A l`origine des créations romanes : le
Transcription
A l`origine des créations romanes : le
Secondaire A l’origine des créations romanes : le commanditaire et l’artiste Le commanditaire Le commanditaire était issu le plus généralement de l’Eglise. On compte cependant nombre d’exemples de fondations laïques, surtout princières comme en témoigne au début du XIe siècle l’œuvre de bâtisseur et de rénovateur du roi capétien Robert le Pieux dans ses terres. Mais, après le lancement de la réforme grégorienne dans la seconde moitié du XIe siècle, la tendance est à la mainmise totale de l’Eglise sur les constructions qui reviennent comme par le passé aux évêques mais surtout aux ordres monastiques, au premier chef l’ordre de Cluny qui étend son réseau à tout l’Occident médiéval. Le rôle des grands souverains et des seigneurs a cependant gardé son importance mais il se borna dès lors, grâce à leur collaboration financière ou politique, davantage à celui de donateur ou de bienfaiteur. L’action du pouvoir laïque a été de ce point de vue déterminante dans l’expansion de l’ordre de Cluny et sans l’argent d’Alphonse VI, roi de Castille et de Leòn, butin de la prise de Tolède en 1085 pendant la Reconquista, on n’aurait pu construire l’abbatiale de Cluny III, la plus grande église d’Occident jusqu'à la Renaissance. Donateurs et bienfaiteurs furent d’ailleurs souvent représentés apportant la maquette de l’église en construction au Christ, à la Vierge ou au saint patron. Par la mise en branle et la participation aux grands chantiers s’exprimaient pour les uns et les autres leur dévotion, leur louange et leur désir de gagner le Paradis et le salut éternel. Eglise Saint-Lazare d’Autun Chapiteau déposé, Donateurs. Dessin : Didier Michineau © Ville de Toulouse, musée des Augustins, document réalisé par le service éducatif, (Caroline Berne, 2002). Secondaire Les témoignages écrits sur les commandes sont très rares. On en sait peu sur les commanditaires et leurs intentions, de même que sur le partage des tâches, leurs relations avec le maître d’œuvre et les artistes et le paiement de ces derniers. La correspondance entre la source écrite et l’objet réalisé est rarissime. Mentionnons deux écrits majeurs pour la période romane : le traité sur les arts le plus important du XIIe siècle, De diversis artibus, rédigé par le moine Théophile vers 1120 et le traité de l’abbé Suger sur la reconstruction vers 1140 de l’abbaye[*] royale de Saint-Denis. Le traité du moine Théophile est une mine de renseignements sur les préoccupations esthétiques, techniques et théologiques de l’artiste. Quant à Suger, il est le commanditaire du XIIe siècle sur lequel on est le mieux renseigné. Mais dans sa relation de la reconstruction de l’abbatiale des rois de France, s’il s’attarde abondamment sur son rôle et ses intentions programmatiques, il ne mentionne ni le nom de l’architecte ni aucun nom d’artiste. On ne sait donc jusqu’où est allée leur liberté créatrice dans l’invention de l’art gothique. Comme le montre Suger, le programme iconographique était imposé par le commanditaire qui intervenait au niveau théologique ou était assisté d’un théologien dans le cas où ses connaissances dans ce domaine n’étaient pas suffisantes. En outre, à l’époque romane, le commanditaire ecclésiastique pouvait être lui-même l’artiste de son projet. La représentation était laissée aux artistes, de même que les marges du programme où pouvaient s’exprimer librement toute leur fantaisie créatrice et les croyances populaires (motifs grotesques, érotiques, folkloriques...). Le chantier Le chantier était sous le contrôle exclusif de l’autorité ecclésiastique depuis le financement, les choix artistiques, l’organisation et la gestion du chantier, le choix de l’architecte jusqu’au plus petit tâcheron. Un operarius, comme le chanoine Raymond Gayrard qui supervisa une partie des travaux de la basilique Saint-Sernin de Toulouse, avait en charge la fabrique, c’est-à-dire l’organisation et la gestion du chantier. Il s’occupait de la comptabilité et de la surveillance des travaux. Les artistes romans > Origine Les artistes furent d’abord, et jusqu'à la fin du XIe siècle, surtout des clercs, moines ou frères convers, puis de plus en plus au cours du XIIe siècle, avec la renaissance urbaine, et à mesure que la profession était reconnue, des laïcs. Ils étaient par ailleurs relayés sur les chantiers par une importante main d’œuvre bénévole dont la participation à l’érection d’un édifice sacré était considérée comme un acte de charité et de pénitence propre à faciliter l’accession au Salut. Les artistes pouvaient être doués d’une grande culture comme le moine orfèvre Roger de Helmarshausen, actif en Allemagne au début du XIIe siècle, que l’on identifie au moine Théophile. Mais, quels que soient leur rôle et leur importance sur le chantier, ils étaient écrasés sous le poids de la position hiérarchique du commanditaire. Page 2 sur 5 © Ville de Toulouse, musée des Augustins, document réalisé par le service éducatif, (Caroline Berne, 2002). Secondaire > Des artistes itinérants Les artistes étaient itinérants, comme l’atteste l’œuvre du Maître de Cabestany (près de Perpignan), dont on retrouve le style caractéristique dans la seconde moitié du XIIe siècle en Roussillon, au-delà des Pyrénées, en Catalogne et en Navarre et même en Toscane. Leur extrême et nécessaire mobilité, au gré des chantiers, a concouru à l’unité de cet art : elle permettait en effet la circulation des idées et des carnets de modèles. > Formation empirique On ne sait rien de leur formation si ce n’est que la transmission du savoir était orale et remontait probablement pour les architectes aux arpenteurs gallo-romains. Il est le plus souvent impossible de connaître leur lieu d’extraction et d’apprentissage et de suivre leur carrière. Mais leur savoir était de toute façon expérimental et cette démarche empirique, faites d’audaces et de renoncements, explique d’ailleurs la forte individualisation des œuvres romanes. > Une grande polyvalence La polyvalence caractérise encore l’artiste roman. La répartition des tâches n’était pas aussi compartimentée qu’elle le deviendra au XIIIe siècle. Il alliait diverses compétences. Il pouvait être aussi bien architecte et maître d’œuvre, constructeur et tailleur de pierre ou maçon, ou charpentier, que simplement et exclusivement sculpteur. Les tailleurs de pierre étaient d’ailleurs chargés aussi bien du travail de finition de la pierre que de la sculpture des chapiteaux ou des bases. Les signatures ne permettent pas de faire la distinction entre les fonctions, sauf en Italie où les inscriptions prolixes révèlent que les professions de sculpteur et d’architecte étaient bien différenciées (ex : signature du sculpteur Wiligelmo à la cathédrale de Modène au début du XIIe siècle). > Statut de l’artiste à l’époque romane Les mots « artiste », « sculpteur » ou « architecte », tels qu’on les emploient aujourd’hui, sont du reste anachroniques pour l’époque romane. Au Moyen Age, l’artiste était un artisan, l’artifex. L’artiste, dans son acception de l’époque, est celui qui étudiait les arts libéraux. Ce n’est qu’à la fin du XIIIe siècle que le mot recouvre l’acception moderne d’une personne douée d’une aptitude technique. Le mot architectus apparaît dès le XIe siècle. C’est le concepteur du projet ou mieux, le maître d’œuvre, le magister operis. Les termes d’aedificator, fabricator et architectus rencontrés sur les monuments laissent planer un doute sur la paternité des œuvres. Ils peuvent en effet tout à la fois désigner l’artiste que le commanditaire. A sa maîtrise du dessin, de la règle, du compas, de l’équerre et du niveau s’alliait une solide formation intellectuelle pour pouvoir manier nombres et géométrie. Mais au XIIe siècle, ce savoir demeurait encore expérimental, à l’inverse de l’architecte gothique qui était davantage un intellectuel. Si en Italie la profession d’architectesculpteur était très valorisée aux XIIe et XIIIe siècles, en France c’est l’architecte qui devint la figure phare pendant la période de constructions des grands édifices gothiques. A partir du XIIIe siècle, il se distingue nettement du maçon et du tailleur de pierre et des autres corps de métiers intervenants sur le chantier, qu’il a pour fonction de diriger et coordonner. Page 3 sur 5 © Ville de Toulouse, musée des Augustins, document réalisé par le service éducatif, (Caroline Berne, 2002). Secondaire A la période romane, le mot sculptor désigne aussi bien le sculpteur sur pierre que sur bois ou l’orfèvre. On ne faisait pas plus la distinction entre les différentes techniques de la sculpture qu’on ne la faisait entre l’architecte, le maître-maçon et le sculpteur. Mais on rencontre aussi les mots marmorarius et lapidarius pour désigner celui qui travaille le marbre et la pierre. On constate en tout cas là aussi une polyvalence des compétences que laisse envisager le flou terminologique mais qui semble s’atténuer au fil des années, à mesure que s’instaure une division du travail et une spécialisation des tâches. Des artistes, comme le Maître de Cabestany, étaient par exemple exclusivement sculpteurs et monnayaient leur talent au gré des demandes. Si donc, le plus souvent, les contours professionnels sont flous, on va au cours du XIIe siècle vers une spécialisation accrue débouchant au XIIIe siècle sur l’organisation en corps de métiers. L’ascension de l’artiste dans la hiérarchie sociale et sa reconnaissance se traduisirent par l’usage de plus en plus fréquent du mot « magister » (maître). Le fait de donner à un artiste un titre identique à celui qui distinguait les intellectuels et les savants est significatif de l’abandon du sentiment de mépris à l’égard de l’activité manuelle. Le savoir-faire était reconnu à l’égal du savoir. Les artes mechanicae furent au cours du XIIe siècle, dans les traités de Honorius Augustodunensis et d’Hugues de Saint-Victor, rapprochés des arts libéraux du trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) et du quadrivium (mathématiques, astronomie, géométrie, musique), base de l’enseignement au Moyen Age, et finirent par prendre place à leurs côtés dans le système général de connaissances. Les architectes gothiques reçurent un enseignement théorique là où celui des artistes romans était empirique. La mechanica comprenait le travail du maçon (caementaria) et du charpentier (carpentaria) et les arts du décor, en premier lieu l’orfèvrerie, puis le travail du marbre, la peinture et sculpture sur pierre, sur bois et sur ivoire. > Des artistes anonymes La majorité des œuvres romanes demeurent anonymes. Le XIXe siècle romantique y a vu humilité et dévouement là où le plus souvent se cachent bien au contraire, comme l’attestent les signatures conservées, l’orgueil de la notoriété (ex : la signature de Gilabertus à la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse qui se qualifiait de « célèbre » : « vir non incertus me celavit Gilabertus »). Il reste effectivement de nombreuses signatures d’artistes dont le caractère laconique (le plus souvent les mentions me fecit ou hoc fecit associée au nom) ne dit pas jusqu’où s’étendaient leurs responsabilités et s’ils avaient en charge simplement l’objet signé, l’œuvre sculptée ou l’ensemble du projet. Citons parmi les plus célèbres : Unbertus qui signa vers 1040 un des chapiteaux de la tour-porche de Saint-Benoît-sur-Loire, Bernard Gilduin vers 1096 la table d’autel de la basilique Saint-Sernin à Toulouse, Gislebertus vers 1120-1130 le tympan du Jugement dernier à Saint-Lazare d’Autun, Gilabertus vers 1140 deux statues du portail de la salle capitulaire de la cathédrale Saint-Etienne à Toulouse. Mais les monuments les plus prestigieux de l’art roman tels que le cloître et le tympan de Saint-Pierre de Moissac, les chapiteaux de la nef et les trois tympans de Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay, demeurent à jamais anonymes. Page 4 sur 5 © Ville de Toulouse, musée des Augustins, document réalisé par le service éducatif, (Caroline Berne, 2002). Secondaire Anonyme, chapiteau d’angle, Sculpteur taillant un chapiteau, 1176-1200, Provient du monastère Notre-Dame de la Daurade, Toulouse, musée des Augustins. Photo : © STC - Mairie de Toulouse. Page 5 sur 5 © Ville de Toulouse, musée des Augustins, document réalisé par le service éducatif, (Caroline Berne, 2002).