Les données électroniques dans le monde des affaires
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Les données électroniques dans le monde des affaires
NEWSLETTER Avril 2005 SCHELLENBERG WITTMER A vo ca t s Les données électroniques dans le monde des affaires : une nouvelle loi et des développements récents La loi fédérale sur les services de certification dans le domaine de la signature électronique (Loi sur la signature électronique, SCSE) est entrée en vigueur le 1er janvier 2005. Elle définit les conditions auxquelles la signature électronique est assimilée à la signature manuelle et ouvre d’innombrables possibilités au commerce électronique. Les conséquences pratiques de la nouvelle loi méritent d’être examinées attentivement, de même que les développements récents concernant les données électroniques dans le monde des affaires et en procédure civile. 1 Le rôle des données électroniques dans le monde des affaires Le traitement électronique des affaires s’est beaucoup développé ces dix dernières années. Aujourd’hui, presque la moitié des entreprises suisses utilise Internet pour acquérir des biens et des services et près d’un cinquième vend également des produits par ce biais. Sur le plan international, la Suisse se trouve en tête de l'essor du commerce électronique. Le développement des nouvelles technologies a également profondément modifié la manière de sauvegarder et d’archiver des informations. Mais la digitalisation a surtout révolutionné les moyens de communication. L’utilisation du courrier électronique a explosé ces dix dernières années et restreint toujours plus la place occupée par les autres moyens de communication, comme la poste et le téléphone. Ce qui autrefois était transmis par des paroles éphémères est aujourd’hui communiqué par e-mail et conservé parfois pendant des années. Ces développements posent quantité de questions juridiques, qui sont abordées ci-après. 2 Aperçu de la nouvelle SCSE La loi sur la signature électronique règle les conditions de la reconnaissance des fournisseurs de services de certification, leur activité et leur responsabilité. La loi détermine en outre les conditions auxquelles une signature électronique peut être assimilée à une signature manuscrite au sens du droit des obligations. Le nouvel art. 14 al. 2bis du Code des obligations définit ainsi les modalités pour que ces signatures soient équivalentes. Selon cette disposition, la signature électronique est assimilée à une signature manuelle si elle repose sur un certificat qualifié émanant d’un fournisseur de services de certification reconnu. La signature électronique permet de déterminer avec sûreté l’origine d’un document (authenticité), d’identifier les modifications ultérieures du contenu (intégrité) et de sauvegarder la confidentialité des informations. Elle ne sert donc pas uniquement comme signature au sens propre du terme mais permet également de crypter des informations afin de les protéger contre des falsifications. Toute personne aura ainsi, par le biais d’un cryptage asymétrique, une double clé personnelle, composée d’une clé publique et d'une clé privée correspondante. La clé publique (public key) peut être comparée à un document d’identité et sera connue de tous. La clé privée (private key) correspond à la signature et sera gardée secrète par son détenteur. L’expéditeur crypte, c’est-àdire signe, avec sa clé privée le document qu’il veut envoyer. Le destinataire peut ensuite décrypter le document au moyen de la clé publique de l’expéditeur et s’assurer ainsi de manière certaine que ce document provient bien de l’expéditeur et qu’il n’a pas été modifié après l’envoi. Afin d'assurer la Jusqu’à présent, le seul organisme d’accréditation de fournisseurs de services de certification est KPMG Fides Peat. Aucun fournisseur n’a encore été accrédité mais plusieurs procédures d’accréditation sont en cours, dont les premières devraient être achevées vers fin 2005. 3 Le commerce électronique 3.1 La validité des contrats électroniques Les raisons principales pour lesquelles Internet est utilisé de manière encore très différente pour les rapports entre entreprises (B2B) et la fourniture de biens et services aux consommateurs (B2C) sont une sécurité juridique insuffisante au moment de la conclusion de contrats par Internet ou par e-mail, les problèmes de protection des données et les risques au moment du paiement. En particulier, de nombreux acteurs économiques ignorent dans quelle mesure des contrats conclus par e-mail sont valables et quelle est leur force probante en cas de conflit. Le droit contractuel suisse est basé sur le principe de la liberté contractuelle. Selon ce principe, la conclusion des contrats n’est soumise à aucune forme, à moins que la loi en prescrive une particulière ou que les parties en aient choisi une. La plupart des contrats conclus par Internet ou par e-mail sont donc valables même sans signature électronique. La loi contient des exceptions à la liberté de la forme contractuelle notamment dans les cas où le débiteur doit être protégé contre des engagements excessifs (par exemple dans la vente à tempérament ou la caution), où le contrat sert de base à un enregistrement dans un registre officiel (par exemple dans la vente d’immeuble) ou lorsque la forme du contrat a une fonction de publicité ou de sécurité juridique (par exemple dans la cession de créance). Depuis la modification du Code des obligations le 1er janvier 2005, toute signature électronique qualifiée qui remplit les conditions de la SCSE est assimilée à une signature manuscrite. Tous les actes juridiques pour lesquels la loi exige une signature peuvent ainsi être valablement effectués par un e-mail muni de la signature électronique. De plus, la signature électronique permet de vérifier que l’e-mail provient effectivement de l’expéditeur et empêche toute falsification ultérieure. Ces éléments consolident la force probante de tels e-mails (cf. ci-après 5.1). 3.2 La reconnaissance de dette La créance qui figure dans une reconnaissance de dette écrite et confirmée par une signature bénéficie de facilités dans la procédure de réalisation forcée (le créancier peut ainsi obtenir la mainlevée de l’opposition). Grâce à l’assimilation de la signature électronique à la signature manuelle, il est désormais possible de rédiger une reconnaissance de dette électronique signée de manière numérique (par exemple dans un e-mail). Encore faut-il que le juge dispose des moyens techniques suffisants pour effectuer les vérifications nécessaires. On ignore aujourd’hui dans quelle mesure les tribunaux seront équipés de tels moyens. 3.3 Les clauses d’élection de for et les clauses arbitrales 3.3.1 Les clauses d’élection de for En droit suisse comme en matière internationale, la signature des parties n’est en principe pas nécessaire pour conclure une élection de for. La preuve de l’existence d’une clause d’élection de for peut être apportée au moyen d’un simple texte. Les parties peuvent donc aussi convenir valablement d’un for par e-mail sans utiliser la signature électronique. 3.3.2 Les clauses arbitrales Contrairement aux clauses d’élection de for, une clause arbitrale passée entre des parties domiciliées ou ayant leur siège en Suisse doit être signée à la main ou munie de signatures électroniques qualifiées au sens de la SCSE. Lorsque au moins une des parties est domiciliée ou a son siège à l’étranger au moment de la conclusion de la clause arbitrale, le droit suisse n’exige pas de forme qualifiée. La preuve d’un accord au moyen d’un texte suffit, un tel accord pouvant alors aussi être conclu par e-mail. Il est cependant recommandé, afin de s’assurer que la clause arbitrale sera aussi valable à l’étranger – ce qui a son importance notamment pour faire exécuter une sentence arbitrale à l’étranger – de ne pas conclure de clause arbitrale par e-mail mais uniquement sur papier et avec signature manuscrite. 4 La conservation des livres et la TVA 4.1 La conservation électronique des livres Avec l’entrée en vigueur de la SCSE, les dispositions sur la conservation décennale des livres commerciaux sont à nouveau d’actualité. Ces dispositions ont déjà été modifiées en 2002 pour permettre la conservation électronique des livres. 2 SCHELLENBERG WITTMER NEWSLETTER AVRIL 2005 confidentialité de l'envoi, l'expéditeur peut également, en sus, crypter le document avec la clé publique du destinataire. Dans ce cas, le document ne pourra être décrypté que par la clé privée du destinataire. Le certificat contenant la clé publique est délivré et administré par un fournisseur de services de certification, de manière à garantir l’attribution des clés doubles à toute personne. Ces fournisseurs doivent euxmêmes être accrédités par un organisme désigné par le Conseil fédéral. SCHELLENBERG WITTMER NEWSLETTER AVRIL 2005 Les nouvelles dispositions autorisent la gestion et la conservation électroniques de trois types de documents dont la loi exige la conservation : la correspondance commerciale, les livres commerciaux et les pièces comptables. Les e-mails ayant une influence sur le bilan ou le compte de pertes et profits sont considérés comme de la correspondance commerciale. Il s’agit essentiellement des e-mails qui ont une portée quelconque sur les droits et obligations de l’entreprise. Lorsque les livres commerciaux sont conservés sous forme électronique, les règles sur l’administration des données, notamment le principe de l’intégrité (exactitude et inviolabilité), s’appliquent en sus des principes matériels sur la tenue correcte des comptes. Le principe de l’intégrité peut désormais être appliqué grâce à l’introduction de la signature électronique. L’original du bilan et du compte de pertes et profits doivent être, comme par le passé, conservés sous forme écrite et signés à la main par la personne en charge de la direction. 4.2 Le lieu de conservation Lorsque les livres commerciaux sont conservés sous forme électronique, la question du lieu de leur conservation se pose car, d’une part, cette fonction est de plus en plus déléguée à des tiers et, d’autre part, le lieu physique de conservation des données a de moins en moins d’importance. La loi ne prescrit pas le lieu de conservation. Il est donc possible de procéder à l’archivage auprès de tiers, en Suisse ou à l’étranger. Les documents continuent toutefois à devoir être rapidement disponibles et le mode d’archivage doit toujours remplir les exigences de sécurité et de protection des données. Des règles spéciales sur le lieu de conservation s’appliquent par ailleurs à des branches particulières (par exemple les banques). 4.3 La TVA Les dispositions de la loi sur la TVA concernant la conservation des livres commerciaux sont plus sévères que les règles du droit commercial. Cette loi n’exige pas seulement la conservation de l’original du bilan et du compte de pertes et profits mais également d’autres documents et pièces justificatives (par exemple les documents douaniers d’exportation et d’importation). De plus, l’ensemble des livres et documents doit être conservé pendant dix ans (vingt ans pour ce qui concerne les immeubles) sur sol suisse ou dans un endroit tel qu’ils puissent être produits en Suisse dans les plus brefs délais. Les données déterminantes pour la déduction de l’impôt préalable ainsi que la perception et l’assiette de l’impôt qui sont conservées sous forme électronique ne sont assimilées à des documents écrits que si elles remplissent les principes de la preuve de l’origine, de l’intégrité et de la certitude de l’envoi et de la réception. Cela signifie que toutes les données importantes doivent être protégées par signature électronique. Si ces conditions ne sont pas remplies, l’administration fiscale procède à sa propre estimation, ce qui peut conduire dans certaines circonstances à une réduction de la déduction de l’impôt préalable. 5 Le traitement des données électroniques dans le procès civil 5.1 La preuve par e-mail Avec l’explosion de l’utilisation du courrier électronique dans le monde des affaires, les e-mails ont aussi pris de l’importance ces dernières années en procédure civile. D’une part, les e-mails remplacent le courrier postal, puisque des contrats et des communications sont désormais passés par ce biais alors qu’ils étaient autrefois signés à la main et transmis par la poste ou par téléfax. D’autre part, comme nous l’avons déjà mentionné, les e-mails remplacent de plus en plus les conversations téléphoniques. En outre, avec le stockage centralisé de données électroniques et le développement des programmes de recherche de document, il est nettement plus aisé aujourd’hui de retrouver des informations utiles pour un procès. Le droit cantonal ne peut pas prescrire une forme particulière pour la preuve d’un acte juridique. Les documents électroniques sont donc en principe des preuves valables. Des tribunaux ont déjà eu l’occasion d’admettre la preuve par le biais d'e-mails, en se fondant pour cela sur le principe de la libre appréciation des preuves. Les documents commerciaux électroniques ont la même force probante que des documents ordinaires, dans la mesure où il est possible de prouver qu’ils sont archivés conformément aux nouvelles dispositions légales sur la conservation des livres commerciaux (cf. ci-dessus no 4.1). Avec la reconnaissance de la signature électronique, on pourra d’autant plus utiliser ce moyen de preuve, surtout lorsqu’une des parties mettra en doute la force probante d’un e-mail en raison des possibilités de falsifications. Quant aux données électroniques qui ne doivent pas être rangées parmi les documents commerciaux à conserver, la procédure civile cantonale devra régler dans quelle mesure ils peuvent être utilisés comme preuve. La future procédure civile fédérale prévoit pour sa part que les données électroniques ont la même valeur que des documents ordinaires. 5.2 L’obligation de produire des e-mails Le problème de la production forcée d’e-mails, qui est très controversée dans le monde juridique anglo-saxon, n’a pas de véritable portée en Suisse. La raison principale en est que le droit suisse ne prévoit pas de procédure de discovery à l'instar de ce qui existe dans les pays anglo-saxons. De plus, les tribunaux ont réagi jusqu’à présent de manière pragmatique aux progrès technologiques. Il reste tout de même à déterminer comment et quand les parties au procès peuvent avoir accès aux données stockées électroniquement par l’autre. Les parties et les tiers qui doivent conserver leurs livres ont une obligation pleine et entière de les produire (cf. ci-dessus 4.1). Selon ce que décide le tribunal, les documents commerciaux qui sont conservés sous forme électronique doivent être produits sous une forme qui permette la lecture sans outil particulier (à savoir sur papier), à moins qu’un outil de lecture doive être mis à disposition. Les données qui ne font pas partie des livres commerciaux dont la loi exige la conservation 3 L’obligation de produire des données conservées sous forme électronique concerne aussi bien les parties que les tiers qui détiennent ces données, par exemple l’exploitant du serveur. La possibilité pour les tribunaux d’exiger la production de preuves est cependant limitée territorialement. La voie de l’entraide judiciaire internationale doit ainsi être suivie pour obtenir la production des e-mails d’une partie étrangère conservés sur un serveur à l’étranger. La même règle s’applique aux filiales et succursales étrangères de sociétés suisses dont les données sont conservées auprès d’un serveur étranger. Cependant, lorsque les parties, par le choix du lieu de leur serveur, recherchent des avantages contraires à la bonne foi, ou si elles n’ont pas entièrement satisfait à leur obligation de conservation, le juge peut, dans le cadre de l’appréciation des preuves, tenir compte d’un tel comportement à leurs dépens. 5.3 La requête de production et la sauvegarde anticipée des preuves En procédure suisse, il peut s’écouler un temps assez long avant le début de l’administration des preuves. Il existe donc un risque que, pendant ce laps de temps, les preuves conservées sous forme électronique soient détruites. Afin de réduire ce risque, les parties peuvent requérir des mesures provisionnelles tendant à la sauvegarde des preuves. Pour que le juge ordonne de telles mesures, le requérant doit rendre vraisemblable qu’une réquisition de preuve ultérieure sera plus difficile ou même impossible (en raison de la mise en danger des preuves). Bien que des données conservées sous forme électronique puissent être facilement détruites ou manipulées, cela ne suffit pas pour que des mesures provisionnelles soient ordonnées. Il faut démontrer d’autres éléments pratiquement équivalents à une destruction des preuves. Lorsque la signature électronique sera largement utilisée, le risque que les données soient manipulées ultérieurement ira en diminuant. L'emploi généralisé de la signature électronique pourra également être invoquée par une partie pour s’opposer à une requête de sauvegarde anticipée des preuves. Le risque que la partie requérante abuse des mesures provisionnelles pour extorquer des preuves peut par ailleurs être réduit par des mesures prises par le juge (par exemple la remise des preuves au seul juge, une avance de frais obligatoire, etc.). Dans le procès civil, les preuves doivent être désignées avec exactitude. Le même principe s’applique en matière de requête de production de preuves par l’autre partie ou un tiers, ce qui permet d’éviter l’extorsion illicite de preuve, aussi appelée « fishing expedition ». A notre connaissance, aucun juge suisse n’a jusqu’à présent ordonné la production de tous les e-mails d’une partie pendant une période donnée. Vu la masse d’e-mails reçus chaque jour, une désignation suffisamment précise est impossible. Les juges appliqueront donc probablement des critères plus larges que pour les documents écrits ordinaires. 6 Résumé La SCSE crée les conditions nécessaires pour que la signature électronique soit reconnue en Suisse. Les entreprises ont désormais la possibilité d’utiliser valablement la procédure de signature numérique pour conclure des contrats, tenir et conserver leurs livres ainsi que pour la TVA. En procédure civile et dans d’autres procédures, les données électroniques jouent un rôle plus grand chaque jour. De nombreuses questions juridiques se posent, qui doivent être identifiées à temps afin de recevoir une réponse adéquate. Contact Le contenu de cette Newsletter ne peut pas être assimilé à un avis ou conseil juridique ou fiscal. Si vous souhaitez obtenir un avis sur votre situation particulière, votre personne de contact habituelle auprès de Schellenberg Wittmer ou l’un des avocats suivants répondra volontiers à vos questions: I A Genève: FABRIZIO LA SPADA [email protected] CHRISTIAN GIROD [email protected] I A Zurich: ALEXANDER JOLLES [email protected] ANNA KATHARINA MÜLLER [email protected] 15bis, rue des Alpes Case postale 2088 CH-1211 Genève 1 Tél. +41 (0) 22 707 8000 Fax +41 (0) 22 707 8001 Löwenstrasse 19 Case postale 6333 CH-8023 Zurich Tél. +41 (0) 44 215 5252 Fax +41 (0) 44 215 5200 www.swlegal.ch 4 SCHELLENBERG WITTMER NEWSLETTER AVRIL 2005 n’ont pas à être stockées. La procédure cantonale règle l’obligation de les produire. Aussitôt qu’un procès est engagé, les parties sont obligées de se comporter de bonne foi et ne sauraient détruire des preuves ou rendre tout accès à celles-ci impossible. Il est possible aujourd’hui de multiplier sans difficulté les exemplaires de données conservées sous forme électronique. De plus, grâce aux fonctions « cc » ou « forward », qui sont largement utilisées, le nombre de personnes qui reçoivent des e-mails est beaucoup plus important qu’autrefois, lorsque les gens ne recevaient que des courriers postaux. Les parties doivent ainsi sans cesse garder à l’esprit que la copie d’un e-mail détruit ou d’un document conservé sous forme électronique peut toujours ressurgir plus tard et sa production être requise. Comme pour un document au sens traditionnel du terme, la production peut cependant être niée dans les cas où il est possible de refuser de témoigner ou lorsqu’une partie peut requérir des mesures de protection, comme en matière de secret professionnel ou de fabrication.