1eres Une vie de Pintade à Paris
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1eres Une vie de Pintade à Paris
Une vie de Pintade à Paris La night La nuit, enfin, la night, comme on dit ici, un monde en soi, avec ses codes, ses règles et évidemment avec ses tribus. Au fait, pour info, en anglais, on ne dit pas « the night », on dit « nightlife », comme dans « vie nocturne », mais bon, c’est juste une digression. Parce que honnêtement, que ce soit la nuit, la night, la nightlife, la vie nocturne, ce qui compte c’est d’en être ou pas. Être un insider, un « du dedans », avec code d’accès, mot de passe, login, trousseau de clés. Quelques règles de base qu’on avait bien comprises : venir à douze mecs un samedi soir vers 1 h 30 du matin, c’est pas une bonne idée. Mais il y a évidemment des règles bien plus subtiles que ça… Tellement subtiles… Ahh, si vous saviez combien elles sont… subtiles. Comme ce jour où, vêtues de nos tenues de soirée à la mode new-yorkaise, c’est-à-dire un tout petit peu plus dressy que l’uniforme de soirée parisienne – tee-shirt informe (mais griffé Zadig & Voltaire), jean taille basse (rebaptisé whale tail, c’est-à-dire queue de baleine, ou encore double fesse, rapport au string qui dépasse au-dessus du pantalon) et les inénarrables Converse –, nous voilà, la fleur au corsage (c’est une image, on vous promet qu’on ne portait pas de fleur piquée dans notre chemise, le camélia de Chanel était sagement resté à la maison…), nous voilà donc parties explorer la vie parisienne passé minuit et demi. Et là, devant le Mathis, endroit qui nous avait été vendu par les copines « bien 250 Pintade_OK.indd 250 5/09/08 11:55:37 Les pintades s’aèrent introduites » comme « un lieu qui compte », la porte s’entrouvre sur une blondeur peroxydée, les mamelles moulées dans un tee-shirt strassé barré d’une inscription DIOR, qui nous dévisage, de la tête aux pieds (oui, oui, nous insistons : nos pieds reçurent le même traitement que nos gueules, le « dévisagement » fut donc autant pédestre que facial). Et la dame de nous lancer, le zygomatique bloqué en position « hargneux », un très sérieux : « C’est pour qwaaa ? » « Euh, bah, on vient réparer la fuite d’eau dans les toilettes ? ! » avait-on envie de répondre. Le sarcasme est indubitablement persona non grata dans ce genre de situation. Inutile aussi d’insister, la dame ayant fort peu envie de se faire convaincre du bien-fondé de notre demande. C’est un peu comme essayer de faire entendre raison à une employée de la Sécurité sociale. Comme disait Horace, qui n’a jamais eu à faire à la Sécurité sociale : « La résignation allège tous les maux sans remède. » On ne nous y reprendra plus à sortir en pretty dress pour faire la fête à Paris. Nous voilà donc vêtues de notre skinny jean et en route pour la Flèche d’or. La tribu qui y a élu domicile est boboïsante, musicophage et quarnorestienne1. Le territoire est largement plus ouvert, les valeurs qui priment : démocratie, tourment musical et facebookisme. Il suffit de répondre « will attend » et le tour est joué. Vous voilà sur la guest list. Enfin, en théorie. La motivation est bigrement différente quand on va à la Flèche d’or, au Cha Cha ou au Baron. Difficile d’arriver à la Flèche d’or au hasard. Généralement, on vient y écouter le tout dernier groupe d’electro ou de pop française (et néanmoins anglophone). Programmation pointue et looks à la hauteur des 1. Habitants du quart nord-est parisien. 251 Pintade_OK.indd 251 5/09/08 11:55:37 Une vie de Pintade à Paris événements, cheveux négligemment ébouriffés pour les garçons, pantalons aux poches surnuméraires et chaussures derby en cuir blanc étincelant pour les filles, façon rockabillies. Ceux qui s’échoueraient sur cette rive du XXe un soir de programmation punk nihiliste à vous décoller les tympans auront au moins le plaisir de rentrer sans problème et pourront admirer la verrière au-dessus des rails désaffectés. Et que les snobs londrophiles ou new-yorkophages ne viennent pas nous dire qu’il ne se passe rien à Paris. Oui, bien sûr, c’est plus confidentiel, moins corporate, et c’est aussi beaucoup plus sage que chez nos voisins d’outreManche ou d’outre-Atlantique. Les mélancoliques trentenaires (nous ?) pleurent encore la grande époque des soirées mousse au Queen ou les fêtes décadentes du Palace, où l’on croisait des barjots au quotient festif décuplé, qui incluaient Grace Jones, Jean Paul Gaultier et Roland Barthes totalement déjanté, et où les toilettes servaient à tout sauf à pisser. Certes, on n’y a jamais fait d’overdose (en tout cas pas de drogue et pour le reste, il y a prescription), mais ces excès de jeunesse nous laissent encore humides de nostalgie. Le petit frisson de coquinerie aujourd’hui consistera à vous expliquer que la plupart des nouveaux clubs sont d’anciens gentlemen’s club, des bars à hôtesses comme on dit, ou des symboles de la décadence passée, des anciens cabarets lesbiens par exemple. 252 Pintade_OK.indd 252 5/09/08 11:55:37 Les pintades s’aèrent Aujourd’hui, le show ne se passe plus sur le dancefloor ni sur les genoux des messieurs, mais dans la cabine du DJ. Être DJ, c’est être une star. Au panthéon des passeurs de disques, vous aimerez David Guetta, le blond deejay, mèche de côté et lunettes sombres, vous susurrant à l’oreille en rythme electro-pop Fuck me, I’m famous, ou Ariel Wizman, le brun deejay, mèche de côté et lunettes sombres, vous susurrant à l’oreille Men Are Not Nice Guys. Mais celles qu’on préfère, ce sont les pintades DJettes. Les filles ont pris le contrôle des platines dans les clubs parisiens. On ne les présente plus : Les Putafranges, Nadège Winter aka headbangirl, DJ Paulette. Depuis cinq ans, elles ont colonisé les tables de mixage des clubs de la capitale. Au menu, un son généralement plus joyeux que celui des boys. Et elles espèrent bien nous remettre sur nos pieds pour venir faire ce qui doit se faire dans un club. Draguer ? Non. Se droguer ? Non plus. Non, vous savez, bouger ses pieds en rythme et sur de la bonne musique. Nadège Winter qui, quand elle n’a pas un casque sur les oreilles, s’occupe de la com et des happenings de Colette, traîne les fêtards sur le dancefloor avec les Colette Dance Class. « J’aurais rêvé de faire Fame, c’est un vieux fantasme d’être en jambières toute la journée, confie cette Parisienne de 36 ans, dont la fraîcheur et l’enthousiasme démontrent qu’il n’y a pas que des chieuses râleuses à Paris. J’étais une inconditionnelle du Bal moderne à Chaillot il y a une dizaine d’années. On y apprenait aussi bien le menuet que le funk. Avec les Colette Dance Class, j’ai voulu offrir un espace qui ne soit pas académique, où l’on peut se lâcher sans être jugé. » Pour avoir testé une Colette Dance Class à feu le Paris Paris, on peut vous dire que c’est pas du chiqué, les gens sont là pour shaker leur body. Footloose, MC Hammer, Michael Jackson, Grease, hip 253 Pintade_OK.indd 253 5/09/08 11:55:38