Une culture propre au Canada
Transcription
Une culture propre au Canada
SIÈGE SOCIAL: MONTRÉAL, SEPTEMBRE 1954 Une culturepropreau Canada a des gens qui considèrentla culturecomme ILuny avoir, plutôtqu’unemanièred’être.D’autres pensent qu’elle se diviseen culture desgensbienélevés, culture des masses,culture des gensinstruits, culture desreclus, ainside suite.Pourd’autres encore, elleest fractionnée en musique,poésie,sculpture, peintureet toutes sortes d’artsetde métiers. La culturepropreau Canadacomprendrales arts, les métierset les coutumes, renforcés par la tradition et la foi.Elletiendra comptede nosressources matérielles,de nosconnaissances scientifiques, de nos pratiques religieuses, de nosorganisations familiales et sociales et de notregouvernement; en un mot les chosespratiques de ta vie ainsique soncôtéesthétique. La culture est un mélangede tout cela et des autresingrédients de la viequiexpriment l’élanvitalactuelde notrepeuple. On ne peut pas être "cultivé"de temps à autre, quandl’occasionle demande.La cultureest dans un état constant d’évolution.Nous autres Canadiens n’avonspas encore,Dieu merci,atteinttout notre développement artistique, religieux, scientifique et intellectuel. Il est bon,pour une nationqui prendle castor comme emblème,de marchervers un idéal au lieude se contenter de sesbiensmatériels. Si le Canadaest destinéà demeurerune nationimportante, notreprogrès culturel ne saurait êtreregardé comme fortuit et comme ayant moins d’importance quel’unde sesingrédients. Une desbeautésde la culture est qu’elle est indéfinissable. Elleparticipe trop de l’espritd’un peuple pourse laisser circonscrire parlesmots. On ne réussit jamaisà analyser lesréalités transcendantesde la vie commela foi,l’amour, le patriotisme, la religion et la beauté, parcequeces parties constituantesde la culturene peuventêtre réduites en termes plussimples. Laculture n’est pasfixe On ne sauraitaccepterla culturecomme un code immuablede la vie. Loin d’êtrestagnante,elle est dynamique.Elle nous ouvre de vastes horizons.La culturecanadiennen’auraitaucunenoblessesi nous pouvionsdire:"Voilàtes préceptes absolusde culture que nous acceptonscommerègles." La culturene consistepas,commed’aucuns se l’imaginent, à siégersurun piédestal élevéparnosancêtres, mais à y conquérirchaquejour notreplaceau risque de la perdre. Notreculture estlerésultat de notreévolution sociale. Elle comprendnos inventions et nos découvertes, les gainsde nos efforts,la conception philosophique de nosidéeset de nosactes,lesinstitutions quiforment la base ouvrablede notresociété,nos sentiments et nos manièresde voir. Tout le passé de l’humanitéfait partiede la culture, y comprisles récentsapportsdes peuplesde toutesles nationsqui ont découvert, coloniséet développé le Canada. Il fauttoutefois ajouter à la culture quelques caraetéristiques fondamentales dont l’art,la musique,la culture, leslettres, la philosophie, la science, laviede familleet les coutumessocialessont les principaux symboles. La base d’uneculturedurableest la recherchedu vrai.L’étroitesse d’esprit s’oppose à la culture, et ceux qui refusent de voirles deuxcôtéd’unequestion ou de tolérerce qui leur déplaît,n’ontaucundroitde prétendreà la culture. Compréhension de la vie L’intelligence faitpartiede la culture. Quandnous commençons à comprendre le sens,le but et les conditionsde la vie,c’estnotreintelligence qui s’éveille. Nousfaisonsdes progrèsen intelligence culturelle à mesureque nousen faisonsusageet que nous acceptons la responsabilité des conséquences. L’intelligence refrène nosinclinations violentes et antisoeiales, nouspousseà rechercher de plusnobles plaisirs quelessatisfactions physiques etnousfaitvoir leschoses sousleurvraijour. Et pourtant, toutennous permettant de connaître lesmerveilles desastres, de l’air etdelaterre, ellenouslaisse libres d’apprécier la beauté d’uncoucher de soleil. Certains adversaires de l’orientation modernedes artsprétendent quele sensesthétique de notreépoque estinférieur à celui desanciens. Maislesgoûts varient selonlesépoques et selonlescontinents. Ce quiétait du meilleur gofitpendant l’~gede Périelès, au siècle de LouisXIV,ou l’andernier en Angleterre, ne plaît pasnécessairement auxCanadiens d’aujourd’hui. Il n’estpasnécessaire d’avoir desdipl6mes pour posséder cettesorted’intelligence. On rencontre souventdespersonnes relativement illettrées capables de concevoir de profondes pensées et de sentirla poésie deschoses, tandis quedesgensinstruits, dontl’esprit estcapable d’unefoulede toursde force, n’ontqu’un senssuperficiel delavaleur del’existence. "LegoSt,ditRuskin dansLe Vraiet le Beau,estla préférence instinctive et immoediate d’unobjetmatériel ì un autresansraisonapparente." Ce qui parleen nous,c’esttoutnotrepasséauxprises avecun nouveau milieu. Unegrandepartiede la culture estsimplement une chaîne detraditions. Nosrapports avecnossemblables sontplusou moinsrégisparla société danslaquelle nousvoyonsle jour.Nosancêtres nousontléguécertaines manières degagner notrevieetcertaines règles de conduite. De’veloppement du Canada Au milieude la grandeprospérité dontnousjouissonsilserait dommage deperdre lesjoies etlessatisfactionsfondamentales quiforment unepartiesi importantede notreculture. Touten profitant desgrands avantages quenousoffrent la radio, la télévision, le cinémaet les voyages, il seraitabsurded’oublier qu’aux premières années de notresiècle nousgofltions le charmeet l’exaltation de formesplussimples de musique et d’art. Sansce pointde départ, le progrès serait inconcevable.La culturemodernedu Canadareposesur la préservation de toutce que nos prédécesseurs ont contribué audéveloppement de notrepays,et la culture Danslespetites villes et lesvillages du Québec, de de demaindépendde ce que nousajouterons à cet l’Ontario etdesProvinces maritimes, la musique était héritage, nontantsousle rapport desus et coutumes, le patrimoine dela paroisse, carpresque toutela vie quesouscelui desidées. gravitait alors autour dela paroisse. C’est danslasalle paroissiale qu’avaient lieulesconférences, quefoncLe mondechange tionnait la lanterne magique, et quese tenaient les expositions culinaires où se manifestaient l’artet la Toutefois, le respect destraditions a quelque peu perdude sa forcedansnotremondechangeant. La science des ménagères de l’époque. L’écoleétaitle intellectuel, avecsabibliothèque etsonhabitude nouvelle génération abandonne en partielesanciennes centre decréer et desatisfaire legoûtde labonne lecture. Le coutumes commeellea déjtiabandonné le styletrajournal local, contenant lesnouvelles del’endroit, était ditionnel en musique, danse, peinture etsculpture. lujusqu’à ladernière ligne. ArnoldJ. Toynbee ditdansA Studyof History: "La tendance courante à abandonner nostraditions artisLesdeuxcultures tiques n’estpasdueà l’incompétence technique; c’est Quandnousavonsinstitué une Commission royale l’abandon délibéré d’unstylequia cesséde plaire à en 1949 pour étudier la vie culturelle du Canada, nous unenouvelle génération parceque cettegénération ne l’avons pas appelée une commission pour la culture, cessedecultiver sonsensesthétique à lamanière tradiroyaled’enquête sur l’avancetionnelle del’Occident." Ilestpossible quelajeunesse mais"la Commission ment des arts, lettres et sciences au Canada."Le d’aujourd’hui s’insurge contre le respect destraditions résultat, sous forme d’un rapport de plus de 500pages, parcequ’elle y voituncultedesconventions. fournit auxintéressés l’histoire del’état actuel desarts Nousn’acceptons pas viteleschangements. Nous culturels au Canada. trouvonsnoshabitudes pluscommodesque lesnouveautés qu’onnousoffre.Ce quiestmatériel, comme Le premier paragraphe du décretinstituant la Commentionne leséléments d’uneculture nationale. un outil,un instrument de cuisine, un calculateur mission "Il importeque les Canadiens connaissent le plus électronique pourle bureau, s’installe facilement dans notrevie.Les avantages en sontdémontrables. Le possible leurpropre pays,qu’ils soient renseignés sur sentiment n’entrant pasenjeu, iln’ya pasderésistance sonhistoire etsestraditions, etqu’ils soient éclairés sur sentimentale. Maisdansle domainedes idéeset de lavieetsurlesréalisations collectives deleurpropre la vie intimeles nouveautés pénètrent lentement. nation." Celaconduit naturellement à l’examen de l’idéal cité par le Dr A. R. M. Lower,professeurd’histoiredu Canadaà Queen’sUniversity, dans son livreCanada, .Nationand .Neighbour. Le Dr Lowerdit: "La nouvelle nationdu Canadane sera pas érigéesur l’oublidu passé,mais sur son incorporation en deux traditions vivantesqui, peut-êtreun jour, partagerontune culturecommunesans que chacuneperde la sienne." Le Canada est, d’après un autre auteur, Bruce Hutchison,"comme un adolescentqui, en se mettant en route,aperçoitpar-dessus son épaulele glorieux passé de sa patrie en Franceou en Grande-Bretagne et,devantlui,l’éblouissant éclatdesEtats-Unis." Une culturenationale doit remplirdeux conditions pourêtresaine:il fautqu’elle soitoriginale et nonpas calquéeservilement sur cellede l’uneou l’autrede sessources principales, et quelesdeuxcultures amalgamées tiennentcomptede leursrapportsentreelles,à la foisde ce qu’ellesapportent et de ce qu’ellesembrassent. Notresituationn’estpas exceptionnelle. Beaucoup d’autresnationsont eu le même problèmede réunir des individualités apparemment contradictoires en une loyautécommune.Il n’existepas encorede symbole communémentacceptéd’unitécanadienne,mais cela viendra,et nous verronsfleurirdes traditionsqui lierontnotrepeupleen une unionpermanente. Leseulobstacle à ce résultat serait de vivreà l’écart les uns des autres.Il est essentiel que nousrestions libresd’emprunter à l’occasion ce qu’ily a de meilleur dansla culture de toutesles nationalités qui composent notrepopulation. Un auteur a dit dans un style imagé au sujet de l’Utopie:"Une bonne culturefait constammentdes empruntsaux autrescultures,mais comme l’abeille quiva à la fleurpouren recueillir le pollen, et nonpas comme l’apiculteur qui va à la ruche pour en prendrele miel." Si les habitants de deux partiesdu Canadaont des idéeset des croyances réellement inconciliables, des relations plusétroites et le sincère désirde s’entendre arriveront à inspirer un respectmutuelet à amenerun compromishonorable. Les manifestations de bons sentiments sont excellentes,mais on n’érigepas une culturenationale sur un échangede civilités. Il est impossible d’ignorer certaines différences, plusimportantes que la question du langage.GeorgeJ. Laveredit dans un articledu numérod’étéde Culture:"C’estdansla façonde juger leschosesquerésidela vraiedifférence." Les habitantsdes autresprovincesdu Canadarespectentles idéesdu peupledu Québec,particulièrement en ce qui concerneson idéalde la famillecomme baseessentielle de notresociété. De leurcôté,lesCanadiensfrançais admirentles nouvelles manièresde voir et de faire,la fécondité d’invention et la diversité de talentdes Canadiens de langueanglaise et des nouveaux immigrants des autrespays. Tropdesimplicité ? La culturecanadienne n’en est pas encorearrivéeau pointde pouvoirêtrequalifiée de propreà notrepays, maiselleest en trainde forger, au moyende ses hérirageset de ses emprunts, quelquechosede distinctement nouveau-monde. Nous sommessimples,dit-onparfois;nous sommes encoretropprèsde la nature.Ces critiques voudraient quenos artistes, nospoèteset nosromanciers se détournent de la contemplation de la forêtet des montagnes, des prairieset des toundras,pour dépeindreplus artistiquement ce qu’onappellevaguement’Tâme"du pays.Mais ces forêtset ces montagnes, ainsique ces prairies et cesbroussailles, ontservide fondement à la vie canadienne. Les économistes et les présidents des grandesentreprises les appellent le pilierde notre économie, la raisonpourl’existence et la préservation de notremanièrede vivre. La naturea énergiquement résistéà la colonisation du Canadapar les aventuriers françaiset anglais,et l’histoire en estencoresi récente qu’ilseraitétonnant que nousfussions déjàdevenus un peuplegaiet frivole, oublieuxde nos débutset insouciants de ce qui forme la baseet le soutien de notreprospérité. Peut-être que de notresimplicité sortiraune culture exceptionnelle, entièrement différente des culturesinspirées par les mytheset les légendes, les histoires de batailles, de pompeet de conquêtes. Nos ancêtresétaienthabiles, et c’estce qui leur a permisde survivremalgrétoutesles rigueurs;nous sommesarrivésà un confortrelatifdans une société baséematériellement sur l’invention et l’adaptation. Si nous apprenonsà mêler un peu de poésieà notre respectdu passéet à notrecontentement du présent, nous seronsen bonnevoie de trouverla culturedistinctive que nouscherchons. La hâte n’estpas nécessaire et ne seraitpas sage. Nous n’avons pas demandé aux articles de l’Acte constitutif de la Confédération ni aux dispositions du Statutde Westminster de nous fairepasserautomatiquementet rapidement de l’adolescence à la maturité. On trouveau Canada,dit M. Lavere,une vie intellectuelle etartistique aussibiensurleplanprofessionnel que sur le planamateur.Cettevitalitéculturelle est d’excellente qualité et suffisamment sévère envers ellemêmepourchercher à fairede mieuxen mieux.Les Canadiens écrivent de bonslivreset composent de la bonnemusique;ils commencent à réussirdans le théâtre etleballet; nousavons despeintres distingués; nos filmsont une réputation internationale; notre radiodécouvre desartistes de talent. "Nousn’avons plusbesoin, ditl’introduction à l’article de Robert Weaver dans le numéro du 60e anniversairede Queen’s Quarterly, de nousexcuser au sujetde nosarts récréatifs". d’essais canadiens, éditéparMalcolm Ross,professeur delittérature anglaise à Queen’s University estintitulé bienà propos OutSense ofIdentity. Inutile de nouspréoccuper du résultat denosefforts ou de l’importance de notreconcours individuel tant quenousagissons avecsincérité conformément ~ notre sensdesvaleurs. Nosvies,individuellement, sontles maillons d’unechaîne,et ce quenousfaisonsa une portée nationale etuniverselle. Si chaqueCanadienexercede son mieuxson sens desvaleurs, la culture denotrepaysne risquera pasde dégénéreren mélangecompliquéd’atourscriards La famille estde beaucoup la plusimportante voie çàetla. de transmission de la culture. Le modeste ameublement recueillis d’unehuttede sauvageacquiert uneimmenseportée Il estimpossible de fairedesplansen matière de parcequ’ilestgroupéautourdu foyer,symbole des culture commeen politique ou en affaires. La culture relations intimes delaviedefamille. n’estjamais entièrement consciente. Maissi nousvoulons donner un sens à la vie, et peut-être unsensspécial Lesidées, lespréjugés etlessentiments acquis dans à la vie canadienne, il est essentiel de prendre des lefoyer se fontsentir surnospensées et nosactions au mesures pour profiter de tout ce qui peut servir à coursde la vie.Leshommesd’Etatet lesfinanciers, alimenter et développer notre culture. leséducateurs etlesartisans, leshommes etlesfemmes danstouslesdomaines de la vie,sontinfluencés dans La vie est bonneau Canada leursdécisions et dansleursactions parl’empreinte Personnen’estobligéde vivremisérablement au qu’ont laissée lesannées vécues auseindelafamille. Canada,saufparpréférence. Ceuxqui fonttropde La culture s’accroît en passant de l’intimité de la casduconfort, desbiensmatériels de ce monde, et des famille à la collectivité, ì laprovince età la nation. heures deloisir, mènent decefaitunepiètre existence SaintAugustin ditquela nationestuneassociation culturelle etne sontpascotéstrèshautdansl’échelle d’êtres raisonnables liéslesunsauxautres parleur de la civilisation. La vien’estplusaussidurequ’au accord surce qu’ils aiment. Le contraire de la culture tempsde nos ancêtres, maissi nousoublions leurs estlabarbarie, etlesbarbares sontdesgensquitiennent épreuves, nousnousprivons dece quiconstitue labase à faire cequileurplaît, sansobéir à aucune règle. la pluslogique, la meilleure et la plusémouvante de notreculture. Lesgenscultivés sedistinguent parlasupériorité de leurs idées, lajouissance dubeau, leureffort deseperOn a trouvédans la péninsulede Gaspéun des fectionner etd’améliorer leurmilieu, et leurdisposition premiers spécimens de la végétation terrestre. C’est à examiner lesnouveautés. une pauvrepetiteplante,hauted’unpiedet sans feuilles. SirJohnWilliam Dawsonra découverte vers Lalargeur d’esprit estunpilier delaculture. Ledon l’époque de la Confédération. Elle a précédé d’environ dejugerleschoses à leurjuste valeur en estun autre. millions d’années lesarbrestouffus Clive BellditdansCivilisation quelacuriosité intellec- soixante-quinze etlesbelles fleurs del’époque carbonifère. tuellede l’homme cultivé estnonseulement infinie, maiscourageuse et désintéressée. C’estun homme Cettedécouverte donnera peut-être à réfléchir ~t tolérant, généreux et inébranlable. S’iln’estpastouceuxquisontimpatients de voirla culture fairedes jours affable etcourtois, dumoins iln’est pastruculent, progrès au Canada. Ellene prendra pasaussilongtemps soupçonneux ou arrogant. Il distingue entrela finet à sedévelopper quelagrêle petite tigede sirJohnn’en lesmoyens, méprise leschinoiseries, etcrève lesbulles a misà produire nosvastesforêts, maiscelaprendra d’indignation moraleavecla pointeaiguisée de son dutemps. Pasplusquelesarbres etlesfleurs, laculture jugement. ne se fabrique parenchantement. La famille Etrece qu’on est Nouscherchons une culturedanslaquelles’harLa meilleure recettepourune culturecanadienne monisent quatre qualités, lavérité, labeauté, l’aventure est peut-être simplement d’avoirle couraged’être et l’art, etcetteharmonie quiexclut l’égotisme, l’innaturels. Il fautnoustenirlibres intellectuellement térêtpersonnel etla hâte,nesaurait êtreréalisée que d’agirselonles besoinsde l’occasion. Un volume parunelentecroissance. IMPRIMÉ AU CANADA par I.a Banque Royale du Canada