Intervention Dominique Schmidt

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Intervention Dominique Schmidt
Faut-il un tribunal unique pour traiter l’ensemble du contentieux boursier ?
Séminaire du 11 décembre 2014
Quel tribunal unique pour traiter l’ensemble du contentieux
boursier ?
Dominique SCHMIDT, Agrégé des facultés de droit, Avocat
La présentation d’un tel tribunal a fait l’objet de propositions inspirées d’un texte que Madame
Le Fur et moi-même avons rédigé et qui pourrait servir de base à un projet ou une proposition
de loi.
La composition du tribunal des marchés financiers
Ce tribunal, qui serait une juridiction spécialisée, serait composé selon un mode fortement
inspiré de la Commission des sanctions actuelle, c’est-à-dire sur le mode de l’échevinage avec,
d’une part, des professionnels des marchés financiers, et, d’autres part, des magistrats, de
sorte que chacun puisse bénéficier de la formation, de l’expérience et de la compétence des
autres.
Cette formule d’échevinage a fait ses preuves au sein de la Commission des sanctions actuelle.
Il n’y a pas de raison qu’elle ne fasse pas ses preuves dans ce tribunal spécialisé.
Bien entendu, le respect des exigences constitutionnelles sera assuré. Après consultation, nous
nous sommes rendu compte que ces exigences constitutionnelles se résumaient en fait à trois
points :

une exigence de capacité des professionnels qui feraient partie du tribunal,

une exigence quant à la détermination des personnes qui vont désigner ces
professionnels (aujourd’hui on sait que certains membres de la Commission des
sanctions sont désignés par le Ministre de l’économie et des finances ; ce n’est peutêtre pas l’autorité qui conviendrait pour désigner un professionnel membre d’un tribunal
des marchés financiers)

une exigence de déontologie qui peut être celle gouvernant les membres de l’actuelle
commission des sanctions.
L’objectif est clair : tirer pleinement parti de la compétence actuelle, reconnue, de la
Commission des sanctions pour la transposer au sein d’un tribunal, véritable juridiction
financière.
Compétence du tribunal des marchés financiers
C’est le point central. Il serait d’abord compétent pour connaître de tous les manquements qui
ressortent aujourd’hui de la compétence de la Commission des sanctions.
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Faut-il un tribunal unique pour traiter l’ensemble du contentieux boursier ?
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Il serait en outre compétent pour traiter du pénal, c’est-à-dire pour connaître des délits
boursiers d’abus de marché. Cette compétence serait exclusive, bien entendu, puisqu’il ne
s’agit pas de permettre à des tribunaux correctionnels répartis sur l’ensemble du territoire
français de connaître de cette matière, comme cela a été vu dans des affaires récentes.
Enfin, il serait compétent pour statuer sur la réparation du dommage civil subi par les
personnes lésées par un abus de marché. Cette compétence ne serait pas exclusive
puisqu’une personne qui se prétend lésée par un abus de marché pourrait toujours, si tel était
son choix, s’adresser au juge civil du tribunal de grande instance ; mais ce n’est peut-être pas
la meilleure solution pour elle…
La saisine du tribunal des marchés financiers
Je ne cacherai pas que c’est la question la plus délicate, car de la saisine, dépend la voie
procédurale.
Le tribunal des marchés financiers pourrait être saisi, bien entendu, par l’Autorité des marchés
financiers qui pourrait agir tout à la fois comme autorité de poursuite et comme plaignante.
L’AMF saisirait ce tribunal non seulement pour les manquements à son règlement général,
mais aussi pour des faits susceptibles de constituer une infraction pénale.
Ce tribunal pourrait également être saisi par le parquet national financier qui est compétent en
matière de délits boursiers. Le procureur national financier, en présence de faits qui sont
susceptibles de constituer un délit pénal, pourrait donc saisir le tribunal des marchés financiers.
Enfin, la personne se prétendant lésée par un abus de marché pourrait également saisir le
tribunal ; mais cette saisine serait limitée. En effet, aujourd’hui, la personne prétendument lésée
peut agir par voie de constitution de partie civile et mettre en mouvement l’action publique. Il
nous est apparu qu’il n’était pas opportun, dans le cadre d’une juridiction spécialisée, de
permettre à une personne lésée de mettre en œuvre l’action publique en saisissant un juge
d’instruction. D’abord parce que les délais de l’information pénale sont extrêmement longs,
surtout si tous les moyens « dilatoires » mis à leur disposition sont utilisés par les personnes
mises en cause. Ensuite, parce que l’instruction pénale apparaît totalement inadaptée à ces
délits boursiers. En effet, face à l’enquête de l’AMF d’un côté, et l’enquête préliminaire
diligentée, le cas échéant, par le parquet national financier de l’autre côté, les juges
d’instruction n’ont pas la formation et l’expérience professionnelle qui leur permettent de mener
des investigations de façon pertinente, rapide et optimale sur des faits susceptibles de
constituer des délits boursiers : par exemple, établir l’existence d’une manipulation de cours par
le moyen de trading haute fréquence sur des dérivés.
Les droits de la personne lésée par un abus de marché
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Il est important de s’intéresser aux droits de la personne lésée par un abus de marché car nous
touchons ici au domaine de la réparation, domaine aujourd’hui négligé. La personne lésée n’a
aucun accès à la Commission des sanctions de l’AMF, si ce n’est comme auditeur dès lors que
la séance est publique. Dans notre proposition, elle pourrait intervenir, à sa demande, dans
toute procédure pendante devant le tribunal des marchés financiers pour abus de marché, et
demander la réparation de son préjudice civil.
Cette même personne pourrait également déposer une plainte pénale entre les mains du
procureur national financier ; on pourrait concevoir que si le procureur ne répond pas, dans un
délai de trois mois, par exemple, délai de droit commun, cette personne pourrait saisir le
tribunal des marchés financiers, mais uniquement par voie de citation directe pour les raisons
évoquées tout à l’heure.
Ce tribunal pourrait aussi inviter l’AMF à faire connaître son appréciation sur la nature et la
quantification du préjudice subi par la personne qui se dit lésée ; car ses services ont toute
compétence pour ce faire.
Nous avons également prévu une sanction un peu particulière : en cas de fausses informations
sur le marché (manquement ou délit), la réparation pourrait consister dans l’obligation, pour
l’émetteur à l’origine de la fausse information, de racheter les titres que l’investisseur trompé a
acquis sur le marché sous l’empire de cette erreur. La solution peut paraître audacieuse, mais
elle a été validée expressément par un arrêt de la CJUE du 17 décembre 2013.
Le fonctionnement du tribunal des marchés financiers
Les règles du jugement – Le jugement serait prononcé à l’issue d’une délibération collégiale
avec des règles de majorité particulières : si les professionnels sont plus nombreux que les
magistrats, ils emporteront la décision (avec ou sans les magistrats), pour autant qu’il s’agisse
de manquements.
En revanche, sur le terrain pénal, une peine d’emprisonnement ne peut être prononcée que si
la majorité des trois juges composant la formation de jugement en décide ainsi.
Les règles d’administration de la preuve – C’est un sujet sensible. Nous avons pensé
pouvoir faire reconnaître une présomption simple selon laquelle la diffusion d’une fausse
information sur le marché trompe les investisseurs. En effet, celui qui, sciemment, diffuse sur le
marché une information erronée ou trompeuse, agit ainsi parce qu’il souhaite tromper. Par
conséquent, les investisseurs qui acquièrent, qui conservent ou qui vendent des titres sous
l’empire de la fausse information sont présumés avoir
arbitré sous l’empire d’un vice du
consentement. Cette présomption devrait leur permettre de demander réparation de leur
préjudice plus aisément. Ce sera à l’émetteur de démontrer que la fausse information n’a pas
eu d’influence sur le comportement de l’investisseur.
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Les dispositions restreignant les nullités de procédure - Nous avons pensé restreindre les
règles régissant les recours contre les actes de procédure de ce tribunal. Il s’agit d’éviter qu’un
jugement, comme celui rendu au pénal dans l’affaire Péchiney consacre 80 de ses 115 pages à
rejeter des exceptions de procédure. Le tribunal des marchés financiers, qui devrait fonctionner
selon des règles de procédure qui lui sont propres, fort proches de celles actuellement suivies
par la Commission des sanctions, ne devrait connaître des exceptions que si elles se
rapportent à la violation d’une règle constitutionnelle garantissant les droits de la défense et le
procès équitable.
Les recours – Les recours seraient portés devant la Cour d’appel de Paris. La distinction
actuelle des compétences Conseil d’Etat/Cour d’appel de Paris serait supprimée puisqu’il n’y a
plus qu’un seul tribunal des marchés financiers.
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L’idée peut paraître, comme il l’a été dit, quelque peu révolutionnaire ; mais je ne suis pas sûr
qu’elle le soit : elle est le fruit d’une évolution. En effet, la Commission des sanctions prononce
aujourd’hui des sanctions de nature pénale et brise ainsi
le monopole
traditionnellement
reconnu au juge pénal de prononcer des sanctions pénales. Parfaire l’évolution aboutit à la
création d’un tribunal unique.
D’un autre côté, on vient de créer un procureur national financier, ce qui démontre la spécificité
de la matière et la nécessité de la traiter par une institution spécialisée.
Enfin, il importe de mieux assurer la réparation du dommage civil, non seulement pour satisfaire
les intérêts des personnes privées lésées, mais aussi pour satisfaire à l’impératif de régulation ;
la réparation civile participe à la régulation. La proposition de création d’un tribunal des
marchés financiers, intègre, à titre principal, cette question de la réparation à côté de la
répression, dans l’ensemble de la prévention et de la régulation.
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