EMBRASSER LES DIFFERENCES Au contrôle frontalier à l`aéroport

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EMBRASSER LES DIFFERENCES Au contrôle frontalier à l`aéroport
УСПЕНСЬКІ ЧИТАННЯ, Київ, вересень 2014 р.
EMBRASSER LES DIFFERENCES
Au contrôle frontalier à l'aéroport de Kiev, le policier m'a demandé : « Quel est le motif de votre
séjour en Ukraine ? » J'ai répondu : « Une conférence ». Il s'est contenté de cette réponse. S'il avait
voulu en savoir plus, j'aurais eu des choses à lui raconter sur Uspenskie tchtenia ! Mais
heureusement, il ne m'a pas retenu, ainsi je suis arrivé dans le hall de l'aéroport à peu près en même
temps que les deux moines de Chevetogne. Tous les trois, nous avons aussitôt été pris en charge par
un ami de Kiev qui nous a conduit en ville.
C'est la cinquième fois que j'ai eu la chance de participer à Uspenskie tchtenia. A chaque fois, il y a
un peu plus de visages connus, les lieux deviennent plus familiers. Il y a un air de retrouvailles,
entre amis, avec la ville de Kiev, dans une belle lumière de fin d'été. Mais cette fois-ci, il y avait
aussi autre chose dans l'air. Je m'étais demandé, vu les événements des derniers mois, comment les
choses allaient se passer.
D'un côté, tout s'est passé comme d'habitude. La liturgie dimanche matin dans la cathédrale de la
Dormition à la Laure des Grottes, l'ouverture solennelle de la conférence l'après-midi. Puis les trois
jours d'écoute, de partage, de recherche. Mais d'un autre côté, cette année, c'était tout de même
différent, à commencer par la visite samedi après-midi à Maïdan, les traces que les événements y
ont laissés, les récits de témoins oculaires.
La conférence était donc identique à elle-même, et en même temps autre. Cela n'aurait pas dû
m'étonner : la capacité d'articuler identité et altérité, d'embrasser les différences et parfois même les
contraires, n'est-ce pas une caractéristique marquante d'Uspenskie tchtenia ?
Dès ma première participation à la conférence, j'ai été frappé et touché par la diversité des
participants. Pour une conférence internationale, il est normal qu'ils viennent de différents pays. Ce
qui est plus inhabituel, c'est qu'on y trouve des universitaires renommés à côté de gens sans
beaucoup de diplômes, des chercheurs laïcs à côté de prêtres et de moines, ceux qui parlent avec
aisance à côté de ceux qui ont de la peine à parler ou qui même écoutent seulement. Le miracle de
tout cela, c'est qu'on a l'impression que chacun est nécessaire.
Le choix des lieux est significatif et relève de la même capacité d'embrasser les différences. Je suis
toujours un peu fier de pouvoir raconter que j'ai participé à une conférence qui commence à
l'Académie théologique de la Laure de Kiev, se poursuit dans l'Institut Saint Thomas et se termine
dans la vénérable Université de Moghila !
Les contributions sont à l'image de la diversité des personnes et des lieux. Le thème de l'année
donne une unité à ces journées de recherche et de réflexion, tout en laissant un grand espace de
liberté. Il y a des approches théologiques, philosophiques, historiques, littéraires … pas désordre
mais pas non plus de cloisonnement entre les disciplines et les genres. Et souvent, en fin de journée,
la perspective s'élargit à la musique, à l'art …
En tout, il règne une sorte de bienveillance : c'est comme si la règle de base était de faire d'abord
confiance à chacun qui veut bien contribuer en donnant du sien. Et cette bienveillance permet une
ouverture croissante.
Cette année plus encore que les années précédentes, mais dans une belle continuité, la conférence a
su embrasser les différences. Pour la première fois, il y a avait des contribution non seulement en
russe, français ou anglais, mais aussi en ukrainien. Je m'étais posé la question avant d'arriver à
Kiev : comment les organisateurs s'en sortiraient-ils avec la question des langues ? Nous autres
УСПЕНСЬКІ ЧИТАННЯ, Київ, вересень 2014 р.
étrangers qui baragouinons un peu le russe, nous sommes bien sûr heureux qu'il soit la langue
principale, et non pas l'ukrainien (qu'il faudra peut-être encore apprendre!). Les contributions en
ukrainien, il a fallu les écouter en traduction, mais elles ont grandement enrichi la conférence qui a
ainsi embrassé une différence de plus. Pour la première fois aussi, des prêtres catholiques de rite
byzantin ont pris la parole et participé à la table ronde de la conclusion.
Je voudrais justement dire encore un mot de la dernière session à l'université Moghila qui s'est
terminée avec ladite table ronde. Les discours devenaient témoignages. Le métropolite Alexandre a
fait vivre parmi nous le métropolite Vladimir qui, jusqu'à l'année passée, a fidèlement inauguré les
Uspenskie tchtenia.
Lors de cette dernière session, je me suis senti comme au cœur d'un laboratoire où s'élabore
patiemment un avenir de paix, une société plus humaine, une Europe plus fraternelle. La rigueur de
la réflexion n'excluait pas l'émotion. Il était question de nos identités toujours multiples, et aussi du
pardon, accordé et demandé, entre les peuples comme à l'intérieur de l'Ukraine. Les prêtres
orthodoxes et catholiques de rite byzantin et latin étaient visiblement là comme des frères.
Les analyses graves de la situation actuelle en Europe de l'Est n'ont pas empêché une profession
d'espérance et la conviction que, de même que la construction de l'Union européenne s'était appuyée
sur la réconciliation franco-allemande, la grande Europe se construira sur une réconciliation russeukrainienne à venir.
Frère Richard de Taizé