l`avion d`attaque interarmées : solution ou idée chimérique?

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l`avion d`attaque interarmées : solution ou idée chimérique?
LES POLITIQUES
Photo de l’Edwards AFB par Steve Zapka
L’avion d’attaque interarmées Boeing X-32S.
L’AVION D’ATTAQUE INTERARMÉES :
SOLUTION OU IDÉE CHIMÉRIQUE?
par Paul T. Mitchell, Ph.D.
M
ême si l’achat d’un aéronef qui remplacera le CF-18
n’aura pas lieu avant 2017-2020, la force aérienne
crée un bureau de projet chargé d’étudier la
prochaine génération de chasseurs. Un des
programmes les plus prometteurs est l’avion
d’attaque interarmées (Joint Strike Fighter ou JSF) américain qui
fera peut-être pour l’industrie internationale des chasseurs ce que le
F-16 a presque fait : éliminer toute concurrence. Cet article se
demande si le JSF est vraiment une solution pour la Force aérienne
ou si les enthousiastes de la puissance aérienne ne prennent pas
simplement leurs rêves pour la réalité. L’article soutient que, si les
Forces canadiennes choisissent de conserver une capacité aérienne
offensive, le JSF représente certainement pour elles le choix le plus
approprié pour plusieurs raisons1. Toutefois, l’avenir du JSF n’est
pas entièrement assuré même aux États-Unis, où le programme se
heurte à d’importants problèmes budgétaires et techniques ainsi
qu’à un certain scepticisme au sein des divers services des forces
armées américaines. La difficulté la plus importante à régler pour
la Force aérienne au sujet du JSF, c’est qu’on n’a pas convaincu le
public canadien de la nécessité de remplacer les chasseurs. Le
facteur le plus important qui décidera en fin de compte si les Forces
canadiennes pourront ou non se procurer le JSF, c’est de réussir à
convaincre le public et à le faire bien.
LE JSF EN TANT QUE SOLUTION
D
e récentes opérations menées par les forces militaires
occidentales suggèrent que la puissance aérienne restera
probablement la première option et la plus populaire pour les
États qui veulent montrer leur puissance militaire. Quand on
Été 2002
●
Revue militaire canadienne
étudie les diverses options militaires, la puissance aérienne
offre un niveau élevé de souplesse et de précision et un grand
pouvoir meurtrier, et on peut exécuter des opérations aériennes
à longue portée en faisant courir assez peu de risques aux
militaires et aux pays qui mènent les opérations. Comme le
mentionne un document de travail du Commandement aérien,
la puissance aérienne devrait s’avérer la meilleure réponse
« asymétrique » de l’Occident pour empêcher ses adversaires
de conduire d’importantes campagnes conventionnelles au sol
visant à infliger des pertes de vies humaines et, donc, à miner
la volonté de combattre de l’Occident2.
Étant donné ces présupposés initiaux, le JSF semble un
candidat fort pour remplacer le CF-18. Le JSF est en train de
susciter le programme d’acquisition le plus important de l’histoire
récente de l’aviation. Les États-Unis et le Royaume-Uni à eux seuls
en achèteront probablement près de 3 000, et il y a de grandes
possibilités d’exportation3. Richard Aboulafia, un analyste de
l’aviation, dit depuis longtemps que le JSF est plus une politique
industrielle qu’un programme d’aéronef4. Avec plus de 6 000
chasseurs à remplacer dans les forces aériennes du monde entier, le
JSF servirait de créneau commercial qui pourrait sceller la
suprématie de l’industrie aérospatiale américaine dans ce secteur
clé5. Même si la capacité opérationnelle initiale prévue pour l’an
2008 est tardive par rapport à ses concurrents (Gripen, Typhoon et
Rafale), le JSF serait vraiment un chasseur pour le XXIe siècle
plutôt qu’un appareil à technologie du siècle précédent.
Paul T. Mitchell, Ph.D., est directeur des études au Collège des Forces
canadiennes à Toronto.
33
Il y a déjà une participation internationale importante au
programme JSF. Le Royaume-Uni a investi 200 millions de livres
et négocie un autre contrat de 100 milliards de livres pour la phase
de direction d’études techniques et de mise au point technique qui
doit commencer cet automne. Les Pays-Bas, la Norvège et le
Danemark ont investi ensemble 32 millions de dollars, et le
Canada a déjà dépensé également plus de 10 millions de dollars.
Pendant cette phase, le Canada investira 150 millions de dollars de
plus. Peu de temps après que le Canada a pris cette décision, les
Pays-Bas ont annoncé qu’ils investiront 800 millions de dollars de
plus. La Turquie, l’Italie, le Danemark et la Norvège négocient
également leur participation6. Les responsables officiels prennent
bien sûr soin de signaler que, même si le Canada tente dans une
certaine mesure d’obtenir un statut de partenaire au projet, cela ne
veut pas dire nécessairement qu’il achètera le JSF.
Malgré cette participation internationale, l’aéronef pourrait
bien ne pas être le modèle optimal pour le marché de l’exportation
en raison des exigences américaines. Pour l’USAF, l’aéronef doit
remplacer le F-16 dans son rôle de « camion de bombes ».
D’autres pays, quant à eux, chercheront un avion polyvalent qui
peut passer facilement de misions de supériorité aérienne à des
missions d’appui aérien rapproché et de frappe de précision. Certes,
la souplesse du CF-18 pendant l’opération « Allied Force » a
montré l’utilité d’une telle capacité. Mais, étant donné que le JSF
est conçu pour être un élément du « système de systèmes » de
l’USAF, « pour un client d’exportation, la seule façon d’utiliser
vraiment le JSF serait dans le cadre d’opérations interalliées
pendant lesquelles les forces américaines assureraient la supériorité
aérienne et fourniraient les ressources C3RSR8.
Les programmes d’avion d’attaque européens sont des
solutions évidentes de rechange au JSF. Pendant les années
1990, les industriels européens de l’aérospatiale ont réduit leurs
frais en restructurant l’industrie et en modernisant leurs
méthodes de production, ce qui leur a permis de faire
concurrence aux produits américains d’égal à égal. Le Mirage
2000, en particulier, a connu une sorte de renaissance avec des
commandes de l’Inde, de Taiwan et de plusieurs États du
Moyen-Orient. La Grèce s’est engagée à acheter le Typhoon par
petites étapes, de même que l’Allemagne, l’Italie et le RoyaumeUni, qui le produisent. L’Afrique du Sud achètera neuf Gripen et
a des options d’achat pour 19 de plus. Les Tchèques ont choisi
de remplacer leurs MiG 21 et leurs Sukhois par le Gripen, et la
Hongrie s’intéresse beaucoup également à cet aéronef. Même si
les autorités françaises ont l’intention de vendre le Rafale à un
prix qui fera concurrence à celui du JSF, on attend toujours des
commandes fermes, à part les 61 que la France a commandés9.
Mais est-ce que les chasseurs européens peuvent vraiment
faire concurrence au JSF? C’est une question importante vu que
le JSF est encore en cours de développement. Le Rafale et le
Typhoon soutiennent bien la comparaison avec les capacités du
F-15, et le Gripen, plus modeste, est comparable au F-16, même
en dépit de ses paramètres de vol quelque peu limités. Le Gripen
se comportera de façon admirable dans un environnement
suédois, mais sa courte portée, ses capacités réduites « au-delà
de la limite visuelle » et sa faible capacité de charge le rendent
moins désirable sur le marché de l’exportation, même si Saab
semble prêt à re-configurer l’aéronef pour améliorer le
rendement des modèles destinés à l’exportation. Les Suédois
insistent cependant sur le fait qu’il sera difficile à détecter en
raison de sa petite taille, et que la rotation rapide des missions, la
maintenance facile et la capacité d’utiliser des pistes non
aménagées en fonction desquelles il a été conçu lui donnent un
avantage sur ses concurrents de plus haute technicité10.
Par rapport à tous les autres projets concurrents de chasseurs,
le Rafale sera équipé d’un des radars les plus avancés. Le RBE2
est un radar à balayage électronique qui, simultanément, réduira la
surface équivalente radar du Rafale et permettra de poursuivre et
de prendre à partie des objectifs multiples et d’étendre la détection
et la poursuite d’objectifs au-delà de la portée des missiles air-air
à rayon d’action moyen existants. Le programme F-22 prévoit la
fabrication du radar à balayage électronique APG-77, mais aucun
autre projet en cours ou prévu n’adoptera un tel système11.
Dans l’ensemble, les trois aéronefs européens auront de très
bonnes capacités, mais il n’en reste pas moins qu’ils ont été
conçus à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Bien
que les études de la RAND et du Defence Research Establishment
du Royaume-Uni concluent que le Typhoon est supérieur au F-15,
les trois chasseurs européens sont loin de valoir le F-2212. On ne
sait pas encore comment ils se compareront au JSF, mais il semble
que ce dernier sera supérieur au Rafale (exception faite de son
radar) et au Gripen. Étant donné le nombre d’aéronefs que doivent
conjointement produire les Américains et les Britanniques, il est
probable que les Européens auront du mal à faire concurrence au
prix du JSF sans faire d’importants rabais.
PRENDRE SES RÊVES POUR LA RÉALITÉ :
LA PLANIFICATION AXÉE SUR LA CAPACITÉ
D
ans le cadre de la planification axée sur la capacité que les
FC ont adoptée en juin 200013, les programmes sont
maintenant basés sur une planification en fonction des capacités
fondamentales plutôt qu’en fonction d’un matériel particulier
comme cela se faisait tout au long de la guerre froide. Des outils
Typhoon
Rafale
Gripen
F-16C Block 40
F-15E
Masse max. en lb
46,305
47,4000
28,000
42,300
81,000
Masse de design en lb
~33,000
~33,500
~20,000
27,185
~49,000
Masse à vide en lb
21,495
19,973
14,600
18,238
32,000
Masse interne en lb
8,818
9,420
5,000
6,846
13,123
Charge externe max. en lb
14,330
17,673
~10,000
12,000
24,500
13
14
7
9
11+
M2.0
M1.8+
M2.0
M2.0+
M2.5
Paramètres
Points d’emports ext.
Vitesse max.
Source : Lorell, et al., The Gray Threat: Assessing the Next Generation European Fighters (Santa Monica: RAND, 1995)
Figure 1 – Comparaisons techniques des programmes d’avion d’attaque
34
Revue militaire canadienne
●
Été 2002
LES POLITIQUES
a
b
Avion d’attaque
Score d’efficacité
Rapport d’échange déduit
F-22
.90
9:1
Typhoon
.75
3:1
F-15E
.55
1.2:1
Rafale
.50
1:1
F-18E/F
.45
1:1.2
Gripen
.40
1:1.5
Mirage 2000
.35
1:1.8
Tornado F.3
.30
1:2.3
Source : Lorell, et al., 1995
Figure 2 – Résultats des simulations de combat du DA Ress
aValeurs approximatives
bRapport d’échange supposé (ennemis tués par rapport aux amis) déduit des scores d’efficacité
tels que les scénarios de planification des forces, le tableau des
capacités et la base de données connexe, la Liste canadienne des
tâches interarmées, ont permis aux planificateurs du ministère de
la Défense de justifier la dépense de ressources limitées sur divers
projets d’immobilisations. Les planificateurs peuvent montrer
que des projets particuliers à une arme peuvent s’appliquer d’une
manière plus générale aux FC, ce qui permet aux autres armes de
participer à la pièce à ces projets. Les FC ont donc commencé à
dépasser les rivalités qui existent entre les diverses armes; en
période où un budget restreint laisse peu de souplesse aux FC, ces
rivalités peuvent semer la division parce que chaque arme
s’efforce de préserver autant de capacités que possible.
La planification axée sur la capacité aura des effets certains
sur tout nouveau programme d’acquisition de chasseur. Comme
ce qui précède le laisse entendre, la capacité ne se limite pas à la
technologie; la doctrine, la stratégie, l’infrastructure, le personnel
et les systèmes d’entraînement sont tous reliés dans la notion de
capacité. En outre, comme la planification axée sur la capacité est
un processus interarmées, les programmes doivent montrer qu’ils
« répondent aux vastes exigences des FC plutôt qu’à celles d’un
service ou d’un matériel particulier »14. Les FC pourraient donc
décider que les chasseurs, les missiles et les aéronefs télépilotés,
ou une combinaison quelconque de ces éléments, pourraient
répondre à leurs besoins dans le domaine aérien. Vu que la
décision finale ne sera sans doute prise qu’après 2012, la Force
aérienne voudra peut-être repousser le plus possible une décision
quant à l’acquisition d’un chasseur afin d’avoir une meilleure
idée de la manière dont les nouvelles technologies influeront sur
les opérations aériennes pendant la prochaine décennie. Elle
aurait d’autant plus raison de le faire que tout programme de
remplacement établira une capacité qui restera en place pendant
des décennies. Si la conduite de la guerre doit changer
radicalement au cours des prochaines années, la prudence serait
peut-être une bonne chose, surtout vu les gros montants d’argent
qu’il faudrait investir dans de nouveaux chasseurs.
En fait, la Force aérienne vient justement de commencer une
réévaluation. Vecteurs 2020 pose la question de savoir s’il faudrait
mettre l’accent sur des capacités interarmées ou sur des capacités
interalliées au cas où la Force aérienne ne pourrait se permettre
que l’une des deux15. Avec l’option interarmées, la Force aérienne
augmenterait ses capacités d’appuyer les Forces navales et
terrestres, en mettant l’accent sur des programmes tels que le
Été 2002
●
Revue militaire canadienne
transport aérien stratégique, l’appui aérien rapproché, l’attaque en
mer ainsi que la surveillance et la reconnaissance, et insisterait
moins sur des capacités telles que les opérations offensives
antiaériennes, le ravitaillement en vol et l’attaque de précision
stratégique, et elle pourrait même les éliminer. Les répercussions
d’un tel choix pourraient être très importantes, y compris renoncer
aux rôles et aux responsabilités au sein de l’OTAN et du NORAD,
avec tout ce que cela entraîne16. Se concentrer sur les options
interalliées mettrait l’accent sur les capacités qui s’intègrent
facilement aux opérations aériennes multinationales, américaines
en particulier. Les chasseurs viendraient sans aucun doute en
premier, mais le transport aérien, le renseignement, la surveillance
et la reconnaissance tiendraient également une place importante.
Néanmoins, cette option comporte également des risques.
L’intégration permettrait certes à la Force aérienne de conserver
ses capacités et de participer à des opérations auxquelles son
budget ne lui permettrait pas de participer autrement. Mais cela
pourrait signifier aussi que la Force aérienne verrait ses capacités
réduites d’importance lors d’opérations où elle ne pourrait pas
compter sur les ressources des partenaires de la coalition17.
PRENDRE SES RÊVES POUR LA RÉALITÉ :
LA NÉCESSITÉ STRATÉGIQUE ET
OPÉRATIONNELLE D’AVOIR DES CHASSEURS
L
a planification axée sur la capacité exige que les programmes
soient justifiés non seulement en raison de leur caractère
interarmées, mais également en raison de leur raison d’être
stratégique. Il est devenu de plus en plus difficile de justifier aux
yeux du public canadien des programmes axés sur l’offensive tels
que ceux des chasseurs, des sous-marins, des blindés et de
l’artillerie. Ce n’est pas tant à cause du fait que les Canadiens
attacheraient moins d’importance aux Forces armées, mais plutôt
à cause de leur réalisme fondamental en matière de politique de
défense. La politique canadienne est largement déterminée par la
situation stratégique qui découle de la géographie du pays. D’une
part, si les États-Unis lui étaient hostiles, le Canada ne pourrait
pas se défendre contre eux; d’autre part, l’amitié des États-Unis
annule la plupart des menaces stratégiques qui pèseraient sur le
Canada. Par conséquent, si les Canadiens pensent un tant soit peu
à la défense, c’est généralement la défense à l’extérieur du
continent qui leur vient à l’esprit. Ceci a entraîné une certaine
schizophrénie dans la séparation entre tâches domestiques et
tâches internationales, schizophrénie qui se reflète même
35
encore maintenant dans le tableau des capacités des FC où les
besoins opérationnels sont divisés en capacités domestiques
et internationales.
C’est particulièrement vrai pour les chasseurs aériens. La
disparition de la menace soviétique et le fait qu’on n’attend plus de
menace aérienne de la part de la Russie signifient que les chasseurs
canadiens ont été en grande partie relégués aux opérations
internationales et qu’ils étaient peu utiles dans les opérations
domestiques avant le 11 septembre. Il est possible cependant que
les événements des derniers mois de 2001 redonnent de la vigueur
à la nécessité d’avoir des chasseurs à des fins domestiques.
Même l’utilité des chasseurs dans les opérations internationales
est mise en doute. Quatre études faites pendant les années 1990 par
des établissements américains ont remis en question la nécessité des
plans de modernisation des chasseurs aux États-Unis18. Toutes ces
études mentionnent qu’il est peu probable qu’un autre État lance une
attaque aérienne contre les États-Unis dans un proche avenir. Vu la
supériorité américaine évidente dans ce domaine et le coût extrême
du développement d’une telle capacité19, il est beaucoup plus
probable que d’autres pays adoptent des stratégies « asymétriques »
pour menacer la supériorité aérienne des États-Unis. Andrew
Krepinivich et Williamson Murray observent tous deux que les
plans américains de modernisation des chasseurs font l’erreur de
supposer que l’avenir ressemblera sans doute au passé. On y
présume qu’il y aura probablement des bases avancées où se
déploieront les ressources aériennes et que les États-Unis y auront
accès, que ces bases demeureront plutôt à l’abri des attaques et
que l’USAF aura à répondre à des attaques traditionnelles menées
Le, chasseur anglo-germano-italien Typhoon dont les premières livraisons
aux forces aériennes sont prévues pour cette année.
avec des aéronefs pilotés. De telles présuppositions confineront les
États-Unis dans une organisation de leurs forces qui aura des
répercussions à long terme sur la diplomatie, la stratégie et la
doctrine alors qu’on traversera une période de changements
révolutionnaires à la fois dans le domaine technologique et dans
celui des questions stratégiques20.
Ces études laissent entendre que les bases aériennes à
l’étranger risquent de subir les attaques d’un adversaire potentiel.
C’est pourquoi les pays hôtes hésiteront sans doute à permettre
l’accès aux bases régionales à cause de la coercition diplomatique
que leur feront subir les États agresseurs. Et si l’accès était
accordé, les agresseurs ne menaceraient probablement pas les
chasseurs américains dans les airs, mais utiliseraient plutôt des
stratégies « anti-accès » en attaquant les bases aériennes et les
bases logistiques à l’aide de munitions à guidage de précision
NBC ou en frappant directement des ressources C3RSR, peut-être
avec des armes à impulsion électromagnétique. Enfin, comme au
Timor oriental et, plus récemment, en Afghanistan, les bases ne
seront peut-être simplement pas disponibles21.
36
Comme elles supposent que les menaces seront
probablement de caractère asymétrique, chacune de ces quatre
études soutient qu’il vaudrait mieux investir les sommes
limitées consacrées à la défense dans d’autres capacités. Même
si la menace que posent les missiles avancés air-air et sol-air
nécessitera un aéronef de haute capacité et ayant au moins
certaines caractéristiques furtives22, un des rapports conclut que
poursuivre la production actuelle de chasseurs et de missiles de
croisière fournirait une capacité qui serait supérieure à celle
dont les Américains disposaient pendant la guerre du Golfe23.
Le plan prévoyant de moderniser les CF-18 du Canada afin
d’augmenter l’interopérabilité avec la technologie américaine
devrait donc donner au pays une grande capacité de continuer à
participer aux opérations aériennes internationales. À plus
longue échéance, toutefois, les conclusions de ces études
soulèvent de graves questions quant à savoir si les FC devraient
conserver des chasseurs après la mise hors service du CF-18.
PRENDRE SES DÉSIRS POUR LA RÉALITÉ :
LES COMPLICATIONS INTERNATIONALES
E
n faisant abstraction de ces complications, les difficultés
budgétaires américaines pourraient rendre le JSF entièrement
impossible. En fait, Aboulafia a qualifié la concurrence croissante
entre les programmes d’immobilisation de défense pour
l’obtention d’un budget et la future obsolescence de nombreux
aéronefs d’« accident ferroviaire de l’aéronef tactique »24. De
récentes augmentations du budget de la défense américaine
diminueront peut-être la pression, mais le nouvel intérêt pour la
défense antimissile pourrait miner les efforts que le Pentagon
déploie pour se lancer dans la « transformation ».
Afin d’atteindre ses objectifs ( environ 341 F-22, 548 F/A18E/F et près de 3 000 JSF ), le Department of Defense des ÉtatsUnis devra dépenser entre 9,6 et 11 milliards de dollars américains
par an entre 2002 et 2020. Pendant la période d’acquisition la plus
intense, entre 2009 et 2011, le DoD dépenserait près de 120
milliards de dollars par an, plus qu’au sommet du mandat de
Reagan, ce qui fait dire à de nombreuses personnes que le
programme est inabordable25. Qui plus est, les différentes armes
ne pourront probablement pas déplacer d’argent dans leurs
budgets en raison d’autres programmes d’immobilisations
concurrents et des coûts d’opérations et d’entretien des systèmes
déjà en place Enfin, les F-117 et les F-15E deviendront désuets
vers 2010, ce qui est une complication de plus pour le budget
d’immobilisations, car il n’est pas question de leur remplacement
dans le programme du F-22 ni dans celui du JSF26.
Bien sûr, la puissance aérienne ne dépend pas simplement des
chasseurs. Les avions ravitailleurs, les brouilleurs, les aéronefs
RSR, les bombardiers et le transport aérien font tous des
contributions importantes aux opérations aériennes; et, dans
plusieurs de ces domaines, les installations sont, elles aussi, à la fin
de leur durée de vie. En outre, seuls les États-Unis sont capables de
se permettre des aéronefs spécialisés onéreux de cette sorte; les
opérations aériennes internationales dépendent donc de la capacité
des Américains à fournir ces ressources27.
Le Congrès américain s’est montré très préoccupé par le
programme JSF en ce qui concerne son rythme, les difficultés
techniques que présentent trois aéronefs différents au sein d’un
programme commun et le fait qu’il soit ou non abordable28. On
a dit à plusieurs reprises que la Commission Rumsfeld, qui se
penche sur les diverses options qui pourraient s’offrir à la
politique de défense américaine, est hostile au JSF. Le JSF n’a
Revue militaire canadienne
●
Été 2002
Les avantages industriels évidents du programme feront
peut-être que le JSF échappera à une réduction budgétaire.
L’annulation du JSF abandonnerait le marché du chasseur au
Typhoon, au Gripen et au Rafale. Cela représenterait non
seulement une énorme perte pour l’industrie américaine, mais
également
une
occasion
manquée
d’augmenter
l’interopérabilité des forces alliées avec celles des ÉtatsUnis30. En fait, ces considérations à elles seules seront peutêtre des facteurs importants qui contribueront à sauver le JSF31.
UNE NOUVELLE FAÇON DE CONCEVOIR
LA CAPACITÉ CANADIENNE EN AVIONS
DE COMBAT
E
st-il probable que le JSF remplace le CF-18 après 2017? Il
semble que ce serait le choix le plus logique si on suppose :
•
que les chasseurs pilotés seront toujours un élément
important des futures opérations aériennes;
que le JSF ne sera pas éliminé par la réduction du budget
qui va frapper le programme aérien tactique américain,
que la Force aérienne peut justifier l’acquisition d’un
chasseur piloté du point de vue de la planification axée
sur la capacité,
qu’il y a assez de place dans le budget d’immobilisations des FC pour un programme qui coûtera très
cher et, ce qui est plus important,
que le public canadien peut être convaincu de sa nécessité.
•
•
•
•
À court terme, les intérêts du service suggéreraient que le
missiles de croisière et les véhicules aériens sans pilote ne
remplaceront sans doute pas les aéronefs pilotés.
Deuxièmement, en dépit des menaces pour les bases aériennes et
des dangers asymétriques que font courir les États agresseurs, les
forces armées américaines et canadiennes continueront à être des
forces expéditionnaires. À une époque où il n’y aura sans doute
pas de « concurrent » capable de menacer les intérêts nordaméricains fondamentaux, la puissance aérienne restera l’outil
auquel on aura recours en premier dans les options militaires de
l’Amérique du Nord. Enfin, le Congrès américain accordera
manifestement beaucoup d’importance aux avantages industriels
du JSF et à son impact sur la prospérité du secteur américain de
l’aérospatiale. C’est un facteur vital pour les intérêts américains,
et il serait donc surprenant que le JSF soit annulé entièrement.
La planification axée sur la capacité créera des problèmes
importants à la Force aérienne lorsque celle-ci devra justifier un
programme de chasseurs. Par sa nature, la planification axée sur
la capacité ouvre la porte à d’autres possibilités, par exemple les
aéronefs télépilotés et les missiles de croisière, qui pourraient
même être utilisées par les autres armes. Toutefois, si la
planification axée sur la capacité devait survivre à la transition
actuelle du leadership de défense au Canada, ce qui n’est pas
nécessairement garanti, le marchandage entre les armes se ferait
avec plus de collégialité à cause de l’élimination de la rivalité
entre elles. En fait, étant donné que les chasseurs sont un élément
clé de la nature de la Force aérienne, les autres armes pourraient
apporter leur appui à la modernisation des chasseurs, car la perte
d’une capacité fondamentale pourrait mettre toutes les autres en
Été 2002
●
Revue militaire canadienne
danger. Et puis, les contraintes budgétaires ne seront peut-être pas
aussi strictes pendant la période de 2017 à 2020. À ce momentlà, la vague de proue en immobilisations que représentent les
projets de capacités de soutien logistique en mer et de transport
maritime et celui du remplacement des matériels de défense
aérienne C2 (CADRE) aura passé, de même que celle du satellite
militaire, et probablement celle du véhicule blindé de combat de
l’Armée de terre. Les Sea Kings auront déjà été remplacés vers
2020, et le seul concurrent de poids pour les fonds de dépense en
capital sera peut-être un autre projet de la Force aérienne, le projet
interarmées de surveillance de l’espace aérien.
Quoi qu’il en soit et même si on suppose que ces problèmes
auront disparu, un chasseur de remplacement sera toujours un
programme très difficile à faire accepter au public canadien à
cause de la situation stratégique qui découle de la géographie du
Canada. L’ancien ministre des Affaires étrangères, Lloyd
Axworthy, a fini par approuver les opérations aériennes
offensives au Kosovo, mais il s’est opposé plus tard la même
année à ce qu’on alloue des fonds supplémentaires aux Forces
canadiennes, même si la Force aérienne avait de la difficulté à
trouver de l’argent pour moderniser progressivement les CF-18.
LES POLITIQUES
pas de soutien dans les divers services à l’exception de
l’USMC et, même là, il est en compétition avec le MV-22 et la
prochaine génération de véhicules amphibies29. En cas d’une
réduction du budget, qui semble certainement pointer à
l’horizon, le JSF pourrait être une cible facile.
Le Gripen de la firme Saab, actuellement en service dans l’aviation suédoise.
Ainsi donc, même si le Canada devait contribuer à plusieurs
opérations aériennes offensives au cours des quinze ou des vingt
prochaines années, le remplacement des CF-18 se heurterait
toujours à une bonne dose de scepticisme, simplement parce
que, aux yeux de beaucoup, les opérations aériennes offensives
ne seront toujours qu’une simple préférence du gouvernement.
Ceci ne veut pas dire que la cause soit perdue. En fait, la
Marine a déjà prouvé qu’une stratégie musclée en affaires
publiques peut être des plus efficaces, même quand on a affaire
à des systèmes d’armes « contestable ». En 1997, le Canada a
décidé d’acheter des sous-marins Upholder au Royaume-Uni en
dépit de l’opposition initiale du gouvernement. Il est d’autant
plus remarquable qu’une telle stratégie ait été nécessaire étant
donné que l’achat des sous-marins n’avait aucune conséquence,
dans un sens ou dans l’autre, quant aux revenus que cela pouvait
générer au pays. Par conséquent, même si on pouvait trouver
des fonds dans le plan d’acquisitions de la Force aérienne pour
un programme quelconque de remplacement des chasseurs, il
faudra tout de même gérer la situation avec soin.
37
évidentes que personne n’a songé à la nécessité de les expliquer.
Ce serait une erreur car, comme je l’ai dit auparavant, les raisons
pour lesquelles on a besoin de chasseurs (en particulier de ceux
qui coûtent très cher) ne sont pas évidentes pour le Canadien
moyen qui ne se sent pas menacé par des forces ennemies. La
seconde raison est peut-être purement institutionnelle : personne
ne veut regarder en face la possibilité qu’il pourrait n’y avoir au
Canada aucun avenir pour une force aérienne indépendante qui
serait axée sur l’offensive.
Le Rafale français conçu et fabriqué par Dassault Aviation.
Fait intéressant à noter, la Force aérienne est la seule des trois
armes à ne pas avoir encore élaboré un énoncé de sa vision
stratégique pour justifier son existence et ses opérations aux yeux
des Canadiens. La Marine a produit Regard sur l’avenir de la
marine du Canada, Changement de cap et Point de mire. Le
manuel de l’Armée, qui traite des éléments essentiels de sa
doctrine, joue un rôle très semblable. Cependant, ni le Aerospace
Capability Framework, ni Surgir du Soleil ne tentent de régler le
problème véritable d’expliquer aux Canadiens ce qu’est la Force
aérienne, ce qu’elle fait et pourquoi on a besoin d’elle. Cela est
sans doute dû à plusieurs facteurs comme je l’ai déjà écrit
ailleurs32. Mais l’absence d’un énoncé de vision est peut-être
simplement due à une myopie professionnelle : les raisons pour
lesquelles on doit avoir une Force aérienne sont tellement
Les questions qui se posent au sujet du JSF et de la Force
aérienne sont cruciales pour l’avenir des chasseurs. Peut-être
est-ce prendre ses désirs pour la réalité que de parler du JSF,
mais le JSF n’apparaîtra une solution valable que si l’on a bien
réfléchi à certains aspects essentiels de la question. En tant que
professionnels militaires, les membres de la Forces aérienne
veulent les meilleures capacités aériennes qu’il soit possible
d’avoir, mais ils ont également l’obligation professionnelle
d’expliquer pourquoi ce doit être le cas à ceux qui ne savent
pas grand chose des opérations militaires. C’est là une raison
de plus pour la Force aérienne de penser à l’avenir et d’avoir
une politique transparente. Maintenant que la modernisation du
CF-18 sera entièrement financée, la Force aérienne a le temps
de se consacrer à une telle tâche. En fait, les contraintes que lui
impose son équipement traditionnel sont suffisamment légères
pour lui permettre de faire un réexamen fondamental des rôles
que doit jouer une force aérienne et des raisons pour lesquelles
elle doit les jouer. Si elle veut continuer de mener des
opérations de combat au cours du siècle prochain, telle est la
tâche à laquelle la Force aérienne du Canada devra se consacrer
avant qu’il n’y ait une quelconque solution à la question des
chasseurs, qu’il s’agisse ou non du JSF.
NOTES
1.
Les opinions exprimées dans le présent article
sont celles de l’auteur et ne représentent pas
nécessairement celles du ministère de la Défense
nationale ni celles du Collège des Forces
canadiennes. L’auteur désire remercier les personnes
suivantes pour l’aide qu’elles lui ont apportée : le col
D. Davies, le lcol Steve James, le lcol Richard Burt,
le maj Pierre St. Amand, James Fergusson, Ph.D.,
Michael Slack et Sharon Hobson. Toute erreur serait
strictement due à l’auteur.
Vecteurs 2020: un document de travail des
2.
Forces aériennes du Canada, Ottawa, Direction –
Planification stratégique aérienne, 2000, p. 10-11.
3.
Christopher Bolkom, Joint Strike fighter (JSF)
Program: Background, Status, and Issues,
Washington DC, Congressional Research Service, 17
octobre 2000, p. 1. Si on en croit les chiffres actuels,
les deux pays achèteront 2 912 aéronefs. L’USAF en
aura 1 763, l’USMC, 609, l’USN, 480, et la Royal
Navy, 60.
4.
Richard Aboulafia, « Uncertainties Surround
JSF », Aviation Week and Space Technology, 15
janvier 2001, p. 19.
5.
« 2,938 Fighter Aircraft to be built between
2001-2010 », Defence Systems Daily, 15 mars 2001,
http://www.defence-data.com
6.
Ibid, p. 13-14. Voir http://www.jast.mil pour de
plus amples renseignements sur les niveaux de
partenariat.
7.
Conversation téléphonique avec le lcol Richard
Burt, DBRA 5, 29 mai 2001; le maj Pierre St. Amand,
DAR 5-5, 29 mai 2001.
38
8.
James Elliot, « JSF for Everybody? »,
Military Technology, mars 1998. [TCO]
9.
Aboulafia, op. cit., « Czech fighter contest
reduced to one bidder », Defence Systems Daily, 1er
juin 2001, http://www.defence-data.com.
10. Lorell, et al., The Gray Threat: Assessing the
Next Generation European Fighters, Santa Monica,
RAND, 1995, p. 30.
11. Ibid, p. 21.
12. Ibid.
13. La planification axée sur la capacité pour les
Forces canadiennes, Ottawa, QGDN, 2000.
14. Air CapabilityFramework, Ottawa, Direction –
Planification stratégique aérienne, mai 2000,
Ébauche, p. 2-5. [TCO]
15. Vecteursrs 2020, op. cit., p. 15.
16. Ibid., p. 16.
17. Ibid., p. 17.
18. Williamson Murray, op. cit.; Andrew
Krepinivich, The Future of Tactical Aviation: A
Strategic Perspective, Washington DC, Center for
Strategic and Budgetary Assessments, 10 mars 1999,
http://www.csbaonline.org; Steven Kosiak, US
Tactical Aircraft Plans: Preparing for the Wrong
Future?, Washington DC, Center for Strategic and
Budgetary Assessments,
10
mars
1999,
http://www.csbaonline.org; Bolkom, 2000, op. cit.
19. Il ne faut pas oublier que même si les États
continuent d’acheter des chasseurs, il est peu
probable qu’ils pourront se permettre l’entraînement,
l’infrastructure de gestion des combats, le transport
aérien et les armes de précision longue portée qui,
ensemble, donnent aux États-Unis une suprématie
écrasante dans les airs.
20. Andrew Krepinivich, op. cit., p. 1; Murray, op.
cit., p. 8-9.
21. Krepinivich, op. cit., p. 2; Vecteurss 2020, op.
cit., p. 10; Murray, op. cit., p. 10; Kosiak, op. cit., p. 5.
22. Kosiak, op. cit., p. 3; Bolkom, 2000, op. cit., p. 16.
23. Bolkom, 2000, op. cit., p. 16.
24. Aboulafia, op. cit. [TCO]
25. Murray, op. cit., p. 24; Kosiak, op. cit., p. 1.
26. Kosiak, op. cit., p. 2-3.
27. Jerry Lewis; Jack Murtha. « Why the F-22
Fighter Plan Doesn’t Fly », Washington Post, 22
août 1999, p. A19.
28. Bolkom, 2000, op. cit., p. 7.
29. Oliver Sutton, « Joint Strike Fighter Holds Key
to US Dominance in Fighter Design », Interavia,
mars 2001, p. 18-19.
30. « DOD Should cut F-22 and F/A-18E/F buys to
keep JSF alive, Teal Analyst Says », Defense Daily
International, 23 mars 2001, p. 1.
31. « Rumsfeld: Industrial Allied Interoperability
will Factor in Defense Reviews », Defense Daily,
22 mars 2001, p. 1.
32. Paul T. Mitchell, « The Canadian Airforce
and the RMA », Air Power at the Turn of the
Millenium, David Rudd, Jim Hansen, André
Beauregard, dir., Toronto, Institut canadien
d’études stratégiques, 1999.
Revue militaire canadienne
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Été 2002

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