Le Destin chez les Nordiques - Racines et Traditions en Pays d

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Le Destin chez les Nordiques - Racines et Traditions en Pays d
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Vu sur www.voiespaiennes.org le 1° mai 2005
“Le Destin chez les Nordiques”
de Denis Dornoy
Tous les peuples du monde ont une idée du destin. Pour faire face aux imprévus de la vie, différentes cultures font usage d’enseignements divers, souvent
sous formes de mythes*, de légendes d’enseignements religieux.
Le destin, un des concepts les plus importants de l'existence humaine, est au centre de
plusieurs mythologies européennes, dont la mythologie scandinave. Les mythes fondateurs nordiques le placent au centre même de la cosmologie. Tout mythe a un
but pédagogique: il transmet un enseignement. Avec le mythe du destin, ce sont les
principes de l'action, de ses conséquences et de ses responsabilités qui sont enseignés.
Principes hautement pratiques, utiles, et encore enseignés par l'exemple dans la Scandinavie d'aujourd'hui. Commençons par rappeler le mythe, avant de voir comment il est
toujours vécu aujourd'hui.
C'est au centre du monde que se dresse le frêne sacré nommé Yggdrasil [cf. art. r.t :
Irminsul*]. Cet arbre gigantesque, véritable arbre de vie qu'on retrouve dans un très
grand nombre de cultures, symbolise toutes les différentes formes d'existence. Il maintient leur équilibre jusqu'à Ragnarök, qui marque la fin chaotique et destructrice d'un
cycle de création. On peut dire que c'est Yggdrasil qui “porte le monde”. Cet arbre
prend racine dans trois mondes différents. La première racine provient du monde des
géants, au puits de Mimir et la seconde commence au monde des morts. La troisième
racine commence à Asgaard, dans le monde des dieux, au puits d'Urd. C'est là
qu'œuvrent les trois déesses du destin : Urd, Verdande et Skuld, appelées les nornes. Il
est utile de s'attarder quelques instants sur ce puits d'Urd. Son eau, qui est lumineuse
et éclaire le monde, rafraîchit et humecte la racine d'Yggdrasil, le maintenant ainsi en
vie. Car si cette racine venait à sécher, le frêne mourrait, et un cycle prendrait fin dans
la catastrophe de Ragnarök. Ce puits d'Urd est dont un endroit hautement névralgique
: il assure la stabilité de l'univers entier. Tous les jours, les nornes, responsable du maintien du monde, arrosent la racine d'Yggdrasil avec son eau. Il marque la succession des
jours : il éclaire le monde, et quand les nornes le couvrent, la nuit tombe.
Les nornes président non seulement au destin des hommes, mais aussi à celui des
dieux* et des géants. Dans la tradition nordique, les dieux sont en effet également soumis au destin. Leur fin dans la catastrophe de Ragnarök, la mort de Balder et bien
d'autres événements, heureux et malheureux, sont décidés depuis le début des temps
par le fil que tissent les nornes, et qu'on appelle parfois le Wyrd – un nom qui provient
de “Urd” et que l'on retrouve chez Shakespeare sous le nom des trois “Weird
sisters”, qui décident du destin de MacBeth. Mais qui sont donc ces nornes, qui possèdent un pouvoir si étendu, au point de contrôler le destin des dieux ? Ce sont trois
divinités féminines qui tissent littéralement le destin des hommes. Ce dernier est représenté par un fil, commencé à la naissance, et qui finit par se rompre à la mort. Chaque
homme a son fil, qui passe par les mains des trois nornes.
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Commençons par la plus âgée. Elle s'appelle Urd. C'est la plus importante, et la première gardienne du puits qui porte son nom. Ce nom est proche du sens moderne de
“mot” dans les langues scandinaves (“ord”). Il signifie ce qui est dit, ce qui a été
dit et ce qui est déjà passé. Urd connaît le passé des hommes, et ce qui peut en découler, c'est-à-dire l'avenir, le destin potentiel. L'adjectif potentiel a son importance.
Alors que la notion de destin est souvent absolue dans de nombreuses cultures qui
postulent une prédestination absolue, Urd n'est pas seule à tisser le destin des hommes
: avant que le destin se réalise, il doit encore passer par les mains de ses deux autres
sœurs.
La deuxième norne est Verdande. Son nom signifie “ce qui est en train de devenir”,
c'est-à-dire le présent. Elle représente les difficultés, les obstacles de la vie, les épreuves
à surmonter, ou encore les événements heureux. C'est la norne de l'action, celle qui
nous invite à réagir. C'est elle qui nous force à poser des questions, à juger la situation, à aller de l'avant. Parmi les trois sœurs, on peut dire que c'est la plus provocatrice, celle qui nous pose un défi constant et nous maintient sur nos gardes.
La plus jeune des nornes s'appelle Skuld (“ce qui sera”, “ce qui doit être”). Elle établit
le résultat du travail de ses sœurs, en filant le fil dans son aspect futur. Le terme skuld
(skal en danois, suédois et norvégien) signifie à la fois ce qui sera et ce qui doit être.
Skal s'utilise aussi bien pour exprimer le futur que le devoir. Et c'est bien ces deux
idées que nous retrouvons dans le futur que symbolise cette norne : ce qui sera est la
conséquence de l'action présente, mais c'est aussi une nécessité, le résultat d'une loi
inéluctable, à laquelle tous doivent se soumettre : personne, pas même un dieu, ne peut
échapper à la conséquence de ses actes.
Avec ces trois nornes, c'est tout le cycle de l'action qui est symbolisé : Urd en est
l'origine, Verdande la réalisation, et Skuld la conséquence. C'est un processus dynamique, constamment renouvelé. La mythologie nordique ne manque pas d'exemples
de destin inéluctable. Quelques exemples en seraient la mort de Balder, qui a lieu malgré les précautions que prend sa mère Frigg, épouse d'Odin. La catastrophe cyclique
Ragnarök est elle même prévue et inéluctable. Mais, dans chaque cas, il ne s'agit pas
d'un destin “passif”: l'événement est chaque fois conséquence d'une décision. Dans les
deux cas, l'action de Loki est déterminante, et nous pouvons suivre en détail
l'enchaînement des actes qui mènent au résultat. Ce résultat était prévu, mais il se réalise sous la responsabilité des acteurs du drame.
La conception du destin est fondamentale à la vision du monde. Si nous comparons la
vie humaine à un bâtiment, le destin en constitue les fondations, le principe même sur
lequel repose la conscience de l'existence. En posant le principe du destin, le mythe
nous force à considérer les conséquences de nos actes. Il rapporte ces conséquences
aux acteurs, qui ne peuvent plus rejeter la responsabilité sur les autres. C'est un élément essentiel de la liberté. C'est un mythe d'action pour des hommes libres, pour des
hommes d'action.
e mythe à l’époque Viking
La mythologie est une chose qui éveille l'intérêt des chercheurs et des curieux, mais
qu'en est-il de la “pratique” moderne ? Ce mythe est-il encore “vécu” aujourd'hui
dans les pays scandinaves ? Voyons d'abord comment il devait être vécu il y a environ
douze siècles. Les Vikings, dont l'histoire a surtout retenu les prouesses guerrières, les
raids, les conquêtes et les découvertes, étaient d'abord et avant tout des commerçants.
Le mot Viking (vik : baie) indique la navigation. Le rêve du jeune Scandinave était de
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partir en expédition, une activité qu'on appelait “fara viking”, littéralement “partir en
viking”. Armés pour assurer leur sécurité, leur but était à la fois l'attrait du gain – objectif de tout commerçant – et la curiosité, le goût de l'aventure. On ne partait en expédition guerrière que lorsque c'était nécessaire, pour défendre son honneur ou ses
droits, ou ceux de ses alliés. L'histoire a surtout gardé le souvenir de ces expéditions.
Mais le “quotidien viking”, c'était le voyage, le commerce et la découverte, dont chacun gardait jalousement les secrets commerciaux et dont l'histoire parle moins.
A côté de ces commerçants vikings, une classe d'agriculteurs restait au pays, quelquefois forcée à émigrer quand la terre n'arrivait plus à nourrir les habitants. Un monde
beaucoup plus rude et dangereux que celui que nous connaissons aujourd'hui. Pour
survivre dans ce monde, un sens pratique aigu était nécessaire. L'enseignement des
nornes et du destin rappelait que chacun est responsable de ses actes et doit en assumer les conséquences. Un enseignement pratique pour une vie active.
Dans le monde moderne
Le monde a changé, il est beaucoup plus confortable, du moins physiquement. Mais
l'idéal de vie est toujours le même: liberté et responsabilité. Le type d'homme le plus
considéré n'est pas le bel intellectuel qui fait de beaux discours. C'est l'homme d'action,
qui, très souvent très individualiste, n'hésite pas à prendre des risques et à assumer ses
responsabilités.
Les Vikings étaient des commerçants, leurs descendants le sont aussi. Le rêve des jeunes diplômés n'est évidemment plus de partir sur un navire à voile, mais de se mettre à
son compte. L'économie d'un pays comme le Danemark repose en grande partie sur
de petites entreprises de 10 employés au maximum, et l'artisanat, le travail manuel et
pratique, y jouit d'un statut social élevé, contrairement à beaucoup de pays du Sud de
l'Europe. Si les statistiques ont une signification, signalons aussi que la Scandinavie est
une des régions d'Europe qui compte le plus d'émigrants. Ce n'est plus par nécessité
économique qu'on émigre, car ces pays comptent parmi les plus riches du monde.
Mais voir le monde, ressentir les surprises, expérimenter des mondes nouveaux, est
non seulement socialement acceptable, mais considéré comme extrêmement louable et
désirable. C'est de génération en génération que se transmettent les mythes, et par
l'exemple.
Les nornes maîtresses du destin, avec leur bagage de courage, de responsabilité et
d'audace, sont toujours bien vivantes et tissent toujours leurs fils, parce que leurs
“filles” et leurs “fils” d'aujourd'hui ont toujours les mêmes idéaux.
Ces dernières années, la mythologie scandinave et les traditions populaires nordiques
ont vu une recrudescence d'intérêt sur leurs terres d'origine. De nombreuses organisations ont vu le jour, dont la plus ancienne, l'Asatrufelagidhd ' Islande, est officiellement
reconnue par l'Etat.
Une de ces organisations Asatro, Forn Sidr au Danemark, a publié sa “profession de
foi”. Elle est courte, sans fioritures inutiles. Une strophe est consacrée au destin. Elle
conclura cet article :
Mon destin, je le dois aux nornes qui filent ;
je dois le recevoir, l'accepter comme destin
accepter l'adversité, supporter la bonne fortune,
accepter mon destin et le souvenir que je laisserai.
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Denis Dornoy
Français, né en 1952, résident au Danemark depuis 1974, marié, 3 enfants. Taducteur de profession, membre de Forn Sidr (association Asetro du Danemark), a dirigé
plusieurs blots. Membre fondateur du WCER à Vilnius.

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