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Le Monde Vétérinaire Emilie Vangrinsven, Maurine Zaratin, Stephanie Claeys, Kris Gommeren Ovariectomie par laparoscopie de 2 chiennes atteintes de la maladie de Von Willebrand Les coagulopathies sont un motif de présentation fréquent au département des urgences. On les divise généralement en deux groupes, les coagulopathies primaires et secondaires, dépendant du fait qu’elles soient associées à des troubles vasculaires et plaquettaires (trouble de l'hémostase primaire) ou une carence en facteurs de coagulation (troubles de l'hémostase secondaire). Cette distinction pourra rapidement être établie étant donné que la présentation clinique de ces cas est souvent très différente. INTRODUCTION En effet, la différenciation clinique entre les troubles de l’hémostase primaire et secondaire est fonction de la nature de l’hémorragie (tableau 1). Dans le premier cas, les animaux vont présenter des petits saignements spontanés et souvent multiples au niveau des muqueuses (pétéchies). Les troubles Troubles de l’hémostase primaire Troubles de l’hémostase secondaire - Pétéchies fréquentes - Hématomes rares - Généralement plusieurs sites hémorragiques - Saignements des muqueuses - Hémorragies après ponction veineuse et saignements prolongés en cas d’incision. - Pétéchies rares - Hématomes fréquents - Souvent, un seul site hémorragique - Hémorragies profondes et cavitaires - Ponctions veineuses sans complication - Le déclenchement du saignements peut être retardé, ou ceux-ci peuvent s’arrêter et recommencer. Tableau 1 le monde vétérinaire | # 145 | octobre 2014 de l’hémostase secondaire causent habituellement des hématomes et des saignements localisés au niveau souscutané, articulaire ou cavitaire. Les coagulopathies peuvent également être divisées en coagulopathies acquises et congénitales. Certains éléments permettent de différencier une atteinte congénitale d’une atteinte acquise. Un animal souffrant de désordres congénitaux appartient souvent à une race prédisposée avec un historique familial, un pattern héréditaire, un âge d’apparition plus précoce, et même un historique de transfusions et un type de saignement spécifique. Une des coagulopathies congénitales la plus commune est la maladie de Von Willebrand (vW). La maladie de vW est l’un des troubles héréditaires de la coagulation le plus commun chez l’homme, de même que chez le chien où elle a été mise en évidence dans plus de 70 races (Callan et Giger, 2002). Elle se caractérise par une anomalie quantitative ou qualitative en facteur de vW, une protéine qui circule sous forme de molécules de différentes tailles jointes pour former des multimères (Stockol et Parry, 1998 ; Barr et McMichael, 2012). Le facteur de vW joue un rôle primordial dans l’hémostase. En effet, ce facteur est responsable de l’adhésion des plaquettes à l’endothélium vasculaire et participe à l’agrégation des plaquettes lors de la formation du clou plaquettaire. Toute anomalie ou déficience en facteur de vW entrave donc la formation du clou plaquettaire et entraine des saignements prolongés en cas de lésions vasculaires. Le type 14u Le Monde Vétérinaire 1, la forme la plus répandue, est caractérisé par une faible concentration en multimères fonctionnels, le type 2 par une faible concentration particulièrement en multimères de haut poids moléculaire et le type 3 par une absence complète de multimères (Barr et McMichael, 2012). du corps qui apparaissent puis régressent progressivement. L’examen clinique à l’arrivée est dans les normes. La radiographie de la région ne révèle rien d’anormal. Un animal atteint de la maladie de vW pourra être présenté avec un historique d’hémorragies spontanées au niveau des muqueuses se traduisant par exemple par de l’épistaxis ou encore de l’hématurie, mais par contre rarement par des pétéchies. Des saignements excessifs peuvent être observés lors d’un trauma, la chute de dents, une chirurgie ou encore lors d’une prise de sang. L’intensité des signes cliniques sera fort variable d’un animal à l’autre. Certaines conditions physiologiques peuvent exacerber les symptômes, comme les chaleurs de la chienne par exemple. Par ailleurs un état de stress peut déclencher les saignements : une infection, une fluctuation hormonale due à une gestation, un désordre endocrinien et une administration de médicaments. Ces signes cliniques orientent le diagnostic vers une atteinte de l’hémostase primaire. Les animaux ne guérissent pas de la maladie de vW et les patients présentent durant toute leur vie un risque réel d’hémorragies mortelles dues à un traumatisme ou une intervention chirurgicale. Ce risque est particulièrement important chez les femelles entières étant donné que chacune des chaleurs peut entraîner une perte de sang sévère menaçant la vie de l’animal. Cet article décrit la planification d’une ovariectomie après administration de cryoprécipité et d’acétate de desmopressine chez deux chiennes atteintes de la maladie de vW. CAS CLINIQUES Cas 1 Un Dobermann femelle entière âgée de 1 an est présentée à la CVU avec une masse en regard de l’os occipital et un historique de masses similaires dans différentes régions Figure 1 : Ovariectomie par laparoscopie. le monde vétérinaire | # 145 | octobre 2014 L’échographie de la masse est compatible avec un hématome ou un abcès en train de se résorber. La ponction de la masse oriente le diagnostic vers un hématome. Aucun traitement n’est instauré, mais des examens complémentaires sont réalisés afin de tester la suspicion d’une coagulopathie héréditaire. Une hématologie, un frottis sanguin et l’analyse des temps de coagulation se révèlent être dans les normes. Le Dobermann étant une race prédisposée à la maladie de vW, une analyse de l’activité du facteur de vW est réalisée et confirme la suspicion avec un taux de 44% (la valeur de référence étant supérieure à 75 %). Cas 2 Un Braque de Weimar femelle entière âgée de 1 an est présentée à la CVU pour ovariectomie et suspicion de maladie de vW. Depuis son acquisition, elle présente des saignements persistants, comme par exemple lors de ses premières chaleurs qui ont duré plusieurs semaines et ont provoqué une anémie avec altération de son état général. L’examen clinique à son arrivée est non remarquable. L’hématologie est dans les normes ainsi que les temps de coagulation. L’activité du facteur de vW est de 23 %. Le type I est suspecté compte tenu de la race et de l’intensité des signes hémorragiques. La période des chaleurs constituant un réel risque pour ces deux chiennes, une ovariectomie est conseillée. L’opération de ces deux chiennes comporte cependant un risque hémorragique élevé. Une ovariectomie par laparoscopie est donc conseillée pour éviter au maximum les pertes sanguines. Cette technique permet de limiter l’ouverture de la paroi abdominale à 2 incisions de 1 cm. Les avantages de la laparoscopie sont multiples : meilleure visualisation pour le chirurgien grâce au grossissement, diminution de la douleur post-opératoire, des complications liées aux incisions vu leur petite taille (infection, déhiscence), de la durée opératoire et d’hospitalisation pour certaines interventions et enfin des saignements peropératoires. En bref, la chienne est positionnée Figure 2 : Ovariectomie par laparoscopie. 15u Le Monde Vétérinaire Figure 3 : Administration sous cutanée d’Acétate de Desmopressine au moment de l’induction de l’anesthésie. en décubitus dorsal. Une aiguille de Veress est introduite dans la cavité abdominale au niveau de la ligne blanche à midistance entre l’appendice xiphoïde du sternum et l’ombilic. Cette aiguille permet l’insufflation du CO2 dans l’abdomen jusqu’à atteindre une pression de 10 à 12 mm Hg. Un premier trocart est alors introduit juste en arrière de l’ombilic. Une caméra est insérée à travers ce trocart et permet l’exploration de la cavité abdominale. Un second trocart est ensuite inséré à la place de l’aiguille de Veress. Ce trocart permet l’insertion en alternance d’une pince à préhension pour manipuler l’ovaire et d’un LigaSureTM pour l’hémostase. Chaque ovaire est accroché et maintenu à l’aide d’un crochet à ovariectomie passé au travers de la paroi abdominale latéralement. Chaque ovaire est successivement extériorisé par le second port (Figures 1 et 2). Un protocole pré- et postopératoire est mis en place de la façon suivante. A leur admission le jour de l’opération, les animaux sont typés afin qu’on puisse procéder rapidement à une transfusion si l’hémorragie venait à être trop importante en se basant sur la chute d’hématocrite et l’examen clinique du chien. Pour le typage sanguin, des tests rapides ne nécessitant que quelques gouttes de sang venant d’un tube EDTA sont utilisés (Alvedia Labtest DEA 1, France). Une mesure de l’hématocrite (microhématocrite) est effectuée avant l’opération pour fournir une valeur de base ; celleci est de 40% et 35% pour le premier et le deuxième cas respectivement. Une demi-heure avant l’opération, une injection sous-cutanée d’Acétate de Desmopressine est réalisée afin d’augmenter de façon transitoire la concentration sérique en facteur de vW (Figure 3). Durant la chirurgie, une perfusion de cryoprécipité est mise en place (Figure 4). Le débit est calculé afin que la quantité totale soit perfusée tout au long de la chirurgie. En bref, la poche de plasma est lentement décongelée dans un réfrigérateur entre 4 et 6 °C pendant 8h, jusqu’à ce que le plasma soit en partie fondu. La partie liquide du plasma est extraite à l’aide d’un extracteur manuel et transférée dans une deuxième poche intègre. La seconde poche ainsi collectée doit contenir 90% du volume d’origine du plasma frais congelé. Le cryoprécipité reste dans la poche qui contient le monde vétérinaire | # 145 | octobre 2014 Figure 4 : Poche de cryoprécipité. à l’origine le plasma frais congelé et la seconde poche contient du plasma pauvre en cryoprécipité. Les poches de cryoprécipité sont scellées à chaud, libellées et congelées à – 20°C jusqu’au jour de l’opération (Figure 6). Le cryoprécipité contient une concentration moyenne significativement plus élevée en facteur de vW que le plasma frais (Stokol et Parry, 1995). Il a été évalué que la concentration minimale en facteur de vW qui permet une hémostase adéquate, autant pour éviter des saignements spontanés qu’en prévention d’une chirurgie, est d’environ 35-40 CU/dL (Johnson et al., 1988 ; Stockol et Parry, 1998). Le volume de cryoprécipité à administrer est généralement de 2 ml/kg de poids vif (Erber et Perry, 2006). Les deux chiennes ont été prémédiquées avec de la méthadone (0,2-0,3mg/kg) et du midazolam (0,2mg/kg). L’injection de desmopressine a été effectuée au même moment. Elles ont été induites respectivement au propofol pour le cas 1 (2mg/kg) et à l’alfaxolone pour le cas 2 (2mg/ kg) puis maintenues sous anesthésie générale avec de l’isoflurane. Les deux chirurgies se déroulent sans incident. Aucun saignement anormal n’est mis en évidence. Un contrôle post-opératoire de l’hématocrite révèle une valeur dans les normes dans les deux cas. Les animaux sont hospitalisés afin d’être surveillés durant les 12 heures suivant l’opération. Des échographies FAST (Focused Assessment with Sonography in Trauma) sont réalisées à intervalle régulier et ont pour but de déceler précocement un épanchement abdominal. Aucune anomalie n’est mise en évidence au cours des 12 heures d’hospitalisation post-opératoires. Les deux chiennes ont donc pu rentrer chez elles le soir même de la chirurgie. DISCUSSION La maladie de von Willebrand est une maladie héréditaire pour laquelle il n’y a pas de traitement curatif. Des tests de dépistage génétique sont disponibles pour certaines races, mais pas toutes. Par conséquent, cette maladie persiste dans certaines races qui sont clairement prédisposées comme le Dobermann pinscher (80%), le Scottish terrier, le Caniche 16u Le Monde Vétérinaire miniature, le Pembroke Welsh corgi, le Berger Allemand, le Rottweiler, etc. Le traitement du patient est par conséquent focalisé sur la prévention du trauma et l’évitement de saignements, ainsi que le contrôle des hémorragies et le traitement d’un éventuel choc hypovolémique en cas d’hémorragie aigue et importante. En cas de trauma planifié, on peut essayer de fournir au patient le facteur de vW. Il reste important de rappeler que ces mesures sont temporaires, en cas de chirurgie par exemple, puisqu’elles dépendent de la demi-vie des facteurs spécifiques. Les facteurs peuvent être cherchés dans le patient lui-même via des molécules qui stimulent la libération des facteurs. Chez l’homme, la maladie de vW est par exemple traitée avec de la desmopressine qui stimule la libération du facteur de vW à partir des stocks corporels et mène à une augmentation de sa concentration systémique. Seules quelques publications supportent son efficacité chez le chien (Johnstone et Crane, 1987 ; Kraus et al., 1989 ; Johnstone, 1999 ; Callan et Giger, 2002). Cependant, sa courte durée d’action (2 à 4 heures), le développement de résistances, ainsi que son coût limitent son utilité à long terme pour cette maladie (Plumb, 2011). De plus, il faut une production et un stock corporel de base pour que ce traitement puisse fonctionner. Les doses décrites vont de 1 à 4 µg/kg par voie sous-cutanée (produit intra-nasal) avec un déclenchement de son activité 30 minutes après l’injection et une durée d’action approximative de 2 heures (Carr and Panciera, 2000). Cette molécule doit être utilisée avec précaution chez des patients sujets à des incidents thrombotiques. Des agents antifibrinolytiques (par exemple l’acide aminocaproïque) sont également utilisés en médecine humaine pour stopper les saignements après une chirurgie mineure, en cas d’épistaxis ou de saignements gingivaux. Ces médicaments sont une option attractive pour les vétérinaires du fait de leur faible coût et leur sureté mais il existe peu d’articles sur leur utilisation (Barr et McMichael, 2012). La transfusion de concentrés plaquettaires frais ou une supplémentation exogène en facteur de vW sont impraticables en médecine vétérinaire de par leur coût et le volume à administrer. Une deuxième façon de traiter le patient est l’administration de facteurs de vW exogènes sous forme de transfusions de sang, plasma ou cryoprécipité pour lesquels la certitude d’efficacité est supérieure à la desmopressine. Plusieurs articles recommandent préférentiellement le cryoprécipité en se basant sur son efficacité et sa sûreté. En effet, son utilisation diminue les risques de réaction anaphylactique et les risques liés à une hypervolémie (Ching et al, 1994 ; Stockol et Parry, 1998). Le facteur antihémophilique cryoprécipité, aussi connu sous le nom de cryoprécipité ou cryo, est un produit obtenu à partir de plasma frais congelé. le monde vétérinaire | # 145 | octobre 2014 Le cryoprécipité est la partie insoluble du plasma qui précipite lorsqu’une poche de plasma frais congelée est lentement décongelée entre 1 et 6° Celsius. Les protéines qui le constituent sont le fibrinogène, le facteur VIII, le facteur XIII, le facteur de vW et la fibronectine (Stockol et Parry, 1998 ; Erber and Perry, 2006). CONCLUSION Les chiens souffrant de la maladie de vW courent un risque permanent d’hémorragie potentiellement mortelle qui demande une prise en charge d’urgence. Les femelles sont particulièrement exposées à ce risque durant leurs chaleurs, raison pour laquelle la stérilisation est recommandée. Comme expliqué dans cet article, plusieurs options thérapeutiques sont disponibles en médecine vétérinaire telles que la transfusion de sang, la transfusion de plasma, l’apport de facteur spécifique ou l’utilisation de médicaments qui libèrent les stocks corporels de facteurs de vW. Ce rapport de deux cas opérés à la CVU de Liège montre que l’administration de cryoprécipité et de desmopressine avant une ovariectomie par laparoscopie est possible et sûre chez les chiennes souffrant de la maladie de vW. Bibliographie : - BARR J.W., MCMICHAEL M. Inherited Disorders of Hemostasis in Dogs and Cats, 2012. Topics in Compan An Med, 27, 53-58. - CALLAN M.B., GIGER U. Effect of desmopressin acetate administration on primary hemostasis in Doberman Pinschers with type-1 von Willebrand disease as assessed by a point-of-care instrument, 2002. Am J Vet Res, 63(12), 1700-1706. - CARR, A., PANCIERA D. Kirk’s Current Veterinary Therapy: XIII Small Animal Practice. 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