grenouille maculée de l`Oregon(Rana pretiosa)

Transcription

grenouille maculée de l`Oregon(Rana pretiosa)
Évaluation et Rapport
de situation du COSEPAC
sur la
grenouille maculée de l’Oregon
Rana pretiosa
au Canada
ESPÈCE EN VOIE DE DISPARITION
2000
COSEPAC
COMITÉ SUR LA SITUATION DES
ESPÈCES EN PÉRIL
AU CANADA
COSEWIC
COMMITTEE ON THE STATUS OF
ENDANGERED WILDLIFE IN
CANADA
Les rapports de situation du COSEPAC sont des documents de travail servant à déterminer le statut
des espèces sauvages que l’on croit en péril. On peut citer le présent rapport de la façon suivante :
Nota : Toute personne souhaitant citer l’information contenue dans le rapport doit indiquer le rapport
comme source (et citer l’auteur); toute personne souhaitant citer le statut attribué par le COSEPAC
doit indiquer l’évaluation comme source (et citer le COSEPAC). Une note de production sera fournie
si des renseignements supplémentaires sur l’évolution du rapport de situation sont requis.
COSEPAC. 2000. Évaluation et Rapport de situation du COSEPAC sur la grenouille maculée de
l’Oregon (Rana pretiosa) au Canada. Comité sur la situation des espèces en péril au Canada.
Ottawa. vi + 23 p.
HAYCOCK, R.D. 2000. Rapport de situation du COSEPAC sur la grenouille maculée de l’Oregon
(Rana pretiosa) au Canada, in Évaluation et Rapport de situation du COSEPAC sur la
grenouille maculée de l’Oregon (Rana pretiosa) au Canada. Comité sur la situation des
espèces en péril au Canada. Ottawa. Pages 1-23.
Pour obtenir des exemplaires supplémentaires, s’adresser au :
Secrétariat du COSEPAC
a/s Service canadien de la faune
Environnement Canada
Ottawa (Ontario)
K1A 0H3
Tél. : (819) 997-4991 / (819) 953-3215
Téléc. : (819) 994-3684
Courriel : COSEWIC/[email protected]
http://www.cosepac.gc.ca
Also available in English under the title COSEWIC Assessment and Status Report on the Oregon Spotted Frog Rana pretiosa in Canada.
Illustration de la couverture :
Grenouille maculée de l’Oregon – Andrée Jenks, R.R. n° 2, Owen Sound (Ontario) N4K 5N4.
Ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2002
N° de catalogue CW69-14/94-2002F-IN
ISBN 0-662-86787-4
Papier recyclé
COSEPAC
Sommaire de l’évaluation
Sommaire de l’évaluation — Mai 2000
Nom commun
Grenouille maculée de l’Oregon
Nom scientifique
Rana pretiosa
Statut
Espèce en voie de disparition
Justification de la désignation
La présence de cette grenouille très aquatique des terres humides de plaines d'inondation est réduite à
seulement trois sites isolés, chacun comptant un très faible nombre d'individus. Elle a été compromise par la
perte d'habitats résultant de l'expansion urbaine, de l'agriculture, des compétiteurs d'espèces exotiques et de la
végétation exotique.
Répartition
Colombie-Britannique
Historique du statut
Espèce désignée d'urgence « en voie de disparition » en novembre 1999. Réexamen et confirmation du statut en
mai 2000. L’évaluation de mai 2000 est fondée sur de nouveaux critères quantitatifs que l’on a appliqués à de
l’information provenant du rapport de situation de 1999.
iii
COSEPAC
Résumé
Grenouille maculée de l’Oregon
Rana pretiosa
La grenouille maculée de l’Oregon, Rana pretiosa, est une grenouille brune à
brun rougeâtre ornée de taches noires à centre clair sur le dos et la tête. Les adultes
ont le ventre tacheté, avec une coloration délavée et fragmentée jaune à saumon,
également présente sur la face ventrale du haut des cuisses. Les femelles pondent
leurs masses d’œufs en commun, en groupements serrés. Les masses d’œufs
isolées ou en groupes de deux ou de trois sont rares. Le Rana pretiosa et la
grenouille maculée de Columbia (Rana luteiventris) sont des espèces très
semblables, qu’il est cependant possible d’identifier par une analyse de protéines et
qui ont été différenciées en 1997. Auparavant, les chercheurs considéraient qu’elles
ne formaient qu’une seule espèce, Rana pretiosa.
Le cycle vital du R. pretiosa commence lorsque les mâles gagnent les sites de
reproduction à la fin de l’hiver, où ils appellent les femelles jour et nuit. Ces dernières
produisent une seule masse d’œufs, fécondée par un mâle par fécondation externe
et pondue sur les masses d’œufs d’autres femelles ou juste à côté. Les embryons
se développent et éclosent en deux à trois semaines et les têtards, larves aquatiques
nageant librement, terminent après seulement quatre mois leur métamorphose en
petites grenouilles mesurant de 30 à 33 mm du bout du museau au cloaque.
Le R. pretiosa est une espèce des marais d’eau tempérée, qui préfère les
milieux humides à végétation émergente. Les étangs temporaires peu profonds et
les petits milieux humides des plaines inondables associés à des plans d’eau
permanents sont des éléments importants de l’habitat du R. pretiosa. L’habitat
propice à l’espèce est fragmenté dans l’ensemble des basses terres du Fraser, et
les populations existantes semblent isolées les unes des autres.
L’aire de répartition historique du R. pretiosa s’étend depuis l’extrême sud-ouest
de la Colombie-Britannique jusqu’à l’extrême nord-est de la Californie. En
Colombie-Britannique, on a répertorié six populations du R. pretiosa :
trois populations historiques disparues et trois populations nouvellement
découvertes lors d’un relevé spécial. Dans le cadre de cette prospection des milieux
humides des basses terres du Fraser, le R. pretiosa n’a été observé qu’à 3 % des
sites. On estime que l’espèce est disparue dans plus de 90 % de son aire de
répartition historique en Amérique du Nord. Les trois populations historiques de
iv
grenouilles maculées de l’Oregon situées en Colombie-Britannique sont disparues,
alors que les taux de disparition des populations historiques s’élèvent à 91 % (10 sur
11) dans l’État de Washington, 76 % (34 sur 45) en Oregon et 100 % (3 sur 3) en
Californie.
Le British Columbia Conservation Data Centre considère le R. pretiosa comme
grandement en péril (critically imperiled, 5 occurrences ou moins), et l’espèce figure
sur la liste rouge à titre d’espèce en voie de disparition dont la gestion doit faire
l’objet d’une grande attention. La Washington Fish and Wildlife Commission a
désigné l’espèce « en voie de disparition » et l’Oregon Department of Fish and
Wildlife estime que sa situation est critique (sensitive critical). Le Fish and Wildlife
Service des États-Unis examine actuellement si le R. pretiosa devrait figurer sur la
liste fédérale des espèces en péril.
Les facteurs limitatifs pour les populations de grenouilles maculées de l’Oregon
sont la destruction anthropique de ses habitats, la perte d’habitats liée à la
succession végétale, l’altération de l’hydrologie, l’introduction de prédateurs et de
plantes étrangers, la gestion du bétail et l’isolement.
v
MANDAT DU COSEPAC
Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) détermine le statut, au niveau national, des
espèces, des sous-espèces, des variétés et des populations sauvages canadiennes importantes qui sont
considérées comme étant en péril au Canada. Les désignations peuvent être attribuées à toutes les espèces
indigènes des groupes taxinomiques suivants : mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, poissons, lépidoptères,
mollusques, plantes vasculaires, mousses et lichens.
COMPOSITION DU COSEPAC
Le COSEPAC est composé de membres de chacun des organismes fauniques des gouvernements provinciaux et
territoriaux, de quatre organismes fédéraux (Service canadien de la faune, Agence Parcs Canada, ministère des
Pêches et des Océans, et le Partenariat fédéral sur la biosystématique, présidé par le Musée canadien de la nature),
de trois membres ne relevant pas de compétence, ainsi que des coprésident(e)s des sous-comités de spécialistes
des espèces et des connaissances traditionnelles autochtones. Le Comité se réunit pour étudier les rapports de
situation des espèces candidates.
DÉFINITIONS
Espèce
Espèce disparue (D)
Espèce disparue du
Canada (DC)
Espèce en voie de
disparition (VD)*
Espèce menacée (M)
Espèce préoccupante
(P)**
Espèce non en péril
(NEP)***
Données insuffisantes
(DI)****
*
**
***
****
Toute espèce, sous-espèce, variété ou population indigène de faune ou de flore
sauvage géographiquement définie.
Toute espèce qui n’existe plus.
Toute espèce qui n’est plus présente au Canada à l'état sauvage, mais qui est
présente ailleurs.
Toute espèce exposée à une disparition ou à une extinction imminente.
Toute espèce susceptible de devenir en voie de disparition si les facteurs limitatifs
auxquels elle est exposée ne sont pas renversés.
Toute espèce qui est préoccupante à cause de caractéristiques qui la rendent
particulièrement sensible aux activités humaines ou à certains phénomènes naturels.
Toute espèce qui, après évaluation, est jugée non en péril.
Toute espèce dont le statut ne peut être précisé à cause d’un manque de données
scientifiques.
Appelée « espèce en danger de disparition » jusqu’en 2000.
Appelée « espèce rare » jusqu’en 1990, puis « espèce vulnérable » de 1990 à 1999.
Autrefois « aucune catégorie » ou « aucune désignation nécessaire ».
Catégorie « DSIDD » (données insuffisantes pour donner une désignation) jusqu’en 1994, puis
« indéterminé » de 1994 à 1999.
Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) a été créé en 1977, à la suite d’une
recommandation faite en 1976 lors de la Conférence fédérale-provinciale sur la faune. Le comité avait pour mandat
de réunir les espèces sauvages en péril sur une seule liste nationale officielle, selon des critères scientifiques. En
1978, le COSEPAC (alors appelé CSEMDC) désignait ses premières espèces et produisait sa première liste des
espèces en péril au Canada. Les espèces qui se voient attribuer une désignation lors des réunions du comité plénier
sont ajoutées à la liste.
Rapport de situation
du COSEPAC
sur la
grenouille maculée de l’Oregon
Rana pretiosa
au Canada
Russ D. Haycock
1
2000
1
Hyla Environmental
1917, av. West 4th, bureau 548
Vancouver (C.-B.)
V6J 1M7
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION.......................................................................................................................... 3
RÉPARTITION .............................................................................................................................. 5
Populations historiques......................................................................................................... 6
Populations antérieurement inconnues ............................................................................. 7
PROTECTION.............................................................................................................................10
TAILLE ET TENDANCES DES POPULATIONS....................................................................10
Taille des populations existantes ......................................................................................10
Tendances des populations ...............................................................................................11
HABITAT.......................................................................................................................................11
Habitat typique et essentiel .................................................................................................11
Évolution des habitats ..........................................................................................................13
Protection de l’habitat ...........................................................................................................15
BIOLOGIE GÉNÉRALE .............................................................................................................15
Reproduction..........................................................................................................................15
Physiologie .............................................................................................................................17
Alimentation............................................................................................................................17
Croissance et survie.............................................................................................................17
Comportement.......................................................................................................................18
FACTEURS LIMITATIFS............................................................................................................18
Pertes d’habitats....................................................................................................................18
Altération de l’hydrologie......................................................................................................19
Plantes et prédateurs étrangers.........................................................................................19
Gestion du bétail....................................................................................................................19
Isolement des populations et des habitats......................................................................20
Changement climatique.......................................................................................................20
IMPORTANCE DE L’ESPÈCE .................................................................................................20
ÉVALUATION ET STATUT PROPOSÉ....................................................................................21
REMERCIEMENTS....................................................................................................................21
OUVRAGES CITÉS....................................................................................................................21
L’AUTEUR...................................................................................................................................23
Liste des figures
Figure 1. Grenouille maculée de l’Oregon (Rana pretiosa)................................................ 3
Figure 2. Répartition historique du Rana pretiosa................................................................ 6
Figure 3. Répartition du Rana pretiosa au Canada.............................................................. 7
Liste des tableaux
Tableau 1. Endroits où la grenouille maculée de l’Oregon (Rana pretiosa)
a été observée......................................................................................................... 8
INTRODUCTION
Le complexe de la grenouille maculée est un groupe de grenouilles à pattes
courtes et dont les yeux sont orientés vers le haut. On a déjà considéré que ces
grenouilles ne constituaient qu’une seule espèce, soit la grenouille maculée (Rana
pretiosa au sens large). Cependant, Green a suggéré que le caryotype et la biochimie
des populations de l’Est et de l’Ouest sont distincts (1986a, 1986b) et, plus tard,
Hayes (1994a) a établi que les populations de grenouilles maculées réparties
depuis le sud-ouest de la Colombie-Britannique jusqu’au nord-est de la Californie
ont une coloration ventrale distinctive, absente chez les populations de l’Est. Une
nouvelle analyse biochimique pour un plus vaste territoire (Green et al., 1996) a
confirmé la différence entre les populations de l’Est et de l’Ouest, établissant ainsi
que le complexe de la grenouille maculée est constitué de deux espèces distinctes :
la grenouille maculée de l’Oregon – Rana pretiosa au sens strict - à l’ouest, et la
grenouille maculée de Columbia – Rana luteiventris – au nord et à l’est (Green et al.,
1997).
La population du R. pretiosa de l’extrême sud-ouest de la Colombie-Britannique
a été bien étudiée par Licht (1969a, 1969b, 1971a, 1971b, 1972, 1974, 1975, 1986a
et 1986b). Dans cette population de grenouilles maculées de l’Oregon, Licht (1986a)
a mesuré une longueur (museau-cloaque) maximale de 78 mm chez les femelles et
de 64 mm chez les mâles (Licht, 1986a). Par ailleurs, dans une population de l’État
de Washington, McAllister et Leonard (1997) ont mesuré des longueurs maximales
de 76 mm et 65 mm, respectivement.
Figure 1. Grenouille maculée de l’Oregon (Rana pretiosa),
ruisseau Dempsey, État de Washington (États-Unis). (Photo de K. McAllister.)
Les grenouilles maculées de l’Oregon adultes ont des taches noires à centre
clair sur la tête et le dos, région dont la coloration brune ou brun rougeâtre tend de
plus en plus vers le rouge avec l’âge. Des plis dorso-latéraux brun pâle à orangés
commencent directement derrière l’œil, passent sur le tympan et s’étendent
3
continûment jusqu’au milieu du dos pour ensuite devenir discontinus, puis
disparaître vers le bas du dos (figure 1). Les juvéniles sont vert olive ou brun pâle.
Les adultes ont un ventre tacheté distinctif et une coloration délavée fortement
fragmentée. Celle-ci consiste en une coloration discontinue orangée à rouge orangé
sur la face ventrale du haut des cuisses et sur le ventre. Les taches ventrales,
foncées, parsèment cette coloration délavée fragmentée (Hayes, 1997). Ces taches
ventrales sont bien visibles chez les grenouilles maculées de l’Oregon adultes, et
absentes chez la plupart des grenouilles nouvellement métamorphosées (Hayes,
1997).
Dans son étude de la population du R. pretiosa du sud-ouest de la ColombieBritannique, Licht signale que la grenouille à pattes rouges (Rana aurora) est aussi
présente dans cette région. Comme ces deux espèces sont sympatriques dans
l’extrême sud-ouest de la province et qu’elles montrent certaines ressemblances
morphologiques superficielles, elles peuvent y être confondues.
Du simple fait de son aire de répartition, on ne peut pas confondre la grenouille
maculée de Columbia avec le R. aurora ou le R. pretiosa en Colombie-Britannique.
Le Rana luteiventris occupe la plus grande partie de la province, mais est absent de
l’extrême sud-ouest, où l’on trouve le R. pretiosa et le R. aurora. Nous avons toutefois
jugé utile de présenter les caractères distinctifs du R. luteiventris dans les
paragraphes suivants sur l’identification des espèces.
Chez les adultes, certaines caractéristiques permettent de distinguer facilement
les grenouilles maculées de l’Oregon des grenouilles à pattes rouges. Le ventre du
R. aurora n’a pas la coloration délavée fragmentée et les taches présentes chez le
R. pretiosa. Le R. aurora a un ventre uniformément rouge orangé à rouge, ou bien il
est totalement dépourvu de coloration vive et son ventre est ardoisé. La région de
l’aine, où les pattes se rabattent sur le corps, montre une légère pigmentation jaune.
Le R. luteiventris n’arbore pas la tacheture ventrale caractéristique du R. pretiosa.
Le R. pretiosa est plus aquatique que le R. aurora, d’où certaines adaptations
distinctives. Le R. pretiosa et le R. luteiventris ont une palmure plus importante que le
R. aurora. La palmure de la grenouille maculée de l’Oregon et de la grenouille
maculée de Columbia s’étend jusqu’au bout des doigts, tandis que celle du
R. aurora ne l’atteint jamais. Chez le R. pretiosa, la longueur des pattes postérieures
est habituellement de moins de la moitié de la longueur museau-cloaque, tandis
que, chez le R. aurora, elle est habituellement de plus de la moitié de la longueur
museau-cloaque (Hayes, 1994b). Les yeux des grenouilles maculées de l’Oregon et
de Columbia sont orientés vers le haut, tandis que ceux du R. aurora sont orientés
vers l’extérieur. On compte également certaines caractéristiques distinctives
secondaires de type comportemental ou, plus précisément, postural. Le R. pretiosa
et le R. luteiventris s’accroupissent au ras du sol; au contraire, le R. aurora s’assoit
bien droit, les coudes dépliés, donnant l’impression de pouvoir rapidement bondir
vers l’avant.
4
Bien que le R. pretiosa et le R. luteiventris ne semblent pas sympatriques, il
n’est pas inutile de décrire ici leurs modalités de ponte respectives. Il existe à ce
chapitre de légères différences entre les deux espèces, les grenouilles maculées de
l’Oregon pondant leurs masses d’œufs en commun en un groupement serré, alors
que les grenouilles maculées de Columbia pondent aussi leurs masses d’œufs en
groupements serrés, mais répartis sur une vaste étendue. Les masses d’œufs du
R. pretiosa sont typiquement pondues les unes sur les autres, le sommet de l’amas
se trouvant habituellement hors de l’eau. Chez les petites populations de l’intérieur
de la Colombie-Britannique, les masses d’œufs du R. luteiventris sont souvent
pondues individuellement. Les masses d’œufs du R. aurora sont toujours pondues
individuellement sur une végétation robuste, et toujours sous la surface de l’eau. Il
arrive parfois que les masses d’œufs de la grenouille à pattes rouges se détachent
des végétaux sur lesquels elles ont été pondues et s’agglomèrent à la surface. Selon
Licht (1971a), la taille moyenne des œufs de la grenouille maculée de l’Oregon est
de 2,31 mm, tandis que celle des œufs de la grenouille à pattes rouges est de
3,03 mm. Les filaments branchiaux des têtards fraîchement éclos (stade 22; Gosner,
1960) de la grenouille maculée de l’Oregon sont plus longs que ceux du R. aurora.
Altig (1970) a signalé que la queue des têtards du R. pretiosa est
proportionnellement plus longue que celle des têtards du R. aurora. Le rapport entre
la longueur totale d’un têtard de la grenouille maculée de l’Oregon et la longueur de
son corps (sans la queue) est supérieur à 2,6, tandis que, dans le cas de la
grenouille à pattes rouges, ce rapport est inférieur à 2,6. La coloration du ventre est
une indication peu fiable pour distinguer les têtards des deux espèces, de sorte
qu’on doit en plus faire appel à d’autres caractéristiques plus distinctives. Le ventre
des têtards de la grenouille maculée de l’Oregon est blanc ou ardoisé et n’arbore
pas de mouchetures, tandis que celui des têtards de la grenouille à pattes rouges
est jaune ou rouge délavé, avec d’abondantes mouchetures jaunes, cuivre ou or. Il
est plus facile de distinguer les juvéniles que les têtards de ces deux espèces : ceux
de la grenouille maculée de l’Oregon sont olive, tandis que ceux de la grenouille à
pattes rouges sont rouge brun.
RÉPARTITION
Le Rana pretiosa est une espèce de la côte du Pacifique dont l’aire de répartition
historique s’étend depuis l’extrémité sud-ouest de la Colombie-Britannique jusqu’à
l’extrémité nord-est de la Californie (figure 2). La région de la Colombie-Britannique où
le R. pretiosa est présent est généralement connue sous le nom de « basses terres
du Fraser » (tableau 1; figure 3). Aux États-Unis (tableau 1), le R. pretiosa a été signalé
dans la dépression Puget et la vallée de la Willamette dans l’État de Washington, dans
la chaîne des Cascades en Oregon, et dans le bassin de la Pitt dans le nord-est de la
Californie (Stebbins, 1985). On a aussi signalé dans l’État de Washington une
population dans les monts Cascades vers l’est dans le centre-sud de l’État,
population isolée des populations de la dépression Puget et de la vallée de la
Willamette.
5
Populations historiques
En Colombie-Britannique, il y a trois populations historiques de R. pretiosa. La
première, bien documentée, se trouvait dans le district de Langley et semble
disparue (Haycock, données inédites). La deuxième observation historique remonte
au 20 octobre 1941 et a été effectuée à l’île Nicomen dans le Fraser (Carl et Cowan,
1945). La troisième mention historique est également rapportée par Carl et Cowan
(1945); il s’agit d’une observation de E.B.S. Logier selon laquelle le R. pretiosa aurait
été présent dans une grande étendue de terres agricoles désignée sous le nom de
prairie Sumas. La position exacte de ces sites n’était pas fournie pas Carl et Cowan
(1945). En dépit de ces imprécisions, des tentatives de repérage de ces deux
populations historiques ont été effectuées ultérieurement. J’ai effectué à l’été de 1997
une prospection superficielle sur l’île Nicomen, sans succès. En outre, une
observation anecdotique du R. pretiosa par S. Orchard (comm. pers., 1996) m’a incité
à rechercher l’espèce dans la partie restante du lac Sumas et les fossés connexes à
l’été de 1996, et au printemps et à l’été de 1997 (Haycock, 1998), là encore sans
succès.
Figure 2. Répartition historique du Rana pretiosa au Canada (fondée sur Hayes et al., 1997)
Dans le reste de l’Amérique du Nord, 59 populations historiques de R. pretiosa
sont documentées : 11 dans l’État de Washington (McAllister et Leonard, 1997), 45
en Oregon, et 3 en Californie (Hayes, 1997). Une des populations historiques dans
l’État de Washington existe encore tout comme 13 de celles de l’Oregon, alors qu’il
n’en subsiste aucune en Californie.
6
Populations antérieurement inconnues
Trois populations de R. pretiosa ont été récemment repérées en ColombieBritannique. Haycock (1998) présente un inventaire des espèces d’amphibiens des
basses terres du Fraser couvrant 94 sites prospectés en 1996 et 1997. Ce relevé
était centré sur les amphibiens dont les stades de développement sont associés aux
milieux aquatiques. Trois nouvelles populations de R. pretiosa ont ainsi été repérées
à de nouveaux endroits, soit la station radio navale Aldergrove, le marécage Mountain
à Agassiz, et le marécage Maria jouxtant l’île Seabird.
Figure 3. Répartition du Rana pretiosa.
Dans l’État de Washington, McAllister et Leonard (1997) ont signalé deux
populations jusque-là inconnues; McAllister (comm. pers., 1999) a aussi signalé une
population récemment découverte au ruisseau Beaver, dans le comté de Thurston.
En Oregon, Hayes (1997) a signalé huit populations de R. pretiosa jusque-là
inconnues. Plus récemment, cet auteur a signalé la découverte de quatre autres
nouvelles populations aux endroits suivants : lac Muskrat (comté de Deschutes); lac
Penn – prés Cabin (comté de Lane); Sunriver (bassin de la Deschutes); et lac
Wicoppee (comté de Deschutes) (Hayes, comm. pers., 1999). Aucune nouvelle
population de R. pretiosa n’a été repérée en Californie (Hayes, comm. pers.).
7
Dans l’ensemble de l’aire de répartition de l’espèce, au total 80 populations
historiques ou subsistantes ont été documentées, soit 6 en Colombie-Britannique,
14 dans l’État de Washington, 57 en Oregon et 3 en Californie.
Tableau 1. Endroits où la grenouille maculée de l’Oregon (Rana pretiosa) a été observée.
La colonne « Statut » indique si l’espèce est actuellement
présente (+) ou disparue (-) au site correspondant.
Dernière
Site
Comté
observation
Statut
Colombie-Britannique
Île Nicomen, Chilliwack
Marécage Maria, île Seabird
Marécage Mountain, Agassiz
Ministère de la Défense nationale, district de
Langley
Parc régional Campbell Valley, district de Langley
Prairie Sumas, Chilliwack
20 octobre 1941
17 avril 1997
5 avril 1997
22 mars 1999
+
+
+
21 août 1979
-
-
21
23
24
10
+
+
+
+
-
Washington (McAllister et Leonard, 1997)
Conboy National Wildlife Refuge
Concrete, 2 mi au nord-ouest
Étang du lac Spanaway
Kapowsin, 3 mi à l’ouest
Kent 1957
Lac Pattison
Lac Trout
Lac Trout, 0,5 mi au nord
Lac Trout, 0,5 mi au nord-est
Lac Trout, 1 mi au nord
Monroe, 3 mi au sud
Mont Vernon, 3 mi à l’ouest
Orchards
Plaine inondable du ruisseau Dempsey
Ruisseau Beaver
Ruisseau Trout Lake, Guler
Seattle
Sedro Woolley, 3 mi à l’est
Vancouver
Klickitat
Skagit
Pierce
Pierce
King
Thurston
Klickitat
Klickitat
Klickitat
Klickitat
Snohomish
Skagit
Clark
Thurston
Thurston
Klickitat
King
Skagit
Clark
août 1992
avril 1930
février 1959
août 1937
21 août 1992
25 juin 1958
25 juin 1958
25 juin 1958
7 septembre 1939
9 octobre 1937
15 mars 1962
18 mai 1994
16 septembre 1998
2 septembre 1938
19 mars 1905
23 août 1930
30 septembre 1909
Oregon (Hayes, 1997a)
Albany
Linn
Aumsville
Marion
Barrage Wickiup (base)
Deschutes
Butte Ferguson (près)
Klamath
Camping de la rivière Quinn
Deschutes
Cline Falls State Park
Deschutes
Corvallis
Benton
Cow Camp Crossing
Deschutes
Étang de la carrière de gravier du ruisseau Cultus Deschutes
Fourche nord de la rivière Sprague
Klamath
Gué du ruisseau Cultus
Deschutes
Junction City (au sud-ouest)
Lane
Klamath Falls
Klamath
Klamath Marsh NWR
Klamath
8
27 juillet 1996
29 juillet 1996
22 août 1995
27 septembre 1994
+
+
+
+
Tableau 1 (suite)
Site
Comté
La Pine (Lower Long Prairie)
Lac Big (extrémité nord)
Lac Buck
Lac Clackamas
Lac Crystal Springs
Lac Cultus
Lac Goose
Lac Hosmer
Lac Lava
Lac Little Cultus
Lac Little Lava
Lac Muskrat
Lac Penn
Lac South Twin
Lac Upper Klamath
Lower Bridge
Marais Big
Marais du lac Gold
Marais McFadden
Oregon Electric Railroad
Portland
Prairie Camas
Prairie Paulina (ruisseau)
Prés Crater
Ranch Ryan
Réservoir de la prairie Crane
Réservoir Little Hyatt
Réservoir Wickiup (au nord-ouest)
Rivière Little Deschutes
Rivière Wood (Ft Klamath)
Ruisseau Fourmile
Ruisseau Jack
Ruisseau Johnson (Portland)
Ruisseau Odell à NFD 4660
Ruisseau Odell au lac Davis
Ruisseau Ranger (lac Davis)
Ruisseau Spring
Sunriver
Sweet Home
Tangent (11 km à l’est de Corvallis)
Tygh Valley (0,8 km au sud)
Wicopee
Deschutes
Linn
Klamath
Clackamas
Multnomah
Deschutes
Lane
Deschutes
Deschutes
Deschutes
Deschutes
Deschutes
Lane
Deschutes
Klamath
Deschutes
Klamath
Lane
Benton
Linn
Multnomah
Wasco
Deschutes
Clackamas
Deschutes
Deschutes
Jackson
Deschutes
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Klamath
Klamath
Klamath
Multnomah
Klamath
Klamath
Klamath
Klamath
Deschutes
Linn
Linn
Wasco
Deschutes
Dernière
observation
27 juillet 1996
25 août 1996
26 juin
4 août
4 août
2 août
1996
1995
1995
1995
5 septembre 1994
26 septembre 1998
10 septembre 1996
24 août 1994
22 août 1996
19 août 1996
25 août 1994
12 août 1994
25 août 1994
Statut
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
Californie (Hayes, 1997)
Alturas
Fall River Mills (près)
Lac Lower Klamath
Modoc
Shasta
Siskiyou
9
-
PROTECTION
Le British Columbia Conservation Data Centre (BCCDC), qui tient des données
sur le statut des espèces végétales et animales rares, menacées, sensibles et
vulnérables de la Colombie-Britannique, a classé la grenouille maculée de l’Oregon
(Rana pretiosa) dans la catégorie de risque G2/G3 à l’échelle mondiale et dans la
catégorie S1 à l’échelle sous-nationale. De plus, le BCCDC a placé l’espèce sur la
liste rouge, indiquant par là qu’il s’agit d’une espèce en voie de disparition ou
menacée dont la gestion doit faire l’objet d’une grande attention. Les membres
indigènes de la famille des Ranidés figurent sur la liste des espèces sauvages de la
British Columbia Wildlife Act et de ses règlements. Un permis doit être obtenu de la
Wildlife Branch du Ministry of Environment, Lands and Parks provincial pour toute
forme de capture, de maintien en captivité ou de manipulation du R. pretiosa. La Loi
ne contient cependant pas de dispositions pour la protection de l’habitat de l’espèce.
En fait, la protection accordée à R. pretiosa par la Wildlife Act est pour le moins
minimale.
Le Fish and Wildlife Service des États-Unis est en train d’examiner le statut du
R. pretiosa, qui pourrait au terme de cet examen figurer sur la liste fédérale des
espèces en péril. Le Washington Department of Fish and Wildlife tient une liste des
espèces en voie de disparition, menacées ou sensibles (Washington Administrative
Codes 232-12-014 et 232-12-011, Appendix). En août 1997, un rapport final sur la
situation du R. pretiosa et une recommandation quant à son statut ont été présentés
à la Washington Fish and Wildlife Commission, qui a désigné l’espèce « en voie de
disparition » (endangered) (McAllister et Leonard, 1997). Le Oregon Department of
Fish and Wildlife tient lui aussi une liste des espèces en voie de disparition,
menacées ou sensibles. Actuellement, la situation du R. pretiosa dans cet État est
jugée critique (sensitive critical) (M. Hayes, comm. pers., 1999).
TAILLE ET TENDANCES DES POPULATIONS
Taille des populations existantes
Le nombre de masses d’œufs compté aux sites de reproduction du R. pretiosa
est un paramètre qui permet d’estimer la taille des populations de l’espèce au
Canada, et correspondrait à celui des femelles présentes, si l’on suppose que
chaque femelle ne pond chaque année qu’une seule masse d’œufs, ce qui est le cas
dans l’État de Washington selon Olson et Leonard (1997). À la station radio navale
d’Aldergrove, jusqu’à 7 sites de ponte collective renfermaient 48 masses d’œufs en
1997 et 29 en 2000 (Haycock, 1998 et données inédites). Au marécage Mountain,
deux sites de ponte collective renfermaient 16 masses d’œufs en 1997 et 45 en
2000, tandis qu’au marécage Maria, on a compté 38 masses d’œufs en 1997 et 75
en 2000. En supposant qu’il y a chez les adultes le même nombre de mâles que de
femelles, on peut estimer les tailles de ces populations en 1997 à 96 adultes à la
station radio navale, 32 adultes au marécage Mountain et 76 adultes au marécage
10
Maria, ce qui donne un nombre total estimé de 204 adultes reproducteurs
documentés en 1997 au Canada. Pour 2000, on obtient à ces mêmes endroits des
populations estimées de respectivement 54, 90 et 150 adultes, pour un total de
294 adultes (données inédites). Licht (1969a) a dénombré 30 masses d’œufs en
1968 et 54 en 1969 à Langley. Le nombre de masses d’œufs à Langley en 1968
semble du même ordre que les nombres mesurés à l’ensemble des sites
fréquentés par l’espèce en Colombie-Britannique. Il n’y a plus aujourd’hui de
grenouille maculée de l’Oregon à Langley.
Dans l’État de Washington, McAllister et Leonard (1997) ont signalé des
populations de 242 adultes au ruisseau Dempsey, 1 144 adultes au lac Trout, et
1 328 adultes au lac Conboy.
Tendances des populations
Des 62 populations historiques de grenouille maculée de l’Oregon d’Amérique
du Nord, il n’en subsiste plus que 13, soit 1 dans l’État de Washington et 12 en
Oregon. Ainsi, dans l’ensemble de l’aire de répartition de l’espèce, 79 % des
populations historiques de grenouille maculée de l’Oregon ont disparu. Toutes les
populations historiques ont disparu en Colombie-Britannique (3 sur 3), 91 % ont
disparu dans l’État de Washington (10 sur 11), 76 % en Oregon (34 sur 45), et toutes
ont également disparu en Californie (3 sur 3). En considérant une aire de répartition
beaucoup plus étendue, comme le suggèrent les données historiques, Hayes (1997)
a estimé que le R. pretiosa a disparu de plus de 90 % de son aire de répartition
historique. On pourrait même obtenir un pourcentage légèrement supérieur, étant
donné que Hayes (1997) n’a pas tenu compte des deux populations historiques de la
Colombie-Britannique signalées par Carl et Cowan (1945).
Un relevé effectué à 94 sites dans des milieux humides des basses terres du
Fraser (Haycock, 1998) a permis de repérer trois nouvelles populations de
R. pretiosa, l’espèce n’étant ainsi présente qu’à 3 % de tous les sites prospectés
dans cette région.
HABITAT
Habitat typique et essentiel
En Colombie-Britannique, Licht (1969b) a clairement établi que les étangs
temporaires peu profonds et les milieux humides de plaine inondable associés à
des masses d’eau permanentes sont des éléments importants de l’habitat du
R. pretiosa. Selon McAllister et Leonard (1997), l’habitat typique de la grenouille
maculée de l’Oregon est un milieu humide pourvu de végétaux émergents et se
trouvant dans un paysage boisé. Quant à lui, Hayes (1994a, 1994b) a décrit le
R. pretiosa en Oregon comme une espèce occupant des marais d’eau tempérée
dans des zones de milieux humides de plus de 4 hectares.
11
Les trois populations présentes en Colombie-Britannique occupent des milieux
humides correspondant à ceux décrits par McAllister et Leonard (1997) et par Hayes
(1994a, 1994b). Une partie de la propriété de la station radio navale Aldergrove
occupée par le R. pretiosa est un milieu humide à végétation émergente en paysage
boisé. Les marécages Maria et Mountain sont des milieux humides de plaine
inondable entourés d’une forêt de feuillus et de conifères.
Bien qu’aucune mesure de la superficie de l’habitat propice à la reproduction
aux trois sites occupés par l’espèce n’ait été effectuée, Ward (1989) a établi les
évaluations sommaires suivantes : station radio navale Aldergrove – 2,6 hectares de
marais de bassin peu profond et 4 hectares d’eau de bassin peu profond; marécage
Maria – 9,2 hectares de marais de plaine inondable et 17,1 hectares d’eau courante;
marécage Mountain – 12,3 hectares de marais de plaine inondable et 37 hectares
d’eau courante. Le R. pretiosa a été observé dans le marais de bassin peu profond et
dans les deux marais de plaine inondable, ce qui va dans le sens des descriptions
d’habitat de McAllister et Leonard (1997) et de Hayes (1994a, 1994b).
Les habitats choisis par le R. pretiosa sont décrits comme des habitats
correspondant à un stade peu avancé de la succession végétale, ou des habitats où
le taux de succession végétale est réduit ou nul à cause de divers mécanismes. Au
site de Licht, le pâturage réduit le taux de succession et favorise le maintien d’un
habitat ouvert. À la station radio navale Aldergrove, il y a absence de succession
autour des tours radio à cause de l’entretien de cette zone. À d’autres endroits de
cette propriété, où la végétation n’est pas régulièrement taillée, les castors (Castor
canadensis) éclaircissent le couvert végétal et créent des zones dégagées où le
R. pretiosa se reproduit et des juvéniles sont observés (obs. pers.).
L’habitat de reproduction est l’habitat le plus critique pour le R. pretiosa en
Colombie-Britannique, étant donné qu’il y en a peu de disponible. En 1997, on a
repéré deux principaux sites de reproduction collective à la station radio navale
Aldergrove. On a aussi observé que les pontes y ont débuté à 3 à 5 semaines
d’intervalle. Au premier site, la ponte a eu lieu à la fin de février et au début de mars
dans un milieu aquatique extrêmement peu profond (de 5 à 8 cm) à substrat
limoneux et à végétation clairsemée. Quand les femelles ont commencé à pondre au
deuxième site, les têtards avaient éclos au premier site et l’eau s’en était retirée,
laissant le site à sec. Au deuxième site, l’eau est plus profonde (de 15 à 30 cm) et la
végétation est beaucoup plus abondante (p. ex. alpiste roseau, Phalaris arundinacea)
dans le secteur.
Hayes (1994a, 1994b) a avancé qu’il pourrait falloir au moins quatre hectares
pour que la masse d’eau puisse être tempérée, comme le préfère le R. pretiosa.
Hayes a aussi signalé que les populations des lacs et des marais situés en altitude
dans la chaîne des Cascades en Oregon se réfugient probablement vers les
sources, où elles peuvent trouver de l’eau libre de glace hautement oxygénée. La
présence de sources pourrait donc être nécessaire aux populations de grenouille
maculée de l’Oregon vivant en altitude.
12
Évolution des habitats
Les photographies de Licht (1971b, 1974) montrent que l’étang de son étude se
trouvait dans un pré humide. Licht (1971a, 1971b) a décrit le site de Langley comme
une basse terre plate et humide couverte surtout de jonc épais (Juncus effusus), de
carex (Carex sp.), et de renoncules (Ranunculus spp.). Les renoncules couvraient
presque tout le champ. Les deux autres types de plantes, également abondants,
étaient dispersés dans l’ensemble du secteur. À l’est et à l’ouest, le champ était
bordé de bois d’aulnes, de bouleaux et de conifères, un marais de basse terre
s’étendait au sud, et une route d’asphalte passant dans la basse terre constituait la
limite nord. Un cours d’eau permanent lent traversait le centre du champ. Dans une
description biophysique du parc régional Campbell Valley, Haycock et Mort (1988) ont
établi que les associations végétales bordant le site de Licht étaient les suivantes :
« douglas – maïanthème dilaté », et « aulnaie riveraine préclimacique ».
L’association dominée par le douglas jouxtant le site de Licht est typique d’une
zone biogéoclimatique côtière à douglas bordant une zone biogéoclimatique côtière à
pruche de l’Ouest. Bien que l’association dominée par le douglas ne borde aucun
autre tronçon de la Little Campbell dans le parc, on ne pense pas que sa présence à
côté du site de Licht soit importante. Cette association est relativement peu étendue
et ne renferme pas de petites masses d’eau tempérée temporaires et peu profondes
dont pourraient profiter les juvéniles. Les espèces caractéristiques de cette
association sont le douglas (Pseudotsuga menziesii), l’érable circiné (Acer
circinatum), le maïanthème dilaté (Maianthemum dilatatum), et la smilacine étoilée
(Smilacina stellata). Le peuplement d’aulnes rouges est typique d’une association
préclimacique bordant un champ, un pré humide ou un milieu humide. Les plantes
de cette association végétale sont des espèces à croissance rapide qui favorisent
une succession rapide et comprennent l’aulne rouge (Alnus rubra), le physocarpe à
boules (Physocarpus capitatus), le cornouiller stolonifère (Cornus stolonifera),
l’holodisque discolore (Holodiscus discolor), le chèvrefeuille involucré (Lonicera
involucrata), et la spirée de Douglas (Spiraea douglasii).
Aucune des espèces végétales signalées ne semble particulièrement
importante pour le R. pretiosa. Licht avait signalé la présence de plantes aquatiques,
comme des potamots (Potamogeton spp.), qui sont toujours présentes au site.
Certains macrophytes émergents, comme le Carex rostrata et le Juncus effusus, y
sont également toujours présents. Cependant, le scirpe à noeuds rouges (Scirpus
microcarpus) y est actuellement abondant alors qu’il n’avait probablement pas été vu
ou reconnu durant l’étude de Licht. Il est peu probable que la présence ou l’absence
du scirpe à nœuds rouges ait eu quelque impact sur la population historique de
R. pretiosa à ce site. J’ai prospecté minutieusement ce qu’on appelle aujourd’hui
l’étang de Licht et n’y ai pas trouvé trace du R. pretiosa. Je n’ai pas non plus vu de
R. pretiosa à l’étang McLean, un milieu humide étendu situé au nord du site de Licht.
Les amphibiens observés à ce dernier sont Ambystoma gracile, Ambystoma
macrodactylum, Bufo boreas, Hyla regilla, Taricha granulosa, Rana aurora, Rana
catesbeiana, et Rana clamitans.
13
Les habitats des populations historiques de la prairie Sumas et de l’île Nicomen
n’ont pas été décrits par Carl et Cowan (1945), mais ils ont certaines des
caractéristiques de ceux décrits par Slipp (1940), qui a observé le R. pretiosa en
association avec des lacs dans un paysage de pré. La plus grande partie de
l’actuelle prairie Sumas était autrefois le lac Sumas, qui s’étendait dans les basses
terres du Fraser entre les monts Vedder et Sumas. Le lac Sumas a été drainé au
e
début du XX siècle; ainsi, la mention de Carl et Cowan (1945) indiquerait que le
R. pretiosa s’est maintenu dans la région durant au moins 45 ou 50 ans. Aucune
mention crédible du R. pretiosa n’a été faite dans cette région depuis celle de Carl et
Cowan. Quant à elle, l’île Nicomen, située dans le Fraser, est couverte de terres
agricoles et ceinturée de plaines inondables.
L’habitat à la station radio navale Aldergrove demeure stable, si ce n’est des
altérations apportées par les castors (Castor canadensis) qui y résident. Par ailleurs,
le taux de succession aux marécages Maria et Mountain n’a pas été évalué, mais il
semble faible. Comme ces deux marécages communiquent avec le Fraser, leurs
niveaux d’eau fluctuent, parfois rapidement, de sorte que les plantes favorisant une
succession rapide ne peuvent s’y propager.
Les six populations documentées du R. pretiosa en Colombie-Britannique se
trouvent à environ 70 km les unes des autres. Cette fragmentation s’explique par le
fait que leurs habitats sont des milieux qui ont été épargnés par les activités de
développement. Trente-deux ans après le début des travaux de Licht, en 1967, l’étang
de cet auteur a grandement changé. Ce n’est plus un marais temporaire peu profond
bordé par un pré humide à renoncules, et il n’a plus de connexion bien établie avec la
Little Campbell. Actuellement, les associations végétales jouxtant le site de Licht
décrites par Haycock et Mort (1988) sont encore intactes, mais l’association végétale
riveraine préclimacique s’est étendue loin à l’intérieur du site. D’autres espèces
végétales pionnières, comme des saules (Salix spp.) et la spirée de Douglas
(Spiraea douglasii), sont bien établies à la bordure de l’association dominée par le
douglas et forment une couche arbustive dense occupant l’étroite lisière du milieu
humide. Il est possible que le rayonnement solaire ne puisse traverser ces arbustes
pour réchauffer les eaux sous-jacentes jusqu’aux températures propices au
R. pretiosa.
Licht (1971a, 1971b) a signalé que du bétail venait périodiquement brouter les
pâturages jouxtant sa zone d’étude de 2,8 hectares. Il a aussi indiqué que le site était
fermé au public et que les perturbations anthropiques y étaient minimes. Durant les
travaux de Licht, son site d’étude se trouvait sur une propriété privée et le bétail
pouvait paître au voisinage des zones de reproduction du R. pretiosa. Après
l’acquisition de cette propriété par le Greater Vancouver Regional District (GVRD), le
bétail a été retiré du secteur. Avec l’arrêt du broutage et du piétinement, la succession
végétale, jusqu’alors freinée, a pu reprendre un rythme naturel. En outre, le terrain
ayant été cédé au GRVD pour l’aménagement d’un parc, le GVRD a aménagé à
environ 100 mètres l’un de l’autre un sentier équestre et un sentier pédestre dans le
voisinage immédiat de l’étang de Licht. Les promenades de bois bordant chacun des
14
sentiers traversent le site de Licht. De plus, une route municipale, passant à quelque
100 mètres à l’ouest du site de Licht, a été reconstruite dans les années 1980, ce qui
pourrait avoir altéré l’hydrologie du secteur.
Protection de l’habitat
Le site de la station radio navale Aldergrove se trouve sur un terrain du ministère
de la Défense nationale, et le R. pretiosa s’y trouve protégé du fait que les civils ne
peuvent y circuler. Les terres y sont aménagées par le Service canadien des forêts du
ministère fédéral des Ressources naturelles. La végétation arbustive du site est
régulièrement éliminée pour protéger les tours radio. La succession végétale se
trouve ainsi empêchée aux deux endroits où la reproduction du R. pretiosa a été
observée. On ne connaît pas les plans de développement du site, s’il en est.
Actuellement, le niveau de protection dont jouit la population de grenouille maculée
de l’Oregon semble suffisant. Toute vente de ce terrain à des fins de développement
constituerait cependant, pour la population présente, une menace sérieuse.
Le marécage Maria appartient à la bande indienne de l’île Seabird. Le potentiel
de développement de ce site semble limité, l’habitat de la grenouille maculée de
l’Oregon se trouvant dans le bassin inondable. Par ailleurs, le marécage Mountain
est propriété privée mais, tout comme le marécage Maria, le potentiel de
développement y est limité en raison de la géographie et de l’hydrologie particulières
du site.
Le parc régional Campbell Valley appartient au Greater Vancouver Regional
District et ce territoire est protégé de par son statut de parc. Bien que l’extinction de la
population de R. pretiosa du site de Licht dans ce parc régional soit considérée
comme une disparition locale, il semble y avoir à proximité du site de cette population
historique un habitat propice, qui pourrait permettre la réintroduction de l’espèce.
BIOLOGIE GÉNÉRALE
Reproduction
Le cycle vital du R. pretiosa est étroitement associé à la présence d’eau et
commence quand les grenouilles gagnent les eaux peu profondes des sites de
reproduction à la fin de l’hiver. Elles deviennent actives à la fin de l’hiver et au début
du printemps; on a déjà observé des grenouilles maculées de l’Oregon actives à une
température record de seulement –0,5 °C (McAllister et Leonard, 1997). On ne sait
pas où elles hibernent. Les mâles arrivent aux étangs de reproduction habituels à la
fin de l’été (Licht, 1969a; McAllister et Leonard, 1997) et se rassemblent en groupes
serrés. Les chants ont lieu jour et nuit (McAllister et Leonard, 1997) et sont intenses
durant les après-midi ensoleillés (Licht, 1971). Les mâles émettent des séquences
de 6 à 9 courtes notes graves. Leur appel peut être entendu à une distance de 18 à
15
30 m et est souvent enterré par les vocalisations d’autres animaux du voisinage
(Licht, 1969b). Davidson (1995) a décrit autrement l’appel des mâles, soit comme
une brève série de 5 à 50 notes graves faibles et caverneuses, qu’on peut imiter en
cognant sur du bois avec le poing ou en faisant claquer notre langue sur le palais.
Durant la période de reproduction, les mâles chantent très près les uns des autres et
ne manifestent pas de comportements agonistiques les uns envers les autres. On a
déjà entendu des mâles solitaires chanter au milieu du jour tôt dans l’automne
(Hayes et al., 1997).
Quand elles sont prêtes à pondre, les femelles s’approchent des mâles
chantants. Quand un mâle adulte rencontre une femelle en état de pondre, il la saisit
derrière les membres antérieurs et procède à l’amplexus, ou embrassement. Des
mâles et des femelles embrassés ont déjà été observés à plus de 20 m des sites de
reproduction traditionnels, apparemment en route vers ces sites (McAllister et
Leonard, 1997). Le mâle féconde les œufs pendant que la femelle expulse sa masse
d’œufs, souvent sur les masses d’œufs d’autres femelles (Licht, 1969b; obs. pers.).
Les femelles adultes ne pondent qu’une seule masse d’œufs par année (Licht, 1974;
Olson et Leonard, 1997). Licht (1974) a signalé une moyenne de 643 œufs par
masses d’œufs en Colombie-Britannique, tandis que, selon McAllister et Leonard
(1997), la moyenne s’élevait à 598 œufs au Washington. Dans un petit échantillon de
masses d’œufs pondues à la station radio navale Aldergrove (n=14), j’ai moi-même
obtenu une moyenne de 670 œufs.
Les œufs sont pondus collectivement au milieu de l’après-midi (Licht, 1971) et
la nuit (McAllister et Leonard, 1997). Les sites de reproduction se trouvent
habituellement en eau peu profonde à la lisière fortement exposée des marais
(Hayes, 1997). Une fois les couples séparés, on pense que les femelles vivent
solitairement, tandis que les mâles peuvent demeurer au site de reproduction durant
deux ou trois semaines, à la recherche d’autres partenaires sexuels.
Les embryons de la grenouille maculée de l’Oregon ont un diamètre moyen de
2,31 mm (Licht, 1971). Le développement embryonnaire est tributaire de la
température et peut prendre moins de 10 jours (Hayes, 1997). Licht (1971) a mesuré
la température de l’eau durant le jour autour des masses d’œufs et a obtenu une
moyenne de 20 °C. À partir de tables des stades de développement établies par
Pollister et Moore (1937), Licht (1971) a déterminé que les embryons éclosent au
stade 21.
Les têtards terminent leur métamorphose à moins de quatre mois, soit
légèrement plus rapidement que l’anoure type (Duellman et Trueb, 1986). Licht
(1973) a avancé que la période de développement larvaire plus courte du R. pretiosa
par rapport à celle des R. aurora sympatriques pourrait expliquer le taux de survie
supérieur des grenouilles maculées de l’Oregon juvéniles. La taille (longueur
museau-cloaque) au terme de la métamorphose est de 30 à 33 mm (Licht, 1986a),
et, en Colombie-Britannique, les juvéniles atteignent la maturité sexuelle et
commencent à se reproduire dans leur troisième année (Licht, 1986). McAllister
16
signale que dans l’État de Washington, les femelles atteignent la maturité sexuelle à
trois ans et les mâles, à deux ans (comm. pers.). À partir de données sur la
croissance recueillies dans trois populations de l’Oregon, Hayes (comm. pers.,
1997) a établi que tant les mâles que les femelles du bassin Klamath atteignent leur
taille adulte en deux ans.
Physiologie
Licht (1971) a signalé que les femelles adultes commencent à pondre quand la
température atteint 6 °C. Licht (1971) a aussi établi que les embryons ne peuvent
supporter une température supérieure à 28 °C, et que les jeunes embryons peuvent
résister jusqu’à huit heures à une température de 1 °C. Pour assurer leur
thermorégulation, les juvéniles peuvent se réchauffer en se tenant dans des marais
tempérés, très peu profonds (obs. pers.). On a entendu des mâles adultes chantant
sous le soleil à la fin de l’après-midi, l’exposition directe au soleil pouvant leur être
bénéfique. Les femelles sont actives durant le jour, et on en a observé en train de
pondre durant des périodes ensoleillées (Licht, 1971).
Alimentation
Au chapitre de l’alimentation, le R. pretiosa ne serait pas un spécialiste, et ses
habitudes alimentaires ne semblent pas limiter son abondance. Licht (1986a) a
observé des grenouilles maculées de l’Oregon métamorphosées se nourrissant de
chrysomélidés, de carabidés, d’araignées (arachnidés), de staphylinidés, de
syrphidés, de dolicopodidés, de fourmis (formicidés) et de patineurs (gerridés). Les
têtards se nourrissent d’algues, de végétation en décomposition et de détritus (Licht,
1974).
Croissance et survie
Licht (1974) a mesuré des taux de survie de 68 % à des sites de ponte se
trouvant près du bord de l’étang, et de 74 % en bordure de la rivière. Durant les
longues périodes sèches ou les froids extrêmes, les œufs risquent grandement de
geler ou de se dessécher, ce qui constitue un inconvénient majeur de l’exploitation
de sites de ponte collective au pourtour peu profond des milieux humides. Durant la
deuxième année de l’étude de Licht, tous les embryons se seraient desséchés si
Licht n’avait pas remis les masses d’œufs dans l’eau. Des circonstances similaires
ont été observées à la station radio navale Aldergrove (obs. pers.), au ruisseau
Dempsey en 1995, et au lac Trout en 1997 (McAllister et Leonard, 1997). Durant l’été
où l’étang de son étude s’est asséché, Licht (1974) a estimé que moins de 1 % des
têtards éclos ont atteint le stade de la métamorphose. Bien que la rivière n’ait pas été
asséchée dans ce même été, Licht a signalé que seulement 7,3 % des têtards y ont
survécu jusqu’à la métamorphose.
17
Licht (1974) a établi que 67 % des grenouilles métamorphosées avaient
survécu à leur première année, et que 64 % des adultes survivaient d’une année à
l’autre. Le taux de survie des mâles (45 %) était significativement différent du taux de
survie des femelles (67 %). La longévité du R. pretiosa est inconnue.
Comportement
On connaît peu le comportement du R. pretiosa en dehors de la saison de
reproduction. Si une menace survient alors qu’elles sont à l’eau, les grenouilles
maculées de l’Oregon s’enfoncent lentement ou plongent vers le fond, où elles
trouvent refuge dans le substrat (Licht 1986b). Si elles sont à terre, elles se dirigent
vers l’eau, plongent vers le fond et se réfugient dans la végétation dense du substrat.
FACTEURS LIMITATIFS
Les effectifs du R. pretiosa en Colombie-Britannique sont beaucoup plus faibles
que ceux signalés dans l’État de Washington et en Oregon. Hayes et al. (1997) ont
examiné un ensemble de facteurs limitatifs qui pourraient expliquer ces effectifs
réduits, soit : la destruction anthropique d’habitats, la perte d’habitats liée à la
succession végétale, l’altération de l’hydrologie, l’introduction de prédateurs et de
plantes étrangers, la gestion du bétail, et l’isolement.
Pertes d’habitats
Selon Hayes (1994b), une population de grenouilles maculées de l’Oregon ne
peut se maintenir que dans un habitat d’au moins quatre hectares. Hayes et al.
(1997) ont signalé que 14 des 24 sites (58 %) occupés par l’espèce se trouvent dans
des parcelles d’habitat propice relativement petites (moins de 25 hectares). Ces
auteurs sont d’avis que ces sites sont menacés du simple fait que l’habitat propice y
est peu étendu.
La plus importante population documentée de grenouilles maculées de
l’Oregon en Colombie-Britannique est celle de la station radio navale Aldergrove, où
l’on trouve environ 2,6 hectares de marais de bassin peu profond (Ward, 1989). Ward
(1989) a également évalué la superficie des marécages Maria et Mountain à
respectivement 9,2 et 12,3 hectares de marais de plaine inondable. Si l’évaluation
des risques réalisée par Hayes (1997) pour les habitats de l’espèce en Oregon vaut
pour les populations de la Colombie-Britannique, les trois populations restantes de
la province se trouveraient tout autant en péril en raison des faibles superficies
d’habitat.
L’envahissement du milieu par les végétaux des premiers stades de
succession semble détériorer l’habitat de reproduction du R. pretiosa. Les marais de
plaine inondable peu profonds essentiels au R. pretiosa se trouveront
18
éventuellement réduits ou altérés au point de ne plus permettre la reproduction de
l’espèce. De plus, la succession végétale peut aussi rendre le milieu impropre à la
reproduction de l’espèce.
Altération de l’hydrologie
Les sites de reproduction historiques où il y a ponte collective peuvent
disparaître par suite d’une altération de l’hydrologie se soldant par un assèchement
ou un apport en eau trop important. Ce dernier cas de figure a été observé à la station
radio navale Aldergrove en raison de l’activité des castors (Castor canadensis) en
1999 (obs. pers.). Bien que les castors aient été bénéfiques au R. pretiosa en créant
un habitat dégagé dans le milieu humide boisé du site, ils ont aussi entraîné la
formation d’un étang allongé peu profond à la bordure de la principale zone de
reproduction des grenouilles où des œufs ont été observés en 1997. Cet étang a
privé les grenouilles de la zone d’environ 300 mètres de marais de plaine inondable
peu profond où elles avaient pondu en 1997. En 1999, deux zones où se regroupaient
les grenouilles pour se reproduire ont été trouvées aux deux extrémités de l’étang
créé par les castors. Cet étang semblerait donc trop profond pour la reproduction du
R. pretiosa, ce qui renforcerait l’hypothèse que cette espèce aurait besoin pour se
reproduire d’un marais de plaine inondable très peu profond.
Plantes et prédateurs étrangers
Un certain nombre de carrières de gravier ont été exploitées dans le passé à
South Langley et South Surrey. Ces carrières se sont par la suite remplies d’eau et
sont devenues de petits lacs très propices au ouaouaron (Rana catesbeiana). Le
ouaouaron est un prédateur d’amphibiens bien connu (Duellman et Trueb, 1986), qui
peut se nourrir de têtards du R. pretiosa aussi bien que d’adultes.
L’alpiste roseau (Phalaris arundinacea) est présent à tous les sites de
Colombie-Britannique occupés par la grenouille maculée de l’Oregon. Bien que son
impact sur le R. pretiosa ne soit pas totalement compris, il semble qu’en envahissant
les marais de plaine inondable peu profonds, il réduise ou fasse complètement
disparaître l’habitat de reproduction ouvert dont a besoin le R. pretiosa en formant
des couches épaisses de végétation en putréfaction. Si le roseau alpiste n’était pas
présent dans ces sites, les grenouilles maculées de l’Oregon pourraient s’y
assembler pour se reproduire.
Gestion du bétail
En boutant et en piétinant les zones jouxtant le site de Licht, le bétail pourrait
avoir freiné la succession naturelle. Ainsi, la présence du bétail pourrait avoir
contribué à maintenir la population du R. pretiosa en préservant un habitat propice.
Quand le site a été intégré à un parc public, le bétail a été retiré et la succession
végétale s’est effectuée dans des conditions naturelles. Ce changement de vocation
du terrain et le retrait du bétail ont probablement contribué à la disparition du
19
R. pretiosa au site de Licht.
Isolement des populations et des habitats
La population de R. pretiosa de la station radio navale Aldergrove est
complètement isolée des deux autres populations encore présentes en ColombieBritannique. De plus, il n’y a autour de son habitat aucun autre habitat de taille
convenable. On a trouvé des masses d’œufs à un endroit situé à environ un kilomètre
de l’habitat de reproduction principal de la station radio, mais l’habitat à cet endroit a
une superficie de moins de 0,5 hectares. Par ailleurs, les marécages Maria et
Mountain sont également isolés l’un de l’autre, et l’habitat propice entre ces deux
sites est très fragmenté, de sorte qu’il est peu probable qu’il y ait échanges entre les
deux populations.
Changement climatique
Les effets potentiellement dévastateurs du changement climatique sur
l’ensemble ou sur une partie de la production de grenouilles maculées de l’Oregon
dans l’année en cours ne doivent pas être négligés. Comme les masses d’œufs
sont pondues en groupes chez cette espèce, le risque que les embryons se
dessèchent si les niveaux d’eau fluctuent rapidement est particulièrement élevé.
IMPORTANCE DE L’ESPÈCE
Le R. pretiosa n’a pas été signalé dans les autres provinces canadiennes. Il
se trouve en Colombie-Britannique à la limite septentrionale de son aire de
répartition, et celle-ci ne s’étend pas continûment dans l’État de Washington et
l’Oregon, ayant été fragmentée par suite de la disparition de populations. L’espèce
est considérée comme en voie de disparition dans l’État de Washington et en
Oregon. Le public s’est, à ce jour, peu intéressé au R. pretiosa, probablement parce
qu’il s’agit d’une espèce mal connue qui n’a été que tout récemment distinguée de la
grenouille maculée de Columbia (Rana luteiventris) (Green et al., 1997). Le Rana
pretiosa n’a pas d’importance économique, n’est ni chassé, ni élevé en captivité, ni
exploité commercialement, et ne fait l’objet d’aucun préjugé ou opinion défavorables
de la part du public.
On peut confondre le R. pretiosa avec le R. aurora et, dans une moindre mesure,
avec le R. luteiventris. Aucune de ces espèces n’est délibérément exploitée ou
détruite par l’homme, mais on ne connaît que très incomplètement les populations
existantes et un manque d’attention pour les populations et les habitats de la
grenouille maculée de l’Oregon pourrait entraîner une gestion déficiente de l’espèce
en Colombie-Britannique.
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ÉVALUATION ET STATUT PROPOSÉ
Le déclin des populations du R. pretiosa en Colombie-Britannique est
probablement dû à la perte d’habitats dans l’ensemble de son aire de répartition
historique dans les basses terres du Fraser. La première mention du R. pretiosa
dans la province est apparue dans la littérature en 1945, au moins 45 ans après que
l’un des plus vastes milieux humides de la vallée du Fraser, celui du lac Sumas, a
été drainé à des fins agricoles. Le R. pretiosa est grandement en péril dans la
province puisqu’on ne l’a signalé qu’à trois sites. Les populations réduites à chacun
des sites, la taille insuffisante des habitats et le fait que les grenouilles maculées de
l’Oregon se rassemblent en un même lieu pour la reproduction font que le risque de
disparition de l’espèce est particulièrement élevé. Le British Columbia Conservation
Data Centre a placé le R. pretiosa sur la liste rouge, considérant qu’il s’agit d’une
espèce en voie de disparition ou menacée à laquelle on doit porter une grande
attention. Le Washington Department of Fish and Wildlife a désigné le R. pretiosa
« en voie de disparition » (McAllister et Leonard, 1997), et le Oregon Department of
Fish and Wildlife considère actuellement que la situation de l’espèce est critique
(sensitive critical) en Oregon (M. Hayes, comm. pers.). Enfin, le Fish and Wildlife
Service des États-Unis est en train d’examiner s’il y a lieu de placer le R. pretiosa sur
la liste fédérale des espèces en péril.
Le Rana pretiosa devrait être considéré comme en voie de disparition au
Canada.
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier David M. Green pour sa contribution au présent rapport. J’ai
aussi grandement apprécié les conseils de Patrick Gregory, Jeff Banin et Ronald
Brooks, qui ont révisé une version antérieure du rapport. On doit à Denis Knopp la
redécouverte du R. pretiosa en Colombie-Britannique. Enfin, j’exprime ma gratitude à
Kelly McAllister et Marc Hayes pour m’avoir fait profiter de leurs vastes connaissances
de cet amphibien et informé de la situation de l’espèce dans l’État de Washington et
en Oregon, respectivement.
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L’AUTEUR
Russ Haycock est biologiste professionnel inscrit et consultant en
environnement. Il est co-président de l’équipe de rétablissement de la grenouille
maculée de l’Oregon en Colombie-Britannique.
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