01-21-1994
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ARTICLE 1904 EXAMEN PAR UN GROUPE SPÉCIAL BINATIONAL AUX TERMES DE L'ACCORD DE LIBRE-ÉCHANGE CANADA-ÉTATS-UNIS EN L'AFFAIRE DE UNE ENQUÊTE EFFECTUÉE PAR LE TRIBUNAL : CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 42 DE LA LOI : SUR LES MESURES SPÉCIALES D'IMPORTATION ET SE RAPPORTANT AUX TAPIS PRODUITS SUR MACHINES À TOUFFETER, ORIGINAIRES OU EXPORTÉS DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (PRÉJUDICE) Membres : Dossier du Secrétariat o N CDA-92-1904-02 John D. Richard, président Jean-Gabriel Castel James Chalker Michael D. Sandler Martin J. Ward AVIS DU GROUPE SPÉCIAL À LA SUITE DE L'EXAMEN D'UNE DÉCISION APRÈS RENVOI le 21 janvier 1994 Peter Magnus, du cabinet Smith Lyons Torrance Stevenson & Mayer, a occupé pour le Carpet & Rug Institute. Inc. James L. Shields, du cabinet Soloway Wright, a occupé pour World Carpets Brian J. Barr a occupé pour l'Institut canadien du tapis. Hugh Cheetham et Debra Steger ont occupé pour le Tribunal canadien du commerce extérieur. AVIS ET ORDONNANCE DU GROUPE SPÉCIAL Table des matières page I. INTRODUCTION 1 A. B. 2 2 La décision du TCCE après renvoi Position des participants II. CRITÈRES D'EXAMEN QUE DOIT APPLIQUER LE GROUPE SPÉCIAL 3 III. DÉCISION DU GROUPE SPÉCIAL 4 A. B. 4 7 Lien de causalité quant au préjudice passé et actuel Lien de causalité quant au préjudice futur IV. ORDONNANCE 12 V. AVIS MINORITAIRE DU MEMBRE SANDLER SUR LE PRÉJUDICE FUTUR13 1 I. INTRODUCTION Le présent groupe spécial binational (le *groupe spécial+) a été constitué conformément au chapitre 19 de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis (l'*ALE+) pour examiner la décision définitive de préjudice rendue le 6 mai 1992 (Enquête NQ91-006) par le Tribunal canadien du commerce extérieur (le *TCCE+) relativement au dumping de tapis produits sur machines à touffeter, originaires ou exportés des ÉtatsUnis d'Amérique. o Le 7 avril 1993, le groupe spécial, dans le dossier n CDA-92-1904-02 du Secrétariat canadien, agissant conformément à ses pouvoirs aux termes de l'article 77.15 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, renvoyait en partie la o conclusion à laquelle était arrivé le TCCE dans l'enquête n NQ-91-006. D'abord, le groupe spécial renvoya au Tribunal sa décision selon laquelle le dumping a *causé+ un préjudice sensible passé et actuel, et il demanda au Tribunal, sur renvoi, d'établir si le dumping, à lui seul, avait causé un préjudice sensible et de démontrer le fondement rationnel de cette conclusion au moyen d'une analyse détaillée comportant notamment, mais non exclusivement, chacun des éléments suivants : (a) une analyse détaillée des clients, dont le nombre varie entre 30 et 32, au sujet desquels des allégations de pertes de ventes ont été faites dans les mémoires consécutifs à l'audience présentés au groupe spécial par le TCCE et par l'Institut canadien du tapis (l'*ICT+), y compris une analyse établissant s'ils sont quantitativement (par volume) ou qualitativement importants, et indiquant la mesure dans laquelle (si mesure il y a) ils appuient raisonnablement la conclusion de l'existence d'un lien de causalité; (b) une analyse détaillée de l'étude de prix effectuée par le personnel et figurant dans le CST, volume 4, Public Staff Report, paragraphe 1.46 à 1.48, et dans le CST, volume 6, Confidential Staff Report, pages 66 à 77, et de la mesure dans laquelle (si mesure il y a) cette étude appuie raisonnablement la conclusion de l'existence d'un lien de causalité. À cet égard, le Tribunal (le TCCE) devrait analyser (1) le lien existant entre les marges et volumes de dumping constatés par le Sous-ministre et les fluctuations de prix mises au jour dans l'étude du personnel, et (2) le lien entre d'autres éléments non liés au dumping (qu'il s'agisse ou non de prix) pris collectivement et ces fluctuations de prix et/ou pertes de ventes, ou modifications de parts du marché; (c) une analyse détaillée de la constatation, par le personnel, d'une baisse de 0,13 $ du prix national moyen par mètre carré pendant l'année 1991, baisse mentionnée dans le CST, volume 4, Public Staff Report, paragraphe 1.214.82, et de la mesure dans laquelle (si mesure il y a) cette 2 baisse appuie raisonnablement la conclusion de l'existence d'un lien de causalité. Deuxièmement, le groupe spécial renvoya au Tribunal sa conclusion selon laquelle le dumping est susceptible de *causer+ à l'avenir un préjudice sensible, et il ordonna au Tribunal, sur renvoi, *de dire si le dumping, à lui seul, est susceptible de causer un préjudice sensible (et si cette conclusion est tributaire de l'existence d'un dumping comme cause d'un préjudice antérieur) et de démontrer le fondement rationnel d'une telle conclusion, au moyen d'une analyse détaillée de la preuve figurant dans le dossier.+ A. La décision du TCCE après renvoi Le 25 mai 1993, le TCCE rendait, conformément à l'article 77.16 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, une décision après renvoi, dans laquelle il jugeait que le dumping de certains tapis produits sur machines à touffeter, originaires ou exportés des États-Unis d'Amérique, a causé et cause un préjudice sensible à la production, au Canada, de marchandises similaires. Il jugea également que le dumping des marchandises en cause est susceptible de causer un préjudice sensible à la production, au Canada, de marchandises similaires. Le 9 juin 1993, le Carpet & Rug Institute (le *CRI+) déposa un avis de requête indiquant qu'il contesterait la décision du TCCE après renvoi, et il demanda une audience pour que le groupe spécial puisse entendre ses conclusions. Le 17 juin 1993, le groupe spécial examina à la fois la requête du CRI et une requête de l'ICT dans laquelle l'ICT demandait qu'une audience touchant la décision du TCCE après renvoi soit refusée. Conformément au paragraphe 75(4) des Règles des groupes spéciaux, le groupe spécial ordonna un examen de la décision du TCCE après renvoi et fixa la date de l'audience au 22 juillet 1993. Le 22 juillet 1993, l'un des membres, James McIlroy, se retira du groupe spécial. Le 29 octobre 1993, Jean-Gabriel Castel fut nommé au groupe spécial en remplacement de M. McIlroy. Un avis de reprise de l'examen et de l'audience fut donc émis. Le groupe spécial fixa une nouvelle date, soit le 20 décembre 1993, pour l'audience après renvoi, et fixa la date de sa décision au 21 janvier 1994. L'audience après renvoi eut lieu le 20 décembre, et les avocats du CRI, de l'ICT et du TCCE présentèrent au groupe spécial des plaidoiries écrites et orales. B. Position des participants Le CRI conteste la décision du TCCE après renvoi et demande que, conformément au paragraphe 75(5) des Règles, une décision écrite soit rendue déclarant : (a) que la décision après renvoi ne répond pas aux directives précises du groupe spécial en vertu desquelles le TCCE devait, au moyen d'une 3 analyse détaillée du dossier administratif, faire reposer sur une base rationnelle sa conclusion de l'existence d'un préjudice passé, présent et futur; (b) que la conclusion du TCCE, dans sa décision après renvoi, selon laquelle *le dumping, à lui seul, a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production canadienne des marchandises en cause+, n'est pas appuyée par une preuve dans le dossier; et (c) que l'affaire soit de nouveau renvoyée au TCCE, avec obligation pour celui-ci d'en disposer d'une manière qui tienne compte de l'omission du TCCE de prouver que la preuve contenue dans le dossier permet de conclure que le dumping a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible. Le TCCE et l'ICT demandent tous deux que la décision du TCCE après renvoi soit confirmée à tous égards. Dans leur réponse, ils affirment : II. (a) que le TCCE n'a commis, dans sa décision après renvoi, aucune erreur manifestement déraisonnable, qu'il s'agisse d'une erreur de droit ou d'une erreur de fait, lorsqu'il a conclu que le dumping de certains tapis produits sur machines à touffeter, originaires ou exportés des États-Unis d'Amérique, a causé et cause, à lui seul, un préjudice sensible à la production, au Canada, de marchandises similaires; (b) que le TCCE n'a commis, dans sa décision après renvoi, aucune erreur manifestement déraisonnable, qu'il s'agisse d'une erreur de droit ou d'une erreur de fait, lorsqu'il a conclu que le dumping de certains tapis produits sur machines à touffeter, originaires ou exportés des États-Unis d'Amérique, est susceptible, à lui seul, de causer un préjudice sensible à la production, au Canada, de marchandises similaires; (c) et, plus précisément, que la manière dont le TCCE a répondu, dans sa décision après renvoi, à chacune des directives du groupe spécial n'était pas incompatible avec les directives du groupe spécial. CRITÈRES D'EXAMEN QUE DOIT APPLIQUER LE GROUPE SPÉCIAL Comme le déclarait le groupe spécial saisi de l'affaire Bière originaire ou exportée des États-Unis d'Amérique par Pabst Brewing Company, G. Heilman Brewing Company, Inc., et The Stroh Brewing Company pour utilisation ou consommation dans la province de la Colombie-Britannique (Préjudice), CDA-91-1904-02, une espèce tranchée le 8 février 1993, le champ d'intervention du groupe spécial dans l'examen de la décision après renvoi est beaucoup plus étroit que ne l'était son champ d'intervention dans l'examen de la décision initiale du TCCE. Le groupe spécial ne peut en conséquence revoir la décision initiale sous un aspect non visé par le renvoi. 4 *Dans son examen de la décision après renvoi, le groupe spécial doit donc uniquement se demander si le TCCE a répondu à la question que le groupe spécial lui a soumise, s'il a suivi les directives du groupe spécial et si, ce faisant, il est arrivé à un résultat qui n'est pas manifestement déraisonnable et qui est appuyé par au moins quelques-uns des éléments de preuve contenus dans le dossier d'enquête du TCCE.+ (page 3). Le présent groupe spécial applique ce critère d'examen, tel qu'il est énoncé dans la présente section et tel qu'il est expliqué plus en détail dans les présents motifs. III. DÉCISION DU GROUPE SPÉCIAL Pour les motifs exprimés plus en détail dans le présent avis, et compte tenu du dossier administratif, du droit applicable, des conclusions écrites des parties et de l'audience publique tenue à Ottawa le 20 décembre 1993, le groupe spécial confirme en partie et renvoie en partie la décision du TCCE après renvoi. A. Lien de causalité quant au préjudice passé et actuel En ce qui concerne la première analyse que demandait le groupe spécial, analyse qui se rapportait aux 30 à 32 clients, au sujet desquels des allégations de pertes de ventes avaient été faites dans les mémoires consécutifs à l'audience présentés au groupe spécial par le TCCE et par l'ICT, le TCCE déclare ce qui suit : Le Tribunal fait remarque que, quantitativement, ces clients, qui ont été mentionnés simplement pour illustrer les effets du dumping, ne représentaient pas un volume important. Ce qui est qualitativement important au sujet des 32 clients, c'est que pour la quasi-totalité d'entre eux, un type de dumping quelconque aurait été pratiqué par un ou plusieurs exportateurs américains. Cependant, l'analyse initiale du Tribunal et son analyse détaillée subséquente effectuée dans le cadre du présent renvoi indiquent que, même dans les cas où il y a eu aveu de dumping, les volumes de marchandises sous-évaluées et les marges de dumping en cause sont relativement négligeables. ...le Tribunal n'a pas fait reposer sa décision sur les allégations particulières de ventes perdues formulées en guise d'éléments de preuve par l'industrie canadienne. Le Tribunal n'a rien à ajouter au sujet des allégations concernant les clients perdus. Décision du TCCE après renvoi, page 12. En ce qui concerne la deuxième analyse ordonnée par le groupe spécial, le TCCE effectua plutôt une nouvelle étude, limitant le nombre d'exportateurs vers le Canada et le nombre de fabricants canadiens. Cette nouvelle étude sera abordée plus loin. 5 Quant à la troisième analyse ordonnée par le groupe spécial dans son avis et son ordonnance du 7 avril 1993, c'est-à-dire une analyse de la constatation, par le personnel, d'une baisse de 13 cents du prix national moyen par mètre carré pendant l'année 1991, et une analyse de la mesure dans laquelle cette baisse milite raisonnablement en faveur de l'existence d'un lien de causalité, le TCCE s'exprime ainsi, à la page 11 de sa décision après renvoi : Cependant, de l'avis du Tribunal, les valeurs contenues dans l'état des bénéfices unitaires, en elles-mêmes, ne révèlent rien de définitif sur les effets du dumping comparativement aux effets d'autres facteurs comme cause des reculs de prix. En bref, le TCCE n'a effectué aucune des analyses demandées par le groupe spécial dans son avis du 7 avril 1993. Toutefois, comme il est indiqué ci-dessus, le TCCE a procédé à une nouvelle analyse de ses données (Étude des prix de 1993). En conséquence, la décision du TCCE après renvoi ne sera acceptable que si son étude des prix de 1993 établit le lien critique entre le préjudice et le dumping. S'exprimant sur la deuxième analyse demandée par le groupe spécial, c'est-àdire une analyse de l'étude de prix effectuée par le personnel et de la mesure dans laquelle cette étude permet de conclure à l'existence d'un lien de causalité, le TCCE s'exprime ainsi, à la page 3 de sa décision après renvoi : Les données sur les prix regroupées figurant dans l'examen initial reflétaient une gamme variée de genres et de qualités de tapis produits par de nombreux fabricants américains et canadiens qui utilisent différentes stratégies de commercialisation et, dans certains cas, qui ont des efficacités d'exploitation et des structures de coûts tout à fait différentes. En se penchant de nouveau sur cet examen des prix dans le cadre du présent renvoi, le Tribunal considère qu'une comparaison révélatrice des fluctuations de prix réels des tapis importés et canadiens peut être effectuée à partir des mêmes données, en se concentrant sur certaines sociétés qui sont comparables, plutôt que sur toute la gamme des sociétés prises en compte dans l'examen initial. À cette fin, conformément aux directives du groupe spécial, le Tribunal a procédé à une analyse détaillée des prix, qu'il a fondée sur un sous-ensemble des renseignements contenus dans l'examen initial des prix. Ce sous-ensemble porte principalement sur les ventes aux 10 plus importants clients de 2 exportateurs et de 4 producteurs nationaux. Les deux exportateurs choisis étaient Shaw Industries, Inc. (*Shaw+) et Queen Carpet Corporation (*Queen+). Les quatre entreprises canadiennes choisies par le TCCE étaient Peerless Carpet Corporation, Kraus Carpet Mills Limited, Richmond Carpet Mills, et Venture Carpets Limited. Selon le TCCE, les entreprises canadiennes choisies comptaient parmi les producteurs les plus stables et les plus performants. Dans son Étude des prix de 1993, le TCCE observa que le prix moyen intérieur et le prix moyen à l'importation avaient tous deux connu un fléchissement de 1990 à 1991. Par ailleurs, de déclarer le TCCE, les prix moyens à l'importation de 1990 étaient inférieurs de 43 cents aux prix moyens intérieurs. Cet écart de prix, qui favorisait les 6 importations en provenance des États-Unis, est demeuré relativement constant en 1991, en dépit d'un fléchissement des prix aux États-Unis en 1991 par rapport à 1990, parce que les prix canadiens ont baissé approximativement du même montant que les prix à l'importation au cours de cette période. Pour déterminer l'effet du dumping sur les prix, le TCCE a estimé une valeur unitaire moyenne pour le dumping, sur la base des prix moyens de Shaw et de Queen. Les prix, indiqués plus haut, auxquels il est arrivé furent convertis en prix nets F.A.B. Dalton (Georgie). Les valeurs de dumping furent alors obtenues à l'aide de ces prix F.A.B. et à l'aide des marges de dumping moyennes pondérées de Shaw et de Queen, telles qu'elles ont été établies par le sous-ministre dans sa décision définitive, ou rajustées à la baisse pour tenir compte du volume des marchandises non sousévaluées exportées vers le Canada par ces producteurs. Le TCCE obtint alors un dumping combiné, en moyenne pondérée, représentant 33 cents le mètre carré en 1990 et 35 cents le mètre carré en 1991. L'ajout de ces valeurs aux prix effectifs observés pour Queen et Shaw en 1990 et en 1991 réduisit à 10 cents en 1990 et à 6 cents en 1991 l'écart entre un prix à l'importation non sous-évalué et un prix intérieur. Toutefois, dans les conclusions écrites du CRI, le CRI, contestant la décision du TCCE après renvoi, déclare, au paragraphe 6.4.2, que les résultats de la nouvelle analyse du TCCE *sont fondamentalement viciés parce que l'analyse est fondée sur des données erronées. Les résultats ne permettent donc pas de conclure à l'existence d'un lien de causalité quant au préjudice sensible.+ À l'audience tenue le 20 décembre 1993, l'avocat du CRI s'est référé à la lettre du 25 février 1992 adressée par James L. McCormick, Jr., directeur de l'administration des ventes et des études de marché pour Shaw Industries, Inc., au secrétaire du Tribunal canadien du commerce extérieur. À cette lettre, était annexée *une réponse modifiée au questionnaire de l'importateur concernant les tapis produits sur machines à touffeter.+ On pouvait lire dans la lettre : *Veuillez remplacer par la présente communication celle que nous vous avons transmise le 22 janvier.+ L'avocat du CRI, lors de l'audience de renvoi tenue devant le groupe spécial, indiqua que les nouveaux renseignements fournis dans la communication du 25 février 1992 étaient fournis au TCCE parce que Shaw avait découvert que les renseignements que cette entreprise avait fournis auparavant ne tenaient pas compte des conditions de vente. Cela, d'affirmer l'avocat du CRI, entraînait une erreur d'environ 30 p. 100 dans les renseignements initialement présentés au TCCE en ce qui concerne les prix. Ainsi, selon l'avocat, les nouveaux chiffres, appelés *chiffres corrigés+, attesteraient, pour les produits de Shaw au Canada, un prix plus élevé que les prix des fabricants canadiens pour une marchandise similaire. Les avocats du TCCE et celui de l'ICT soutiennent que le TCCE n'a pas radié du dossier la communication initiale de Shaw; en conséquence, le TCCE était libre de choisir les chiffres qu'il estimait à propos. Les avocats du TCCE et celui du CCI affirment que ni Shaw, ni l'avocat du CRI n'ont expliqué le remplacement des données par Shaw. 7 L'avocat du CRI a attiré l'attention du groupe spécial sur la liste des pièces destinées à l'audience du TCCE sur cette question. La liste des pièces contient de nombreuses mentions de pièces ou déclarations amendées. L'avocat a noté également que, durant presque deux jours de témoignages devant le TCCE, M. McCormick n'a pas été interrogé, ni contre-interrogé, sur la communication des nouveaux chiffres. Dans sa décision après renvoi, le TCCE n'explique pas pourquoi, dans son Étude des prix de 1993, il ne s'est pas servi des chiffres présentés par Shaw en février 1992. Certainement, si les chiffres présentés par Shaw en février 1992 sont exacts et si le TCCE a pour habitude d'autoriser les modifications de pièces, le fait qu'il ne se soit pas servi des chiffres de février 1992 pour effectuer son étude des prix pourrait conduire à une conclusion manifestement déraisonnable. Le TCCE devrait expliquer pourquoi il n'a pas utilisé les chiffres corrigés présentés par Shaw. En conséquence, le groupe spécial renvoie au TCCE sa décision après renvoi, en lui demandant d'effectuer une autre étude de prix à l'aide des nouveaux chiffres présentés par Shaw. Le TCCE peut aussi effectuer une étude distincte pour Shaw et pour Queen. B. Lien de causalité quant au préjudice futur Dans l'avis et l'ordonnance du groupe spécial du 7 avril 1993, le groupe spécial exprimait l'avis que l'on ne savait pas très bien si le TCCE avait jugé que le lien de causalité quant au préjudice futur probable était indépendant du lien de causalité quant au préjudice passé. Compte tenu de cette incertitude, et puisque le groupe spécial avait renvoyé au TCCE la question du lien de causalité quant au préjudice passé, il a également ordonné au TCCE d'éclaircir ce point et d'analyser la preuve versée dans le dossier quant au lien de causalité touchant le préjudice futur. En conséquence, le groupe spécial avait renvoyé au TCCE la conclusion de celui-ci selon laquelle le dumping est susceptible de *causer+ un préjudice sensible futur, et il avait ordonné au TCCE, sur renvoi : D'établir si le dumping, à lui seul, est susceptible de causer un préjudice sensible (et si une telle conclusion dépend de l'existence d'un dumping comme cause du préjudice passé) et de démontrer le fondement rationnel de cette conclusion au moyen d'une analyse détaillée de la preuve versée dans le dossier. Dans sa décision après renvoi du 25 mai 1993, le TCCE confirma sa conclusion selon laquelle le dumping est susceptible de causer un préjudice sensible. Sur ce point, le TCCE s'exprime ainsi : Préjudice futur Le Tribunal confirme ses conclusions selon lesquelles le dumping est susceptible de causer un préjudice sensible. En plus des motifs invoqués dans 8 ses conclusions, le Tribunal ajoute que, compte tenu de la compétitivité des prix du tapis aux États-Unis et au Canada, il est clair que des droits antidumping doivent être imposés pour aider à contrebalancer l'avantage conféré par le dumping. Cet avantage a favorisé l'augmentation subite des importations américaines de tapis au Canada selon des volumes sans précédent, malgré des conditions de marché déprimées persistantes au Canada, surtout en 1990 et 1991. Cette ruée vers le Nord des producteurs américains à des prix sous-évalués reflète, entre autres choses, la faiblesse de la demande aux États-Unis, la grande surcapacité de production de tapis aux États-Unis, ainsi que l'impératif de production dicté par la nécessité de faire tourner d'importantes usines américaines, comme celles qui appartiennent à Shaw et à Queen, 24 heures par jour pour maximiser l'efficacité d'exploitation. De l'avis du Tribunal, ces conditions persisteront probablement pendant un certain temps et créeront les conditions de base qui seront propices à la poursuite du dumping à l'avenir, à moins que des droits antidumping ne viennent imposer une discipline au niveau des prix. Le Tribunal fait remarquer en outre que l'ALE a prévu une période de transition de 10 ans, à compter de 1989, au cours de laquelle l'industrie canadienne pourrait graduellement s'ajuster à des tarifs douaniers plus bas. De l'avis du Tribunal, l'effet du dumping continu aux niveaux établis par le Sous-ministre serait d'éliminer pour ainsi dire le reste de cette période de transition. Comme le Tribunal l'a fait remarquer dans son exposé des motifs, *le dumping a aussi réduit le temps requis par l'industrie canadienne pour effectuer les ajustements nécessaires afin de soutenir une concurrence efficace dans le contexte du libreéchange nord-américain.+ Pour plus de certitude et conformément aux directives particulières du renvoi, le Tribunal considère que cette décision ne dépend par uniquement de l'existence du dumping comme cause de préjudice passé, pour les motifs invoqués plus haut. Attaquant la décision du TCCE après renvoi, le CRI allègue que, pour ce qui est de la directive du groupe spécial se rapportant au préjudice futur, le TCCE : (a) n'a pas établi si le dumping est, à lui seul, susceptible de causer un préjudice sensible; (b) n'a pas établi la mesure dans laquelle sa conclusion de préjudice futur dépendait de l'existence d'un dumping comme cause du préjudice passé et n'a pas dit en quoi l'existence d'un préjudice passé lui permettait d'établir un lien de causalité et de conclure à un préjudice futur; et 9 (c) n'a pas démontré, au moyen d'une analyse détaillée de la preuve contenue dans le dossier, un fondement rationnel lui permettant de confirmer sa conclusion initiale du 21 avril 1992 relative au préjudice futur. Dans sa réponse, le TCCE renvoie le groupe spécial à la recommandation concernant la détermination de l'existence d'une menace de préjudice important, recommandation adoptée par le Comité des pratiques antidumping le 21 octobre 1985 (cette recommandation constitue l'interprétation convenue de l'article 3:6 du Code antidumping). La recommandation du Comité se lit ainsi : Aux fins de la détermination d'une menace de préjudice important, compte dûment tenu de l'article 3 du Code antidumping, les autorités compétentes devraient examiner notamment des éléments tels que ceux indiqués ci-apýès : - taux d'accroissement important des importations d'un produit faisant l'objet d'un dumping sur le marché intérieur, qui dénote la probabilité d'une augmentation substantielle des importations du produit en question; - capacité suffisante et librement disponible de l'exportateur, qui dénote la probabilité d'un accroissement substantiel des exportations faisant l'objet d'un dumping sur le marché du pays importateur, compte tenu de l'existence d'autres marchés d'exportation pouvant absorber des exportations additionnelles; - entrée des exportations à des prix qui ont pour effet de déprimer les prix intérieurs de façon importante ou de les empêcher de façon importante de monter, et probabilité que ces exportations entraînent un accroissement de la demande de nouvelles exportations; et - stocks du produit faisant l'objet de l'enquête détenus dans le pays importateur. Il est entendu qu'un seul de ces éléments ne constituera pas nécessairement en soi une base de jugement déterminante, mais que la totalité des éléments considérés doit amener à conclure que d'autres exportations faisant l'objet d'un dumping sont imminentes et que, si l'on ne prend pas de 1 mesures de protection, le préjudice important se produira. 1 Comité des pratiques antidumping, Recommandation concernant la détermination de l'existence de la menace de préjudice important, adoptée par le Comité le 21 octobre 1985 (ADP/25), IBDD, 32e supplément, Genève, mars 1986, aux pages 195-197, paragraphe 9 ("Recommandation du Comité"). 10 On peut lire également dans la recommandation du Comité : Toutefois, ainsi qu'il est prévu dans le Code antidumping, la mise en oeuvre de moyens de protection contre le dumping fondée sur la menace de préjudice doit être limitée aux cas où les conditions commerciales font clairement apparaître qu'un préjudice important est imminent si les tendances du commerce dont on peut démontrer qu'elles sont défavorables à la production nationale persistent ou s'il se produit des événements dont on peut 2 clairement prévoir qu'ils seront défavorables. Les avocats du TCCE affirment que, dans sa décision après renvoi, le TCCE a examiné plusieurs des facteurs énoncés au paragraphe 9 de la recommandation du Comité, par exemple en ce qui concerne le taux d'accroissement des importations sous-évaluées, la surcapacité de l'industrie aux États-Unis, l'étouffement ou l'abaissement des prix intérieurs par suite des importations en provenance des ÉtatsUnis, ainsi que d'autres facteurs se rapportant à la question de la menace de préjudice, tels que la nature concurrentielle du marché des marchandises en cause, la faiblesse de la demande aux États-Unis et les répercussions du dumping sur les rajustements entrepris par l'industrie canadienne en réponse à l'évolution de la concurrence. À l'audience du 20 décembre 1993 visant l'examen de la décision après renvoi, le groupe spécial demanda aux avocats du TCCE, ainsi qu'à l'avocat de l'ICT, s'il le souhaitait, d'indiquer par écrit, en se référant uniquement au dossier administratif, et sans présenter d'arguments, les éléments de preuve étayant les conclusions suivantes du TCCE après renvoi en ce qui concerne le préjudice futur : (1) la faiblesse de la demande aux États-Unis; (2) la grande surcapacité de production de tapis aux États-Unis; (3) l'impératif de production dicté par la nécessité de faire tourner d'importantes usines américaines, comme celles qui appartiennent à Shaw et à Queen, 24 heures par jour pour maximiser l'efficacité d'exploitation. La même possibilité fut donnée au CRI. En réponse à la demande du groupe spécial, le TCCE et le CRI déposèrent dans le dossier administratif plusieurs éléments de preuve se rapportant à chacune des trois rubriques. Après examen du dossier administratif, le groupe spécial arrive à la conclusion que le dossier administratif renfermait une preuve qui permettait au TCCE de dire que la demande était faible aux États-Unis, qu'une part importante des capacités de 2 Ibid, paragraphe 5. 11 production de l'industrie américaine du tapis était inutilisée et qu'il fallait, en raison des impératifs de production, maintenir constamment en opération d'importantes usines américaines, comme celles de Shaw et de Queen, et cela pour maximiser leur efficacité d'exploitation. Le groupe spécial est également convaincu qu'il existe dans le dossier une preuve qui permet de conclure à une poussée des importations des marchandises en cause vers le Canada depuis les États-Unis. Le groupe spécial est d'avis que le dossier administratif renfermait une preuve qui permettait au TCCE de conclure à un préjudice futur, et il est d'avis que cette 3 4 conclusion n'était pas manifestement déraisonnable ni clairement irrationnelle dans les circonstances. Le groupe spécial confirme donc dans la présente espèce la conclusion de préjudice futur à laquelle est arrivé le TCCE. 3 National Corn Growers Association c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, p. 1367. 4 Canada (Procureur Général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, p. 963-4. 12 IV. ORDONNANCE Pour les motifs indiqués ci-dessus, le groupe spécial : CONFIRME la conclusion du TCCE selon laquelle le dumping est susceptible de causer un préjudice sensible futur; RENVOIE au TCCE la conclusion selon laquelle le dumping a causé un préjudice sensible passé et actuel, et ordonne au TCCE, sur renvoi : 1. d'expliquer la raison pour laquelle il n'a pas utilisé les nouveaux chiffres présentés par Shaw; 2. d'effectuer une autre analyse de prix en se servant des nouveaux chiffres présentés par Shaw; 3. le TCCE pourra aussi préparer une analyse de prix portant séparément sur Shaw et sur Queen. ORDONNE au TCCE de rendre, dans un délai de 21 jours après la date du présent avis, sa décision après renvoi. SIGNÉ DANS L'ORIGINAL PAR : JOHN D. RICHARD, président JAMES CHALKER JEAN-GABRIEL CASTEL MARTIN J. WARD e Avis rendu ce 21 jour de janvier 1994. 13 AVIS PARTIELLEMENT CONVERGENT ET PARTIELLEMENT DISSIDENT DU MEMBRE MICHAEL D. SANDLER Je partage la décision rendue par la majorité du groupe spécial en ce qui concerne la détermination du préjudice passé et actuel. Pour ce qui est du préjudice futur, je me vois contraint d'exprimer un avis contraire. Sur le plan du préjudice futur, la décision du TCCE après renvoi m'a mis dans une position difficile. Dans son avis et son ordonnance du 7 avril 1993, le groupe spécial ordonnait au TCCE, sur renvoi, *de déterminer si le dumping, à lui seul, est susceptible de causer un préjudice sensible... et de démontrer le fondement rationnel de cette conclusion au moyen d'une analyse détaillée des éléments de preuve figurant dans le dossier+. Avis et ordonnance du groupe spécial, page 64 (italique ajouté). Par contraste avec son traitement du préjudice passé et actuel, la décision du TCCE après renvoi ne comprend, en ce qui concerne le préjudice futur, aucune *analyse détaillée de la preuve figurant dans le dossier+ -- ni ne fait état d'aucune preuve dans le dossier. Elle prétend cependant fonder la conclusion de préjudice futur sur certaines constatations factuelles : Cette ruée vers le Nord des producteurs américains à des prix sous-évalués reflète, entre autres choses, la faiblesse de la demande aux États-Unis, la grande surcapacité de production de tapis aux États-Unis, ainsi que l'impératif de production dicté par la nécessité de faire tourner d'importantes usines américaines, comme celles qui appartiennent à Shaw et à Queen, 24 heures par jour pour maximiser l'efficacité d'exploitation. De l'avis du Tribunal, ces conditions persisteront probablement pendant un certain temps et créeront les conditions de base qui seront propices à la poursuite du dumping à l'avenir, à moins que des droits antidumping ne viennent imposer une discipline au niveau des prix. Décision après renvoi, page 13 (italique ajouté). Essentiellement, ces constatations factuelles sont les suivantes : il existait certaines conditions passées (une ruée vers le Nord, une faiblesse de la demande aux États-Unis, une grande surcapacité de production aux États-Unis et un impératif de production) et, au surplus, toutes ces conditions passées *persisteront probablement pendant un certain temps+. Comme le TCCE ne précise pas si l'une ou plusieurs de ces constatations factuelles ne sont pas essentielles à sa décision, j'ai estimé nécessaire de présumer que la conclusion de préjudice futur était fondée sur chacune d'elles. En vertu du critère de l'erreur *manifestement déraisonnable+, chaque conclusion ou constatation factuelle essentielle à la décision qui fait l'objet de 14 l'examen doit être fondée sur la preuve contenue dans le dossier administratif -- une preuve logiquement apte à appuyer la conclusion ou constatation factuelle à laquelle 5 elle se rapporte. Comme l'indique la majorité, l'absence de toute mention d'une preuve dans la partie *préjudice futur+ de la décision du TCCE après renvoi a rendu difficile pour nous la tâche consistant à évaluer s'il existait une preuve logiquement apte à étayer les conclusions factuelles du TCCE. Pour cette raison, nous avons demandé aux parties, immédiatement après l'audience tenue par le groupe spécial le 20 décembre, de déposer dans le dossier une liste de références et d'éléments de preuve appuyant chacune de ces conclusions factuelles (sauf la conclusion touchant la *ruée vers le Nord+, qui était appuyée par une preuve dans la décision initiale du TCCE). Après examen des références et éléments de preuve que les parties ont présentés après l'audience tenue par le groupe spécial le 20 décembre, j'ai constaté, comme la majorité du groupe spécial, la présence, dans le dossier, d'une preuve apte à étayer l'existence passée de chacune des conditions formulées dans les conclusions (ou constatations) factuelles du TCCE touchant le préjudice futur. Toutefois, je n'ai pu trouver de preuve susceptible d'étayer les conclusions additionnelles selon lesquelles toutes ces conditions *persisteront probablement pendant un certain temps+. Plus particulièrement, la preuve non contestée qu'on nous a présentée à la suite de l'audience tenue par le groupe spécial le 20 décembre était que la demande était 5 Dans son avis et son ordonnance du 7 avril 1993, le groupe spécial donnait le résumé suivant des critères d'examen: 1. Les tribunaux, en présence d'une clause privative, ne vont contester les conclusions d'un tribunal spécialisé et agissant dans les limites de sa compétence, que s'il est jugé que la décision de celui-ci ne saurait être maintenue selon une interprétation raisonnable des faits et du droit. 2. Un groupe spécial d'examen, de nos jours, se doit d'étudier "la façon" dont un tribunal est arrivé à une conclusion ou à une décision contestée afin de déterminer si elle repose sur un fondement rationnel; il doit au moins effectuer cette "appréciation du fond" de façon à se convaincre qu'il existe une "relation logique" entre les motifs de la décision et les éléments de preuve sur lesquels cette décision est fondée. CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983, p. 1004, 1018. 3. Il se peut qu'un groupe spécial d'examen, de nos jours, doive effectuer une "analyse en profondeur" de la façon dont un organisme administratif est arrivé à ses conclusions et à sa décision, ainsi que de leurs relations logiques avec les éléments de preuve. National Corn Growers Association c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, p. 1370. 4. Lorsqu'il effectue cette analyse, si le groupe spécial d'examen estime qu'il existe une preuve appuyant la constatation ou la conclusion -- c'est-à-dire une preuve qui offre une relation logique avec la constatation ou la conclusion -- celle-ci ne sera pas considérée comme manifestement déraisonnable. Lester (W.W.) c. A.U.C.A.I.P.T., section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644, p. 687-688. 5. En matière de contrôle judiciaire, les tribunaux canadiens ont toute latitude pour examiner non seulement les conclusions et observations formulées par le Tribunal dans l'exposé de ses motifs, mais aussi l'ensemble du dossier administratif. La Loi sur la Cour fédérale et les Règles qui s'y rattachent, de même que les dispositions du chapitre 19 de l'ALE et ses Règles de procédure, prévoient expressément que le dossier administratif sera communiqué. Ce type d'examen du dossier a été effectué dans l'arrêt Lester. 6. L'objet du critère de l'erreur "manifestement déraisonnable" est de garantir la retenue judiciaire envers les compétences des tribunaux spécialisés en ce qui concerne les matières relevant de leur spécialité, et un groupe spécial doit s'abstenir, dans ces matières, de substituer ses conclusions à celles du tribunal spécialisé. Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] R.C.S. 1722, p. 1746. Il peut se produire des cas où un groupe spécial d'examen sera appelé à prendre en considération, dans le dossier administratif, des éléments de preuve qui, de toute évidence, n'ont pas été analysés dans la décision du tribunal spécialisé. Et il se peut que l'on constate, après analyse d'expert, que ces éléments établissent un lien logique avec les conclusions du tribunal (et pouvant donc justifier lesdites conclusions). Le principe de retenue conduit à la conclusion que le groupe spécial lui-même ne doit pas effectuer cette analyse, mais qu'il demande au tribunal spécialisé de s'en charger. 15 faible aux États-Unis au cours du premier trimestre de 1991, et cela à cause de la guerre du Golfe et de la récession en cours aux États-Unis. Il y avait aussi des éléments de preuve, apparemment non contestés, selon lesquels les expéditions de marchandises depuis les États-Unis avaient notablement augmenté par la suite, à la fin de 1991 et au début de 1992, avant que le TCCE ne rende sa décision initiale. Examinant les références qu'on nous a communiquées à la suite de l'audience du groupe spécial (les *références consécutives à l'audience+) -- et en l'absence de toute analyse de la preuve dans la décision après renvoi elle-même -- je n'ai pu constater l'existence d'une preuve pouvant logiquement appuyer la conclusion factuelle selon laquelle la faiblesse de la demande aux États-Unis allait *probablement persister pendant un certain temps+. Je trouve ambiguë la preuve touchant la persistance probable, pendant un certain temps, de *la grande surcapacité de production de tapis aux États-Unis+. Les références consécutives à l'audience parlent d'une surcapacité *chronique+ (non d'une grande surcapacité ou d'une surcapacité continue), dans l'industrie canadienne et dans l'industrie américaine. On n'a présenté aucune preuve quant à l'ampleur de la surcapacité aux États-Unis durant la période visée par l'enquête (la preuve présentée débutait en 1987), ou quant à l'évolution de la surcapacité par suite des fermetures subséquentes d'usines aux États-Unis. Je me trouve dans une situation embarrassante, qui m'oblige à tirer mes propres déductions sur le sens du mot *chronique+ et sur les autres éléments de preuve invoqués, sans avoir l'avantage de la propre analyse du TCCE quant à la preuve (ni de sa position sur les conclusions qu'il tire). Nous n'avons pas ici affaire à un cas où nous devons mesurer la preuve de l'industrie canadienne à la preuve contraire des exportateurs américains. Un tel exercice n'est pas autorisé par la norme de l'erreur *manifestement déraisonnable+. Mon problème est le suivant : comment examiner une décision après renvoi, qui fait état de quatre conditions susceptibles ensemble de persister pendant un certain temps et qui ne me renseignent nullement quant à savoir si la décision demeure valide en cas d'impossibilité pour moi de trouver une preuve permettant de conclure à la persistance de l'une ou de plusieurs de ces conditions. Comme je l'ai dit précédemment, je n'ai constaté aucune preuve qui permettrait de conclure à la 6 persistance de la faiblesse de la demande aux États-Unis. Dans ces circonstances, et puisque, de toute façon, nous renvoyons au TCCE ses conclusions relatives au préjudice passé et actuel, je crois qu'il aurait été juste de renvoyer également au TCCE ses conclusions relatives au préjudice futur et de lui demander 6 L'avis de la majorité ne précise pas (1) si tous les membres de la majorité ont trouvé dans le dossier une preuve pouvant justifier toutes les conclusions factuelles du TCCE (notamment la conclusion selon laquelle la faiblesse de la demande aux États-Unis allait probablement persister) -- ou (2) si la majorité a décidé que toutes les conclusions factuelles n'ont pas à être étayées par une telle preuve et que les conclusions non étayées n'étaient pas essentielles pour qu'on puisse conclure à un "préjudice futur". À mon avis, la décision du TCCE est "manifestement déraisonnable" (i) sauf si chacune des conclusions factuelles sur lesquelles la décision est censément fondée est appuyée par une preuve logiquement capable d'étayer cette conclusion, ou (ii) sauf si le tribunal spécialisé précise, après renvoi, que les conclusions factuelles non étayées ne sont pas essentielles à sa décision et que les conclusions factuelles restantes qui sont étayées sont juridiquement aptes à justifier la décision. 16 (1) d'indiquer laquelle de ses conclusions factuelles est essentielle à sa conclusion de préjudice futur, et (2) d'analyser pour nous la preuve figurant dans le dossier et appuyant chacune de ces conclusions factuelles essentielles, et (i) si la preuve confirme chacune de ces conclusions, d'indiquer en quoi elle la confirme, et (ii) si la preuve ne confirme pas chacune de ces conclusions, de rendre une décision négative quant au préjudice futur. SIGNÉ DANS L'ORIGINAL PAR : MICHAEL D. SANDLER FAIT le 21 janvier 1994.