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Concours de l’été 2012
ELLIL
Barbara French
Un jour…
La chambre de Southsea donnait sur la mer. Les rideaux bouillonnaient sur une moquette sable. La
coiffeuse trônait au bout d’un lit de chintz fleuri. Tout était anglais.
Revenu à ses premières amours de la côte et des embruns huilés du port de guerre, Anton avait
retrouvé le chemin de la petite maison où il avait connu Deborah. Rien n’avait pu le retenir à Paris.
La commode de pin l’appelait.
La première fois, aperçue dans l’entrebâillement de la porte, elle ne lui avait fait qu’un discret clin
d’œil. Aujourd’hui, Deborah au-dehors, sa commode n’attendait plus que lui.
Le premier tiroir résista un peu pour la forme. Une lingerie multicolore jaillit tout à coup comme
autant de papillons légers et veloutés. Soies, satins et dentelles s’envolaient sous ses doigts. Le sable
du tapis fut bientôt recouvert de ces fleurs de tissus comme un printemps sensuel éclos rien que pour
lui…
Le second tiroir ne se fit pas prier. Volontaire et hâbleur comme le noir des guêpières, des bas et des
collants… Un tiroir de conquête. Un tiroir de Nelson.
Le troisième enfin s’offrit à lui tout entier y trouvant à sa taille les nuisettes légères et, caché dans les
plis des tissus, les objets de plaisir dont seule une femme peut s'enivrer en secret.
Anton essaya tour à tour le noir et la couleur, le suave et le sucré. Plongeant dans le satin, humant
chaque dentelle. Il vola le parfum de son intimité.
Un midi…
Anton n’avait pas réservé cette table par hasard. C'était le lieu exact de leur rencontre. L'épicentre
d'une histoire ancienne qui ne fêtait plus les anniversaires. Ils étaient revenus. Elle ébène et lui
albâtre. Face à face, mains nouées par des lianes invisibles au-dessus de la nappe blanche de cette
trattoria anglaise d’un genre douteux. Vue sur les Piers criards et gras. Le cocon qu’ils retissaient
après ces années de vol libre abritait à nouveau une promesse de paradis. Comme au premier matin
du premier jour, quand les corps se confondent, que l'un naît de l'autre dans un genre nouveau.
- Je voudrais que tu ailles aux toilettes et que tu me rapportes ton caleçon.
Jamais personne ne lui avait demandé cela. Il vibrait. Il ressentait son émoi jusqu'au creux de ses
reins. Le regard appuyé de Deborah le fit lever doucement. Elle vit son excitation. Il plongea les
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Concours de l’été 2012
mains dans ses poches dans un détachement crâne et traversa le restaurant sur un tapis de coton. La
porte refermée derrière lui, il se trouva seul avec son gage. Il ôta alors en cachette son caleçon,
remonta son pantalon sur ses fesses nues et rejoignit leur table. Le tissu ajusté sur-mesure marquait
un peu plus son derrière sur lequel il devina les regards posés. Leurs mains rejointes sous la table
échangèrent une poignée de lycra.
Debbie se leva à son tour sans lui dire un mot. Il la questionna des yeux. Elle lui répondit par un
sourire mutin. Il la vit s'éloigner. Sa robe fluide dansait autour d'elle. Poing noir serré autour de sa
victoire.
- Maintenant que je porte ton caleçon, va mettre ma culotte.
Par-dessus la table, aux yeux du monde, elle referma la main d’Anton sur une légère boule de
dentelle. Il repris alors le chemin de sa soyeuse punition. Il glissa dans le tissu brillant et referma sur
son sexe tendu sa cage de satin. Une goutte perla à travers l'étoffe. Il la déposa sur son doigt, puis sur
ses lèvres. Et il embrassa sa maîtresse retrouvée, échangeant une promesse de plaisir.
Anton aimait le tissu glissant sur ses rondeurs. Debbie le savait. Ses mains se promenèrent un instant
aux limites de la jouissance, cherchant une couture, un motif, un ruban,... Ils firent l'amour ce soir-là.
Ôtant au moment crucial leurs lingeries échangées. S’effeuillant eux-mêmes en déshabillant l'autre.
Un soir…
Il est tard. Le ciel fut bas toute la journée. Anton n’avait pas tellement le moral après cette escapade
anglaise, et l’idée de rentrer seul ce soir-là ne l’enchantait guère. Heureusement que Mathilde
l’attendait. Dès qu’elle avait su qu’il rentrait à Paris, elle avait insisté pour qu’il vienne dîner.
Impossible à refuser à sa meilleure cousine.
Pourtant il sonna chez elle sans enthousiasme. Elle le ressentit en l’invitant à monter. Ses questions le
firent immédiatement craquer. La carapace était fendue et il s’entendit lui redire sa fatigue, son
boulot, ses amours, … Avec beaucoup de tendresse, elle lui proposa de se relaxer dans un grand bain
chaud qui, selon elle, lui ferait le plus grand bien. Il glissa sans rechigner dans le parfum du
chèvrefeuille…
- Tu trouveras un peignoir derrière la porte, enfiles le en sortant, tu seras plus à l’aise. Rejoins-moi au
salon.
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Concours de l’été 2012
Depuis son refuge moussant, Anton observait le peignoir de satin blanc qui l’attendait sagement. Le
tissu fluide fut comme une caresse. Il glissa en dehors de la salle de bains. Mathilde l’attendait.
- Il te va bien tu sais. Tu peux le garder.
- C’est agréable, c’est vrai. Merci pour le cadeau.
- Ce qui est encore plus agréable, c’est de sentir les tissus qui de répondent. Attends-moi.
Mathilde revint avec une nuisette de satin assortie. Il s’y perdit doucement. Les légères bretelles se
posèrent sur ses épaules et le bout de ses seins vibra sous la dentelle. Le peignoir remonté depuis ses
hanches entama alors une longue caresse vers sa nuque. Malicieuse, Mathilde sorti alors de la poche
une petite culotte qui emprisonna son sexe dans le tissu brillant.
- C’est bien que tu te laisses faire… J’en avais envie depuis longtemps. Je veux que tu sois encore
plus douce… dit-elle en passant sa main sur ses fesses.
Il plongea à nouveau dans un bain chaud et Mathilde le rasa délicatement.
- Je vais te faire belle. Rejoins-moi dans ma chambre.
Une culotte et un soutien-gorge de dentelle noire l’attendaient sur le bord du lit. Mathilde l’invita à
les enfiler pendant qu’elle faisait glisser sur ses jambes lisses la soie des bas noirs. La fraîcheur de la
silicone excita un peu plus sa poitrine et gonfla la dentelle. Ses joues se poudrèrent. Ses yeux se
fardèrent. Ses lèvres rosirent sous le pinceau de Mathilde. Ses cheveux tombèrent en boucles lourdes
dans son cou. Le fourreau de la robe affina sa silhouette et il sentit ses reins se cambrer au-dessus de
ses talons.
- Tu es belle. Comme je le désirais.
Debout devant elle, il n’attendit plus que les mains de Mathilde trouvent le chemin de ses fesses, de
ses cuisses, de son sexe tendu dans la soie.
Une nuit…
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Concours de l’été 2012
Deborah se tenait debout devant lui. Leur étreinte anglaise avait réveillé de nouveaux désirs que la
jeune femme ne se résignât pas à refouler. Ses doigts délicats effeuillaient le papier de soie du cadeau
qu'elle avait apporté pour lui. Elle souriait en lui montrant la petite culotte de satin. Il se tenait nu
devant elle comme elle le lui avait demandé. Elle s'approcha d’Anton et lui caressa le visage avec le
tissu, les épaules, le torse, les fesses...
- Tu verras, elle t'ira très bien.
Accroupie devant lui, elle remontait doucement le vêtement emprisonnant son intimité et son désir.
Sa main ne pu s'empêcher d'effleurer le rebond de son Il.
À Paris, la chambre d'hôtel, raffinée, ne comportait aucun miroir. Seuls les yeux de Debbie reflétaient
la femme qu’Anton devenait peu à peu. Du paquet sortirent également un caraco assorti et des bas de
soie. Deborah l'y glissa avec malice.Il ne bougea pas, laissant doucement cette femme jeune le guider
vers Elle. La robe qu'elle agrafa, fourreau de velours prune, lui fit ressentir un peu plus la tension de
l'instant. Nulle pression pourtant. Juste la tension de la coupe sur sa croupe. Les pinceaux et les
poudres tournoyaient en silence, noirs corbeaux ou blanches colombes ? Enfin, en boucles brunes,
tombèrent en silence les cheveux de Barbara.
- Tu es prête, tu peux descendre à présent.
Debbie ouvrit doucement la porte de la chambre et il se glissa au-dehors.
Un matin…
Barbara était assise au bord du lit comme au bord d'un quai, jambes ballantes au-dessus du fleuve
boueux de sa journée qui commençait. Sautera-t-elle ? Elle l'avait déjà tenté. Une fois. Il y a
longtemps. Assise également, bras tendus, paumes appuyées sur l'angle luisant du port. Elle avait
d'abord vu ses ballerines s'envoler vers le large et s'apprêtait à les suivre. L'instant fut bref pendant
lequel elle revît les détails de son départ. La robe qu'elle avait choisie simple et droite. Ni trop courte
ni trop longue. Elle ne voulait pas que l'on puisse dire à cet instant qu'elle laissait derrière elle une
ultime provocation. La route avait été douce jusqu'à la mer. Elle avait laissé sa bicyclette le long des
manèges comme elle le faisait autrefois. Ici ils la retrouveraient. Barbara avait toujours eu le souci du
détail et de la mise en scène. Étrangement, au moment de partir on trouve toutes les raisons du monde
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pour rester. Chaque son, chaque parfum est à nouveau une promesse. Barbara se souvint de tout. Des
lilas et des roses, des œillets qui ne sentent rien. Du vent dans ses cheveux, sur son ventre, sous sa
robe. Des mains amies et des mains aimantes. De la fraîcheur du matin et de la douceur du soir. Du
pain d’épices. Du sommeil des enfants. Elle relut alors en pensée la lettre qu'elle venait d’écrire.
Comment avait-elle pu laisser passer cette faute d’orthographe ? Personne ne lui pardonnerait cet
écart, elle si douée pour la littérature. Elle se leva et rentra pieds nus à la villa.
Ce matin de décembre, au bord d'une journée qui commençait, Barbara se souvenait de ce jour-là.
Elle posa enfin son pied nu, le droit, sur la moquette sable. Les vêtements, jetés au hasard comme de
grandes flaques laissées par une marée d'ivresse et de plaisir, donnaient à la chambre d'hôtel des airs
de bord de mer. Elle entreprit, amusée, de fouler cette plage imaginaire qui courrait vers le rivage vert
des faïences de la salle de bains. Sur le fauteuil, ses bas, longues algues brunes, s'étiraient depuis leur
rocher de velours. Sa culotte de satin, coquillage étincelant oublié par la mer, avait un goût salé sur
les lèvres de Barbara. Plus loin, de l'autre côté du lit, les formes se faisaient plus sombres, plus
lourdes, dauphins échoués, sans vie, morts.
Et pourtant, ils doivent reprendre vie, redevenir chemise et costume. La magie d’un féminin
accomplie la nuit dernière, l’ombre fugitive vers le restaurant et les lumières de la ville dans ses yeux
brillants, l’audace appartenait déjà au passé de Barbara. Dans ce matin de minuit, charme rompu, elle
aussi, redeviendra lui.
Une vie…
Anton vivait ainsi. Naviguant sur les eaux tumultueuses de l’océan séparant deux terres familières.
Une fois le voyage accompli, le port rejoint, seuls les parfums indigènes guidaient son chemin.
Femme sur les îles lointaines, homme sur un continent quotidien, chaque traversée entre l’un et
l’autre était une escapade clandestine. Car pour lui, c’est de voyage dont il s’agissait. Le but atteint,
une seule envie : repartir. Prendre le large. Retrouver les embruns. Sur les lames satinées son esprit
vagabonde. Si voyager est un art, Anton était en transit permanent dans le hall souvent vide de sa
propre création. Un transit sans errance. Une émotion pure. Vivre dans l’interstice. Aimer être l’un et
l’autre. Ne plus pouvoir s’en passer. Multiplier les voyages. Retarder le retour au port. Manquer la
marée. Rester dans la tempête.
Bousculé, chahuté, passager clandestin, Anton n’était pas heureux pour autant. Peut-on être d’ici et
d’ailleurs ? Parfois, ses camarades d’infortune posaient définitivement le pied sur le rivage. Jetant
leur sac à terre, ils saluaient ceux qui, restés à bord, les observaient s’éloigner ; les enviant parfois.
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Certains revenaient, d’autres non. Anton n’aimait que les escales.
Demain…
Anton ira encore cueillir les fleurs de dentelle et de soie. Gonflant en bouquets éternels son cœur prêt
à chavirer. Doucement. Il y aura Mathilde et Deborah. Chacune, à sa manière, légère ou gourmande,
lui dira : « Barbara ». Il entendra Barbaresques et Barbade, il sera femme corsaire. Il entendra Nantes
et Brest, se rappellera la pluie du port, il sera femme piano. Demain Anton va mourir. Il ne le sait pas
encore.
Demain, Anton et Barbara monteront sur le pont. Avançant au-devant de l’équipage, d’une seule
voix, ils diront la lune et le pouvoir des rêves. Ils diront le plaisir des étoffes et la tension du corps. Ils
diront la tristesse des secrets. Ils diront la joie de la vérité. Ensemble, contemplant le ciel et les
regards mouillés, ils se laisseront lentement glisser dans les eaux sombres de la nuit. Mêlant leurs
corps et leurs âmes, ils ne feront plus qu’une, ils ne feront plus qu’un. Sirène d’un genre nouveau,
Ellil, une légende à venir. Créature des rêves. Les pêcheurs raconteront qu’ils l’ont déjà aperçue, làbas. Ellil veille sur leurs filets avec la bienveillance de la mère et la force du guerrier.
Au réveil…
L'infirmière lui rendit discrètement sa petite culotte et son caraco.
- Je me suis permis de les glisser dans votre sac, me dit-elle, vous y tenez sûrement.
Anton rougis depuis son lit d'hôpital. Il bredouilla un merci gêné. Il n'avait pas prévu l'anniversaire
surprise, la soirée arrosée, les turlutus et les chapeaux pointus, la macarena sur le bar, la chute, la
jambe cassée, les pompiers, l'anesthésie, l'opération, le plâtre... Bref il n'avait pas prévu de montrer à
tout le monde sa lingerie de satin marron glacé portée en cachette sous son costume.
- Mon mari a la même, a-t-elle ajouté, bon anniversaire…
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