Analyse ergologique d`oeuvres

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Analyse ergologique d`oeuvres
Analyse ergologique d'oeuvres
Analyses et commentaires à titre d'exemples : les analyses ont été faites par une étudiante en
Master 1, novembre 2010 ; les commentaires sont ceux que m'inspire l'ergologie , dont la
productivité de la technique.
NB: le surlignage jaune correspond à des points reformulés
La productivité technique du matériau
Dans mon travail, j'utilise de la terre. Je suis soumise à la
contrainte de l’évaporation de l'eau, à la souplesse et la rigidité
du matériau. Je provoque des fissures avec une source de
chaleur, ainsi les fissures démontrent le pouvoir du matériau
parce que l’évaporation brusque de l'eau va agir sur la
souplesse et la rigidité de l'argile.
Je ne parlerais pas de rigidité de l'argile, qui s'oppose à la souplesse, utilisée dans le pliage mais je
reconnais que nous n'avons pas tous la même technique. La rigidité est élaborée dans la plaque qui
s'oppose à la feuille qui présente un pouvoir de souplesse.
Ceci dit votre expérimentation est intéressante parce qu'elle met en évidence un matériau que le
constructeur subit: la dureté de la terre qui a séché opposé à celui de la terre docile et molle. La
photo montre une terre polychrome: la fracture causée par l'intervention d'une source de chaleur
fait valoir le pouvoir durcissant de la terre parce que sa forme est accentuée, mise en valeur (au lieu
d'être subie) par ces couleurs qui tantôt s'arrêtent à l'endroit de la cassure , tantôt marquent la
masse blanche de l'autre côté.
Pouvoir et contre-pouvoir
Dans cet exemple, le nu descend l'escalier (Duchamp), on voit dans la première
peinture que les couleurs sont dans les tons marron et dans la deuxième, dans le
gris. Ce changement est dû au fait que la deuxième a été peinte sur papier photo.
Dans ce cas le papier photo a agi sous l’œuvre et a transformé les couleurs de tons
marron en tons gris. Ainsi on démontre le pouvoir du matériau dans l’œuvre.
La transformation des teintes par le vieillissement de la photo n'est pas ici productive car elle
n'apporte pas de supplément significatif à la valeur de la photo. On peut donc parler d'un contrepouvoir à propos de ce matériau qu'est le pouvoir changeant de la couleur dès lors qu'elle est
exposée à la lumière. La fixité des teintes en photographie couleur est un problème pratique car elle
est difficilement assurée bien que la technique limite leur évolution (inefficacité de la technique)...
L’outil l’instrument
Dans mon travail, j’utilise des moules, des outils, et mes mains
qui fabriquent des empreintes de mes pièces. L’instrumentation
(la préparation, la fabrication des moules) rend le travail difficile,
mais l’utilisation outillée du matériel technique me facilite les
manipulations.
Imaginons un moule qui soit rigide, comme un moule de plâtre: il aurait fallu le casser pour extraire
l'empreinte ; ce qui n'est pas le cas s'agissant d'un moule qui se coupe facilement, du fait même de
son matériau de tendreté, en deux parties symétriques.
L'instrumentation est un rapport attentif à la chose à faire ; elle est dans la contrainte de réaliser le
moule le plus fidèle possible et d'élaborer la pâte de liquidité optimum. L'outil est un rapport au
fonctionnement technique tel qu'il suffit de disposer du moule et de pâte durcissante pour que la
chose se fasse, en quelque sorte « toute seule ».
L'outil et l'instrument
Dans ce travail de Man Ray, la préparation du modèle correspond à
l'instrumentation, elle a pris plus de temps que le click de l’appareil
photo, qui montre l’outil.
La préparation du modèle pour produire le modelé fait ressortir en effet la part de
l'instrument dans ce travail de la photographie qui fait appel au vêtement, bien que
réduit en l'occurrence!
Productivité dynamique et objet/trajet
Le travail d’André GUNZINGER met en évidence la technique
d’écriture avec une machine: ainsi l’écriture devient un travail léger
en compagnie de la machine. Dans cette œuvre, il montre l’évolution
d’une machine à écrire en ordinateur, chose qui n’était pas prévue
lors de l'invention de la machine à écrire.
Le réemploi du clavier dans le rapport à l'ordinateur montre effectivement le
potentiel évolutif du dispositif (ici, de frappe) qui peut être combiné à une autre
machine électromagnétique et non plus seulement d'impression. Je parlerais
d'une productivité dynamique puisque c'est le matériel de l'art qui accroît de façon inattendue le
rendement de la production et les conditions de vie de chacun s'en trouvent secondairement
modifiées.
Un autre fait est mis en évidence par Gunzinger, à savoir l'uniformisation des deux matériels par le
recours à une seule matière: l'intégration du clavier à l'écran n'en est que plus évidente, en
représentation seulement! La distance qui sépare l'objet du trajet est ici flagrante!
Productivité dynamique et complémentarité
Dans mon travail, je mets des formes identiques
ensemble pour les réunir et les séparer. Avec ce
processus je présente chacune des pièces en accord et
en désaccord. La liberté de manipulation fabrique une
production par excès parce que l’œuvre peut être
composée différemment à l’ infini. Le contenu devient le
contenant, la pièce verticale devient horizontale. Ces
trois pièces, de couleurs différentes forment en réalité une seule. Cette pièce
produit un sens en elle-même. L’argile est pratique parce que la matière est facile à
manipuler, tous les ustensiles sont adaptés pour la travailler. L’argile est magique
parce qu’elle prend toutes les formes. L’argile est plastique parce qu’elle fait ellemême, elle est molle ou dure en fonction de la quantité d’eau.
Bien que l'argile soit employée, ce qui avantage pratiquement le travail de façonnage, le fait principal
tient au réemploi à l'identique du produit dans le matériel. Ceci montre l'enchaînement ordinaire des
moyens et des fins dans les actions que nous effectuons: tel moyen , contenant devient fin, contenu
par une action d'encastrement de l'un dans l'autre. Cette action fait aussi valoir la complémentarité
entre engins (creux et pleins se complétant). Ce fait technique de complémentarité est exploité
pratiquement dans le rangement (dynamique) puisque l'ensemble prend alors moins de place.
L'aplatissement par des dispositifs différents
Dans ces exemples on voit comment la technique
réalise un aplat. Chez Matisse le plan est travaillé
avant, par la peinture préalable du papier ensuite
découpé pour une représentation en 2d. La
préoccupation n'est pas de montrer le volume, mais
avec sa planification on devine que le sujet est un
corps d’une femme. Chez Warhol, la technique
supprime la 3d et les œuvres deviennent plates.
Ces deux documents montrent qu'on peut obtenir des aplats en recourant à des dispositifs
différents: c'est un cas de synergie, analogue à la synonymie, puisque deux dispositifs différents
produisent le même service, l'aplat.
La production de la technique
Dans cette pièce, la technique apporte des solutions
pour emmêler les bandes d’argile entre elles, mais le
problème est que l’argile trop fragile et les bandes trop
fines, des ruptures se produisent très facilement et l’œuvre n’existe plus. La
technique apporte des solutions mais aussi ses problèmes.
A la différence des lanières, les bandes d'argile ne peuvent participer à un dispositif de tension par
nouage: la fragilité les exclut de ce matériel. En revanche, ce fait montre notre impuissance: la
fragilité n'est donc un contre-pouvoir que pour celui qui attend pratiquement de la résistance. Or
l'activité de production d'image n'attend au bout du compte qu'une représentation. Conclusion: ce
qui est inutile dans une industrie dynamique peut être utile dans une perspective déictique.
Ce qui se produit par la photo et ce qu'on veut produire en peinture
Le travail de Klein, utilise des corps de femmes comme
machine pour des actions d'empreintes. La femme
intervient par ses formes et ses gestes dans l’œuvre.
Dans la photo de droite, Il peint en blanc les contours
des corps humains pour cacher les parasites, mais le
bleu du deuxième plan est toujours visible, ce parasite intervient dans
l’œuvre et change le message principal.
Vous vous intéressez à un fait qui peut paraître secondaire à première vue mais qui est le problème
pratique du photographe qui doit présenter du bleu sur fond blanc. Dans le cas particulier de Yves
Klein, on peut hésiter à vouloir que le bleu ne gagne pas toute la surface de la photo parce qu'il
voulait que son bleu ait une action réelle sur le spectateur par diffusion de son rayonnement.
Productivité déictique de la technique
On peut voir la pièce pleine ou vide ; la pièce ouverte vers
le haut ou vers le bas [cela est important]; dans le même
temps, on peut voir différents aspects de la pièce si on
tourne autour, tous se ressemblent [cela est négligeable] .
Le fait que la technique ne peut gérer que ce que son dispositif assure est principal: il met en
évidence son inefficacité fondamentale. La photographie produit une réalité plane qui ne peut
permettre de distinguer absolument le creux du relief.
En même temps on mesure l'aveuglement de la technique dans le regard ordinaire puisque
l’intelligence des dispositifs réduit l'interprétation des choses ouvrées aux modes d’emploi que le
constructeur connaît: le remplissage ou le versage.

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