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la revue applique la réforme de l’orthographe billet d’humeur LAREVUENOUVELLE - AOUT 2014 Florence Aubenas, usagère du rail JOËLLE KWASCHIN Le 15 janvier 2005, Florence Aubenas, son guide et traducteur Hussein Hanoun al-Saadi étaient enlevés lors d’un reportage à l’université de Bagdad. Centc inquante-sept jours plus tard, ils étaient libérés. Certes, si l’on est friand de records, d’autres otages ont connu des détentions bien plus longues, ainsi Ingrid Betancourt détenue plus de six ans, ou ont été tué par leurs ravisseurs, comme Michel Seurat… sans parler des jeunes Nigériennes. Ne tombons donc pas dans la concurrence des victimes, pour reprendre Jean-Michel Chaumont1, et évitons la comptabilité du malheur. Pour La Revue nouvelle, Florence n’était pas une otage anonyme, mais la fi lle de Jacqueline Aubenas dont les chroniques de cinéma ont enchanté pendant de longues années les lecteurs. On tremblait donc pour le sort de la fi lle d’une amie2. reuses : aux privations et mauvais traitements s’adjoignent des tortures psychologiques et morales nées de l’incertitude et de la peur. Pourtant, à lire certaines analyses, les otages seraient parfois responsables, fallait pas être là, fallait pas s’habiller de manière aguicheuse, n’estce pas, comme on le reproche aux victimes de viol. Les cent-cinquante-sept jours de détention de Florence Aubenas et de Hussein Hanoun al-Saadi ont été interminables pour eux, pour leur famille, leurs collègues. Imagine-t-on les usagers des transports en commun « pris en otages » par une grève générale qui durerait plus de cinq mois, compliquant durablement la vie de milliers de navetteurs, en en faisant, n’ayons pas peur des mots, un « enfer hallucinant », les obligeant à prendre leur voiture ou pire encore à faire du covoiturage ? Quel que soit le pays dans lequel les otages Cent-cinquante jours sans le moindre sont enlevés, leurs conditions de vie sont transport en commun avec une économie toujours extrêmement pénibles et rigou- allant à vau-l’eau, des approvisionnements qui s’amenuiseraient peu à peu…, une vision dantesque que l’on peine à penser 1 La concurrence des victimes. Identité, reconnaissance, génocide, La Découverte, 1997 (2010). dans toutes ses répercussions. 2 « Revoir Bagdad. Revoir Florence Aubenas », édito, La Revue nouvelle, avril 2005. 22 Prendre des otages est un moyen de pression, de chantage, une pratique de bandits, de pilleurs de banques ou d’États voyous. Même si l’on peut ne pas approuver la manière des cheminots d’établir un rapport de force dans une négociation, juger la grève illégitime ou prématurée, dire qu’ils prennent les clients du service public en otages revient à faire du droit La violence de son expérience et son de grève un délit, à criminaliser ceux qui intelligence l’empêcheront d’ameuter l’exercent, et, ce n’est pas accessoire, à le ban pour se plaindre d’être à noutémoigner d’un immense mépris pour les veau prise en otage. C’est qu’elle a vécu vrais otages, kidnappés alors qu’ils font dans ses tripes la condition d’otage et ne leur métier de journaliste, d’humanitaire risque pas de confondre désagréments ou même de cadre commercial. quotidiens et exceptionnel calvaire. On cite volontiers Camus à qui l’on attribue L’éty molog ie i nd ique que la métala phrase « Mal nommer les choses, c’est phore grecque, au sens propre, est un contribuer au malheur du monde », mais « transport ». S’il est vrai qu’il peut être ici cette hyperbole, cette enflure navet- éprouvant de se transporter en train, il teuses ne peuvent même pas atteindre convient de raison garder et de ne pas cette prétention : penser que les usagers galvauder les mots au risque que tous les sont « pris en otage » par un seul jour de chats fi nissent par être gris, et les otages grève du rail ne fait, restons raisonnables, des touristes malchanceux. ■ qu’ajouter à la connerie du monde. billet d’humeur Si la métaphore est abondamment utilisée en littérature, les recherches cognitives et neurologiques récentes montrent qu’elle est inhérente au cerveau et qu’elle n’est pas uniquement une production de la langue. Les métaphores sont à la base du sens donné à nos concepts et elles les structurent. Ainsi George Lakoff relève l’abondance du vocabulaire guerrier, « la métaphore “la discussion, c’est la guerre” est l’une de celles qui, dans notre culture, nous font vivre : elle structure les actes que nous effectuons en discutant ». Malheureusement, comme beaucoup d’autres choses, les métaphores s’usent à force de les servir et elles deviennent des clichés, de fades cerises sur des gâteaux rassis, ce qui devrait être une raison suffi sante pour s’en dispenser. FLORENCE AUBENAS, USAGÈRE DU RAIL Gageons pourtant que Florence Aubenas, contrainte de subir quotidiennement les embouteillages au volant de sa voiture ou de circuler en patin à roulettes râlera comme les navetteurs englués, le lundi 30 mai, dans de magnifiques bouchons qui coïncidaient avec le début de chantiers d’importance à Bruxelles. 23