livre ABCD - Centre du Livre et de la Lecture, Poitou

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livre ABCD - Centre du Livre et de la Lecture, Poitou
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Texte extrait du catalogue de l'exposition paru en août 2008.
Étiquette du camembert « Le bébert »
fabriqué à la laiterie coopérative
de Brizambourg (17),
Impr. Peytoureaux, Jarnac, 1949.
Musée du papier d'Angoulême.
Le mouvement coopératif et mutualiste
Le Poitou et les Charentes sont des terres de coopération. Les mutuelles et
les coopératives, qui sont nées en France dans le 1er tiers du XIXe siècle pour faire
face aux besoins sociaux liés à la Révolution industrielle, s'y sont développées
très tôt. Cette région de communication facile, désenclavée par l'arrivée du chemin de fer et par la densification du réseau routier, était propice à la diffusion de
l'esprit coopératif et mutualiste.
Comme partout en France, c'est la conjonction de difficultés économiques et
sociales qui provoqua l'essor de ces associations. Les premières coopératives de
la région se sont ainsi développées dans le secteur du blé et de la panification
suite à la crise alimentaire de 1854. Les sociétés de panification permettaient de
supprimer les intermédiaires entre producteur et consommateur et de vendre le
pain au prix le plus bas. La Société des dix moulins et la Ruche Rochefortaise
furent tout d'abord créées à Rochefort. Ensuite, de nombreuses boulangeries
coopératives virent le jour : à La-Flotte-en-Ré en 1864, à Ars-en-Ré en 1866, puis
à Saint-Martin-de-Ré, à la Couarde, à La Rochelle ou encore à Marans. En 1914,
il existait 217 sociétés de panification en Charente-Inférieure. En Deux-Sèvres
étaient également constituées des boulangeries actionnaires à Niort, Melle,
Parthenay et Saint-Maixent. Celle de Niort, qui comptait 400 membres en 1875,
avait pour but de fabriquer, exclusivement au profit des sociétaires, du pain de
bonne qualité au meilleur marché possible. Les actionnaires payaient une première mise de fonds et une action. Les pains étaient livrés à domicile en échange
de bons ou de jetons.
Les laiteries et les beurreries coopératives
C'est surtout dans le domaine de la laiterie et des beurreries que le mouvement coopératif a été remarquable. Il prit naissance suite à une catastrophe
qui marqua l'histoire de la région : l'épidémie de phylloxéra qui décima les vignes
à partir de 1877 dans l'ouest de la Charente, en Charente-Inférieure et dans le
sud des Deux-Sèvres. En 1892, le service du phylloxera déclarait la disparition de
1 462 266 hectares de vignes. Ce désastre eut des conséquences très lourdes :
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effondrement de la valeur foncière, exploitations en difficulté et exode rural avec
le départ des ouvriers agricoles et des viticulteurs ruinés. Sur les terres laissées
en friche, certains paysans se lancèrent dans la création de prairies artificielles
de sainfoin et de luzerne. Cet essai réussit admirablement. On se tourna alors
vers l'élevage bovin destiné à la production laitière. Des industriels vinrent s'installer dans la région pour transformer le lait acheté aux cultivateurs en beurre
puis en fromage. Pour résister à cette concurrence, les agriculteurs locaux
eurent l'idée de se regrouper en sociétés coopératives pour produire ensemble
et assurer eux-mêmes le débouché de leur production.
C'est un instituteur, Eugène Biraud, qui, ayant eu connaissance des expériences
des fruitières du Jura et des sociétés de panification fortement implantées en
Charente-Inférieure, créa la première coopérative laitière à Chaillé, près de
Surgères, en 1888. Au début, elle a 12 adhérents. Au bout d'un an, elle compte
90 sociétaires et 330 vaches laitières. En 1895, il y a 340 sociétaires, un cheptel
de 1 000 vaches et 6 000 litres de lait sont produits par jour. C'est le point de
départ d'un mouvement coopératif agricole de grande ampleur. En 1903, il existe
50 laiteries coopératives dans la région, 106 en 1904. Plus de 200 laiteries coopératives seront créées entre 1880 et 1950.
Très rapidement, ces coopératives éprouvèrent le besoin de se fédérer pour unir
leurs intérêts. En 1893, l'Association centrale des laiteries coopératives des
Charentes et du Poitou est fondée à cet effet. C'est elle qui organise en juin 1899
le transport des beurres par wagons réfrigérés à Paris. Elle obtient la création
de l'Inspection des laiteries coopératives de l'Ouest en 1897 et l'installation
d'une école professionnelle à Surgères en 1906. En 1905, l'association regroupe
102 laiteries pour 54 420 sociétaires.
Les coopératives laitières furent très actives, très prospères et entraînèrent la
création de nouveaux débouchés économiques et commerciaux. La vente quotidienne du beurre, transporté aux Halles de Paris par les premiers wagons
frigorifiques ayant circulé entre la région et Paris, fut organisée. Chaque soir, le
beurre était emporté pour être vendu au petit matin. À partir de 1902, on commença à exporter le lait à Londres. Des porcheries coopératives adjacentes aux
beurreries furent créées : les porcs étaient nourris avec les restes de petit lait.
La première caséinerie française fut fondée à Surgères vers 1904, bientôt suivie
de plusieurs autres. Dans ces établissements, on produisait de la caséine, équivalent du celluloïd fabriqué à partir du petit lait transformé. Le succès de cette
activité entraîna la création de l'Union coopérative des caséineries de
l'Association centrale des laiteries coopératives des Charentes et du Poitou en
1912. Enfin, des assurances mutuelles contre la mortalité des animaux furent
fondées.
La papeterie coopérative Laroche-Joubert
De nombreuses coopératives se sont développées dans d'autres secteurs,
en particulier dans les domaines forts de l'économie locale. Dans le secteur viticole, il y eut des distilleries coopératives, par exemple à Saintes, ou encore des
coopératives de vente de vins, comme la Société de bascules fondée sur l'île de
Ré en 1887. La Société coopérative des viticulteurs de Cognac et des Charentes
fut fondée à Cognac le 30 juin 1896.
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Laroche-Joubert & C° fabricants de papier : règlement
de coopération.
Angoulême : imprimerie charentaise Chasseignac, 1880.
Bibliothèque municipale d'Angoulême.
Dans le secteur industriel, la coopérative la plus connue est certainement la
société Laroche-Joubert en Charente. Il s'agit d'une entreprise familiale,
ancienne usine à bras transformée en usine mécanique en 1841, en plein développement dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Devenue en 1864 Société
Laroche-Joubert, Lacroix et Cie, elle exploite plusieurs usines. Ses activités sont
diversifiées : production de papier d'emballage, de papier sulfurisé et de papier
à cigarette, ainsi que d'importantes industries annexes comme le feutre et l'emballage. Le 30 juin 1868, la société rajoute à sa raison sociale le titre de Papeterie
coopérative d'Angoulême. À cette époque, c'est l'entreprise la plus importante
de la ville.
C'est à Jean-Edmond Laroche-Joubert (1820-1884), député et homme d'entreprise dynamique aux idées avancées, que l'on doit la création de cette
coopérative. Celui-ci est un entrepreneur paternaliste et philanthrope convaincu
que la paix sociale ne peut reposer que sur la participation des salariés à la vie
de leur entreprise, selon l'application de la formule « Travail, intelligence, capital ». Dès 1850, il développe des œuvres sociales destinées à améliorer les
conditions de vie de son personnel : crèches, salles d'asile, écoles, logements,
aides sociales, paiement aux salariés de l'excédent du prix du pain au moment
des crises frumentaires. À partir de la transformation de sa société en coopérative en 1868, il met en place un système d'intéressement des salariés à la
production. En plus de leurs salaires à la pièce, les ouvriers et les employés touchent des primes et reçoivent ainsi une part déterminée des bénéfices. Une
caisse d'épargne est créée où ils peuvent placer leurs économies. Les collaborateurs et les salariés peuvent accéder par leurs gains à une part du capital
social et devenir copropriétaires des usines et du matériel. Chaque salarié possède un exemplaire complet du règlement de coopération dans son livret
d'ouvrier, fixant, entre autres, les modes de répartition des bénéfices. Un
conseil coopératif de membres élus seconde les gérants dans l'application du
règlement et contrôle les inventaires. En 1899, sur 1 000 ouvriers et employés,
le personnel participait au capital à hauteur d'un tiers et 113 personnes par-
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ticipaient au capital social. Laroche-Joubert n'eut de cesse de présenter ce qu'il
considérait comme son projet social à l'Assemblée nationale. Mais ce système
de coopération ne fut pas repris dans d'autres entreprises de la région. Cette
papeterie coopérative fut néanmoins très renommée. En 1898, le célèbre économiste italien Luigi Luzatti, qui venait participer au congrès annuel du Crédit
populaire tenu à Angoulême, la visita.
L'entreprise fut également remarquable par sa longévité. À la mort de son père,
Edgar Laroche-Joubert (1843-1913) poursuivit son œuvre sociale. Puis ce furent
ses deux fils, Edmond et Paul, qui reprirent la direction de l'entreprise. Entre les
deux guerres, la papeterie coopérative, portée par les deux frères LarocheJoubert, fut à son apogée.
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Les coopératives scolaires
Les partisans des coopératives et des mutuelles ont toujours mis l'accent
sur la nécessité de former les individus à l'esprit de solidarité et d'entraide
nécessaires à leur existence. Il fallait en particulier préparer les enfants très
jeunes à l'esprit mais aussi à la pratique de la coopération. Dans ce but, les premières coopératives scolaires virent le jour après la Première Guerre mondiale.
Elles s'inspiraient de la participation des enfants à diverses œuvres charitables
pendant le conflit. C'est un inspecteur de l'enseignement primaire de SaintJean-d'Angély, Barthélémy Profit (1867-1946), qui créa la première coopérative
scolaire française dans cette ville en 1922. Il publie en 1925 Le Petit coopérateur,
bulletin de liaison des coopératives scolaires. En Charente, Louis Brunet, directeur de l'école de Barbezieux, s'est investi longuement lui aussi dans ce
domaine. Il a créé un magazine, L'ami du coopérateur : revue trimestrielle des
Le Petit coopérateur, Saint-Jean-d'Angély,
[s.n.], 1925-1931.
SCD de l'Université de Poitiers.
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Diplôme Société de secours mutuels Les Travailleurs réunis de Saintes. 1849.
Mention honorable conférée à Monsieur Robert, père,… Paris : Ateliers Bertrand et Béranger, Editeur, [1906].
Médiathèque François-Mitterrand de Saintes.
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écoliers coopérateurs charentais, qui parut de 1925 à 1928. De nombreuses coopératives scolaires se sont développées sous son impulsion dans le
Sud-Charente. Dans ces coopératives, les enfants géraient eux-mêmes le matériel acheté en commun par des cotisations annuelles et par l'argent qu'ils
collectaient, et s'initiaient à l'esprit de mutualité et d'entraide.
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Les sociétés de secours mutuels et les mutuelles
Alors que les coopératives répondaient aux situations normales de la vie
quotidienne, les sociétés de secours mutuels furent créées pour intervenir en
cas de difficultés, pour protéger les familles contre les conséquences de la maladie, de l'invalidité, de la vieillesse et du décès. Elles se sont beaucoup
développées durant la première moitié du XIXe siècle et furent légalisées en 1852
par Napoléon III, afin de favoriser leur développement mais aussi de mieux les
contrôler. L'esprit mutualiste était très développé dans la région. En particulier
en Charente-Inférieure, sous l'impulsion de Justin Laurent (1838-1907) qui créa
plusieurs sociétés mutuelles. Parmi elles, la société des Travailleurs réunis fut
fondée en février 1849 à Saintes, pour fournir à ses membres, moyennant une
cotisation trimestrielle, des médicaments en cas de maladie. En 1905, le regroupement La Charentaise, caisse de retraite mutualiste qu'il a également
constituée, comporte 60 sociétés, soit 11 000 membres.
Ces sociétés se sont beaucoup développées dans le secteur agricole. La première caisse de mutualité agricole semble être née dans le secteur laitier en
1901 à Prissé-la-Charrière en Deux-Sèvres. Les coopératives prélevaient une
retenue sur l'achat du lait au sociétaire une fois par an, afin de régler les
sommes payées en remboursement des sinistres. L'année suivante fut décisive
pour la mutualité agricole, puisque l'Association centrale des laiteries coopératives décida la création de la mutuelle agricole incendie de l'Ouest qui fut à
l'origine de la constitution de la CRAMA, devenue aujourd'hui un élément de
Groupama. Les instituteurs de la région ont aussi beaucoup contribué au développement de l'action coopérative et mutualiste. La MAAIF (Mutuelle Assurance
Automobile des Instituteurs de France) créée en mai 1934 est le meilleur exemple de leur investissement dans ce domaine. Elle fut fondée par quelques
enseignants face à un contexte économique qui leur était particulièrement difficile. La mutuelle qu'ils organisent alors s'appuie sur un fort réseau militant. Elle
supprime les intermédiaires et refuse le profit. Mais surtout, et c'est son originalité à l'époque, elle fait jouer la solidarité entre ses membres en redistribuant
les excédents éventuels ou en demandant un supplément de cotisation aux
sociétaires en cas de déficit. C'est la réussite et le rayonnement de cette grande
mutuelle d'assurance qui imposera Niort comme la capitale des mutuelles.
Nathalie Brémand
Docteure en histoire contemporaine,
chercheuse associée à l'Université de Poitiers
et responsable du service des périodiques imprimés
à la bibliothèque universitaire de Poitiers