est
dans ces conditions que la couverture maladie universelle peut mettre en œuvre une
véritable solidarité38.
§2) L’ETENDUE DE LA SOLIDARITE ASSURANT LE FINANCEMENT
La collectivité nationale supporte la charge financière des dépenses liées aux
soins (A). Néanmoins, cette capacité est limitée (B).
38
EUZEBY (A.), Sécurité sociale : une solidarité indispensable, Revue internationale de
Sécurité sociale, mars 1997
78
A/ LA CAPACITE DE LA COLLECTIVITE NATIONALE A SUPPORTER LA
CHARGE FINANCIERE DES DEPENSES LIEES AUX SOINS
L’assurance maladie a choisi, dès sa création de rembourser les soins des
patients et non de financer directement l’offre de soins.
La somme des soins aujourd’hui remboursable par l’assurance maladie s’est constituée
par sédimentation successive de produits et biens médicaux nombreux, jugés à même
d’apporter, au moment de leur admission au remboursement, une réponse médicalement
pertinente au besoin du patient.
La collectivité nationale supporte donc l’intégralité de cette dépense admise comme
remboursable. A travers l’assurance maladie, les finances publiques devaient payer
chaque année des services dont l’efficacité médicale s’était réduite au fil du temps, du
simple fait de l’arrivée dans le champ des soins remboursables de techniques et
prestations beaucoup plus efficientes.
La conséquence directe de cette situation était que d’un côté, l’assurance
maladie continuait de payer à guichet ouvert pour des biens dont le remboursement
pouvait être discutable ; de l’autre, elle ne pouvait pas consacrer suffisamment de fonds
à des dépenses dont l’utilité médicale n’était pas contestable, par exemple à des soins
mal remboursés aujourd’hui (optique, dentaire).
L’analyse préalable à l’élaboration du plan de réforme du système de soins a donc
permis à l ‘assurance maladie de brosser le constat d’une triple carence : d’abord, une
offre de soins non maîtrisée ; ensuite, un accès aux soins très inégal et donc inéquitable ;
enfin, une dépense dont l’utilité médicale n’est pas toujours fondée et qui est pourtant
prise en charge par la collectivité.
B/ LES LIMITES A LA SOLIDARITE
On peut relever que le niveau de la prestation complémentaire CMU augmenté
du service de la dispense d’avance de frais aura un effet d’entraînement sur la demande,
à plus ou moins brève échéance.
79
Il serait alors bien étonnant que ceux qui paient leur couverture
complémentaire pour des garanties parfois inférieures, ne demandent pas au moins le
même niveau de prestations et de services que ceux qui ne paient pas, grâce au
financement solidaire des premiers qui plus est. Il semble en effet essentiel que soit
garantie une véritable solidarité envers ceux qui ne peuvent s’offrir une protection
complémentaire. Cependant, jusqu’où cette solidarité doit- elle aller ? La question reste
posée.
80
CONCLUSION
La loi du 27 juillet 1999 portant création d’une Couverture Maladie
Universelle vient mettre un terme à plusieurs années d’efforts (et aussi de débats) visant
à améliorer la protection sociale des plus démunis en matière d’accès aux soins. Cette
loi apparaît comme un dispositif tout à la fois opportun et novateur susceptible de
diminuer sensiblement les difficultés rencontrées par une partie importante de la
population dans le domaine de la santé.
En définitive, on retiendra que l’heure n’est plus à la contestation d’une
réforme tant attendue et n’est pas encore à son perfectionnement. Maintenant l’essentiel
est d’en réussir la mise en œuvre.
Elle n’est pas simple. Les différents acteurs du système institutionnel doivent
essayer de maîtriser de nouvelles missions. On peut alors souhaiter que chacun, plutôt
que de contester la légitimité de l’autre à agir, s’affaire à se mettre en état de relever les
défis d’une loi qui n’est ni parfaite, ni définitive. On atteindra un niveau de protection
sociale comparable à ceux de nos voisins européens qu’au prix d’une construction à
deux étages : régimes de base et régimes complémentaires. Ceci est vrai en matière de
retraite. C’est vrai jusqu’ici en matière de maladie pour ceux qui en avaient la capacité.
Ce le sera bientôt pour tout le monde.
Cette réforme conduit, cependant, à s’interroger sur le niveau de protection des
régimes de base. Cette interrogation est cruciale pour la population qui ne bénéficiera
pas de la protection complémentaire CMU mais n’aura pas les moyens d’une couverture
payante ou ne l’acquerra qu’avec des sacrifices. Il est donc illusoire de croire nos
régimes dispensés d’accroître leur niveau de remboursement. C’est la meilleure
justification d’une politique de maîtrise des dépenses : dépenser mieux, dégager des
ressources nouvelles et couvrir des besoins insatisfaits.
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