La prison : à tort et à raison
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La prison : à tort et à raison
La prison : à tort et à raison Jacqueline Devreux Premier substitut du procureur du Roi à Bruxelles membre du Conseil supérieur de la Justice 1. Introduction Gardien de la paix sociale, le parquet doit, en particulier, identifier les comportements délinquants et contribuer à y apporter la réponse qui rencontrera, le plus adéquatement possible, les attentes de la société. Ces attentes ont considérablement évolué au fil de ces dernières décennies. Le constat est simple, nous vivons actuellement dans un monde marqué par une pensée de masse construite autour de quelques stéréotypes : la mondialisation, le principe de précaution, la qualité totale… Dans ce registre, la politique ne propose plus guère de projet de société, mais est devenue une affaire d’image sur fond de libéralisme teinté peu ou prou de social. Et se réduit trop souvent à l’exploitation des passions individuelles. Parmi ces passions, on trouve d’abord la peur. Peur réelle de l’autre, de sa différence, des incivilités ou de l’insécurité à laquelle, reconnaissons-le, chacun a un jour été confronté, en particulier dans la vie urbaine. Peurs plus diffuses aussi : du terrorisme, de l’effet de serre, des catastrophes naturelles, des risques alimentaires… Quasi ignorées il y a trente ans, les victimes sont passées au premier plan à tel point que le statut de victime s’est généralisé : nous sommes tous devenus des victimes, des otages de nos propres peurs. Le fait divers qui fait choc à défaut de faire sens nous le rappelle chaque matin dans les journaux, chaque soir aux informations de la télé. Cela a conduit à mettre l’autre à distance, à le surveiller, le sécuriser, et à développer une législation pénale sans précédent. Cela permet aux institutions dédiées à la sécurité de grossir sans trop se poser de questions : ministère de l’Intérieur, police, justice, prisons, même si ces développements se font à géométrie variable. Je n’ignore pas que les menaces nouvelles peuvent être réelles et j’estime légitime de chercher à y répondre. Mais en gardant à l’esprit le souci de liberté et d’équité qui fait le sel de l’existence. Pas avec des slogans du genre tolérance zéro, expression importée du langage économique, tel un avatar du copié-collé, et qui mène à des décisions absurdes en ce qui concerne la gestion des hommes. Ainsi pour les prisons : elles ne peuvent, elles ne devraient pas être cet endroit clos où l’on parque à l’aveugle ceux qui ont commis des faits attentatoires à la sécurité publique, aussitôt enfermés, aussitôt oubliés. Avec un régime de libération conditionnelle qui tétanise ses acteurs, confinés dans un rôle impossible et enfermés à leur tour dans les filets d’un principe de précaution ne laissant aucune marge de manœuvre, ou presque, en tout cas sans logique cohérente… 2. Evolution de la démarche répressive Outre ce constat d’une société en quête de sens, nous observons un glissement de la démarche répressive : la justice strictement punitive a vécu et fait place, progressivement, à une justice plus négociée, réparatrice, en un mot qui se veut plus humaine. Durant ces dernières décennies, le législateur a parallèlement multiplié ses interventions, témoignant d’une volonté manifeste de déjudiciariser certains domaines du contentieux pénal. L’encombrement des prisons, l’encombrement des tribunaux, l’arriéré judiciaire furent autant de constats – toujours d’actualité – incitant à dégager des solutions alternatives aux poursuites pénales pour « sanctionner » l’auteur d’une infraction. La tardiveté de la réaction par rapport à un acte déviant entraîne, on le sait, des effets pervers tels un sentiment d’impunité, un encouragement à la récidive, la déresponsabilisation de l’auteur, la victimisation secondaire… autant de facteurs qui ont progressivement contribué à décevoir les attentes du citoyen, à encourager son sentiment d’insécurité, à susciter la méfiance dans la justice… Ainsi que l’histoire le montre régulièrement, l’accélération de la réaction politique, ici concrétisée par le développement des réponses alternatives (judiciaires ou non), doit beaucoup à la rencontre entre ce mouvement de fond et des circonstances exceptionnelles, telles les affaires d’enfants disparus que nous avons eu à déplorer, qui ont notamment mis en évidence la place de la victime dans le système pénal. Diverses tendances se sont affirmées. De manière non exhaustive, citons une dynamique plus participative de la victime dans le procès pénal, une intervention accrue du citoyen dans le déroulement de l’enquête et du procès, une volonté marquée du pouvoir politique de rétablir la confiance dans les institutions, de rendre un sentiment de sécurité au citoyen, de multiplier les initiatives en faveur des victimes en cessant de focaliser le procès sur l’auteur exclusivement (mesures pour partie organisées par la réforme Franchimont dans la loi du 12 mars 1998). Comment, concrètement, ces évolutions se traduisent-elles ? 3. Aperçu des mesures alternatives aux poursuites pénales à la disposition du ministère public a) La transaction Nous nous souvenons de l’évolution de la transaction, vieille de plus de septante ans, et qui, depuis quelque vingt ans, trouve à s’appliquer à tous les délits, c’est-à-dire aux infractions punissables d’une peine de prison d’un maximum de cinq ans. Alors déjà, le législateur s’était montré soucieux non seulement de juridictions pénales d’affaires peu complexes et sans grande contestation, nombre de dossiers classés sans suite, conséquence de la surcharge comme une forme de laxisme n’induisant pas la prise de conscience infractionnel. débarrasser les audiences des mais encore de faire diminuer le récurrente des parquets, perçue de la part de l’auteur d’un fait Alors déjà, y voyait-on une certaine forme de dépénalisation, dans le sens d’un retrait du système pénal traditionnel basé sur les peines classiques de l’emprisonnement et de l’amende. Reconnaissons que cette réponse alternative à l’emprisonnement ou au classement sans suite est actuellement trop peu utilisée par les parquets, qui en ont seuls l’initiative, dans le cadre de leur pouvoir de juger de l’opportunité des poursuites. Le peu de succès de cette forme de sanction s’explique en grande partie par le fait qu’elle convient assez mal au profil du délinquant urbain, générateur du sentiment d’insécurité que l’on veut combattre : le public cible est constitué de personnes souvent jeunes et désargentées, incapables de faire face au paiement de la transaction proposée ou refusant de s’y prêter (il s’agit d’une mesure à proposer sur une base volontaire). Régulièrement appliquée en matière de délinquance financière, elle est progressivement remplacée par un système d’amendes administratives pour certaines infractions « mineures ». La cohérence de la démarche répressive doit inciter le magistrat du parquet à poursuivre l’auteur d’un fait infractionnel qui refuse une transaction ou qui y consent sans l’honorer… Mais quelle sanction conclura la poursuite quand on observe le cercle infernal de l’encombrement des tribunaux, de l’arriéré judiciaire, de la peine et de l’emprisonnement tardifs et dont la maîtrise de l’exécution nous échappe ? D’emblée on perçoit ici l’incohérence du système à laquelle sont confrontés les acteurs de justice : l’incertitude qui pèse sur le processus d’exécution des peines en aval déforme l’enjeu judiciaire et la crédibilité des peines décidées en amont. b) La médiation pénale La médiation pénale (loi du 10 février 1994 – article 216ter du Code d’instruction criminelle) est née de ce mouvement du fond évoqué plus haut et s’inscrit également dans le systè me de l’opportunité des poursuites dont le ministère public est juge. Elle constitue également une alternative aux formes traditionnelles de réaction judiciaire, en évitant la lourdeur du procès. Elle confronte l’auteur d’une infraction avec la norme transgressée au travers de son implication personnelle active dans le processus de réparation. Elle est une émanation de ce nouveau modèle de justice qu’est la justice réparatrice (ou justice négociée : voy. ci-dessous). Elle vise à passer d’un modèle essentiellement punitif où l’auteur assiste passivement au prononcé de la sanction vers un modèle plus participatif, l’intégrant dans le processus de réparation vis-à-vis de la victime et de pacification du conflit. Cette alternative aux poursuites peut s’envisager pour « sanctionner » tous faits ne paraissant pas de nature à entraîner une peine supérieure à un emprisonnement correctionnel principal de deux ans (il ne s’agit pas ici du taux légal de la peine mais bien celle qui serait requise en cas de poursuites). Initialement, la loi organisait quatre formes de réaction possible dans le cadre de la médiation pénale : la médiation entre parties, la thérapie, la formation et le travail d’intérêt général. Si la médiation entre parties vise la recherche d’une solution entre l’auteur et la victime et doit, autant que possible être privilégiée dès lors qu’elle fait participer de manière active la victime dans la pacification du conflit, les trois autres formes de réaction impliquent exclusivement l’auteur et tendent à sa responsabilisation et sa resocialisation. Il s’agit ici d’une justice négociée, que l’auteur est invité à accepter, certes librement, mais en étant conscient qu’un refus de sa part entraînerait des poursuites pénales, avec un risque d’emprisonnement et, en tout cas, de casier judiciaire. La possibilité de proposer l’exécution d’un travail d’intérêt général dans le cadre de la médiation pénale a été supprimée par la loi du 17 avril 2002 introduisant la peine de travail comme peine autonome. Il est permis de penser que cette suppression est regrettable, dans la mesure où les magistrats du parquet y avaient souvent recours, y percevant une forme de sanction qu’ils estimaient nécessaire en rapport avec l’infraction perpétrée. Cette mesure avait, contrairement à la peine de travail autonome (qui est sans conteste un progrès), le mérite de se négocier en dehors des tribunaux (pour mémoire : la médiation pénale s’officialise dans le bureau du magistrat du parquet, sous forme de « contrat » signé par l’auteur, (la victime si elle est impliquée dans l’accord) le magistrat du parquet et l’assistant de justice chargé de coordonner la médiation, au terme duquel l’auteur s’engage à respecter les conditions de la médiation pénale et le parquet à déclarer l’action publiq ue éteinte à l’issue de la procédure de médiation) et ne participait donc, ni à l’encombrement des tribunaux, ni à l’arriéré judiciaire, ni à la surconsommation de justice, ni à la réaction tardive de la justice… Relevons également que, dans la mesure où la peine de travail n’empêche pas la délivrance d’un certificat de bonnes vie et mœurs, l’enjeu judiciaire propre à la médiation pénale, qui présente également cet avantage, s’en trouve quelque peu déforcé… D’aucuns ont vu dans le travail d’intérêt général comme mode d’extinction de l’action publique dans le cadre de la médiation pénale l’exercice d’une fonction quasi juridictionnelle par le parquet, ce qui n’est qu’à moitié vrai : l’accord de l’auteur est indispensable pour mener à bien cette mesure alt ernative aux poursuites. Depuis cette suppression, c’est à la formation que les magistrats ont davantage recours lorsqu’ils souhaitent mettre l’auteur à l’épreuve d’une rigueur, d’un effort régulier et soutenu, gages de sa prise de conscience de la portée de ses agissements. Cette réponse fait plus particulièrement appel aux aptitudes sociales de l’auteur. Son implication dans le suivi de la formation va lui permettre de développer ses aptitudes à un changement de comportement. Conscient de la portée de ses actes sur la victime, l’auteur apprendra à gérer un conflit de manière non violente, à maîtriser ses pulsions. La diversité et la spécialité des types de formation concourent à la conscientisation de l’auteur. A Bruxelles, il existe des formations spécifiques à partir de faits de mœurs, de stupéfiants, de roulage, de violences, en particulier de la violence familiale et conjugale. Concernant cette dernière forme de délinquance, relevons que la médiation pénale, avec suivi d’une formation spécifique, constitue une réponse souvent appropriée en raison de son caractère spécifique lié à une dynamique passionnelle, chargée d’émotion, de sentiments parfois contradictoires. L’expérience apprend que, dans ce domaine, les prétoires sont rarement un lieu propice à la responsabilisation de l’auteur et à la pacification du conflit. L’enjeu judiciaire de cette forme de justice réparatrice n’échappera à personne. En proposant cette alternative à l’auteur d’une infraction, le ministère public donne à l’auteur présumé l’opportunité d’éviter les aléas du recours judiciaire, tels la publicité des audiences, les risques de casier judiciaire, d’emprisonnement, de révocation d’un sursis antérieur, … A l’instar de ce qui a été dit pour la transaction, la cohérence de la démarche répressive devra inciter le parquet à poursuivre devant les tribunaux l’auteur d’une infraction ayant refusé ou mal exécuté la mesure de médiation pénale proposée. 4. Les poursuites comme alternative inévitable… aux mesures alternatives La diversification des réponses au comportement délinquant témoigne du souci d’humaniser de la justice. Plus l’éventail des réponses est large et approprié à l’individu concerné, plus grandes sont les chances d’une utile remise en question, de son acceptation de la sanction, et, partant, de sa resocialisation. Ne perdons pas de vue l’opportunité de susciter, autant que faire se peut, la participation de la victime dans l’apaisement du conflit. Les temps changent. Le glissement de la démarche répressive du système strictement punitif vers un système plus participatif et responsabilisant déjà évoqué s’opère… Il reste à faire évoluer les mentalités, et notamment celles des magistrats du parquet, qui se situent précisément au cœur de cette gare de triage que devient progressivement l’orientation à donner à un dossier pénal à l’issue de l’enquête. A Bruxelles et ailleurs, le succès de la médiation pénale – en dépit de la suppression des travaux d’intérêt général – est un encouragement à poursuivre les efforts… Il est cependant des cas où le recours à une sanction alternative n’est pas envisageable : soit que l’auteur ait refusé cette solution, soit qu’il ne soit pas dans les conditions légales pour l’envisager, soit qu’il n’en ait pas respecté le suivi, soit encore que des mesures nécessitant l’intervention d’un juge d’instruction soient nécessaires. Dans ces cas, s’il s’avère à la clôture de l’enquête que des charges pèsent sur l’auteur présumé d’une infraction, les poursuites seront inévitables. Lorsque le ministère public doit solliciter une mesure d’enquête relevant de la compétence exclusive du juge d’instruction (mandat de perquisition, écoutes téléphoniques, …), les mesures alternatives précitées ne sont plus envisageables. Le dossier suit alors son chemin, au gré de la procédure et de ses retards divers. Lorsque le ministère public estime qu’un mandat d’arrêt doit être délivré (en cas d’absolue nécessité pour la sécurité publique, de risques de récidive, fuite, déperdition des preuves, collusion avec les tiers), une mise à l’instruction s’impose également. Le cas du suspect placé sous mandat d’arrêt sera évoqué plus loin. Si le mandat d’arrêt est refusé par le juge d’instruction (qui peut éventuellement infliger des conditions assortissant la libération de l’auteur présumé) le dossier suit également « son chemin », pour être mené, à terme, devant les juridictions pénales. Un chemin souvent bien long, trop long… Les nécessités de l’enquête, la surcharge des magistrats, l’encombrement des chambres correctionnelles, sont autant de variables qui retardent régulièrement le moment où le dossier est abordé, et interfèrent, on le sait, sur la prise de conscience (ou l’absence de prise de conscience) de l’auteur par rapport aux faits. Plus le temps entre les faits et le jugement à intervenir est long, plus difficile est la peine à déterminer et moins grandes sont les chances qu’elle soit comprise par l’auteur. Quelle peine ? Le Code pénal aligne des fourchettes de peine s de prison et d’amende. Il institue un régime de récidive, précise que le sursis à une peine d’emprisonnement n’est plus envisageable (sauf exceptions qui ne seront pas abordées ici) lorsque l’auteur a déjà été condamné à une peine d’emprisonnement d’un an ou plus… Mais ce code n’est plus en phase avec l’évolution de la société. La loi sur la peine de travail autonome a déjà pallié sa rigidité originaire, son manque de souplesse. Aujourd’hui en effet, il est permis de « bénéficier » d’une peine de travai l autonome en dépit de condamnations antérieures, et même d’une absence de droit au sursis et cette peine n’apparaît pas sur le certificat de bonnes vie et mœurs. Cette dernière avancée est motivée, on le comprendra, par l’encombrement du marché du travail, qui rend plus marginal encore tout demandeur d’emploi ayant un casier judiciaire. Mais souplesse ne signifie pas anarchie. Il est impératif de pouvoir se référer à un système logique, balisé, quand bien même il doit être nuancé. 5. L’exécution des peines : insécurité juridique et insécurité… tout court Il y eut la création de la commission de libération conditionnelle, peu après la réaction politique consécutive à une libération inadéquate… Il y eut la réaction consécutive au constat, à dire vrai superficiel, que des délinquants étaient « trop vite remis en liberté », allant jusqu’à organiser un traitement différencié en fonction de la nature et de l’impact social de certains délits, exigeant que certains condamnés aillent jusqu’au bout de leur peine et d’autres non. Et il y eut la surpopulation des prisons. Actuellement, l’exécutif a du mal à gérer l’ingérable. Cela n’est pas sans conséquence. A l’injonction sécuritaire générée par le climat de la commission Verwilghen s’est substituée la tendance inverse…, ce qui ne fait que contribuer au sentiment de « désordre » ressenti par les acteurs de justice. En fait, la question qui se pose au juge peut se formuler en ces termes, empruntés à une décision judiciaire récente faisant état de ce que la majorité des peines d’emprisonnement ferme imposées par les tribunaux ne sont pas purgées, en tout ou en partie. Devant une telle situation, le juge s’exprimait ainsi : « Si le système est en voie de se généraliser, il peut remettre en cause des principes fondamentaux de détermination des peines, certaines attitudes judiciaires à leur égard, comme le principe même du respect de la règle de droit dans ce domaine. Ce deviendrait peut-être un aveuglement volontaire ou de l’hypocrisie que de prononcer des peines, sans tenir compte des conditions de leur mise en œuvre, alors que l’on saura pertinemment que leur exécution dépendra de la décision discrétionnaire de l’administration, prise pour des motifs qui n’auront parfois rien à voir avec la dangerosité réelle d’un détenu, mais plutôt avec des contraintes administratives ou budgétaires. Ces difficultés laisseront dans les faits la fixation de peines aux gestionnaires du système carcéral. Jusqu’à nouvel ordre, en vertu du Code criminel, cette fonction appartient toujours aux tribunaux ». A qui est empruntée cette prise de position ? On pourrait sans doute l’attribuer à un juge belge, mais non… devinez…, elle a été rendue par un juge de la Cour de la province du Québec le 17 juillet 2002 (D. Côté, jugement n° 450-01-017015- 996), illustration s’il en est que les sociétés libérales modernes sont toutes aux prises avec des problèmes similaires. Voilà qui devrait relativiser ceux que nous rencontrons en Belgique, mais sans pour autant nous faire baisser les bras : une collaboration entre le judiciaire et l’exécutif est indispensable si l’on veut assurer à la décision du juge la crédibilité qu’elle implique et contribuer à rendre ainsi confiance à la population dans le service public de la justice. Cette insécurité juridique risque de persister dès lors que la logique de la décision politique reste limitée à une intervention ponctuelle pour colmater une hémorragie locale et que la réflexion n’est pas envisagée à long terme dans une vision globale de la politique criminelle (seul un tribunal d’application des peines paraît en mesure de répondre à cet objectif). Depuis quelque temps, une succession de projets de loi et circulaires ministérielles aux positions parfois inconstantes participent à l’insécurité dénoncée. Et de quelle crédibilité dispose-t-on vis-à-vis d’un auteur à qui une peine est infligée, s’il sait que cette peine, si sévère soit-elle, ne sera pas, ou si peu, exécutée ? Comment assurer la cohérence en prescrivant une formation (dont l’investissement personnel n’est pas négligeable), alors que l’on sait que, si elle n’est pas respectée, mal exécutée, les poursuites qui s’ensuivront mèneront, en définitive, à une peine à l’exécution édulcorée. Que l’on me comprenne bien : il ne s’agit pas ici de faire l’apologie des peines incompressibles qui font les dégâts que l’on connaît. Tout juste est-il besoin d’adopter une démarche cohérente vis-à-vis de l’auteur d’un fait infractionnel, une gradation dans la sanction en fonction de son comportement, une logique qui permette à l’auteur de se situer, de trouver un sens à la sanction, … et d’espérer. L’incertitude est ici facteur d’insécurité. 6. La détention préventive : un acompte sur la peine à défaut de peine L’insécurité croissante dans l’exécution des peines (l’actualité ne fait que l’aggraver) met le magistrat, tant du parquet que du siège, mal à l’aise. Le premier ne sait plus quelle sanction requérir, sachant qu’elle souffre mille et une adaptations qui lui échappent, la plupart du temps, dès son exécution. Non qu’il veuille – qu’il me soit permis d’insister - prolonger l’incarcération du condamné, l’essentiel étant la clarté de la démarche. Le juge ensuite, qui sait que la peine qu’il prononce sera prise en compte de manière partielle, en fonction d’une série de paramètres flous et changeants au fil des impératifs administratifs ou politiques. Face à cette incertitude à laquelle vient s’ajouter l’arriéré judiciaire occasionnant les dégâts que l’on sait, la tendance est grande de favoriser la détention préventive, quand elle se justifie, des auteurs présumés dont on sait la condamnation lointaine… Il s’agit là d’un effet pervers des lacunes déjà évoquées. Tous les acteurs de justice en matière pénale savent que les dossiers à charge de détenus bénéficient d’un traitement prioritaire, un peu comme le référé est en passe de devenir le droit commun de la procédure civile. Mais la rapidité de réaction, positive à l’endroit des parties concernées, met parfois à mal la présomption d’innocence. Cette pratique est condamnable. 7. L’opportunité de l’accompagnement à tous les niveaux de la procédure « Accompagnement » : mot magique d’un espoir de rédemption, de prise de conscience, responsabilisation, de resocialisation de l’auteur en quête d’identité, élément moteur de la paix sociale. de A quelques exceptions près, il est dans tout individu une réflexion à travailler, une conscience à éveiller ou à réveiller. Ce n’est pas dans la solitude d’une geôle humide ou d’une cellule hypersurveillée que cet effort est nécessairement favorisé. Mais le constat est là : que ce soit dans le cadre d’une médiation pénale, d’une liberté sous conditions, d’une libération conditionnelle, d’une peine de travail autonome, d’une mesure probatoire assortissant l’octroi d’un sursis ou de la suspension du prononcé et surtout dans la désespérance pénitentiaire, l’accompagnement de l’auteur par des professionnels affectés à cette mission est une condition de la restructuration. Encore faudrait-il qu’il soit effectif, et n on simplement théorique, comme on le constate trop souvent. Il s’agit encore d’une question de moyens. Mais peut-être qu’une partie de la dépense qu’implique le gardiennage de détenus trop nombreux pourrait utilement être affectée au financement de services d’accompagnement chargés d’encadrer les prévenus et les condamnés, de les encourager, de surveiller leur comportement et d’avertir la justice en cas de dérapage… Je citerai ici une expérience intéressante qui a débuté en Wallonie et qui s’étend à présent à Bruxelles. L’asbl Médiante s’occupe de tenter de rétablir le contact – même indirect – entre victime et auteur, dont le dossier est fixé devant le tribunal correctionnel et dans l’attente, parfois longue, de l’audience. Accepté (ou refusé) librement, et totalement étranger à la procédure, ce processus contribue à la satisfaction, fût-ce partielle, de la victime, et permet à l’auteur de se présenter au juge sous un meilleur jour. Cette association effectue la même démarche vis-à-vis des condamnés dont la sortie de prison est envisagée dans un proche avenir : il s’agit ici d’apaiser l’appréhension de la victime et de rendre à l’auteur sa dignité, mais aussi de le rendre attentif à son devoir d’homme sociable. Dans un même ordre d’idées, il serait opportun d’étendre les possibilités d’usage du bracelet électronique qui permet au condamné de conserver des liens sociaux et familiaux. 8. Conclusion Je n’ai pas vraiment envie de conclure : en regardant les quelques cailloux déposés derrière moi, je pense d’abord au long chemin qui reste à parcourir, au gigantesque chantier à entreprendre. Si, au-delà du mal que la société inflige à un de ses membres, on veut donner un sens à la prison, il faut d’abord se demander si on a assez réfléchi aux alternatives sur lesquelles je me suis attardée pour n’envisager l’enfermement que par nécessité. Nous avons en Belgique une certaine expérience de la réforme sans le changement, qui n’est d’ailleurs pas une spécialité belge : de ce point de vue, nous sommes tous partie prenante au mouvement vers les autres solutions, et donc en partie responsables du sur-place actuel, pour ne pas dire plus. Quant à la prison elle-même, cessons de la voir comme la poubelle de la vie commune en fermant les yeux sur le fait que, plutôt que de protéger les citoyens, elle est en réalité une école du crime. Acceptons que ceux qui la fréquentent sont nos semblables et que nous avons tout à gagner en y investissant pour qu’ils y cultivent l’espoir d’une vie différente, avec ce que cela signifie en termes de formation et d’accompagnement. Je vous paraîtrai peut-être naïve, et je l’assume, mais je crois que le prix de la prison pour quelques-uns, c’est aussi le prix de la liberté pour tous. Jacqueline Devreux 17 janvier 2005