L`Echo: "Transformers 3" versus cinéma d`auteur

Transcription

L`Echo: "Transformers 3" versus cinéma d`auteur
06:11 - 23 juillet 2011
"Transformers 3" versus cinéma
d’auteur
Les films amé!ri!cains sont-ils les com!plices d’un mo!dèle do!mi!nant? Pour
en dé!battre, au!tour de la table, un re!pré!sen!tant du film d’au!teur, le réa!li!sa!teur belge Fré!dé!ric So!j!cher, et un re!pré!sen!tant des stu!dios amé!ri!cains,
Oli!vier Dock, vice-pré!sident de la Mo!tion Pic!ture As!so!cia!tion.
Par Syl!vestre Sbille
L’été ap!porte, comme chaque année, son lot de block!bus!t ers made in USA. C’est aussi l’oc!ca!sion pour les ex!ploi!t ants orien!t és art et essai de (re) pro!gram!mer des films de qua!li!t é, sou!vent eu!ro!péens, qui n’ont pas ren!con!t ré tout leur pu!blic po!ten!tiel lors de leur sor!tie. Deux vi!sions du monde s’af!frontent dans les salles obs!cures, deux ten!dances presque an!ta!go!nistes.
Se!rez-vous plu!t ôt ac!t ion, ef!fets et grand spec!tacle? Ou ré!flexion, contem!pla!tion et re!cherche
es!t hé!t ique? Au-de!là de ce choix per!son!nel et sans doute non ex!clu!sif, se pro!file en fi!li!granes
un com!bat dis!cret, lan!ci!nant et sans doute perdu d’avance. Car on ne peut s’em!pê!cher de pen!ser que le goût puis!sant et uni!ver!sel d’un ci!né!ma fast-food et hy!per-dis!po!nible ne tende à ni!ve!ler la ri!chesse des par!t i!cu!la!rismes, et à s’im!po!ser par!t out.
C’est, en tout cas, la thèse dé!fen!due par Fré!dé!ric So!j!cher, avec son ré!cent film "Hit!ler à Hol!ly!wood": le ci!né!ma amé!ri!cain nous au!rait été im!po!sé de force après la Se!conde Guerre mon!diale, dans le cadre du plan Mar!shall, et di!verses ini!t ia!tives pour dé!ve!lop!per un ci!né!ma eu!ro!péen fort et struc!tu!ré au!raient été étouf!fées dans l’œuf. Le ci!néaste ima!gine, pour Mi!che!line
Presle, un film de jeu!nesse my!t hique. La doyenne du ci!né!ma fran!çais au!rait été di!ri!gée par un
réa!li!sa!t eur pro-eu!ro!péen mys!t é!rieu!se!ment dis!pa!ru. Une ma!nière amu!sante et in!té!res!sante de
mettre en scène ce com!bat des chefs, et d’ou!vrir la ré!flexion.
Le cercle d’af!faires Val Du!chesse a ré!cem!ment or!ga!ni!sé, dans l’at!mo!sphère convi!viale d’un
res!t au!rant bruxel!lois, un af!fron!t e!ment à fleu!rets mou!che!tés entre deux re!pré!sen!tants de ces
uni!vers an!t a!go!nistes: le ci!né!ma d’au!t eur eu!ro!péen et les block!bus!t ers amé!ri!cains. A votre
gauche: Fré!dé!ric So!j!cher. A votre droite: Oli!vier Dock. Le pre!mier amène une connais!sance
en!cy!clo!pé!dique du ci!né!ma (l’au!t eur de "Ci!néastes à tout prix" est éga!le!ment pro!fes!seur à la
Sor!bonne). Le se!cond est vice-pré!sident de la Mo!t ion Pic!ture As!so!cia!tion, la!quelle ras!semble
les prin!ci!paux stu!dios amé!ri!cains, Sony, Fox, War!ner, Uni!ver!sal, Pa!ra!mount…
L’état des choses
En toile de fond, il y a cette hé!gé!mo!nie du ci!né!ma amé!ri!cain, presque par!tout dans le monde.
En Eu!rope, seuls quelques ci!né!mas na!t io!naux ré!sistent en!core et tou!jours à l’en!va!his!seur, par
exemple en France ou en Al!le!magne. Ces ci!né!mas na!tio!naux "forts" ar!rivent à pra!t i!quer un jeu
égal sur leur propre ter!ri!t oire, avec par!fois 50&flexS!pace;% de parts du mar!ché. L’ombre au
ta!bleau: ces grands suc!cès-là — sou!vent des co!mé!dies — ne marchent réel!le!ment que sur leur
ter!ri!t oire d’ori!gine et vivent très mal l’ex!por!ta!tion ailleurs en Eu!rope (avec ce!pen!dant des
films qui se rient de toutes les règles, comme "Bien!ve!nue chez les Chtis").
A contra!rio, cer!t ains ci!né!mas ne ré!sistent que très mal à la puis!sance de feu amé!ri!caine, et
voient leurs films na!t io!naux ré!duits à la por!t ion congrue, comme en Ita!lie ou en Es!pagne
(entre 7 et 9&flexS!pace;% de parts du mar!ché seule!ment, mal!gré Al!mo!do!var).
Fré!dé!ric So!j!cher craint que cette main!mise amé!ri!caine ne ré!duise des pans en!tiers de l’in!cons!cient col!lec!tif mon!dial à une seule vi!sion du monde. Le débat est lancé. Oli!vier Dock ne
ré!pond pas. Sou!rire poli. Il pour!rait ré!t or!quer, sans doute, que le ci!né!ma in!dé!pen!dant US
existe lui aussi, avec toute sa ri!chesse et sa di!ver!si!t é. Il n’em!pêche. Le monde est sa!t u!ré
d’images em!prun!tées à l’Ame!ri!can Way of Life. Un vé!ri!t able rou!leau com!pres!seur. Et on ne
s’étonne presque plus que la fa!mille moyenne qui vit à l’in!té!rieur de nos té!lé!vi!sions (et donc
de notre in!cons!cient) se dé!place dans un SUV à 50.!000 euros, mange ses corn-flakes dans une
cui!sine à 200.!000 et col!lec!tionne les si!tua!tions dra!ma!tiques où c’est la consom!ma!t ion de
biens ma!t é!riels, les signes ex!té!rieurs et l’as!cen!sion so!ciale sous toutes leurs formes qui
consti!tuent les uniques en!jeux.
Rap!pel his!to!rique
"Il n’en a pas tou!jours été ainsi", re!lance Fré!dé!ric So!j!cher, qui rompt le si!lence. "Dans les an!nées 30, le ci!né!ma eu!ro!péen est flo!ris!sant. Mar!lène Die!t rich et Jean Gabin sont des stars im!menses, qui éclipsent, dans le cœur du pu!blic, les stars amé!ri!caines elles-mêmes. Les films cir!culent sui!vant un cir!cuit in!t ra-eu!ro!péen, et sont sou!vent tour!nés dans plu!sieurs langues, no!tam!ment par des stu!dios comme RKO."
Oli!vier Dock ne bronche pas. L’homme des stu!dios amé!ri!cains sait que, lors de la Li!bé!ra!t ion,
les Amé!ri!cains ap!por!t èrent avec eux des mar!chan!dises (Lucky Strike), des ha!bi!tudes (de la
viande à tous les repas), mais sur!t out des films, qui dé!fer!lèrent lit!té!ra!le!ment sur le Vieux
Conti!nent. Quel meilleur vec!t eur pour pro!po!ser la ma!nière de vivre opu!lente qui règne làbas? Mais il s’agit aussi d’une cer!taine forme de pro!pa!gande en sour!dine. Au cours des an!nées
50, le pu!blic eu!ro!péen dé!ve!loppe un culte pour les Etats-Unis: cha!cun croit, de bonne foi, que
là-bas tout se passe comme dans une co!mé!die avec Cary Grant et Au!drey Hep!burn. Et tout le
monde veut leur res!sem!bler: grosse cy!lin!drée, mai!son in!dé!pen!dante dans un quar!tier ré!si!den!tiel; bref, "Dia!mants sur ca!na!pé"…
Le ci!né!ma eu!ro!péen ré!siste, avec no!t am!ment le Trai!t é d’al!liance fran!co-ita!lien. Fré!dé!ric So!j!cher re!passe à l’at!taque: "C’est l’époque des Don Ca!mil!lo. Les films ont la double na!t io!na!li!t é,
ce qui per!met une ex!ploi!t a!t ion éco!no!mique ef!fi!cace des deux côtés des Alpes. Il fal!lait trou!ver
un ter!reau com!mun aux deux pays: ce fut l’an!t a!go!nisme entre un maire com!mu!niste et un curé
plus tra!di!tion!nel. Le com!mu!nisme était très pré!sent, en Ita!lie comme en France. C’est le suc!cès co!los!sal de ce genre de films qui a per!mis les Vis!con!ti et les Ros!sel!li!ni…" Oli!vier Dock ne
re!lève pas et garde sa ré!serve. Oui, songe-t-il cer!tai!ne!ment, dès les an!nées 70, ce sys!t ème pé!-
ri!clite, avec la mul!ti!pli!ca!t ion des chaînes de té!lé!vi!sion. Des cen!taines de chaînes pri!vées
voient le jour en Ita!lie, sans au!cune obli!ga!tion de pro!gram!mer des films na!tio!naux. Ré!sul!t at:
une chute ver!t i!gi!neuse du nombre de films tour!nés chaque année, puis la ruine pro!gres!sive de
Ci!ne!cit!ta. Et une voie royale pour le ci!né!ma US.
La ré!ac!tion eu!ro!péenne
En France, on s’or!ga!nise. Le pays de Beau!mar!chais ne compte pas suivre le même che!min.
Fré!dé!ric So!j!cher re!t rouve du mor!dant: "A la créa!tion de Canal +, au début des an!nées 80, les
pou!voirs pu!blics ré!gle!mentent et la chaîne payante doit in!ves!t ir mas!si!ve!ment dans le ci!né!ma
fran!çais." Sui!vront, au début des an!nées 90, les ac!cords du Gatt et leur fa!meuse "ex!cep!t ion
cultu!relle": la France ob!t ient que le ci!né!ma ne soit pas trai!té, dans les ac!cords in!t er!na!t io!naux,
comme n’im!porte quel pro!duit in!dus!t riel. Vien!dra en!suite la di!rec!tive "Té!lé!vi!sion sans fron!tière", qui im!pose un quota de pro!duc!t ions eu!ro!péennes aux heures de grande au!dience. Sans
ou!blier l’in!tel!li!gent "Fonds de sou!t ien" mis en place par le CNC: chaque billet de ci!né!ma
vendu en France, que ce soit pour un film amé!ri!cain, turc ou fran!çais, sera taxé d’une pe!t ite
somme des!ti!née au CNC, le!quel aide à la créa!tion… ex!clu!si!ve!ment na!t io!nale. Le ci!né!ma (mon!dial) aide à pro!duire le ci!né!ma (fran!çais).
Oli!vier Dock hoche la tête.
De!main
Mal!gré tout, le ci!né!ma amé!ri!cain conti!nue à ré!gner en maître et à aug!men!t er sa pré!da!t ion sur
les pays aux pro!duc!tions dites plus fra!giles. Sans ou!blier que les films eux-mêmes consti!t uent
une des plus im!por!t antes ex!por!t a!tions amé!ri!caines à l’échelle mon!diale, de!vant l’au!t o!mo!bile.
On joint donc l’utile à l’agréable: les films se vendent bien, et ils vendent in!di!rec!t e!ment une
foule de sous-pro!duits, en en fai!sant la pu!bli!ci!té!
Pour ré!sis!t er, Fré!dé!ric So!j!cher lance quelques idées. "Il ne faut pas obli!ga!toi!re!ment es!sayer
de faire des films à l’amé!ri!caine en Eu!rope, comme le fait Luc Bes!son. Il faut leur faire une
meilleure place. Par exemple, en pro!gram!mant, sur les chaînes na!tio!nales eu!ro!péennes, un
film eu!ro!péen tous les mois. Les Belges dé!cou!vri!raient les perles du ci!né!ma réa!liste da!nois,
les An!glais pour!raient s’ini!tier au mé!con!nu thril!ler es!pa!gnol, et ainsi de suite… Par ailleurs, le
ci!né!ma eu!ro!péen pour!rait être en!sei!gné dans les écoles, his!t oire que les jeunes soient au cou!rant qu’une al!t er!na!t ive existe, et ce éga!le!ment dans un re!gistre grand pu!blic: les co!mé!dies
sen!t i!men!t ales bri!tan!niques, les grandes fresques ita!liennes qui par!viennent en!core à se
faire, etc. Enfin, il fau!drait que le nerf de la guerre, l’éter!nel fi!nan!ce!ment, soit plus im!por!t ant.
Comme on le sait, le ci!né!ma aux Etats-Unis est une vé!ri!table in!dus!trie." La com!pa!rai!son citée
par So!j!cher donne froid dans le dos: la part du bud!get al!loué par l’Eu!rope à l’au!dio!vi!suel se!rait de… 0,0007&flexS!pace;%! Oli!vier Dock reste son!geur, le re!gard fixe.
Il ne s’agit sans doute pas de sa!voir si on doit pré!fé!rer "Des Hommes et des Dieux" aux aven!tures tré!pi!dantes des su!per!hé!ros qui tra!versent ré!gu!liè!re!ment l’At!lan!t ique pour dé!bou!ler sur
nos écrans. Il en faut pour tous les goûts, et pour tous les jours de la se!maine. Et les règles gé!né!rales sont trom!peuses: "X Men le com!men!ce!ment" est un film amé!ri!cain à gros bud!get,
mais c’est un film drô!le!ment in!t el!li!gent. Et cer!t aines pro!duc!tions de chez nous sont par!fois, il
faut l’ad!mettre, d’un nom!bri!lisme ter!ri!fiant. Mais comme le rap!pelle le réa!li!sa!teur belge,
"conti!nuer à aimer une culture do!mi!née est un exer!cice fa!t i!gant", et sans doute sommes-nous
au!t o!ri!sés à "ques!t ion!ner le fi!nan!ce!ment oc!t royé au dé!ve!lop!pe!ment de notre ima!gi!naire col!lec!tif eu!ro!péen, via son plus im!por!t ant vec!teur: le ci!né!ma".
Mais le vice-pré!sident de la Mo!tion Pic!t ure As!so!cia!tion n’écoute déjà plus. Le repas est servi.
l
Copyright é L'Echo

Documents pareils