FR-CMJ Vol 5-No. 1 - Revue militaire canadienne

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FR-CMJ Vol 5-No. 1 - Revue militaire canadienne
LETTRES À LA RÉDACTION
COMPTE RENDU DE FIELDS OF FIRE
DE TERRY COPP
L
a critique sévère qu’émet Donald Graves à l’égard de
Fields of Fire dans la publication d’automne 2003
(vol. 4, no 3) exige une réponse.
Graves défend résolument A Study of Failure in High
Command de Jack English et La Campagne de la victoire
de C. P. Stacey, deux ouvrages fondamentaux de l’histoire
militaire canadienne dont Copp est accusé de ne pas avoir
suffisamment tenu compte. C’est bien sûr l’ignominieux
jugement porté par Stacey sur les compétences des Canadiens
(« on ne saurait dire que ce fut grâce à une supériorité
tactique que nous avons gagné la bataille de Normandie »)
que conteste le livre de Copp. Le compte rendu de Graves
omet de dire que cette critique repose en bonne partie
sur un rapport d’un régiment de la 10 e division de
Panzer SS, la Frundsberg, qui, au dire même de Stacey, ne
s’est jamais battue contre les Canadiens. Les arguments
de Stacey incluent, entre autres, la lente progression du
deuxième corps canadien dans la brèche de Falaise-Chambois
et le fait que Simond a limogé quantité de commandants
à la fin d’août 1944. Ces faits et la célèbre citation du
général Foulques amènent Copp à avancer l’argument
contraire selon lequel (je paraphrase grossièrement), si
notre entraînement s’est tellement fait au petit bonheur
la chance, comment avons-nous pu les battre?
L’exaspération que manifeste Graves à l’égard de la
qualité des recherches de Copp laisse songeur. Quels
rigoureux critères de recherche exige-t-il? Sa frustration
est compréhensible s’il voulait que Copp fasse une analyse
opérationnelle, comparant la première armée canadienne
à la seconde armée britannique comme le souhaitent ses
fidèles, alors que l’auteur a écrit une histoire tactique;
mais ce n’est pas ce qu’affirme le compte rendu. Le fait
que Copp ressasse les succès du bataillon canadien pour
contredire Stacey semble irriter Graves, mais il ne dit pas
ce qui l’aurait satisfait. Une étude comparée de chacun
des bataillons canadiens du deuxième corps et de leurs
adversaires? Il s’agit là d’une tâche difficile mais pas
impossible. On pourrait dresser la liste des attaques
franchement insensées lancées par des unités de la
12 e division de Panzer SS et les comparer, par exemple,
à celles des Black Watch. Les hommes de Meyer
remporteraient la palme haut la main. Cela serait-il
satisfaisant? Peut-être suffirait-il de se pencher sur le
premier bataillon du 25 e régiment Panzer de grenadiers
de la Hitler Jugend et sur chaque régiment allemand en
descendant jusqu’à la compagnie et même au peloton
pour rendre l’étude plus facile? En fait, c’est là précisément
l’argument de Copp, ce sont finalement les frappes
d’artillerie et les morts sur le terrain qui ont fait la différence
en Normandie.
une explication détaillée alors qu’une analyse tactique
bien illustrée rend compréhensible une doctrine complexe.
Ces illustrations ne sont pas faciles à faire, car elles
exigent un graphisme au dessein très net ainsi qu’une
certaine connaissance du terrain et des doctrines (la sienne
et celle de l’ennemi). Il n’y a pas de carte de diagnostic
dans Fields of Fire non plus que dans l’excellent livre
de Graves sur le South Alberta Regiment. Pourquoi
attaquer Copp férocement sur quelque chose que Graves
lui-même n’a pas jugé particulièrement utile d’inclure
dans son livre?
En revanche, Graves n’a pas tort de se plaindre des
photographies. Copp possède une des meilleures collections
de photos aériennes en Amérique. Les historiens militaires
brûlent de voir le plus de photos possible des batailles clés,
y compris de très gros plans. Par exemple, si on appliquait
la technologie moderne aux photos prises après l’opération
Spring, on pourrait montrer où les chars de la 22nd British
Armoured Brigade sont intervenus, s’ils l’ont fait. On devrait
voir six Sherman du 1st Hussar mis hors de combat dans
les environs de l’usine St. Martin et de May-sur-Orne,
ce qui permettrait d’élucider la question du rôle qu’ont
réellement joué les chars. Les corps des soldats des
Black Watch sont restés sur les collines de Verrières
jusqu’après l’opération Totalize; des avions de reconnaissance
alliés ont filmé la région à la fin de juillet et au début
d’août; des gros plans pourraient montrer jusqu’où les
troupes du major Griffin se sont avancées sur la crête,
ce qui éluciderait une autre question obscure. Stacey ne
parle pas de l’exploitation de la situation qu’aurait faite
la 9 e division SS à la fin de l’opération Spring. Cette
division prétend que, le 26 juillet, un de ses chars a atteint
la côte 67; les marques de l’avance d’une unité motorisée
(traces de chenilles, tourelles de chars) montreraient s’il
s’agit ou non d’une exagération.
Quant à la « tempête dans un verre d’eau » que soulève
la prétendue méconnaissance que Copp aurait du rôle
d’un commandant de division, il faut vouloir être naïf
pour s’imaginer que, après 30 ans de spécialisation en
histoire militaire, Terry Copp ne saurait pas ce qu’est
le travail d’un général.
Les cartes de Fields of Fire sont sévèrement critiquées
mais en vertu de quels critères? Les cartes sont la lingua
franca de l’histoire militaire. Une bonne carte remplace
Somme toute, ce compte rendu présuppose que les
vues de Stacey sont justes, toutefois l’expression supériorité
tactique doit être précisée. Graves ne donne pas d’exemple
de victoires tactiques allemandes pour réfuter le point de
vue de Copp. Ce serait d’ailleurs difficile. Si la victoire
sur le champ de bataille n’est pas le critère de la prétendue
prédominance allemande, qu’est-ce qui le sera? Le travail
de l’état-major? La technologie? Il y a beaucoup de
choses à retenir chez Stacey; repérer les empreintes de
Crerar et de Foulke serait un point de départ. Copp au
moins s’y essaie. Graves évite la tactique du combat.
Il ne fait pas la différence entre les contre-attaques
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LETTRES À LA RÉDACTION
défensives et les offensives stratégiques. Il ne tient
volontairement pas compte des indubitables victoires
canadiennes dont parle Copp. Hormis la doctrine
populiste, la Auftragstaktik ne valait pas grand-chose
sans la parité aérienne, et la Fingerspitzengefuhl était
pratiquement inexistante lors des combats en Normandie.
Les Allemands étaient disciplinés, méthodiques et
prévisibles; la doctrine leur avait été si fortement inculquée
qu’ils en devenaient souvent inflexibles et ineptes sur le
plan tactique. C’est ce que Copp laisse entendre et que
Graves ne comprend pas.
Printemps 2004
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Revue militaire canadienne
Après avoir lu Fields of Fire, un éminent historien
militaire a déclaré : « Je pense que Copp courtise peut-être
le marché en glorifiant [les Canadiens]. English s’adresse
à ceux qui croient que les Canadiens sont des combattants
nés mais sans formation. Je les applaudis tous les deux et
espère que d’autres points de vue seront émis. » Voilà une
façon plus élégante que d’autres de clore un compte rendu.
Roman Jarymowycz
Lieutenant-colonel (retr.)
Beaconsfield
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