Lettre d`information
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1OO Lettre d’information Octobre 2O12 83e rencontre du Crips Île-de-France SEXUALITÉS ET PERSONNES EN SITUATION DE HANDICAP PHYSIQUE Animation : Danielle Massager, journaliste, France Inter Introduction par Jean-Luc Romero, président du Crips Cette 83e Rencontre du Crips s’est ouverte avec la lecture d’une lettre de JeanLuc Romero, président du Crips Île-de-France : « Liberté, Égalité, Fraternité... Dignité, Solidarité. Voilà une liste de valeurs non exhaustives qu’on aimerait ne pas être que de jolis mots. Les personnes en situation de handicap ont des droits comme par exemple un accès à la scolarité ou au monde professionnel non discriminant, alors pourquoi pas une reconnaissance des spécificités dues au handicap quant à leur vie affective et sexuelle ? ». Le contexte en France et les besoins revendiqués par les collectifs François Crochon, sexologue clinicien, chef de mission, Centre Ressources Handicaps et Sexualités Comment est perçue la sexualité des personnes en situation de handicap dans notre société ? Actuellement, les quelques données existantes montrent un déni inquiétant de leur vie affective et sexuelle, poussant les associations à œuvrer pour la reconnaissance d’un droit à la sexualité. François Crochon, sexologue clinicien, psychomotricien de formation et chef de mission au Centre Ressources Handicaps et Sexualités (Cerhes) commence sa présentation par quelques chiffres : en 2006, un sondage Ifop sur les idées reçues concernant le handicap, montrait que 87 % des personnes interrogées pensaient qu’une vie de couple avec une personne handicapée nécessitait du courage. Si ce chiffre donnait peu d’indications précises, un second renvoyait une image bien plus préoccupante de la perception du handicap en France : 61 % des personnes interrogées pensaient que les personnes en situation de handicap n’ont pas de vie sexuelle. On trouve très peu d’études françaises portant sur le handicap, et quasiment pas d’études spécifiques sur la vie affective et sexuelle des handicapés. Une étude d’Alain Giami, datant de 2001, montre cependant que moins du quart des personnes handicapées ont une relation socio-sexuelle Le 19 mars 2012 Les rencontres du Crips Île-de-France sont organisées avec le soutien de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France Lettre d’Information 1OO ¬ Sexualités et personnes en situation de handicap physique ¬ ➊ Accueil documentaire par téléphone : O1 56 8O 33 1O du lundi au mercredi de 9h3O à 12h3O et de 14h à 18h et le vendredi de 9h3O à 12h3O et de 14h à 17h par courriel : [email protected] Centre Régional de Ressources d’Information et de Prévention sur le vih/sida, les ist, les hépatites, l’éducation à la vie affective et sexuelle, les drogues, les dépendances et les conduites à risque chez les jeunes Crips Île-de-France 14, rue Maublanc 75O15 Paris T : O1 56 8O 33 33 F : O1 56 8O 33 OO [email protected] www.lecrips-idf.net ainsi qu’une forte prévalence du célibat. L’étude montre aussi que le célibat touche davantage les femmes, mais aussi que le niveau d’autonomie et d’indépendance d’un point de vue physique et psychique, est un facteur important. À l’inverse, le fait d’avoir des loisirs et de passer régulièrement du temps hors des centres spécialisés joue en faveur des personnes pour nouer des relations. Il est donc question d’accessibilité et de visibilité. Ce pourquoi se battent aussi les associations et collectifs, c’est de faire entrer la santé sexuelle et affective dans les champs qui composent les droits fondamentaux. « Il n’existe pas de loi opposable à la sexualité, rappelle François Crochon, mais comment garantir ce droit sans ingérence dans la vie privée ? ». Services d’accompagnement sexuel En 2008 s’est créé le collectif inter-associatif Handicaps et Sexualités, qui a par la suite fondé CHSose, une association loi 1901 qui milite pour la création de services d’accompagnement sexuel, autrement dit d’information, de mise en relation et d’aide. « L’assistant sexuel, déjà en pratique dans certains pays, consiste à prodiguer, dans le respect, une attention sensuelle, érotique et/ou sexuelle à une personne en situation de handicap, ou à permettre l’acte sexuel entre deux personnes qui ne peuvent l’accomplir sans aide », explique François Crochon. Créé un an plus tard, le Centre Ressources Handicaps et Sexualités (Cerhes) est un groupement de coopération sociale et médicosociale (GCSM), destiné à unir les intérêts et les moyens des associations. Ses missions se décomposent en trois pôles : un pôle ressources, un pôle recherches, et un pôle formation et sensibilisation. Le fait de se sentir concerné ne suffit plus, il faut s’impliquer en tant que professionnel ainsi qu’en tant que citoyen. Le respect et la reconnaissance sont ici la première étape, une base qui permettra des actions d’information et de conseil efficaces. Les specificités liées à la sexualité des personnes handicapées moteurs Pour agir auprès des personnes en situation de handicap et les aider à développer une vie sexuelle et affective épanouie, il est indispensable de connaître les caractéristiques propres à la sexualité des personnes handicapées moteurs. « La question de la vie affective et sexuelle est très rarement abordée dans les formations médicales, indique François Crochon. On présente la personne handicapée comme vulnérable, exposée aux risques, ce que l’on ne peut écarter, mais ce qui se fait souvent au détriment de ses droits positifs ». Selon lui, l’objectif n’est pas d’imposer une vision normative, mais d’adapter à chacun un projet d’épanouissement. Il y a tout d’abord une nécessité de prendre en compte des paramètres : la nature du handicap, puis les atteintes primaires, qui concernent la mécanique sexuelle, puis secondaires et enfin tertiaires ou psychosociales. « On trouve deux sexualités, une sexualité réflexe et une sexualité psychogène », explique François Crochon. La sexualité réflexe passe par la mœlle épinière et non par une représentation par le cerveau. La prise en charge consiste d’abord à mettre en place un recadrage cognitif et à développer de nouvelles zones érogènes. « La rééducation sexologique va travailler sur le para-orgasme, explique François Crochon, la personne va trouver des parties de son corps pour les associer à des zones de plaisir ». Il faut aussi encourager l’exploration et l’auto-évaluation, ce qui est parfois difficile si la personne n’a jamais fait cette démarche auparavant. Travailler avec le couple est essentiel. Dans le cadre de couples hétérosexuels, si l’homme est victime de lésions médullaires, on assistera à un divorce dans le tiers des cas. Si c’est la femme qui est en situation de handicap, la proportion de divorces passe au deux-tiers des cas. « Ces chiffres révèlent une construction sociale du genre, du care autour de la sexualité » souligne François Crochon. Des palliatifs mécaniques (garrots pour les hommes, vacuum pour les femmes) peuvent aussi être mis en œuvre mais aussi des aides pharmacologiques (sous forme d’injections). Le recadrage cognitif signifie aussi qu’un réapprentissage global est nécessaire, dans une société où le culte de la performance sexuelle dans les représentations collectives peut parfois peser. Témoignage M arcel Nuss, consultant et écrivain indépendant L’écrivain Marcel Nuss livre un témoignage fort. Celui d’un homme handicapé qui n’a pas renoncé à avoir une sexualité et qui se bat contre les tabous. « Mon expérience est très vaste puisque ma vie affective et sexuelle est très riche. À 20 ans je me suis juré que je ne serais jamais curé malgré moi. À 25 ans, je me suis marié, j’ai eu des enfants. J’ai divorcé, j’ai eu plusieurs compagnes. Ça prouve que c’est possible. On plait avec ce qu’on montre, on séduit avec ce qu’on est. Comment voulez-vous séduire avec un handicap, si en contrepartie vous n’avez rien à proposer ? Je me suis inscrit sur des sites de rencontres et je me suis amusé à tester les réactions. Je vais en faire un livre parce que franchement, c’est croustillant. Mon premier constat, c’est que je n’échangerais pas mon handicap. La France est malheureuse, je n’ai rencontré que des femmes dépressives et qui se déprécient. Mon deuxième constat, c’est que 90 % des femmes sont parties en courant. Sur ces sites, on est sous la tyrannie de l’image. Sous cet angle là, une personne qui a un handicap n’a aucune chance. Mais l’amour et le désir, c’est une question de feeling. Des hommes viennent me voir pour que je leur apprenne à séduire. C’est le monde à l’envers. Je pense que toute personne avec un handicap peut rencontrer l’amour. C’est une question de patience, de volonté et de capacité car on séduit avec ce qu’on est. Si on est rien qu’un handicap, on n’a aucune chance. D’où l’importance de Lettre d’Information 1OO ¬ Sexualités et personnes en situation de handicap physique ¬ ➋ l’accompagnement sexuel. Je défends l’idée de l’étendre à toute personne qui souffre de misère sexuelle. On me parle d’anormalité, mais qu’est-ce qui est normal ? C’est oublier que l’amour et le désir ont leur raison. Ça ne se décide pas. J’ai été marqué par la devise des parachutistes à mes 17 ans. J’étais tombé sur un livre, l’histoire des légionnaires, alors que j’étais en train de crever : Qui ose vaincra. Cela m’a toujours habité. Aujourd’hui j’ose tout ce qui n’entrave pas autrui. On essaie aujourd’hui de nous moraliser en freinant l’accompagnement sexuel, mais c’est un déni de démocratie, comme avec l’avortement. Dans vingt ans, on n’en parlera plus. Et qu’on ne brandisse pas la dignité de la femme, c’est une hypocrisie. Les opposants nous disent, je suis pour l’accompagnement sexuel, s’il est bénévole. Ce qui veut dire qu’une femme qui fait de l’accompagnement de façon bénévole, c’est une sainte, celle qui se fait rémunérer est une pute pour le même acte. L’interdire sous prétexte d’éradiquer la prostitution, c’est grave. Je me suis inscrit au Strass (Syndicat du Travail Sexuel), j’ai rencontré des hommes et des femmes d’une intelligence supérieure à la moyenne, des gens qui ont choisi librement d’exercer ce métier. Je condamne la prostitution mafieuse mais je défends le droit à la liberté tant qu’elle est assumée volontaire, qu’elle repose sur un respect de l’autre. Apprenons la tolérance ». Question de la salle Une psychologue d’un Sessad (Service d’éducation spécialisée et de soins à domicile) de l’Association des Paralysés de France intervient pour exprimer ses doutes : « Ce genre de services ne risquent-ils pas de désengager la société ? Ne faudrait-il pas mieux une sensibilisation à l’amour pour tout le monde ? » Pour Marcel Nuss, l’accompagnement sexuel reste grandement nécessaire : « Quand une personne a un handicap, il n’y a rien de plus déshumanisant. J’ai rencontré des morts-vivants. L’assistance sexuelle redonne de la vie, on trouve du sens, de la confiance en soi et donc du lien pour aller à la rencontre de l’amour. Il faut sensibiliser, il faut changer le regard et cesser de constamment normer et d’enfermer dans des cases. Il n’y a pas si longtemps, l’homosexualité était vue comme anormale ». Les animations du Crips auprès de jeunes handicapés Benoît Félix, chargé de mission au Crips Le Crips propose de nombreux services pour les personnes en situation de handicap. Benoît Felix les détaille. Le Crips effectue des interventions auprès des publics handicapés de façon « originale, ludique et déculpabilisante », explique Benoît Félix, chargé de mission au Crips. Il s’agit d’informer sur les risques comme sur les plaisirs liés à l’activité sexuelle. Le Crips propose donc trois services complémentaires : l’anima- tion spécifique en structure spécialisée, l’accueil de groupes de jeunes en situation de handicap au Cybercrips et la formation de professionnels. L’animation spécifique que nous réalisons est en place depuis 18 ans dans de nombreuses structures. Suite à des témoignages recueillis auprès de jeunes en situation de handicap, les constats sont les suivants : ils rentrent plus tardivement dans la sexualité, notamment par manque d’autonomie et en raison des tabous dans l’entourage. Il apparaît qu’ils ont un désir de paternité ou de maternité assez fort. Enfin, il y a un réel besoin de se réapproprier son corps à force d’être manipulé. « Il y a un besoin de renarcissiser le corps, de renforcer l’estime de soi, et de promouvoir la sensorialité pour pouvoir sortir d’une perception pénétro-centriste de la sexualité, souvent source de frustration », souligne Benoît Félix. La dimension affective est primordiale tant certains jeunes craignent parfois d’être aimés par charité ou compassion. Il est important d’aborder le thème des nouvelles technologies et de son impact, notamment par rapport à la pornographie. Lieu d’échange et de partage, avec des outils pédagogiques au service du plaisir et de l’information, le Cybercrips est conçu pour accueillir des personnes en situation de handicap. Le pôle formation propose une formation Vie affective et sexuelle des jeunes handicapés moteurs avec l’intervention de médecins et de psychologues spécialisés, mais avec également un rappel du cadre légal de la sexualité des jeunes en France, car beaucoup de règlements intérieurs de structures d’accueil vont à l’encontre de la loi. Présentation des activités de l’association handivol F abrice Selly, président-fondateur de l’association et animateur au Cybercrips Handivol, créée en 2OO5, œuvre pour la reconnaissance de la vie affective et sexuelle des personnes handicapées moteur. Son fondateur raconte la naissance de l’association et présente son activité. « L’association est née de la proposition d’installer un distributeur de préservatifs au sein d’un centre d’accueil lors d’un conseil de maison », raconte Fabrice Selly, président-fondateur de l’association et animateur au Cybercrips. Ce prétexte pour aborder le thème de la prévention a suscité des réactions très négatives, comme s’il représentait une incitation aux relations sexuelles décrétées interdites. Pour faciliter le débat, l’outil du théâtre forum a été utilisé, autrement dit la présentation de saynètes devant un public qui peut s’y inclure pour donner son avis. Cela a révélé toute la difficulté des professionnels à aborder ce type de sujet et l’absence d’espaces de parole. Suite à ces échanges, les jeunes ont émis plusieurs souhaits : un meilleur accès à l’information, la possi- Lettre d’Information 1OO ¬ Sexualités et personnes en situation de handicap physique ¬ ➌ bilité de s’adresser à des interlocuteurs externes à leur établissement. Cette prise de conscience a permis la création d’Handivol dont les missions sont de « rompre l’isolement, s’ouvrir aux autres, exprimer ses besoins et trouver des informations » comme le rappelle Fabrice Selly. L’association aborde plusieurs thèmes : la puberté, l’estime de soi, l’engagement du corps dans la relation, la loi et la sexualité, l’homosexualité et le handicap, le VIH et les IST. Une émission de radio a été créée pour donner des informations sur la vie sexuelle et affective avec l’invitation d’un professionnel pour répondre aux questions des auditeurs. Un espace de parole est proposé aux établissements au sein du Cybercrips pour un travail avec différents outils : un espace ressource, de la documentation à disposition, des informations mais aussi des contacts vers des spécialistes. Enfin, Handivol participe à d’autres actions telles que les Rencontres euro-méditerranéennes sur l’homosexualité et le festival Solidays. Présentation de l’outil « EnVie d’amour » Joëlle Berrewaerts, chercheuse au Centre Handicap et Santé de l’Université de Namur Le Centre Handicap et Santé de l’Université de Namur (Belgique) travaille sur la vie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap depuis 1O ans. La chercheuse Joëlle Berrewaerts présente « EnVie d’amour », un outil d’information et de conseil. Joëlle Berrewaerts, chercheuse au Centre Handicap et Santé de l’Université de Namur, a souligné d’emblée « l’impact du handicap sur la sexualité dans sa globalité bio-psycho-sociale, mais aussi l’insatisfaction des patients au niveau des informations concernant la sexualité lors de la rééducation ». Un sujet difficile à aborder chez les professionnels, puisque « seulement 12 % s’en sentent capables et suffisamment formés pour le faire ». L’outil EnVie d’amour a pour but d’être une mine d’informations, de conseils médicaux, mais aussi de témoignages, qui sont souvent très appréciés. De plus, l’outil vise aussi à sensibiliser les professionnels de santé ainsi que le grand public et donc à changer les représentations sociales. EnVie d’amour est composé de 3 DVD interactifs intitulés S’ouvrir aux autres et à soi-même, Vivre sa sexualité et Fonder une famille. comment retrouver la confiance ? Comment séduire ? Mais aussi comment réapprendre à vivre avec son/sa conjoint-e ? Il donne aussi un aperçu sur les activités qui peuvent participer à ce processus (cyclodanse, massages de bien-être, groupes de parole). Le second DVD aborde la question de la sexualité et explique les impacts sur les capacités sexuelles. Le rôle des témoignages est particulièrement important sur ces questions. De nombreuses thématiques sont abordées : les aides sexuelles qu’elles soient médicamenteuses ou mécaniques, l’accompagnement sexuel, la contraception adaptée aux personnes en situation de handicap, la prévention des IST, les abus sexuels, l’hygiène, ainsi que la question de la sexualité en institution et celle de l’homosexualité. Le dernier DVD se focalise sur le désir d’enfant. Il permet de connaître les différents recours pour permettre la procréation, mais aussi quelles sont les spécificités de la grossesse chez la femme en situation de handicap, et enfin le thème du réaménagement du foyer et de l’impact du handicap sur la vie de famille. Un nouveau support est d’ores et déjà en prévision pour les personnes ayant une infirmité motrice cérébrale. Il nécessitera une approche différente au vu d’un handicap de naissance. Ce second support comportera une partie destinée aux enfants sur les thèmes de l’estime de soi et de la reconnaissance des émotions. Un autre sera destiné aux adolescents pour aborder la question de l’avenir, des enfants. Une nouvelle fois, les témoignages seront mis en avant pour une meilleure accessibilité, venant à la fois de personnes en situation de handicap, mais aussi d’institutions. L’outil est prolongé grâce à un site web www.haxi.be où une quinzaine d’experts sont prêts à répondre aux questions. Actuellement la question des assistants sexuels est très présente. « Le gouvernement belge s’en est emparé et projette la création d’un groupe de réflexion », souligne Joëlle Berrewaerts. Là aussi, le débat en revient à la question de la prostitution. Certaines institutions ont semble-t-il déjà franchi le pas d’emmener des personnes chez des prostituées sans attendre qu’il y ait des assistantes spécialisées. Le premier DVD permet d’aborder les représentations sociales, notamment par rapport aux soignants et offre des aides aux différentes inquiétudes des personnes : La vie après l’accident, Ont collaboré à ce numéro : Maëlle Le Corre Bénédicte Astier Dr Lama Sharara Lettre d’Information 1OO ¬ Sexualités et personnes en situation de handicap physique ¬ ➍