PDF Amical D`Imprimeur - Musée virtuel du Canada

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« FEU + TERRE … thème qui joue sur l’élément
tradition »
« L’art céramique contemporain au Canada – état de la nature et coexistence avec un humour paisible »
Les œuvres qui représenteraient probablement une beauté « fonctionnelle » traditionnelle au Japon semblent exemptes de tradition
au Canada. « FEU + TERRE : Art céramique contemporain au Canada
» a été une révélation à mes yeux car les œuvres empreintes d’une
beauté « fonctionnelle » traditionnelle ne comportaient aucune trace du
dilemme « tradition et innovation » qu’on retrouve forcément au Japon.
J’avais l’impression que la tradition au Canada faisait même partie du
romantisme ou de l’orientalisme. Le Musée d’art d’Itabashi, en accueillant « FEU + TERRE », avait posé une seule condition au Centre d’art de
Burlington, c’est-à-dire que l’exposition soit composée principalement
d’objets et de sculptures en céramique. Cette requête était naturelle
du fait que notre musée possédait une collection d’art d’avant-garde et
était connu pour ses expositions d’œuvres comme celles des périodes de
Taisho et Showa.
Par conséquent, pour être franc, j’avais quelques objections lors de mon
passage au Canada en août dernier. J’y ai été témoin des préparations
pour l’exposition à Burlington. Le nombre de pièces fonctionnelles était
plus élevé que ce à quoi je m’attendais.
J’ai immédiatement demandé à M. Ian Ross, directeur exécutif du Centre
d’art de Burlington, et à M. Jonathan Smith, conservateur de la collection, d’ajouter trois ou quatre objets et sculptures.
Ce soir-là, alors que je relaxais en compagnie des employés accueillants
du Centre d’art de Burlington, du Conseil des bénévoles et des membres,
j’étais également absorbé par mes pensées, me demandant quel traitement je réserverais aux œuvres « fonctionnelles » et comment j’allais les
présenter.
J’ai fini par me résoudre à l’idée qu’il s’agissait d’une belle occasion
pour le musée d’exposer des pièces avec lesquelles nous ne sommes pas
familiarisés. Alors que j’examinais encore et encore les pièces qui respirent une beauté « fonctionnelle » traditionnelle, j’ai constaté qu’elles ne
dégagent pas une impression de lourdeur ni d’encombrement, contrairement à ce qu’on retrouve au Japon. Cette constatation m’a permis de
comprendre que la beauté « fonctionnelle » canadienne, bien qu’elle
semble liée à la tradition, est en réalité exempte de tradition. Du moins,
pensais-je, les œuvres ne traduisaient nullement une tradition si l’on
entend par tradition quelque chose de contraignant. Vu de l’extérieur,
je crois que cet état exempt de tradition est l’une des caractéristiques
de l’art céramique contemporain au Canada. Cette exposition sera la
toute première au Japon à offrir un aperçu de l’art céramique canadien.
Cependant, il s’agit d’un domaine introduit par petites bribes par le passé. Permettez-moi de faire un survol historique. Les artistes céramistes
canadiens ont pu se faire découvrir pour la première fois au Japon à
l’exposition de 1971-1972 « Art céramique contemporain : Amérique,
Canada, Mexique et Japon », qui s’est déroulée aux musées nationaux d’art moderne de Kyoto et de Tokyo. À cette époque, cinq artistes
représentaient le Canada, dont Marilyn Levine et Victor Cicansky. Une
autre occasion s’est présentée en 1981. L’exposition « L’art céramique
contemporain dans le monde » du musée de Kyushu a fait une place
aux œuvres de Marilyn Levine et de Victor Cicansky une fois de plus.
L’année suivante, Kimpei Nakamura planifiait une exposition intitulée
« Art and/or Craft-U.S.A. and Japan », qui comprenait les œuvres de
Marilyn Levine. En 1989, les musées nationaux d’art moderne à Kyoto et
à Tokyo ont également présenté certaines œuvres d’artistes canadiens
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comme Marilyn Levine et David Gilhooly au cours de l’exposition « The
Evolution of American Art-The Eloquent Object ». Trois ans plus tard,
le Museum of Contemporary Ceramic Art dans le Ceramic Cultural Park
de Shigaraki présentait une exposition intitulée « Talkative Teapots
» (Les théières bavardes), où trois Canadiens, dont Paul Mathieu, ont
été présentés. Plus récemment encore, le musée de céramiques de
la préfecture d’Aichi a organisé en 1994 l’exposition « International
Contemporary Ceramic Exhibition-Modern Vessels and Molding » et y a
présenté Susan Low Beer.
Les lecteurs seront sans doute intrigués de constater que les artistes
canadiens sont parfois présentés comme des artistes américains et
vice versa. Cela tient au fait que certains artistes américains enseignent au Canada ou que des artistes nés au Canada vivent aux ÉtatsUnis. Les échanges sont monnaie courante entre les universités situées
des deux côtés des Prairies divisées par les cinq lacs. De nombreux
artistes dont les œuvres sont intégrées à l’exposition « FEU + TERRE »
font la navette entre les universités canadiennes et américaines, tissant
ainsi une toile d’influence.
En fait d’enseignement ou de maîtrise des techniques, le Canada a
beaucoup en commun avec les États-Unis. Toutefois, le caractère
unique du Canada est transposé dans les œuvres d’art en ce qui
concerne les thèmes ou les idéaux créatifs. Citons à titre d’exemple
le reflet évident de la manière dont les artistes perçoivent la « nature
» dans leurs œuvres, même si les perspectives forment une palette
tout à fait diversifiée. Victor Cicansky s’est fait connaître au Japon au
début des années 1970 en tant qu’artiste du genre érotique comme
en témoignait son œuvre « Shoes with Lips » (Souliers avec lèvres).
Cependant, au milieu des années 1980, son engagement envers la
nature s’est intensifié, comme en fait foi son œuvre « Ruines de jardin »
(présentée à FEU + TERRE).
Œuvres empreintes d’« humour »
En parcourant les œuvres de l’exposition FEU + TERRE, je me suis rendu compte qu’un grand nombre jouaient sur le thème de l’humour ou
de la nature. Bien entendu, les œuvres varient grandement et soulèvent
une multitude de questions. De nombreuses œuvres ont en commun les
aspects typiques de l’art contemporain comme les « qualités sensuelles
du matériau », les points de vue sociaux et politiques ou « l’influence
mutuelle des cultures ». Toutefois, j’ai eu le sentiment pour ma part que
l’exposition respire l’« humour » et la « nature » plus profondément
que ces derniers aspects. Permettez-moi d’apporter quelques précisions. Les œuvres « caricaturales » empreintes d’humour comprennent
les grenouilles personnifiées de David Gilhooly. Le « Paysage d’hystérie
» de Susan Low Beer, qui relève aussi du domaine de l’humour, semble
caricaturer les interactions entre hommes et femmes. La bataille qui
oppose le poulet frit et le hamburger de Bonita Bacanegra évoque la
vive concurrence que se livrent les agences de publicité à l’ère contemporaine.
Les œuvres « humoristiques » avec une touche d’« illusion », y compris
le « Silencieux théière » d’Agnes Olive, sont des trompe-l’œil intéressants, mais elles soulèvent également des « problèmes sociaux » et
expriment une préoccupation environnementale. Dans le « Silencieux
théière », où le silencieux d’une voiture est transformée en théière,
l’humour repose sur la présentation de « formes semblables avec des
significations qui n’ont rien à voir entre elles ». Les œuvres nous font
cependant découvrir les préoccupations de l’artiste au chapitre de
l’environnement.
En outre, j’ai palpé l’humour qui se rattache au « renversement de
D’ART D’ITABASHI
| CENTRE
D’ART DE
BURLINGTON | 1
valeur » dans les pièces qui se refusent à toute fonctionnalité en tant
que vase, notamment l’œuvre d’Alain Bernard, où les tasses ne peuvent
être utilisées pour boire. Ce genre d’idées provient sans doute de la «
Ceramic Sculpture # 11 » (1965) de Roy Lichtenstein, où une tasse et une
soucoupe sont soudées ensemble. L’œuvre d’Alain Bernard diffère en ce
sens que le renversement de valeur se fait sur le plan visuel.
Les artistes comme Marilyn Levine, qui expriment la « nature vue de
l’intérieur » avec réalisme, contrairement à Steve Heinemann qui fait
littéralement l’expérience de la « nature » en s’unissant avec la « terre
», sont rares au Japon. Les artistes japonais ne créent pas des œuvres
qui transcendent l’illusion hyperréaliste. Est-ce parce que Japonais et
Canadiens perçoivent la nature sous des angles différents?
Enfin, je me dois de souligner le vase de Jim Thomson, représentation humaine abstraite, ainsi que l’œuvre « La vie en parfait équilibre »
d’Alexsandr Sorotschynski en tant qu’exemples d’œuvres humoristiques
qui ont « évacué les sens » en combinant la personnification et la matérialisation.
En outre, certaines œuvres présentent une « nature faisant place à la
cohabitation », comme les « Ruines de jardin » de Victor Cicansky, en
tant que troisième type d’œuvre qui présente l’« état de la nature ».
La création de Victor Cicansky fait voir des plantes ressemblant à des
pissenlits ou à des choux et qui poussent sur les ruines d’une colonne.
Comme toutes les créatures vivantes dans l’état de la nature, ces pissenlits, tout comme nous, étaient destinés à mourir dès leur naissance.
J’ignore d’où provient l’« humour » de la « caricature », l’« illusion », le
« renversement de valeur » ou les « sens évacués », dont sont empreintes les diverses œuvres. L’humour est-il employé comme huile lubrifiante
au Canada, pays où se côtoient une multitude de groupes ethniques?
L’humour s’inscrit-il dans le caractère général de l’artiste qui aspire à la
créativité originale? Une chose est certaine, les divers types d’« humour
» ont rehaussé la qualité et le sens des œuvres.
Œuvres dans « l’état de la nature »
Tournons-nous maintenant vers l’« état de la nature », autre facteur que
j’ai trouvé prédominant dans l’art céramique au Canada. Les artistes,
c’est bien connu, « sont revenus à la terre » et ont poursuivi l’image de
la « terre » elle-même comme matériau lorsqu’ils se sont mis à créer
davantage d’œuvres à une certaine époque au cours de la domination
d’avant-garde de l’art céramique. Au Japon, Kazuo Yagi a présenté « Mr.
Zamza’s Walk » en 1954 en tant qu’objet qui n’était pas formé comme
vase. En 1960, Osamu Suzuki, Kiyoyuki Kato et Hikaru Yamada l’ont
imité en créant une série d’œuvres qui mettaient en relief la « terre »
sous forme d’assiettes céramiques comme les sculptures en terre cuite
d’Isamu Noguchi. Leurs œuvres ressemblaient en quelque sorte aux
figures d’argile des temps anciens.
À la même époque aux États-Unis, Peter Voulkos a commencé à créer
des œuvres d’art qui semblaient tourner autour du thème de la « terre »
sur toile de fond de « ruée vers la céramique en Californie ».
Dans l’exposition « FEU + TERRE », l’œuvre « Sans titre » de Steve
Heinemann, le « Bol format oblong » de Jennifer Clark, la « Cavité aphrodite III » d’Arthur (Micky) Handy et le « Large bol » de Heather Driver
Kerslake prennent tous comme sujet l’image de la terre. La création de
ces œuvres peut être interprétée comme une tentative de retour à la
nature, symbolisée par l’image de la « terre ».
Il y a d’autres œuvres qui, au premier coup d’œil, ne semblent pas correspondre à une tentative de retour à la nature, bien qu’elles représentent
un état de la nature. On peut citer à titre d’exemple le « Sac deux tons »
de Marilyn Levine dont le thème, d’un point de vue général, serait une «
illusion » hyperréaliste. L’artiste présente une « illusion visuelle » en créant ce qui semble être un sac « en cuir » issu de la « terre ». Elle a même
ajouté des égratignures détaillées pour montrer que le sac est vieux.
Ne devrions-nous pas interpréter l’attitude de Marilyn Levine, qui tend
à créer une série d’articles en cuir usés, par exemple des chaussures
et des vestes, comme une mise en garde contre une culture axée sur
la consommation? Ou encore joue-t-elle tout simplement avec l’image
ou cherche-t-elle à exprimer la nostalgie? Peut-être, mais lorsqu’elle
adresse sa mise en garde aux autres, cela révèle son attitude face à la
vie, étroitement liée à la vision de la « nature ».
L’attitude révélée diffère de celle des artistes japonais qui ont sans cesse
lutté contre la « tradition ».
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Toutefois, la « mort » fait partie de la réincarnation de la vie. Les plantes fleurissent et montent en graine avant de mourir, mais les graines
sont la promesse d’une vie à venir. La « nature qui fait place à la cohabitation », avec la prémisse de la mort, éveille un puissant sentiment
de « vie » chez l’observateur.
J’ai donc présenté l’« humour » et l’« état de la nature » comme étant
deux caractéristiques majeures qu’on retrouve dans l’art céramique
contemporain au Canada de « FEU + TERRE ». Mis à part les concepts
que j’ai présentés : caricature, illusion, renversement de valeur, sens
évacués, retour à la nature, nature vue de l’intérieur et nature qui fait
place à la cohabitation, j’ai la certitude qu’on pourrait dégager de nombreux autres concepts des œuvres exposées. J’espère que le public
prendra le temps d’amorcer un dialogue avec chacune de ces œuvres.
Les œuvres sont classées d’après la première impression pour des
raisons de commodité de l’exposition japonaise. J’aimerais rappeler
au public qu’il s’agit ici d’une façon parmi tant d’autres d’aborder les
œuvres.
En effet, les pièces exposées ont été divisées sommairement en deux
catégories, les œuvres qu’on peut apprécier au regard et celles qu’on
peut apprécier au toucher ou en palpant leur surface.
Les œuvres « visuelles » ont été subdivisées en objets spatiaux, en
objets pittoresques et autres objets. Les œuvres pour lesquelles intervient le « sens du toucher » ont été divisées en œuvres à la beauté «
fonctionnelle » traditionnelle, en œuvres à la beauté « fonctionnelle »
moderne et à la beauté « non fonctionnelle ».
Enfin, j’aimerais remercier M. Jonathan E. Smith, conservateur de
la collection, et M. Ian D. Ross, directeur exécutif du Centre d’art de
Burlington. À titre de conservateur japonais, j’ai l’habitude de mettre
un peu trop d’accent sur les thèmes d’exposition. Cette attitude s’avère
pratique compte tenu des espaces restreints et des ressources limitées
dont nous disposons. Si on m’avait demandé d’organiser une exposition semblable à « FEU + TERRE », je dois admettre à regret que
j’aurais probablement exclu les œuvres d’une beauté « fonctionnelle »
traditionnelle et moderne qui font appel au « sens du toucher ». Pour
terminer, j’aimerais exprimer mon appréciation la plus profonde à Messieurs Smith et Ross et au Canada pour m’avoir rappelé qu’en réalité la
beauté est relative.
À titre de résident d’Itabashi-ku, c’est un honneur pour moi que d’avoir
eu l’occasion de prendre part à cette exposition.
Shinjin Ozaki
Conservateur principal
Musée d’art d’Itabashi
D’ART D’ITABASHI
| CENTRE
D’ART DE
BURLINGTON | 2

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