METAPHYSIQUE ET SCIENCES HUMAINES L`auto

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METAPHYSIQUE ET SCIENCES HUMAINES L`auto
METAPHYSIQUE ET SCIENCES HUMAINES
L’auto-épuisement du paradigme logocentrique
Notes de cours à l’usage des étudiants
par M. Maesschalck
Chapitre1 : Introduction
1. Pourquoi le thème général ?
L’émergence des sciences humaines reste un processus mal connu
et peu sujet à interprétation.
La métaphysique moderne telle qu’on la trouve élaborée chez
Descartes, chez Wolff et chez Leibniz s’est surtout inspirée des sciences
de la nature. Il en a été de même de la néo-scolastique. La métaphysique
est une science théorique. Elle hérite de la division médiévale des Arts
supérieurs et des Arts inférieurs. Elle peut s’appliquer aux mœurs en tant
que science rationnelle : elle propose alors une théorie de la morale et une
théorie du droit. Ses parties spécialisées sont la cosmologie rationnelle, la
psychologie rationnelle (en ce y compris la morale rationnelle et la théorie
de la société) et la théologie rationnelle (en ce y compris la théologie
naturelle et la théorie rationnelle de la religion).
Bergson et Gurwitsch, notamment, se réfèrent encore à ce cadre
épistémologique, sans a priori dogmatique. Certains néo-scolastiques
n’ont pas manqué d’observer que la phénoménologie en tant que projet
d’une philosophie comme science rigoureuse pouvait, sous certaines
conditions, être un prolongement acceptable ou une variante possible du
destin de la métaphysique. La tradition kantienne est loin d’être homogène
sur cette question sensible.
Le débat sur la viabilité d’un prolongement moderne de la
métaphysique s’est focalisé sur la question des conditions de possibilité
du savoir scientifique dans les sciences de la nature comme production
d’un ordre de représentation indépendant du processus mental d’autointuition de la subjectivité1. L’activité subjective de la connaissance
pouvait, en effet, être réduite à une théorie de la croyance dans
l’effectivité de l’ordre naturel. Il suffisait de passer d’un réalisme
1
La position en question ici est bien représentée par K.R. Popper (La connaissance objective, Ed. Complexe,
Bruxelles, 1978, pp. 161-164).
1
externaliste à un réalisme internaliste2. Dans la mesure où l’empirisme
scientifique continuait à postuler un réalisme externaliste dur comme
croyance de base, même si en soi indécidable et sans conséquence
positive sur le processus d’acquisition les connaissances, il pouvait y avoir
une place pour un débat métaphysique sur l’origine de la construction des
sciences naturelles en ce qu’elles supposent la donation ou l’il y a du
monde dans lequel elles s’élaborent3. Plus subtilement, il était d’ailleurs
possible de concevoir la métaphysique elle-même à partir du discours de
la science comme une herméneutique de l’activité scientifique, une
métaphysique du deuxième degré indiquant le creux de l’origine au sein
même de l’énoncé scientifique construisant sa structure de signification en
référence à l’événement, voire aussi en fonction de son application
possible à un domaine de productivité sémantique. On pouvait alors
considérer la raison elle-même comme structurée par un dynamisme
extensif correspondant à une tension interne vers une unité de l’être et de
la pensée, c’est-à-dire l’attestation définitive de l’intelligibilité intrinsèque
de l’être4. On entre alors, au-delà de l’herméneutique du discours
scientifique, dans une métaphysique spéculative.
Mais parallèlement aux évolutions de ce débat avec les sciences
modernes de la nature, la métaphysique a aussi connu une autre
confrontation, à la fois plus dure et plus radicale. Celle-ci concerne
l’émergence même des sciences humaines. L’oblitération de ce débat
provient de deux types de facteurs : les uns sont internes à l’émergence
des sciences humaines ; les autres lui sont externes. Au plan des facteurs
internes, il s’agit essentiellement des conflits de territoires qui
accompagnent la naissance de ce nouveau champ scientifique et rendent
difficile une prise en compte de conflits de frontière liés à son unité, alors
que la diffraction prédomine (pas d’unanimité sur des conditions
génériques). Au plan des facteurs externes, la résistance intellectuelle des
milieux traditionnels à l’institutionnalisation des sciences humaines a joué
un rôle majeur. Un conflit de visions du monde s’est rapidement dessiné,
car l’idée d’humanité était directement concernée. A travers l’antimodernisme catholique notamment, c’était les sciences humaines qui
étaient directement visées. Alors que cette crise atteint déjà un premier
2
C’est la solution défendue en particulier par H. Putnam (Le réalisme à visage humain, Seuil, Paris, 1994, pp.
158-163).
3
On peut aussi interpréter dans ce sens « la renaissance de la cosmologie comme science » (cf. MALDAME J.M., « Création et événement », in FLORIVAL G. (dir.), Création et événement, Peeters ; Louvain/Paris, 1996,
pp. 181-196, p. 188.
4
Un article significatif à cet égard est « Révélation et manifestation » de Jean Ladrière (in Qu’est-ce que Dieu ?,
Publications des FUSL, Bruxelles, 1985, pp. 491-514).
2
paroxysme en 19105, on retrouve encore ce problème dans les années 70
et jusqu’au milieu des années 80 à travers le refus d’une articulation entre
philosophie et sciences humaines, articulation jugée comme favorable
indirectement à une interprétation marxiste du message religieux et du
rôle social de la religion.
Goldmann explique, de manière perspicace, la raison de cette
exacerbation du conflit entre visions du monde et sciences humaines. Il en
propose alors une interprétation en terme de lutte des classes. Mais celleci n’est que conséquente à sa définition première de l’objet spécifique des
sciences humaines.
« (…) la différence, entre les conditions de travail des « physiciens, chimistes
et physiologistes » et celles des sociologues ou des historiens, est, non pas de
degré, mais de nature ; au point de départ de la recherche physique ou
chimique, il y a un accord réel et implicite entre toutes les classes qui
constituent la société actuelle sur la valeur, la nature et le but de la recherche.
La connaissance la plus adéquate et la plus efficace de la réalité physique et
chimique est un idéal qui ne heurte plus aujourd’hui ni les intérêts, ni les
valeurs d’aucune classe sociale. (…) Dans les sciences humaines, par contre, la
situation est différente. Car si la connaissance adéquate des faits ne fonde pas
logiquement la validité des jugements de valeur, il est certain, par contre,
qu’elle favorise ou défavorise psychologiquement cette validité dans la
conscience des hommes. L’assimilation du révolutionnaire au criminel est de
nature à détourner le lecteur du premier, (…) l’analyse adéquate des
antagonismes entre les classes sociales dans la société contemporaine pourrait
avoir des conséquences défavorables aux idéologies conservatrices, etc. Or,
pour tout ce qui concerne les principaux problèmes qui se posent aux sciences
humaines les intérêts et les valeurs des classes sociales divergent du tout au
tout. A la place de l’unanimité, implicite ou explicite, des jugements de valeur
sur la recherche et la connaissance adéquate qui est à la base des sciences
physico-chimiques, nous trouvons en sciences humaines des différences
radicales d’attitude, qui se situent au départ, avant le travail de recherche, et
restent souvent implicites et inconscientes »6.
Dans l’interprétation de Goldmann, on retrouve aussi la trace du
facteur interne : la dimension d’auto-critique l’emporte sur un conflit de
frontière avec des champs externes. Pourtant celui-ci est bien réel, autant
celui (dénié) avec les sciences de la nature que celui avec les visions du
monde « pré-scientifiques » ou « pré-positivistes ». L’idée d’une
succession de paradigmes rationnels, comme chez A. Comte, favorise
5
Cf., notamment, POULAT E., Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, A. Michel, Paris, 1996 ;
COLIN P., L’audace et le soupçon, La crise du modernisme dans le catholicisme français (1893-1914), DDB,
Paris, 1996.
6
GOLDMANN L., Sciences humaines et philosophie, Pour un structuralisme génétique, Gonthier, Paris, 1966,
pp. 38-39.
3
aussi l’oblitération du conflit par une sorte de tournant/coupure à bien des
égards imaginaires.
Or le conflit est bien réel et directement lié à la constitution des
sciences humaines en champ scientifique spécifique distinct du champ des
sciences de la nature. L’auteur-témoin par excellence de ce processus est
Dilthey. A suivre ces écrits, on s’aperçoit très clairement que le processus
de constitution des sciences humaines se joue entre 18757 et 19058. De
plus, Dilthey identifie bien le rôle-moteur que pourra jouer dans ce
nouveau champ la psychologie. Face à l’émergence de ce champ, la
menace principale, pour Dilthey, est celle de la métaphysique. Un demisiècle plus tard, il deviendra évident que l’enjeu de cette menace était
l’avènement du paradigme logocentrique, décisif pour la constitution du
nouveau champ9.
2. Pourquoi parler d’auto-épuisement
L’auto-épuisement est un schéma interprétatif qui permet de
travailler l’histoire des idées. On en trouve d’autres comme le progrès (au
sens perfectionniste), l’adaptation (avec sélection), la dérive (par rapport
à un point origine, oublié/oblitéré), l’émergence (par coupure/révolution,
tournant), la genèse rétrospective ou prospective (stades) – métaphore de
la croissance), la dialectique (annulation/dépassement), etc. L’intérêt
porté au modèle de l’auto-épuisement est qu’il se base sur un processus
mental (pas de métaphore naturaliste, mécaniciste ou biologiste, ni de
métaphore psychologiste (croissance) ou sociologiste (transformation
sociale).
L’évolution des idées est traitée sur une base idéelle. Ce modèle est
aussi réflexif et ne suppose donc pas un pouvoir d’objectivation du
devenir des idées comme processus substantiel (Hegel/Marx :
l’intelligence théorique de l’histoire).
Ce modèle est transcendantal, c’est-à-dire qu’il prend en
considération la nécessaire effectuation des contenus de connaissance
dans l’expérience immédiate.
7
« Sur l’étude de l’histoire des sciences humaines, sociales et politiques », in W. DILTHEY, Introduction aux
sciences de l’esprit, trad . par S. Mesure, Cerf, Paris, 1992, pp.43-87.
8
« Délimitation des sciences de l’esprit », in W. DILTHEY, L’édification du monde historique dans les sciences
de l’esprit, trad. par S. Mesure, Cerf, Paris, 1988, pp. 31-39.
9
Ainsi, même les théories métaphysiques des sciences de la culture cherchant à donner une unité herméneutique
à la question de l’action humaine grâce au processus substantiel de réalisation historique de l’esprit – cherchent à
recycler les conceptions romantiques idéalistes du langage pour comprendre cette unité. Cf. CASSIRER E.,
« l’objet de la science de la culture », in CASSIRER E., Logique des sciences de la culture, Cerf, Paris, 1991, pp.
75-112, pp. 90 et 110 en particulier.
4
L’auto-épuisement est un modèle que l’on trouve mobilisé
notamment par Fichte et par Gramsci. Chez Fichte, il résulte du moment
d’auto-annulation du point de vue absolu de la raison qui rend possible
une phénoménologie génétique des contenus de conscience. Ce moment
épuise tout autant le réalisme supérieur que l’idéalisme supérieur10. Il
constitue aussi l’acquisition du point de vue formel sur la liberté de
l’esprit qui se découvre comme vide mais également comme pouvoir
structurant par remplissement de la forme du Moi ; les déterminations qui
remplissent la sphère de déterminabilité absolue : moment donc de l’éveil
de la conscience à sa déterminabilité, disposition-typique au monde).
Chez Gramsi, il définit la logique interne de la dialectique
historique qui ne se pose jamais sans saturer ses propres possibles, c’est-àdire aussi sans une réflexivité du devenir qui renforce son impasse (par
enfermement). = « déréalisation »,« déconstruction » fin d’une croyance.
« A) Aucune société ne se propose des tâches B) pour
lesquelles n’existent pas ou ne sont pas en train d’apparaître
les conditions nécessaires et suffisantes à leur résolution C) et
aucune société ne meurt avant d’avoir exprimé tout son
contenu potentiel »11.
3. Pourquoi parler d’un paradigme logocentrique
Celui-ci est caractéristique de ce qui a permis effectivement aux
sciences humaines de se clôturer comme champ.
Le post-modernisme est un des symptômes de l’épuisement du
logocentrisme. Mais celui-ci est encore tolérable (entre nihilisme et
relativisme, un scepticisme modéré est possible).
L’auto-épuisement nous semble plus directement attesté par la
volonté de reconduire une théorie nominaliste radicale de la signification
en tant que métaphysique (ce qui est différent du nominalisme antimétaphysique de la philosophie analytique du langage). Celle-ci implique
une culture métaphysique du vide de la signification comme horizon
authentique de la pensée.
10
Selon le plan suivi par l’exposé de la Doctrine de la science de 1804. Cf. GODDARD J.-Chr., « Réduction
phénoménologique et projection dans la Doctrine de la Science de 1804 », in Kairos, 2001, n° 17, pp. 151-169.
Sur l’actualité de cette perspective, on trouve aussi un essai intéressant de Urs Richli, « Tun und Sagen in der
Transzendentalpragmatik und der WL 1804 », in Fichte Studien, 18 (2000), pp. 201-215.
11
JOUTHE E., Catharsis et transformation sociale dans la théorie politique de Gramsci, Presses de l’Université
du Québec, Québec, 1990, p. 118.
5
Il y a dès lors une pensée de l’auto-annulation d’une éidétique de la
signification. Mais celle-ci ne se conçoit pas elle-même comme point
d’aboutissement et de saturation, parce qu’elle ne prend pas en
considération (par l’attention transcendantale) son propre acte intellectuel.
De plus, cette position philosophique est d’autant plus
caractéristique qu’elle incarne le retard de la philosophie par rapport au
destin des sciences humaines dont elle signale l’épuisement au moment
même où elle s’est constituée à titre particulier un territoire de
« productivité sémantique », à savoir celui de l’éthique.
La nominalisation de la théorie de la signification réveille aussi la
traditionnelle réplique métaphysique au nominalisme, au moment même
où le véritable débat est celui de l’auto-épuisement du champ des sciences
humaines lui-même !
4. Rappel : L’autonomisation des sciences dans l’histoire occidentale
Moyen-Age (IXè-XIVè) : le rôle du XIIIe siècle
Dès la fin du XIe siècle, on observe un mouvement de sécularisation progressive de
la pédagogie (Ecoles de Tournai, Laon, Chartres, Cantorbéry, Tolède [contact avec le
monde judéo-chrétien], Bologne [fondation du droit moderne], Salerne [médecine],
Paris [cf. Abélard, Guillaume de Champeaux]).
Ce mouvement aboutit à la fondation des universités caractérisée par l’émergence de
nouvelles classes sociales (maîtres-élèves indépendants de tout rapport ecclésiastique)
nécessitant une révision des statuts juridiques. Celle se concrétise à travers deux actes
juridiques importants :
1209 : bulle d’Innocent III liant, sous le terme de Communio ou Universitas, les
maîtres entre eux.
1215 : édit du cardinal légat Robert de Courçon, reconnaissant la pleine autonomie des
« universités » et définissant les programmes de cours, les examens, obligations et
privilèges des professeurs.
L’enseignement s’organise alors progressivement en deux niveaux principaux :
Les Facultés des Arts (ou Facultés « inférieures ») : En l’absence d’enseignement
secondaire, les étudiants ne disposaient pas de formation générale avant leur
inscription dans une des 3 principales disciplines universitaires (théologie, médecine,
droit). L’université décide donc de pallier elle-même à ce manque en dispensant aux
plus jeunes de leurs élèves les « arts libéraux » (7) : dialectique, grammaire,
rhétorique ; arithmétique, astronomie, géométrie, musique).
6
Les Facultés « supérieures » : La médecine est pratiquée à Salerne dès le XIè siècle à
Salerne, mais ce n’est qu’en se répandant en Espagne puis à Montpellier au XIIè siècle
qu’elle développe comme une des disciplines maîtresses de l’université. La théologie
trouve très vite sa place à Paris, dès le XIIIè siècle (cf. Thomas d’Aquin). Quant au
droit, il est interdit jusqu’au XVIIè à Paris (par volonté du Pape), et s’installe donc à
Bologne dès le XIIè siècle (cf. le moine Gratien qui vers 1140 rédige son
Concordantia discordantium, qui préfigure comme le point de départ du droit canon).
Renaissance(XVè-XVIè)
On assiste à la Renaissance à une première autonomisation des sciences de la nature,
plus précisément de la cosmologie qui restait jusqu’alors l’apanage des systèmes
théologiques pour garantir l’interprétation créationniste du monde.
Du point de vue de la philosophie de la nature, la Renaissance est toujours aux prises
avec l’aristotélisme, le platonisme, le néo-platonisme et Galien. Mais là où la nature
restait subordonnée à la théologie au Moyen-Age, la Renaissance lui donne une
certaine autonomie. Le Sacré se décentre et change de sens : il ne vise plus à travers
les phénomènes le Créateur ; il s’adresse à la nature elle-même, saisie comme
puissance immanente qui règle du dedans le devenir du réel. Certains identifient Dieu
et la nature, mais la plupart reconnaissent une transcendance. La nature dispose de ses
propres lois. Du vitalisme d’inspiration platonicienne et aristotélicienne, on passe donc
à un mécanisme embryonnaire (cf. Marsile Ficin, Théologie platonicienne-1474).
Les catégories fondamentales de l’épistémologie sont celles de vie, d’activité,
d’évolution, d’unité organique (cf. Ramus, Scholae physicae-1564). Les êtres et les
choses sont unis par une communauté de vie unanime qui les relie à l’âme du monde.
Copernic : (De Revolutionibus orbium coelestium libri-1543) héliocentrisme, mais
poussé par une sorte de religion solaire, mêlé d’animisme aristotélicien, de
théologie astrale et de réminiscences pythagoriciennes => pas moderne (la
spéculation l’emporte sur l’observation).
Tycho Brahé (De nova et nullius aevi memoria a mundi exordio prius conspecta
stella-1573) la terre est le centre du monde, mais le soleil tout en étant l’axe de
rotation du reste des astres demeure satellite de la terre => pas plus moderne
que Copernic (voire moins), car il refuse les découvertes maîtresses de ce
dernier et refuse même certaines des siennes sous des prétextes théologiques
(ex. : son calcul de la distance des étoiles fixes à la terre lui paraissant trop
important, il l’abandonne).
Pic de la Mirandole (De hominis dignitate-1485 ; Heptaplus-1489 ; De ente et uno1492) il refuse le déterminisme astral au nom de la liberté humaine. La volonté
et le destin des hommes ne sauraient être gouvernés par des influences
extrinsèques. Mais il n’est toujours pas moderne, car il reste trop attaché à de
nombreux mythes comme en témoignent ses « 900 thèses ».
7
XVIè-XVIIIè
A l’époque moderne, entre le XVIè et le XVIIIè, c’est un système mécaniste de plus
en plus laïque qui s’impose (cf. le projet de l’Encyclopédie avec d’Alembert, Diderot,
etc.), fondé sur la méthode physico-mathématique. Cette méthode est la clé de
l’indépendance intellectuelle des sciences modernes, comme l’a bien compris
Descartes (la fameuse mathesis universalis).
Giordano Bruno : il opère une critique du platonisme et de l’aristotélisme, fondée sur
le développement des thèses de Copernic. Rejetant ce qui pouvait y avoir
d’archaïque chez ce dernier, il déduit toutes les conséquences de ses
découvertes et les enrichit des aspects positifs de la philosophie humaniste.
Pour lui la terre n’est pas le centre du monde. De plus, au-delà du système
solaire il existe d’autres astres et d’autres systèmes planétaires qui constituent
un monde infini. Or, deux réalités infinies (le monde et Dieu) ne pouvant
logiquement coexister, il les identifie.
(De la cause, du principe et de l’unité-1584 ; De l’infini, de l’univers et des
mondes-1585).
Kepler : les lois de Kepler sont des lois expérimentales décrivant le mouvement des
planètes autour du soleil
1. chaque planète décrit dans le sens direct une ellipse dont le soleil occupe un
des foyers
2. les aires décrites par le rayon vecteur allant du centre de la planète au centre
du soleil sont proportionnelles aux temps employés à les décrire
3. les carrés des temps des révolutions sidérales des planètes sont
proportionnelles aux cubes des grands axes de leurs orbites
(Astronomia nova-1609 [lois 1 et 2] ; Harmonices mundi-1619 [3è loi] ; Tables
Rudolphines-1627 [établit la position des planètes])
Galilée : affinant la méthode expérimentale (notamment grâce à l’invention de la
lunette à oculaire divergeant), c’est surtout pour l’introduction des
mathématiques dans la physique qu’on le retiendra (« le monde est de nature
mathématique »). Encore proche de l’aristotélisme en 1590, il étudie la chute des
corps dans le vide pour, en 1632, en tirer une loi marquante par son
indépendance à la masse et à la densité des corps. Il étudie aussi le pendule.
(De motu-1590 ; Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo-1632 ; Discorsi
e dimostrazioni matematiche intorno a due nuove sienze-1638).
Huygens : en astronomie, il invente une combinaison de lentilles et double la
longueur des lunettes astronomiques (ce qui lui permet de découvrir l’anneau
de saturne et son premier satellite Titan [1655], la rotation de Mars, etc.). Il est
le premier à indiquer que les étoiles sont d’autres soleils. Mais c’est surtout en
physique (mécanique et optique) qu’il fait ses plus importantes
découvertes (théorie du pendule composé, première extension de la dynamique
des systèmes matériels, utilisation du pendule comme régulateur du
mouvement des horloges, conception de la force centrifuge [1673], théorème
des forces vives, définition du moment d’inertie, théorie ondulatoire de la
lumière).
8
(De ratiociniis in ludo aleae-1656 [1er traité complet sur le calcul des
probabilités] ; Traité de la lumière-1678).
Newton : en mathématique, on lui doit le calcul infinitésimale ; en mécanique, les
gravitations universelles, la pesanteur terrestre et l’attraction entre les corps
célestes, ainsi qu’une définition des notions de masse et de force (Principes
mathématiques de philosophie naturelle-1687 [principe d’inertie,
proportionnalité de la force de l’accélération, égalité de l’action et de la
réaction]) ; en optique, la réalisation du premier télescope (1671) et une théorie
des couleurs fondée sur l’étude de la dispersion de la lumière blanche par le
prisme.
d’Holbach : il critique la religion et particulièrement le christianisme (trois reproches
fondamentaux : la religion est contraire à la raison ; elle empêche l’homme
d’accéder au bonheur ; elle favorise la tyrannie politique). Il nie l’existence de
Dieu, de l’âme et des idées innées. La matière existe de toute éternité
(caractérisée par l’étendue, la divisibilité et le mouvement). D’un point de vue
politique, il critique la monarchie de droit divin, les grands, le système féodal et
l’inégalité social.
(Histoire naturelle de la superstition-1768 ; Système de la nature-1770 ;
Politique naturelle-1773 ; Système sociale-1773 ; Morale Universelle-1776).
Romantisme (XIXè)
Avec la découverte de l’électricité, un nouveau champ empirique apparaît dès la
seconde moitié du XVIIIè siècle. Présente dans de nombreux phénomènes naturels, le
caractère spectaculaire des expériences qui la concerne enrichit le domaine scientifique
d’un imaginaire fascinant.
Mesmer : observant le magnétisme dans la nature et se basant sur le principe selon
lequel les planètes exercent une action directe sur toutes les parties des corps
animés, il applique celui-ci à des fins thérapeutiques.
(De l’influence des planètes sur le corps humain-1766 ; Mémoire sur la découverte du
magnétisme animal-1779)
Franklin : il signale l’existence d’une électricité atmosphérique dont les effets
expliquent le tonnerre et les éclairs (invention du paratonnerre en 1752).
Luigi Galvani : il observe (1771) que les muscles des cuisses d’une grenouille se
contractent sous l’influence électrique ; davantage, il constate que la contraction
se produit au contact d’un circuit métallique, sans intervention d’une source
électrique => l’organisme de la grenouille est lui-même la source en question.
(De viribus electricitatis in motu musculari-1791)
En Allemagne, la Naturphilosophie va rapidement synthétiser cette découverte avec
celle du magnétisme, comprise comme force latente de la nature. Outre l’apport de ces
découvertes pour l’avancée de la science en tant que telle, certaines disciplines,
directement ou indirectement liées aux phénomènes observés, vont voir ainsi le jour
9
(ex. : la psychiatrie). Elle suscitera d’emblée l’intérêt d’un jeune mouvement littéraire,
le « Frühromantismus » de Iena, connu pour sa revue éphémère l’Athenäum et la revue
de Schelling le Zeitschrift für spekulative Physik.
Les « Romantiques d’Iéna » : composé des écrivains A.W.V. Schlegel (Histoire de la
langue et de la poésie allemandes-1818-19), F. Schlegel (Histoire de la
littérature ancienne et moderne-1815), des poètes Hardenberg-Novalis, Tieck,
Hölderlin, et des philosophes Fichte et Schelling.
Le rêve va également inspirer les Romantiques. Il leur offre la possibilité d’une
dépossession, d’une migration de l’âme à l’intérieur même de l’expérience vécue
(signification eschatologique) ; elle autorise un exercice d’ontologie. Rien de commun
toute fois avec ce que Freud en fera. Pas question de l’expliquer par voie d’analyse. Le
romantisme ne veut nullement mécaniser le rêve en le ramenant à la simple conscience
(cf. H. Steffens, Karikaturen des Heiligsten-1819 ; J.W. Ritter, Fragmente aus dem
Nachlass eines junge Physikers-1810). Les Romantiques vont s’intéresser en
particulier aux phénomènes de semi-conscience, en développant des études liées au
« sommeil magnétique », comme dans les cas d’hypnose.
Annexe :
PLAN DES EXPOSES ULTERIEURS
2. L’émergence des Sciences Humaines
3. Les analyses de Dilthey
4. Le logocentrisme : (Goldmann/Foucault)
5. La pensée post-métaphysique comme accomplissement du logocentrisme
6. La nominalisation de la théorie de la signification
7. La déconnexion du paradigme mentaliste en philosophie (noétisation/ Rationalités limitées)
8. La fin des Sciences Humaines
10
Chapitre 2 : L’émergence des Sciences Humaines
Avec le romantisme militant et l’idéalisme allemand qui
symbolisent la nouvelle puissance européenne de la Prusse du Congrès de
Vienne, l’université moderne trouve ses fondateurs. On voit s’organiser
dans un souci d’unité et d’encyclopédie deux grands champs disciplinaires
encore arrimés aux Arts supérieurs hérités du Moyen Age. Ces champs
sont l’Histoire et les Sciences de la nature.
Quand, dans son Cours de Philosophie positive (1830-1842),
Auguste Comte entend fonder la nouvelle science de l’humanité, il la
comprend dans des termes proches de cette refondation allemande de
l’université. En effet, pour lui, la sociologie sera la science synthétique de
l’histoire entière de l’humanité permettant de saisir la réalisation
nécessaire de ce qu’il y a de meilleur dans la nature humaine à travers
l’ordre fondamental de toute société.
1. La nouvelle organisation de l’université
La Naturphilosophie est dès la fin du XVIIIè siècle (Schelling :
Esrter Entwurf zu einem System der Naturphilosophie, 1799) portée par le
projet d’une véritable révolution intellectuelle : arracher la nature au
mécanisme et … la replacer dans sa propre et libre évolution » (S.W. III,
p. 13). Gusdof tentera de la décrire plus largement encore comme une
sorte d’anthropo-cosmo-sophie, une conscience vive de l’unitotalité de
l’auto-manifestation de la vie absolue. C’est la bannière sous laquelle se
rallient tous ceux qui désirent voir l’alliance de la nature et de l’homme
célébrée par une encyclopédie de l’âme universelle.
La Naturphilosophie critique le découpage du domaine
épistémologique en provinces exclusives les unes des autres. Un nouveau
langage est à trouver dans le but d’une recherche de vérité unitive. Le
statut même de la science moderne est mis en question dans sa tâche de
division, de scission. C’est de cette inspiration que Schelling ressent le
besoin de fonder un nouvel espace pédagogique unifié (cf. ses Leçons sur
la méthode des études académiques-1802), c’est-à-dire où toutes les
perspectives convergent. Schelling vise pour ce faire la constitution d’une
« science originaire » (la philosophie) dont la doctrine embrasserait
l’Absolu que son système universel pourrait représenter.
Comme en témoigne le doctorat Honoris Causa en Médecine reçu
par Schelling à l’université de Landshut en 1802, la transformation des
sciences de la nature n’a pas encore entraîné une véritable réforme de
11
l’organisation sociale du savoir. Le système politique a, en effet, pris soin
de séparer les Académies savantes des structures d’enseignement
(secondaire et supérieure, telles le gymnase et l’université). C’est dans cet
esprit de séparation qu’il faut interpréter le célèbre texte de Kant sur les
Lumières. Le débat intellectuel doit être réservé aux cercles savants. S’il
faut envisager une division du savoir, c’est exclusivement sur la base des
finalités et des aptitudes : donner la formation pratique utile aux
différentes professions à caractère technique (économie et finances,
commerce, armée, eaux et forêts, agriculture, ponts et chaussées, arts) et
construire les fondations d’études supérieures plus poussées nécessitant
une ouverture à la culture générale pour les professions savantes :
théologie, droit, médecine et enseignement. Ces fondations doivent résider
dans l’apprentissage des langues et des civilisations anciennes. En avance
sur son époque, la Bavière fonde dès 1807 des lycées pratiques et des
lycées humanistes (Gymnasium) à Augsburg, puis à Nuremberg. Hegel
écrivit un rapport officiel sur ces structures d’enseignement dès 1810.
Il faut attendre cette même année 1810 pour voir se concrétiser un
projet d’enseignement universitaire qui va dans le sens de l’espace unifié
conçu par Schelling, toujours néanmoins sur le modèle des Facultés
supérieures. C’est, en effet, dans cette mouvance qu’est créée en 1810
l’université de Berlin qui devient un carrefour épistémologique, foyer des
convergences interdisciplinaires où le chercheur se découvre sujet et objet
de sa recherche. Le savoir romantique est une philosophie de la vie : la
biologie, l’organicisme romantique s’appliquent aussi bien à la culture
qu’à la nature, avec cette différence que la conscience, constitutive de
l’ordre humain, ouvre au champ épistémologique de nouvelles
dimensions. L’être humain possède la faculté de faire retour sur lui-même
et d’infléchir le sens de la marche. La mutation romantique des sciences
se définit par ce redoublement du savoir qui fait retour à l’envoyeur.
C’est dans cette perspective réflexive que les sciences humaines
pourront devenir concrètes ; elles ne sont pas simple dévoilement d’une
humanité, elles contribuent à un accomplissement, elles s’inscrivent dans
une destination de la science, dans une fonction sociale du savant (Fichte).
Dilthey est le dernier représentant de cette herméneutique
romantique. Il veut parvenir à une compréhension concrète de la vie en
l’interprétant comme un texte dont on tente de dégager les significations
[avec toujours la différence romantique qui veut que, dans le cas de la vie,
texte et lecteur coïncident]).
(cf. Dilthey [Einleitung in die Geisteswissenschaften-1883 ; Der Aufbau der
geschichtlichen Welt in den Geisteswissenschaft-1910).
12
Le Plan déductif de Fichte pour un établissement d’enseignement
supérieur à Berlin
(Texte de 1807)
« L’exigence fondamentale d’un tel plan est la complémentarité et la totalité organique
de l’encyclopédie » (FW VIII 133).
L’université est une « école de l’usage scientifique de l’entendement » (FW VIII 130)
PHILOSOPHIE
+ techniques de la compréhension et du raisonnement
[Philologie]
[Mathématique]
HISTOIRE de la formation et du développement des concepts
Fugitifs
durables
Évolution selon
les époques
Droit
connaissances stables
(Sciences de la nature)
Histoire générale
(dont histoire des
religions)
Anatomie
application
botanique
médicale
etc.
(institut autonome)
(concept
thérapeutique
positif de nature)
Il faut un enseignement autonome approfondi des sciences de la
nature. L’équipe enseignante sera donc composée d’un encyclopédiste de
la philosophie, d’un encyclopédiste de l’Histoire générale et d’un
encyclopédiste des sciences de la nature. On leur adjoindra un
encyclopédiste du droit Des comités seraient à nommer pour gérer les
compléments en philologie et en mathématique, pour déterminer le choix
des matières juridiques et celui de l’enseignant, pour instituer un
enseignement autonome de la médecine capable de continuer à informer
l’université de ses observations. Eventuellement, la théologie dans sa
forme catéchétique pourrait être aussi confiée à un institut autonome ayant
pour mission de former en cette matière les instituteurs (FW VIII 140). Ce
serait la tache d’un quatrième comité indépendant constitué de théologiens
et de pasteurs qualifiés.
13
Plan de Schelling proposé dans ses Leçons sur les études académiques en
1802 (Iéna)
Principe : l’université est fondée sur la connexion de toutes les sciences entre elles et
elle en est l’organisation extérieure (SW V, p. 74)
Base : Philosophie comme science de l’identité absolue du général et du particulier
(SW V 255)
= caractère unique du Collegium Artium
dont les maîtres ne sont pas des doctores qui ont prêtés
serment à l’Etat en échange de privilèges
PHILOSOPHIE
HISTOIRE
Côté idéel
(devenir spirituel
du sujet fini)
SCIENCES DE LA NATURE
Côté réel
(devenir matériel
du savoir infini)
production des lois
INSTITUTION JURIDIQUE
production de l’expérimentation
INSTITUTION MEDICALE
Construction historique
du christianisme
Signification spéculative
du christianisme
(religion de la nature)
Il faut une science générale des corps dans
leur construction historique (procès
dynamique universel) et une science
générale de la nature organique ou du
vivant
1/ magnétisme, électricité, chimie
2/ reproduction, action autonome,
auto-intuition
(l’être organique contient la possibilité
infinie de soi-même comme individu ou
comme espèce) SW V 339
Nécessité d’une théorie des Beaux-Arts
14
2. La dissociation des sciences en sciences de la nature et en sciences de
l’homme ou de la culture
C’est Dilthey qui permet de penser la nécessaire dissociation des
sciences humaines et des sciences de la culture. Son raisonnement
s’appuye d’abord sur un constat qui adopte la perspective historique
générale de la réforme moderne de l’organisation du savoir : si l’histoire
des sciences de la nature s’est déjà clairement établie en 1875, on ne peut
en dire autant de l’histoire des sciences humaines. Cet état de chose tient à
deux raisons : l’une est externe et l’autre est interne. La raison externe
réside dans la subordination de l’étude des phénomènes spirituels à la
connaissance de la nature. La raison interne est la difficulté
épistémologique spécifique à l’étude de l’histoire des mouvements
spirituels : l’individu est l’élément microscopique d’une totalité qui le
dépasse infiniment, mais dans laquelle, en même temps, il est capable
d’agir avec conscience en reproduisant, de manière limitée, par sa
perception interne, les états et processus qui composent les divers aspects
de la vie sociale.
« L’individu est simultanément un élément au sein des interactions sociales, un
point de croisement pour les divers systèmes de ces interactions, réagissant, par
l’orientation consciente qu’il donne à sa volonté et par son action, aux
influences de ces systèmes – et d’autre part une intelligence capable
d’intuitionner et d’explorer » (p. 63/77).
Chaque science humaine se forme progressivement à travers
l’apparition d’abord d’entendements logiquement formés qui tentent
d’améliorer le système de la vie sociale. Puis apparaissent des réflexions
théoriques autonomes (par rapport aux fins pratiques) menée dans un
esprit d’analyse. Cette analyse générale doit s’établir sur un mode
historiographique et rassembler toutes les classes de faits susceptibles
d’être rapportées au dénominateur commun de la langue et de la pratique,
les faits psychophysiques. Mais cette analyse n’a de sens que située
historiquement, comme une tache devenue nécessaire dans le cours même
du développement de la société humaine, puisque les sciences humaines
n’ont de sens qu’en rapport avec ce fait vivant de l’existence sociale à
travers la description qu’elles en donnent.
« C’est ainsi que le grand procès de différenciation de la société qui a donné à
cette dernière une structure formidablement complexe portait en lui-même les
conditions et en même temps les besoins en fonction desquels un domaine de la
vie sociale, devenu relativement autonome, pouvait se refléter dans une
théorie » (39/196).
15
2.1. La dissociation version Dilthey
En distinguant sciences de l’esprit « Geisteswissenschaften » (sciences sociales) et
sciences de la nature « Naturwissenschaft », Dilthey s’attaque au dualisme kantien de
l’existence et de la valeur qui ne voit pas que les valeurs sont immanentes à l’existence
et interagissent, et donc ne peut aborder les sciences de l’esprit autrement que comme
des constructions phénoménales. Dilthey se propose alors de fonder les différentes
sciences de l’esprit. Ce fondement, c’est la psychologie. Mais la psychologie n’est pas
une sorte de science première (il la limite d’ailleurs à la description et à l’analyse des
liens présents dans la conscience). Elle est ce qui rend possible l’universalisation du
point de départ de la réflexion de chacune des différentes sciences.
Le rapport entre les sciences de l’esprit est un rapport de soutien. Chacune d’elles
n’épuise pas le traitement de l’être humain. Elles ont chacune une fonction pour
l’individu. Elles sont mutuellement leur condition d’existence. Il faut distinguer parmi
ces différents systèmes fonctionnels partiels des structures :
° celles qui relèvent des « systèmes culturels » : représentent l’ensemble des fins
auquel les individus participent librement
° celles qui concourent à « l’organisation de la société » : désignent les organes
institutionnels et les sanctions positives reliant les individus aux groupes.
Les sciences de l’esprit doivent considérer ces 2 structures. Cela signifie, p.e. pour
l’étude du droit, qu’il faut tenir compte aussi bien du droit naturel qui obéit à une loi
supérieure que du droit positif. (Rmq. : les sciences de l’esprit étant elles aussi une
abstraction, elles doivent reconnaître la place légitime de l’art et de la poésie, qui
expriment tout notre rapport à la nature macrocosmique)
Cf. Introduction aux sciences de l’esprit-1883
2.2. L’autonomisation dans le fractionnement disciplinaire
Pour avoir une vue d’ensemble de l’institutionnalisation progressive des différentes
sciences humaines, il faut procéder par secteur, car chaque discipline a du conquérir
son territoire académique.
Comme l’ont attesté les plans d’enseignement de Schelling et de Fichte, c’est l’histoire
qui a servi de moteur à l’émancipation des sciences humaines. Mais comme l’a
souligné Dilthey, cette émancipation n’a pas été immédiatement suivie d’effet par
manque de structuration méthodologique du nouveau champ encore trop épars.
Histoire
Avant la révolution, l’histoire n’avait pas sa place dans l’enseignement.
Elle n’était qu’une histoire événementielle, chronologie ou généalogie. Il
va s’agir avec le XIXè siècle d’en faire au contraire une science au même
titre que les autres, formant le jugement et l’empêchant de se laisser aller
au gré des événements (cf. Destutt de Tracy).
Cf. Volney Leçons d’histoire (1794), en guise d’inauguration de la
chaire d’histoire de l’Ecole Normale
Daunou Cours d’études historiques (1842-48)
Michelet Introduction à l’histoire universelle (1831) ; Histoire de la
Révolution française (1847) ; Histoire du XIXè siècle (1872-75)
16
Eu égard au rôle joué par l’autonomisation de l’histoire comme discipline inaugurale
du champ des sciences humaines, la situation de l’anthropologie est caractéristique.
Elle reste complètement indexée à ses origines à la méthodologie des sciences de la
nature.
Anthropologie/Ethnographie
L’origine de ces disciplines remonte en 1749 lorsque Gottfried Achenwall
fonde, à Goettingen, le premier enseignement de statistique. En 1772,
August Ludwig Schlözer évoque pour la première fois l’ethnographie (cf.
Vorstellung seiner Universalgeschichte-1772).
Herder (cf. Idées sur la philosophie de l’histoire de l’humanité1784-91) utilise le terme « Naturvölker » (1784), renvoyant à une
idéologie opposant nature et culture, supposant les peuples
« sauvages » plus proches de la nature que les peuples « civilisés ».
Jauffret (cf. Introduction aux mémoires de la Société des
Observateurs de l’Homme-1803)
Mais c’est à Armand de Quatrefages de Bréau que l’on doit en
1855 la première chaire d’anthropologie (Musée d’histoire naturelle
de l’homme à Paris). Il définit d’ailleurs cette discipline comme
l’histoire naturelles de l’homme.
Broca fonde à sa suite la Société, la Revue et l’Ecole
d’anthropologie (1859). L’anthropologie regroupe alors la biologie,
la médecine, mais aussi la démographie, les mœurs, les langues, les
religions, etc.
On observe le même phénomène de dépendance dans la sociologie naissante à l’égard
de la méthodologie des sciences de la nature. La sociologie commence à prendre consistance
au XVIIIè siècle dans le cadre d’examens à prétention scientifique sur les faits sociaux. On ne
parlait guère à cette époque de faits sociaux, mais de faits politiques. Durkheim traduit
d’ailleurs encore parfois dans certains de ses textes le mot « sociologie » par l’expression
« scientia politica ».
Sociologie
La démarche sociologique qui naît au XVIIIè siècle, mais qui ne trouvera sa formulation
la plus nette qu’un siècle plus tard, cherche à expliquer scientifiquement les processus
sociaux en se détachant progressivement d’un certain fatalisme, qui décrète
l’accomplissement inéluctable d’une destinée. Une telle quête n’exclut pas pour autant la
découverte de lois analogues à celles qui régissent l’ordre de la nature biologique,
chimique ou physique.
Adolphe Quételet (cf. Essai de physique sociale-1835), en utilisant les
statistiques, essaie de dégager les régularités en matière de faits criminels.
Frédéric Le Play (cf. L’ouvrier européen-1855) mène des investigations dans
toute l’Europe pour étudier les familles populaires. Alors que ses prédécesseurs se
limitaient à préconiser la quantification des phénomènes, il accompagne ses
observations d’une réflexion méthodologique.
Saint-Simon propose ensuite d’appeler « physiologie sociale » la nouvelle
discipline qui a pour objet d’étudier la société à partir de l’observation des faits
pour en tirer des lois.
C’est à Herbert Spencer (cf. Introduction à la science sociale-1873 ; Principes de
sociologie-1876-96) que l’on doit d’avoir écrit le premier grand traité général de
sociologie. Il y développe une idée maîtresse : celle d’une évolution sociale
identique à l’évolution biologique qui va du simple au complexe, de l’homogène
17
au différencié
Psychologie
Dans ce contexte, c’est la psychologie qui est la première à obtenir son indépendance.
Wilhem Wundt est le premier a avoir fait exister la psychologie en tant que discipline
autonome par la création en 1879 de son laboratoire de psychologie (« Institut de psychologie
expérimentale »), où il reçoit de nombreux étudiants du monde entier (cf. Eléments de
psychologie physiologique – 1873-74).
Mais Wundt était d’abord un philosophe. Il occupera la chaire de philosophie à Leipzig
de 1875 à 1917. Ce qu’il désirait par dessus tout, c’était d’ailleurs fonder un Système de
philosophie (1889). Néanmoins, il tenait à déterminer pour la psychologie une place distincte
à l’intérieur de son système des sciences. Il voulait donc, dans un même mouvement,
autonomiser la psychologie de la philosophie, tout en lui refusant de rompre tous ses liens
avec cette dernière.
Son laboratoire est d’abord une très petite unité qui devra attendre 1885 pour être
reconnue par l’université, et 1897 pour occuper tout un bâtiment. Sa spécificité est que pour la
première fois les recherches ne sont pas menées par des chercheurs de façon isolée, mais
collectivement (avec la participation des étudiants).
Sociologie
En sociologie, l’impulsion décisive sera donnée, à l’approche du XXè siècle, par Emile
Durkheim et Max Weber. Avec des méthodes théoriques dissemblables, tous deux légitiment
une démarche scientifique selon laquelle les phénomènes sociaux doivent être appréhendés de
manière objective et spécifique.
Pour Emile Durkheim, la sociologie doit être considérée comme une science à part
entière dotée de son propre objet d’étude : ce sera le fait social, défini comme une manière
d’agir, de penser ou de sentir, extérieure à l’individu et qui s’impose à lui. En outre, la
sociologie doit rompre avec les catégories de la pensée habituelles et spontanées qu’il appelle
les prénotions. Le sociologue doit s’interdire de reprendre ces interprétations à son compte :
sa méthode d’analyse doit consister à « traiter les faits sociaux comme des choses », c’est-àdire à les étudier comme des phénomènes extérieurs à l’individu (cf. Le suicide-1897).
Durkheim ambitionne aussi de dégager des lois générales de développement des sociétés (cf.
De la division du travail social-1893). En adoptant une perspective évolutionniste, il aboutit à
la conclusion que la société passe d’un état de solidarité « mécanique », à forte conscience
collective, à un état de solidarité « organique », où la cohésion sociale repose sur le progrès de
la division du travail, sur la spécialisation de plus en plus forte des fonctions et sur la
complémentarité des rôles qui caractérisent la société moderne.
Max Weber, quant à lui, privilégie la compréhension des actions et motivations
individuelles, celles qui sont connues des individus eux-mêmes et celles qui sont révélées par
le sociologue. Les individus sont considérés comme des êtres rationnels qui défendent leurs
intérêts (cf. L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme-1904). L’individu est l’unité de
base qui participe à la vie sociale en alignant ses comportements sur celui des autres. Pour
Weber, la sociologie doit donc considérer la société comme la conjugaison des actions
18
individuelles et doit inclure la part de subjectivité des acteurs dans l’analyse des phénomènes.
C’est une sociologie compréhensive dans la mesure où cette science doit découvrir les valeurs
que les individus investissent dans leurs actions.
Economie
Le développement de la science économique est plus complexe. Le XIXè siècle est
évidemment marqué par les théories libérales en économie. Mais ce libéralisme reste encore
très interne aux différentes Nations.
Dans ce domaine, trois grandes tendances vont se manifester dès le XVIIIè siècle :
▪ le libéralisme (Smith, Ricardo) trouvant son origine dans l’école
physiocratique,
Adam Smith : l’intérêt personnel est à l’origine de toute activité
économique, et l’intérêt général n’est à considérer que comme la
somme des intérêts personnels (cf. Recherches sur la nature et les
causes de la richesse des nations-1776).
Ricardo : il travail surtout sur la répartition des richesses, mais sans
renier les enseignements d’Adam Smith (cf. Des principes de
l’économie politique et de l’impôt-1817).
▪ l’interventionnisme (Sismondi) inspiré par le mercantilisme,
Sismondi : il fait intervenir la notion de bonheur en économie (cf.
Nouveaux principes d’économie politique-1837).
▪ et le socialisme (Marx, Engels) puisant aux sources des moralistes du XVIè et
XVIIè siècle.
Marx (Le Capital-1867 ; Manifeste du parti communiste-1848 [coécrit
avec Engels])
La physiocratie ou « gouvernement de la nature » se pose essentiellement en
opposition au mercantilisme. Reposant sur les prémisses philosophiques empruntées
partiellement au sensualisme anglais, les physiocrates français se sont rassemblés
autour de la figure de Quesnay. Toutefois, à l’orthodoxie physiocratique défendue
entre autre par Dupont de Nemours (cf. Physiocratie-1767 ; Origine et progrès d’une
science nouvelle-1768 ; Table raisonnée des principes de l’économie politique-1773)
s’est opposée une pensée hérétique représentée par Gournay et surtout Turgot ( cf.
Réflexions sur la formation et la distribution des richesses-1776) dont les thèses
nuancées font la transition entre la physiocratie et l’école classique anglaise (Adam
Smith).
Pour les Physiocrates, l’ordre en économie est uniquement un ordre de la
quantité. La richesse est matière. Ils ne reconnaissent pas en elle une résultante de la
qualité sociale qu’est l’utilité. La primauté, avec eux, est donnée à l’agriculture d’après
leur tendance à sacraliser la terre, faisant par là de la propriété foncière une institution
d’origine divine (la propriété est un droit naturel !). Ce qui d’ailleurs explique leur
attache au régime monarchique héréditaire, au despotisme éclairé.
Cf. Quesnay et son Tableau économique (1758) : première tentative réalisée pour
donner une représentation chiffrée des ajustements globaux de quantités économiques
=> précurseur de la représentation de l’activité économique en termes de flux (liée dans
la recherche actuelle à l’analyse macro-économique).
19
Au niveau des relations internationales, c’est le mercantilisme surtout qui s’impose. Il
recommande l’autarcie et l’exportation, et n’admet l’importation qu’en cas de nécessité
(c’est-à-dire pour les besoins de l’exportation ou du développement de l’industrie
intérieure). Il part du principe que le commerce se fait toujours au détriment de l’un des
échangeurs et que la saine politique de l’Etat consiste à l’accumulation de numéraire.
C’est le capitalisme industriel anglais, en avance sur les autres, qui obtient le premier la
levée des barrières douanières par l’abolition des lois sur les céréales (1846) et de l’Acte
de navigation (1850). L’abandon du protectionnisme se marque en France par la
signature (1860) du traité de commerce franco-britannique. Mais les lois de Méline de
1881 (sur les produits de l’agriculture) et de 1892 (sur le double tarif douanier)
réinstaurent des droits protecteurs.
Le marxisme est la première orientation en économie à tenter de fournir une explication
théorique de l’évolution du capitalisme comme système d’organisation des rapports de
production dans la société. Ses analyses vont cependant au-delà d’une mise en évidence
des contradictions internes à la logique d’accumulation capitaliste de la richesse. A
partir ce qu’il nomme une « intelligence théorique de l’histoire » (1845), il dévoile aussi
ce qui constitue, selon lui, le mécanisme explicatif du fonctionnement social, à savoir
l’existence de classes sociales et leur lutte pour l’appropriation des richesses.
Entre Histoire et Sociologie
En France, à la fin du XIXè et au début du XXè siècle, le débat entre l’histoire et la
sociologie a pris une tournure plus dramatique et durable qu’en Allemagne ou en Italie,
en raison sans doute de la personnalité des acteurs et de la position institutionnelle des
disciplines.
Les historiens de l’école méthodique occupent dans la France de la Troisième
République une position privilégiée : ils accaparent les chaires les plus prestigieuses,
exercent une influence dans les commissions ministérielles, dans les maisons d’édition,
font l’apologie du régime républicain. Ils sont d’autant plus dans cette position
dominante que, tout au long du XIXè siècle, l’Etat a favorisé l’histoire par la fondation
d’institutions (le Comité des Travaux historiques en 1834, la Commission des
monuments historiques en 1837, l’Ecole française d’Athènes en 1846, l’Ecole française
de Rome en 1873, etc.), par la création de postes d’historiens fonctionnaires, par des
aides financières à la publication. Les historiens de l’école méthodique utilisent
pleinement l’Etat providence qui se fait lui-même historien.
Face à la position institutionnelle et intellectuelle de l’histoire, la sociologie naissante
doit s’affirmer. Emile Durkheim, nommé à la faculté des Lettres de Bordeaux, en 1887,
réussit à imposer progressivement la sociologie au sein de l’université, au prix
d’affrontements avec ses rivaux des autres sciences sociales. En effet, le débat entre les
durkheimiens et les historiens de l’école méthodique prend un caractère stratégique
puisque chaque camp revendiquait une position hégémonique dans le champ des
sciences sociales, la controverse ne se réduisant pas à une simple question de frontières
mais plutôt au droit à l’existence des deux disciplines au sein de l’université. Au plan
institutionnel, le débat annonce la période de crise de l’historiographie française de
l’entre-deux-guerre et la volonté politique de rééquilibrage des sciences de l’homme et
20
de la société dans des structures nouvelles de recherche extra-universitaire. C’est ainsi
que l’histoire et les autres sciences sociales seront accueillies dans la IVè section de la
Caisse des Recherches scientifiques créée en 1921 et qui, en fusionnant en 1935 avec la
Caisse Nationale des Sciences, donnera naissance, en 1938, à la Caisse nationale de la
recherche scientifique, ancêtre du CNRS.
Si cet aspect stratégique est patent, c’est au plan méthodique que la controverse mobilisa
les énergies des protagonistes au point de devenir un affrontement de deux disciplines.
Aux historiens méthodistes qui se fixent comme objectif de faire une histoire
scientifique par l’établissement de « faits isolés et épars », révélés par des traces
indirectes, les durkheimiens opposent la nécessité de la régularité pour étudier les
phénomènes sociaux : « si les sciences s’intéressent au particulier, c’est pour s’élever au
général, pour constituer des types et des lois ». Le débat qui s’instaure sur la nature
scientifique des disciplines dérive rapidement sur la méthode et la définition de
l’explication en histoire. Les durkheimiens critiquent la conception historienne en
arguant de l’impossibilité d’établir des causes à des phénomènes uniques et contingents.
Les historiens en retour reprochent aux sociologues de manier des abstractions et
d’isoler de leur contexte historique les phénomènes qu’ils se proposent d’étudier.
Anthropologie/Ethnologie
Si la description ethnographique caractérise la première étape de la recherche,
l’ethnologie pour certains, l’anthropologie pour d’autres, sera celle de l’explication des
coutumes, des institutions, celle de la synthèse, souvent par méthode comparative. C’est
à ce niveau de la démarche qu’apparaissent les techniques ou les approches différentes
des chercheurs. Chaque type d’explication ressortit à une école de pensée propre
(souvent relative au pays d’origine du chercheur), tout comme la différence, s’il en
existe une, entre ethnologie et anthropologie.
Toutefois, en France tout comme dans les pays anglo-saxons, c’est le terme
« anthropologie » qui tend à prendre le dessus. Pourtant l’école française a longtemps
maintenu l’usage du mot ethnologie pour des raisons institutionnelles et académiques.
L’enseignement de la discipline se développe à partir de 1927 au sein de l’Institut
d’ethnologie du musée de l’Homme à Paris, enseignement qui comprend à la fois de
l’anthropologie physique, de la technologie, de la préhistoire, de la linguistique et de
l’ethnologie proprement dite. De plus, l’Institut dépend administrativement du Muséum
d’histoire naturelle, résultat institutionnel qui considère l’anthropologie comme une
branche de l’histoire naturelle. Mais cette tendance s’estompe sous l’effet de multiples
facteurs : mise en cause de l’existence de la réalité scientifique de la race, image de plus
en plus péjorative de l’ethnologie dénoncée comme science du primitif ayant justifié la
colonisation, influence progressive de la terminologie anglo-saxonne (ethnology se
rapporte en anglais davantage à une étude de type strictement historique, tandis que
anthropology définit une science globale cherchant à reconstituer le fonctionnement
d’une société dans son ensemble), etc. [rmq : une différence est toutefois envisagée
entre les deux, l’ethnologie s’occupant de l’homme dans ses institutions, organisations,
croyances techniques, etc., l’anthropologie étudiant l’homme en un sens (celui de LévyStrauss) plus large].
21
Il ne faut pas non plus perdre de vue que l’institutionnalisation de l’anthropologie fut
compliquée par les nombreuses ramifications qu’elle a toujours eues avec les autre sciences
sociales dont elle s’est nourrie et qu’elle enrichit.
Orientalisme
Au Moyen-Age, les 2 seules langues orientales connues sont l’arabe et l’hébreu.
En 1622 (Rome) : fondation du Collège pour la propagation de la foi. Les
missionnaires commencent alors à fournir aux études orientales des documents
précieux.
XVIIè : les jésuites révèlent au monde occidental les langues et la civilisation de la
Chine et du Japon.
Colbert ouvre l’Ecole de Jeunes de langues, destinée à former des interprètes pour le
Levant. On commence à étudier le persan et le turc, et les contes orientaux sont en
vogue (cf. traduction des Mille et une nuits par Galland, les Lettres persanes, etc.).
Enfin, la conquête de l’Inde amène la découverte du sanskrit.
XVIIIè : Anquettil-Duperron découvre l’Avesta et ses traductions en pahlavi. Puis
avec l’expédition de Bonaparte en Egypte (1798-1799), multiplication des
connaissances sur l’Orient et enrichissement des collections des musées.
En France, création des revues Journal asiatique et Syria. Et la Bibliotheca orientalis
(Leyde) donne des comptes rendus d’ouvrages marquants qui paraissent dans le
domaine de l’orientalisme.
L’institut national des langues et civilisations orientales est fondé à Paris
(enseignement des principales langues orientales et slaves). Et la recherche orientaliste
est enseignée à l’Ecole pratique des hautes études et au Collège de France.
22
Archéologie
C’est d’abord au XVIIIè siècle que l’archéologie trouve un regain d’intérêt sous
l’impulsion des Encyclopédistes (influençant beaucoup l’art et la littérature de
l’époque). Les voyages se multiplient faisant croître le nombre de publications en la
matière. Mais les domaines de prédilection, sauf à de rares exceptions, restent encore les
mondes grec et romain.
Avec le XIXè siècle, on voit apparaître une nouvelle forme d’archéologie :
professionnelle et allant en se spécialisant de plus en plus. La recherche en archéologie
s’éclate en des domaines spécialisés qui se développent parallèlement (voire même
indépendamment). Elle s’institutionnalise aussi comme jamais auparavant (création
d’école, d’institut, de chaires universitaires, etc.).
Ex. : L’Egyptologie (cf. expédition Bonaparte et sa Description de l’Egypte
[1809] ; Champollion qui en 1822 déchiffre la pierre de Rosette),
l’Assyriologie, l’Archéologie orientale, sud-américaine, etc., mais aussi la
Préhistoire inaugurée en 1847 par Boucher de Perthes (Antiquités celtiques et
antédiluviennes)
Toutefois, si les diverses orientations de l’archéologie se construisent au XIXè comme
distinctes les unes des autres, elles fait constamment usage des acquis des autres
sciences (géologie, paléontologie, biologie, botanique, etc.). Davantage, elles viennent à
s’en nourrir tout en les complétant (ex. : leur interaction avec la philologie qui lui fournit
des explications textuelles tout en recevant d’elles certaines confirmations matérielles).
23